Obama en visite à Berlin après la victoire de Trump

Le président américain sortant Barack Obama est arrivé hier soir à Berlin, la capitale allemande, pour rencontrer la chancelière Angela Merkel. Tous deux rencontreront le président François Hollande ainsi que d’autres dirigeants européens lors de réunions prévues aujourd’hui et demain, les 17 et 18 novembre.

Il s’agit de la huitième visite d’Obama en Allemagne, si l’on inclut le discours qu’il avait prononcé devant la « Siegessäule » (colonne de la victoire) à l’été 2008 avant son entrée en fonction. A l’époque Obama avait fait un « beau discours » célébrant les nombreuses années de l’amitié germano-américaine et leur victoire commune sur le communisme. Les médias saluèrent avec enthousiasme son allocution en écrivant une profusion d’articles consacrés à l’« Obamanie ».

Aujourd’hui, la situation a changé du tout au tout. La relation transatlantique a atteint son point le plus bas. Après le choc initial provoqué par la victoire électorale de Trump, un nouveau ton est de rigueur parmi les politiciens et dans les médias allemands : sous le président Trump, l’Amérique ne peut plus être acceptée comme chef de file de l’Occident. Le siècle américain a pris fin. L’Allemagne doit assumer une responsabilité plus grande et ne peut plus se subordonner à la politique des Etats-Unis.

Le fait qu’Obama a accueilli Trump à la Maison Blanche et a déclaré utiliser le restant de son mandat pour assurer une transition sans heurts du gouvernement a été observé de près à la chancellerie à Berlin. Obama est considéré comme le précurseur de Trump et c’est dans ce sens qu’est perçue sa récente visite à Berlin.

« Voilà tout d’un coup que Barack Obama s’exprime au nom de Donald Trump. Que signifie tout cela ? » a demandé mercredi le journal Süddeutsche Zeitung dans sa rubrique « Thème du jour ». Le journal qualifie Obama de « porte-parole de Donald Trump » qui vient à Berlin pour apaiser les craintes allemandes suscitées par le président élu. L’article a cité Obama disant, « Lors de mes discussions avec le futur président, il a fait preuve d’un très grand intérêt dans la préservation de nos principaux partenariats stratégiques. Et donc, le message que je peux faire passer porte sur son engagement vis-à-vis de l’OTAN et de l’alliance transatlantique. »

Pourtant des doutes considérables subsistent à ce sujet. « Ce que Trump envisage effectivement en matière de politique extérieure demeure encore flou, » écrit le Süddeutsche Zeitung en soulignant que les décisions qu’il a prises pour former son équipe gouvernementale ne présagent rien de bon.

Le Handelsblatt écrit qu’Obama veut dissiper les craintes ressenties en Europe face à Trump en ajoutant, « La crédibilité d’Obama a toutefois été ébranlée ». L’été dernier, il avait cherché à éviter que le peuple britannique adopte la voie du Brexit et « il avait à plusieurs reprises assuré : Trump ne deviendra pas président. Dans les deux cas, le résultat est bien connu ».

Certes, Obama a précisé lors de sa visite mardi à Athènes que l’alliance entre l’Europe et l’Amérique restera « la pierre angulaire de notre sécurité et de la prospérité ». « Mais, pourquoi les Européens devraient-ils lui faire confiance maintenant ? » demande le Handelsblatt, avant de faire référence à Obama comme un « perdant tragique ».

L’Europe est d’ores et déjà en train de se réarmer en cas de scénario catastrophe et elle renforcera ses capacités de défense. Vu que la France est confrontée à une crise de direction, poursuit l’article, « la principale responsabilité de préserver l’unité de l’Europe incombe à Merkel ». Aux Etats-Unis, il est déjà question de la fin de « Pax Americana » et le magazine Foreign Policy écrit sur une « Pax Germanica ».

De tous les gouvernements, se sont précisément Merkel et le gouvernement allemand, dont la politique a engendré partout en Europe une catastrophe sociale et une opposition accrue contre l’Union européenne, qui sont loués comme étant les sauveurs des « valeurs libérales de l’Occident ».

Le Handelsblatt a ensuite ajouté, « La question est de savoir si l’Allemagne est prête à jouer ce rôle et si la chancelière surmontera les mois à venir en matière de politique intérieure. La victoire électorale de Trump est aussi un triomphe pour l’AfD. »

Le magazine Der Spiegel a décrit la victoire électorale de Trump comme étant la fin d’une époque en intitulant un article, « La fin du monde tel que nous le connaissons ». Trump est un « président absurde ». Il « deviendra le 20 janvier prochain le 45e président démocratiquement élu des Etats-Unis, » mais il restera « un homme dangereux ». Il est dangereusement « inattentif, déséquilibré, inexpérimenté et dangereusement raciste ». Trump croit à la supériorité de la race blanche et, s’il met en vigueur les plus extrêmes de ses brutales annonces, il ne serait pas le premier chef d’Etat élu à le faire. « […]Trump vient de dire f*ck les latinos en insinuant ainsi la supériorité des laissés-pour-compte. De manière tout aussi brutale qu’en Allemagne il y a 80 ans ».

La tentative d’Obama de banaliser pendant son séjour à Berlin le danger que représente Trump en affirmant que pas grand-chose ne changera n’a pas apaisé les peurs et les inquiétudes en Europe, mais les a au contraire renforcées. La mémoire de la catastrophe allemande lors de la prise de pouvoir par la pègre sous la forme des nazis dans les années 1930 est restée bien vivante. Tout le monde sait où cela a mené.

L’élite dirigeante allemande n’a cependant aucune réponse progressiste à Trump. Au lieu de cela, elle saisit l’occasion pour renforcer les mêmes forces réactionnaires et poursuivre énergiquement le renforcement prévu de longue date de l’appareil d’Etat sur le plan intérieur et extérieur.

Même avant la tenue des élections, l’Institut allemand pour les affaires internationales et de sécurité (SWP), un think tank proche du gouvernement, avait publié un document intitulé « Même sans Trump il y aura de grands changements ». Les auteurs réclamaient une politique étrangère allemande et européenne plus agressive, qui, « indépendamment du résultat des élections » soit disposée à imposer ses intérêts économiques et géopolitiques avec une plus grande indépendance et, si nécessaire, contre Washington.

« Avec Trump comme président […] il y aurait un degré élevé d’incertitude au sujet de la politique étrangère américaine », a déclaré le document. L’Allemagne « ne pourrait certainement pas se fier à l’imprévisibilité de Trump et ses positions extrêmes « réfrénées » ni par une équipe de conseillers, le cabinet, l’armée ou le Congrès ».

L’Allemagne doit s’affranchir de la dépendance des Etats-Unis et « réfléchir à comment la relation transatlantique et l’ordre futur du monde devront être appréhendés. » Ceci nécessitera beaucoup plus de ressources pour sa propre sécurité et la défense de ses propres intérêts.

La décision de désigner, quelques jours à peine après la victoire de Trump, le ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier comme le candidat commun des partis au pouvoir, l’Union chrétienne-démocrate (CDU), l’Union chrétienne-sociale (CSU) et le Parti social-démocrate (SPD), pour la présidence allemande, est directement liée à ce nouveau rôle de l’Allemagne.

Steinmeier est l’un des principaux défenseurs d’une nouvelle politique impérialiste allemande. A la mi-juin, il avait publié dans l’influent journal américain des affaires étrangères, Foreign Affairs |lien en anglais], un article intitulé « Le nouveau rôle mondial de l’Allemagne ». Il y décrivait l’Allemagne comme une « importante puissance européenne » qui est obligée de « réinterpréter les principes qui guident sa politique étrangère depuis plus d’un demi-siècle ».

Steinmeier justifie les ambitions de grande puissance de l’Allemagne en se référant aux terribles conséquences de la politique américaine, notamment au Moyen-Orient.

Malgré les tentatives entreprises par le président bientôt sorti Obama de minimiser les conséquences internationales du nouveau gouvernement aux Etats-Unis, l’élection de Trump a engagé une nouvelle étape dans les relations transatlantiques qui sera marquée par de fortes tensions et des chocs dans les relations transatlantiques.

(Article original paru le 17 novembre 2016)

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