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Les États-Unis et le Royaume-Uni d'accord pour le maintien des sanctions paralysantes sur l'Irak

Par Barry Grey
(traduit de l'anglais - publié le 5 janvier 2000)

Après plus de huit mois d'intenses négociations au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies, les États-Unis ont finalement décidé le mois dernier de proposer au vote une résolution visant à prolonger indéfiniment les sanctions contre l'Irak, malgré le fait qu'un seul autre membre permanent du Conseil de sécurité, en l'occurrence le Royaume-Uni, était prêt à voter pour.

La résolution passée le 17 décembre prévoit la mise sur pied d'une nouvelle agence d'inspection des armements, l'UNMOVIC (Commission d'inspection, de vérification et de contrôle des Nations Unies) pour remplacer la Commission spéciale des Nations Unies sur l'Irak (CSNU). Bagdad a toujours refusé de laisser la CSNU et son président Richard Butler revenir sur son territoire après que les États-Unis et le Royaume-Uni aient effectué des frappes aériennes pendant quatre jours en décembre 1998 sur la base d'un rapport de Butler qui affirmait que l'Irak ne respectait pas ses engagements en matière de désarmement. Les Irakiens ont également refusé tout accès aux représentants de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) chargée dans le cadre des sanctions de l'ONU imposées en 1990 de s'assurer de l'absence de programme de développement d'armes nucléaires dans le pays.

L'Irak a annoncé à l'avance qu'il rejetterait toute résolution ne garantissant pas la levée inconditionnelle des sanctions, et a indiqué qu'il envisagerait une reprise des inspections des armements seulement si on pouvait lui garantir, date à l'appui, que l'embargo prendrait fin. Les trois autres membres permanents du Conseil de sécurité (Russie, Chine et France) auraient pu opposer leur veto en votant non mais ont préféré plutôt s'abstenir lors du vote du 17 décembre. Cette attitude a également été reprise par la Malaisie. Présentée par le Royaume-Uni et secondée par les États-Unis, la résolution a été adoptée par un vote de onze pour, aucun contre et quatre abstentions.

Que les États-Unis aient finalement décidé d'aller de l'avant avec ce vote en sachant pertinemment que cela entraînerait une division au sein du Conseil de sécurité sur la question irakienne en plus d'accentuer l'isolement de Washington et de Londres démontre bien la détermination du gouvernement américain de poursuivre une politique de représailles contre l'Irak, dans l'espoir que les immenses souffrances infligées à la population mènent éventuellement au renversement du président Saddam Hussein.

D'un point de vue objectif, la politique des États-Unis envers l'Irak constitue un crime contre l'humanité. Pour trouver un exemple comparable de grande puissance piétinant la souveraineté nationale d'un petit pays, il faut en effet remonter à l'apogée du colonialisme au tournant du siècle dernier. Le nombre de morts et l'importance des destructions infligées sur la population irakienne par les bombardements et les sanctions imposées par les États-Unis sont considérables. De nombreux rapports d'organismes internationaux et humanitaires ont documenté l'effondrement du système de santé, les problèmes de malnutrition, d'approvisionnement en eau potable, le recul des conditions sanitaires et autres rudiments de la civilisation causés par près de dix années d'embargo économique.

En août dernier par exemple, le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) publiait une étude concluant que le taux de mortalité infantile avait plus que doublé au centre et au sud de l'Irak depuis l'entrée en vigueur des sanctions de l'ONU. Un rapport précédent de l'organisme estimait que plus de 5 000 enfants irakiens mouraient chaque mois faute d'aliments et de remèdes adéquats. La semaine dernière, le ministre irakien de la Santé a dévoilé que 1,4 million d'Irakiens de tous âges ont péris au cours des neufs dernières années à cause de l'embargo des Nations Unies.

Depuis les frappes aériennes de décembre 1998, les États-Unis et le Royaume-Uni ont continué de bombarder des objectifs militaires et civils sur une base quasi quotidienne en Irak. Selon Bagdad, les avions à réactions américains et britanniques patrouillant les zones d'exclusion aérienne nord et sud de l'Irak ont effectué 16 848 missions et tué 156 personnes l'an dernier seulement. Ces zones d'exclusion aérienne ont été imposées unilatéralement au début des années 1990 par les États-Unis, le Royaume-Uni et la France sans même la couverture légitime d'une résolution à l'ONU.

Les inspections d'armement effectuées pour le compte de l'ONU ont été utilisées de façon très peu discrète par Washington dans ses efforts pour déstabiliser et renverser le régime de Hussein. Pendant des années, la CSNU a monté provocation sur provocation en refusant de certifier que l'Irak s'était débarrassé de ses armes chimiques et biologiques et en exigeant l'accès aux installations politiques et de sécurité les plus importantes du pays. Les inspections de la CSNU ont été fréquemment menées de façon à provoquer l'opposition irakienne pour servir de prétexte aux attaques politiques ou militaires répétées des États-Unis. C'est ainsi que les frappes aériennes de décembre 1998 furent déclenchées après que Bagdad eut refusé aux inspecteurs de Richard Butler l'accès au siège du parti Baath au pouvoir.

Dans les semaines qui ont suivies les attaques par missiles et les bombardements, les grands quotidiens internationaux ont publiés des preuves détaillées, dont divers témoignages d'agents de renseignement américains, que la CSNU servait depuis longtemps de couverture à la CIA et Washington pour obtenir des renseignements sur le gouvernement irakienne. En plus de suivre à la trace les déplacements de Saddam Hussein en prévision d'une éventuelle tentative d'assassinat, la CIA s'est servi des renseignements de la CSNU pour choisir les objectifs des frappes aériennes de décembre 1998. Ces révélations justifient les accusations soutenues depuis longtemps par l'Irak que les inspecteurs en armement de l'ONU espionnaient pour le compte des services de renseignement américain et israélien.

A la lumière de ces faits, on ne peut s'étonner que les Irakiens soient réticents à placer leur sort entre les mains d'un autre programme d'inspection appuyé par les États-Unis. Pressée par l'opposition publique croissante aux sanctions tant dans le monde qu'aux États-Unis, l'administration Clinton veut utiliser la résolution du 17 décembre comme mécanisme pour diminuer le fardeau imposé sur le peuple irakien tout en restant intransigeante envers le régime de Bagdad. La résolution comprend en effet un plan de suspension des sanctions en matière d'importation et d'exportation des biens à usage civil pour des périodes renouvelables de 120 jours, en autant que l'UNMOVIC et l'AIEA rapportent que l'Irak se plie intégralement aux programmes d'inspections pendant une période de même durée. Toute suspension des sanctions devra cependant être votée par le Conseil de sécurité, où tant les États-Unis que le Royaume-Uni disposent d'un droit de veto. Dans le cas où l'UNMOVIC ou l'AIEA devait rapporter que l'Irak ne respectait pas entièrement ses engagements, la réimposition des sanctions serait automatique. La résolution donne carte blanche à l'UNMOVIC pour exiger notamment le libre accès à toute installation : « l'Irak doit permettre l'accès immédiat, inconditionnel et sans restriction des équipes de l'UNMOVIC à tout équipement, zone, installation, dossier, moyen de transport et personnel placé sous l'autorité du gouvernement irakien. »

Le nouvel organisme d'inspection possède indéniablement toute la latitude voulue pour monter le type de provocations qui ont fait la notoriété de son prédécesseur, la CSNU. De plus, le paragraphe traitant des conditions pour la suspension des sanctions contient une mise en garde selon laquelle Washington pourrait intervenir pour empêcher toute levée temporaire de l'embargo. La clause en apparence anodine contient en effet le passage suivant : « [la suspension des sanctions] est sujette à l'élaboration de mesures effectives financières, opérationnelles et autres permettant de vérifier que l'Irak n'acquière aucune matière prohibée ».

Peter Burleigh, ambassadeur adjoint des États-Unis à l'ONU, a fait allusion à cette disposition, à première vue purement technique, immédiatement après l'adoption de la résolution. Selon le résumé publié par l'ONU, Burleigh aurait déclaré : « avant de considérer toute suspension, le Conseil devra décider des directives relatives aux importations civiles en période de suspension. La résolution actuelle ne définit pas les détails de ces mesures pas plus ce qui peut être autorisé ou non. Les États-Unis accordent la plus haute importance à la présence de mesures de contrôle efficaces. » Autrement dit, les États-Unis se sont déjà préparés pour exploiter le caractère vague de la clause afin de bloquer même une suspension temporaire des sanctions.

La seule disposition de la résolution qui semble garantir un certain soulagement sans condition concerne le retrait du plafond actuel imposé aux exportations de pétrole irakien. Jusqu'à maintenant, l'ONU forçait en effet l'Irak d'exporter au maximum 5,26 milliards $ en pétrole par période de six mois. Cette levée du plafond des exportations est en grande mesure une concession des États-Unis et du Royaume-Uni accordée à la Russie et à la France, toutes deux ayant des intérêts économiques substantiels reliés à la reprise des activités de l'industrie pétrolière du pays. Ce fait est clairement démontré par une autre clause de la résolution à propos des « options pouvant faciliter la participation des sociétés pétrolières étrangères dans le secteur pétrolier irakien, notamment au niveau des investissements, qui doivent être soumis à une surveillance et un contrôle approprié. »

Somme toute, la résolution maintient le statu quo, avec aucune fin au régime des sanctions en vue. La souveraineté irakienne reste toujours lettre morte et le sort du pays fermement entre les mains des États-Unis, qui peuvent continuer de bloquer indéfiniment toute reprise de relations économiques normales entre l'Irak et le reste du monde. La résolution préserve également le mécanisme à la base même de la subjugation du pays - la demande malicieuse adressée à l'Irak de prouver qu'il a bel et bien éliminé toute capacité de produire des armes nucléaires, chimiques ou biologiques, une chose impossible à prouver positivement hors de tout doute.

L'Irak n'a pas tardé à dénoncé la résolution du 17 décembre, par la voix de son vice-premier ministre Tareq Aziz, comme un nouvel instrument utilisé pour maintenir le régime des sanctions : « le véritable objectif des États-Unis et du Royaume-Uni dans cette résolution n'est pas de lever les sanctions mais bien de tromper l'opinion internationale. La suspension [des sanctions] est un leurre car elle repose sur l'observation de toute une série de conditions complexes impossibles à respecter. » Aziz dénonce également la résolution qui passe sous silence la question des zones d'exclusion aérienne et des frappes aériennes des États-Unis et du Royaume-Uni.

Selon le journal semi-officiel irakien Babel, la résolution « maintient l'embargo et ramène l'Irak à la case départ, [] elle (la résolution) est criminelle et transforme l'Irak en un protectorat dirigé de l'étranger avec de l'argent irakien. Le journal déclare également que le fait que le vote au Conseil de sécurité ait enregistré quatre abstentions constitue une victoire pour l'Irak car, après huit mois de négociations, de pressions et de chantage, les États-Unis et le Royaume-Uni ne sont pas parvenus à obtenir un consensus pour leur politique hostile à l'égard de l'Irak ».

Dans leurs déclarations, les délégués français, russe et chinois ont repris certaines des préoccupations irakiennes. Sergei Lavrov de la Fédération de Russie a ainsi soutenu que la résolution avait « comme objectif sous-jacent de repousser indéfiniment la levée des sanctions. » Pour sa part, Qin Huasun de la Chine a dénoncé les zones d'exclusion aériennes « qui n'ont jamais été autorisées ou approuvées par le Conseil, » et demandé que les États-Unis et le Royaume-Uni renoncent à toute frappe aérienne contre des objectifs irakiens au nord et au sud du pays.

Le représentant des États-Unis, Peter Burleigh, a défendu la position intransigeante de son gouvernement en rappelant que la résolution avait force de loi internationale. Puis il a demandé aux membres du Conseil de sécurité, indépendamment de leur vote, « de conjuguer leurs efforts pour faire pression sur l'Irak afin qu'il accepte l'entrée en vigueur immédiate et intégrale de la résolution. » Burleign a insisté sur le fait que toute suspension des sanctions devait être approuvée par le Conseil, qu'elle ne pourrait être que temporaire, et sujette à être automatiquement révoquée dès que l'AIEA ou l'UNMOVIC rapportait le moindre écart. Il a enfin ajouté que le Conseil « avait placé le fardeau directement sur les épaules de l'Irak, » pays qui ne peut se prévaloir du « moindre bénéfice du doute ».

Les plans de Washington apparaissent encore plus clairement lorsqu'on regarde la réaction américaine face au rejet irakien de la résolution. Le porte-parole du Département d'État des États-Unis, James Foley, a en effet déclaré : « []ce refus a pour conséquence pratique qu'il n'y a pas la moindre perspective de suspension des sanctions ».

Le fait que la France, la Russie et la Chine aient décidé de s'abstenir et de renoncer à faire valoir leur droit de veto pour renverser cette résolution met en relief leurs ambitions économiques et géopolitiques en Irak et dans le golfe Persique. Car c'est bien le pétrole irakien et non les préoccupations d'ordre humanitaire qui sont au centre de leurs tractations au Conseil de sécurité avec les États-Unis et le Royaume-Uni. La France en particulier a hésité lors du vote, pour finalement décider de s'abstenir seulement après que l'Irak ait menacé de rompre ses relations diplomatiques et de mettre fin à des contrats d'exploitation pétrolière potentiellement très lucratifs avec les sociétés de ce pays advenant que Paris ne soutienne la résolution.

Malgré l'opposition de l'Irak, le Conseil de sécurité n'en est pas moins mandaté pour procéder à l'application de la résolution du 17 décembre. Le Conseil doit en effet choisir un président exécutif pour l'UNMOVIC qui sera nommé le 16 janvier par le secrétaire général de l'ONU Kofi Annan.

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