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La Russie à la veille des élections à la Douma


Par Peter Schwarz
(traduit de l'anglais - paru le 18 décembre 1999)


Les élections à la Douma auront lieu le 19 décembre. Avec celles de 1993 et de 1995, ce seront les troisièmes élections en Russie depuis la dissolution de l'Union Soviétique. Ces élections se déroulent à l'ombre de la guerre qui fait rage en Tchétchénie, un conflit que le gouvernement russe mène avec la plus grande des brutalités depuis des semaines. La guerre a rapproché les partis politiques et suscité une vague de nationalisme reléguant à l'arrière plan les problèmes sociaux dont la société russe est criblée. Parmi les 28 partis, listes de candidats et blocs qui totalisent quelques 3000 candidats en lutte pour 450 sièges, aucune voix ne s'élève véritablement pour dénoncer le conflit.

La distinction présente au début de l'ère post-soviétique entre les camps pro-occidental dit « démocratique » et « nationaliste » (ou « patriotique » comme disent les Russes) qui regroupaient généralement les partis russes a perdu toute signification en grande partie. Le krach financier d'août 1998 a eu d'importantes répercussions sur la mince couche de nouveaux riches parvenus et politiquement influents dont l'enthousiasme pour l'Ouest, et plus particulièrement pour les États-Unis, a nettement diminué.

La guerre du Kosovo au printemps dernier et la poussée agressive des États-Unis dans le Caucase et la riche région pétrolière de la mer Caspienne ont généralement été perçues comme des tentatives d'encerclement, d'affaiblissement et de déstabilisation de la Russie. Alors que la première guerre en Tchétchénie de 1994-1996 avait suscité une grande opposition en Russie, principalement pour des raisons intérieures, les grands camps politiques soutiennent maintenant la guerre actuelle qui incarnent à leurs yeux la défense de l'unité de l'État russe et sa place en Asie centrale.

Les développements économiques actuels ont également encouragé le sentiment qui prévaut actuellement selon lequel la Russie se porterait mieux si elle reprenait confiance dans ses propres forces. La chute du rouble a entraîné une baisse des importations de l'étranger et une croissance à court terme de la production nationale, une croissance économique de 2 p. 100 est prévue pour l'année et enfin, la montée du prix du brut sur le marché mondial a également augmenté les revenus d'exportation de la Russie, ce qui permet au gouvernement de payer les salaires et les pensions en souffrance, en plus d'augmenter le budget de la défense.

En matière de politique étrangère, l'éloignement croissant de la Russie par rapport aux États-Unis s'exprime dans la recherche de nouveaux alliés tels l'Union européenne et la Chine. La fondation Koerber d'Allemagne qui suit de près les développements en Russie, écrivait dans un récent numéro de CIS Barometer :
« Moscou voit maintenant sa fixation passée sur les États-Unis comme une erreur stratégique, car ces derniers ne sont pas intéressés à renforcer leur ancienne rivale sur la scène politique mondiale. La Russie considère la pénétration économique et politique substantielle des États-Unis dans la région de la mer Caspienne comme son plus grand défi pour l'avenir. Moscou pense pouvoir contrebalancer cette situation en améliorant son partenariat stratégique avec l'UE ».

En matière de politique sociale, les cercles influents s'adaptent de plus en plus à la rhétorique qui prévaut en Europe. Toujours selon CIS Barometer, « la Russie promet enfin d'aligner ses réformes économiques plus fermement vers les politiques de marché sociales des principaux États de l'Union européenne, ce qui doit être compris comme une dissociation du modèle libéral du libre marché en vigueur aux États-Unis. »

Devant l'unanimité de tous les partis sur ces questions, les programmes politiques ne peuvent que difficilement jouer un rôle dans cette campagne électorale. Ce qui prédomine plutôt, c'est une lutte acerbe et sale pour le pouvoir et l'influence opposant deux puissants clans financiers - le parti Unité, représentant le groupe sortant du Kremlin, avec l'oligarque Boris Berezovsky en coulisse, et l'alliance La patrie-Toute la Russie, soutenue par Vladimir Gusinsky, un autre oligarque tout juste un peu moins opulent.

Cette lutte s'est surtout déroulée sur les deux chaînes télévisées du pays, ORT, la chaîne d'État (contrôlée par Berezovsky) et NTV, la chaîne privée (propriété de Gusinsky). Pour 90 p. 100 de la population, la télévision constitue la seule source d'information. Dans cette lutte, tous les coups sont permis. Ceux sous la ceinture ne sont jamais assez bas et les pires accusations ne sont jamais assez malhonnêtes. Les accusations de corruption, de coercition, d'extorsion et de meurtre à forfait sont quotidiennement lancées contre les principaux candidats par les deux côtés.

Par ailleurs, le fait que les élections à la Douma sont perçues comme la répétition générale des élections présidentielles de juin 2000, beaucoup plus importantes au niveau politique, alimente encore plus l'acrimonie de la lutte. Deux des principaux candidats de La patrie-Toute la Russie, le maire de Moscou Yuri Lushkov et l'ex-premier ministre Yevgeny Primakov, sont considérés comme les adversaires les plus prometteurs au camp Eltsine, ce dernier mettant tous ses espoirs dans le premier ministre actuel Vladimir Poutine.

Le groupe La patrie-Toute la Russie a été créé à l'origine à l'automne de 1998 par Yuri Lushkov, l'une des personnalités les plus importantes du pays. En plus de diriger l'administration municipale de Moscou, il préside sur son empire médiatique. En 1999, le groupe « La patrie » accueillait l'ancien premier ministre Yevgeny Primakov (récemment limogé par Eltsine) alors que le groupe Toute la Russie était créé par 16 gouverneurs provinciaux influents. Ces dirigeants régionaux qui, dans une certaine mesure agissent comme les Boyars médiévaux, acquièrent de plus en plus d'importance dans la vie politique russe depuis qu'ils disposent de leur propre budget et de structures économiques autonomes.

De nombreuses grandes entreprises actives dans le secteur du gaz et du pétrole soutiennent le nouveau parti La patrie-Toute la Russie. Parmi les bailleurs de fonds de ce parti, on retrouve en effet le géant pétrolier Lukoil, le transporteur aérien Transaero et la société Sistema, propriétaire de nombreuses entreprises présentes dans les domaines des télécommunications, de la micro-électronique, du pétrole, de la construction, du tourisme, de l'alimentation, de même que des entreprises commerciales, les banques et les médias. Le géant gazier Gasprom, qui supportait auparavant le parti Notre maison la Russie de son ancien président Viktor Tchernomyrdine, est également perçu comme un commanditaire plausible du camp Lushkov-Primakov.

La patrie-Toute la Russie était considéré en novembre comme le parti présentant les meilleures chances aux élections. Les sondages d'opinion ont prévu qu'il récolterait 30 p. 100 des votes. Mais la popularité croissante du nouveau premier ministre Vladimir Poutine et la campagne de salissage du camp Eltsine l'ont depuis relégué en troisième position.

En septembre, juste avant la date limite pour l'inscription des partis, l'appareil du président Eltsine établissait sa propre alliance électorale en créant le parti Unité. Tout comme le parti La patrie-Toute la Russie, il a été créé par un groupe de 39 gouverneurs provinciaux. Il est dirigé par le ministre des Affaires urgentes Sergej Schoigu, membre du cabinet Eltsine depuis 1994 venant à l'origine du parti de l'ex-premier ministre Viktor Tchernomyrdine.

Le premier ministre Poutine n'est pas officiellement membre du parti Unité mais ce dernier est généralement considéré comme le véhicule qui lui permettra d'accéder à la présidence et de protéger la richesse du groupe Eltsine et de son financier Boris Berezovsky.

Le fait que cette campagne électorale soit plus une lutte d'influence, de pouvoir et de privilèges plutôt que de questions politiques est clairement démontré par la régularité avec laquelle les divers politiciens en vue changent de camps, par le développement de nouveaux partis et la disparition des anciens. C'est ainsi que 200 des 450 délégués de la Douma sortante avaient changé d'allégeance parlementaire depuis la dernière élection, et il est facile de prévoir que l'achat de députés et de votes continuera après l'élection. Dans le cas des cinq derniers premiers ministres nommés par Eltsine - Victor Tchernomyrdine, Yevgeny Primakov, Sergei Kiryenko, Sergei Stepachin et Vladimir Poutine - chacun présente maintenant un parti différent.

Tchernomyrdine est actuellement le chef du parti Notre maison la Russie, autrefois soutenu par Eltsine, mais qui ne devrait plus atteindre maintenant que très péniblement la barre des 5 p. 100 nécessaire pour être reconnu à la Douma. Kiryenko quant à lui figure parmi les dirigeants de l'Union des forces de droite, formée en août 1999 par divers partisans des politiques économiques libérales - notamment Boris Nemzov, Yegor Gaidar et Anatoly Chubais. Tous n'ont que de faibles chances de l'emporter aux élections.

Stepachin a joint le parti Yabloko de Grigori Yavlinski, également partisan de politiques économiques libérales, mais plus modérées. Ces derniers ayant rejeté toute collaboration avec le gouvernement, les sondages leur accordent environ 10 p. 100 des voix.

Les autres partis et personnalités ayant joué un rôle lors des élections précédentes ont perdu toute influence ou attendent leur tour. Le mouvement ultra-nationaliste de l'extrémiste de droite Vladimir Jirinovsky, qui avait récolté 12 p. 100 des voix, soit le deuxième plus grand nombre de votes aux dernières élections, est terriblement discrédité du fait des nombreux liens qu'il entretient avec le crime organisé et de sa proximité du groupe du Kremlin. En effet, lors des votes cruciaux à la Douma, le groupe parlementaire de Jirinovsky vote habituellement pour le président, et aurait à plusieurs occasions reçu des paiements en retour.

Alexandre Lebed ne se présente pas aux élections. L'ancien général qui était perçu comme un candidat présidentiel prometteur après son rôle de négociateur bien réussi lors de la première guerre en Tchétchénie, est subséquemment devenu gouverneur de Krassnoyarsk. Lebed entretient son image d'« homme fort » et espère intervenir en sauveur populaire lors d'une prochaine crise politique. Selon certaines rumeurs, il se serait entendu avec le groupe Eltsine pour intervenir afin de remplacer Poutine dans l'éventualité d'une nouvelle débâcle en Tchétchénie.

La seule exception apparente dans tout ce mouvement constant de va-et-vient entre les partis est le Parti communiste de la Fédération de Russie (KPRF). Comptant environ 540 000 membres (pour la plupart très âgés) répartis dans 27 000 organisations régionales et détenant 40 p. 100 des sièges dans la Douma sortante, l'ancien parti d'État présente une certaine stabilité. Avec les partis Unité et La patrie-Toute la Russie, le parti communiste est perçu comme l'un des plus prometteurs pour remporter la victoire électorale. Certains avancent même que l'écurement général de la population face à l'orgie de calomnies télévisées pourrait bien bénéficier au KPRF qui reçoit beaucoup moins de couverture médiatique.

Par contre, au niveau de son programme, le KPRF se distingue difficilement des autres partis. Du fait de ses racines en Union Soviétique, le parti obtient des appuis parmi les couches sociales les plus durement frappées par les changements des dix dernières années : retraités, familles nombreuses, travailleurs des entreprises non profitables et du secteur agraire, fonctionnaires, militaires et anciens combattants. Le KPRF canalise l'opposition sociale de ces couches dans la voie nationaliste.

Le parti a nommé sa campagne électorale « Debout grand pays ! ». Cette dernière préconise que la Russie doit redevenir une grande puissance et opposer sa civilisation à « l'influence néfaste de l'Ouest ». En plus des thèmes de « justice » et de « pouvoir du peuple », le programme du parti présente comme valeurs fondamentales le « pouvoir impérial » (l'appel à un État fort), la « spiritualité » (la lutte pour atteindre « les plus grandioses des idéaux traditionnels russes que sont la vérité, la bonté et la belle vie ») et le « patriotisme » (l'amour de la mère patrie et la volonté de chacun de subordonner ses intérêts à ce dernier). Les références aux idées socialistes ou marxistes ont pratiquement disparu au complet du programme.

Sur la question de la guerre en Tchétchénie, le KPRF préconise l'autorité absolue des généraux pour prendre les décisions et les met en garde de la possibilité que le gouvernement pourrait bien les poignarder dans le dos au dernier moment pour les empêcher de remporter une victoire totale. En matière de politique étrangère, le Parti communiste souligne l'importance d'établir d'étroites relations avec l'Allemagne et l'Union européenne. Gennady Zyuganov, le chef du KPRF, a d'ailleurs déjà visité l'Allemagne à maintes reprises afin de faire valoir ce point.

Pour ce qui est de la politique intérieure, le KPRF a prouvé qu'il était un solide pilier du régime en lui accordant à maintes reprises une majorité parlementaire pour le sortir des situations critiques. Presque tous les chefs de gouvernement nommés par Eltsine ont été élus avec l'appui du KPRF, et ce dernier a régulièrement voté pour les budgets proposés. Par ailleurs, des membres ou des représentants du KPRF ont occasionnellement obtenu des postes de ministre dans le gouvernement.

Selon l'analyse faite par l'Institut fédéral d'études internationales et scientifiques sur l'Est (BIOst) de Cologne, le KPRF forme « une opposition aux réactions très prévisibles au sein du système actuel ». Cette étude conclut : « dans un certain sens, on peut même parler de l'existence d'une grande coalition en Russie avec le parti de Zyuganov tenant le rôle de composante officieuse... Ainsi le PC contribue-t-il à la stabilisation de l'ensemble du système en canalisant les protestations politiques et sociales pour ainsi empêcher qu'elles ne sortent des lignes constitutionnelles. »

Il est évident qu'aucun des partis briguant les suffrages en Russie ne se préoccupe des énormes problèmes sociaux du pays et des préoccupations sociales de la population, et encore moins de proposer des solutions. La vague nationaliste suscitée par la guerre en Tchétchénie permet de reléguer temporairement ces questions au second plan. Le camp Eltsine et le premier ministre Poutine savent particulièrement bien comment utiliser ce facteur avec adresse. Ce n'est sans doute pas une coïncidence que l'offensive contre la capitale tchétchène Grozny survient au même moment que les élections.

À la longue cependant, les questions sociales ne pourront pas toujours être contournées. C'est cette préoccupation qui fait dire aux auteurs de l'étude de la fondation Koerber que « sans une amélioration à long terme du niveau de vie, la population russe ne soutiendra pas Poutine indéfiniment. Les experts affirment d'ailleurs que la reprise économique sera de courte durée en Russie et que le problème tchétchène ne peut être résolu par la guerre ».


 

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