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La biographie de Mandela ne parvient pas à lever le voile sur le mythe du dirigeant de l'A.N.C.

Mandela - la biographie autorisée.

Par Ann Talbot
5 Août 1999

Mandela - la biographie autorisée, Anthony Sampson, Harper Collins 1999.

Nelson Mandela est devenu une figure emblématique de la fin du 20ème siècle. Sa libération de prison le 11 Février 1990, après plus d'un quart de siècle d'incarcération, sembla à bien des gens offrir la perspective d'une avancée, après une décennie dominée par les politiques réactionnaires de Margaret Thatcher et Ronald Reagan. On estima à 200 millions, le nombre de personnes qui, en 1988, regardèrent à la télévision le concert pop dans le stade bondé de Wembley, concert qui célébrait le soixante-dixième anniversaire de Mandela, toujours prisonnier.

Bon nombre d'entre eux n'étaient pas encore nés lorsque Mandela fut condamné à perpétuité en 1962. Parmi ceux qui furent emportés par la vague d'enthousiasme pour la libération de Mandela, peu de gens suivaient de près les évènements en cours en Afrique du Sud. Certains n'étaient même pas sûrs de savoir où se trouvait l'Afrique du Sud. Dans une lettre adressée à son père depuis les Etats- Unis où elle était alors étudiante, Zeni, la fille de Mandela, écrivit : « certains croient que c'est quelque part dans les Caraïbes ». Pourtant, le nom et, une fois libéré, le visage de Mandela devaient devenir mondialement connus. Avec sa libération, Mandela, le prisonnier le plus célèbre du monde, finit par être considéré comme le président qui, à lui seul, avait sauvé l'Afrique du Sud d'un bain de sang et avait réussi à opérer une transition pacifique de l'apartheid vers la démocratie. Ce quasi-saint est le sujet de la biographie autorisée de Mandela par Anthony Sampson, ouvrage dont la publication cette année coïncide avec la fin de son mandat présidentiel.

Même s'il affirme son désir d'écrire sur l'homme et non sur le symbole, Sampson ne parvient jamais à percer le mythe construit autour de Mandela parce que ce mythe est tellement une création du milieu journalistique libéral dont Sampson, lui- même, est issu. Cela ne signifie pas pour autant que la biographie de Sampson soit mauvaise. Au contraire, c'est une riche source d'informations sur Mandela, l'A.N.C. et l'Afrique du Sud. Sampson écrit dans un style accessible, sans jamais laisser le livre s'enliser dans une surabondance de détails, ce qui est un exploit lorsqu'il s'agit d'un travail de recherche et de documentation exhaustifs tel que celui-ci. Mais, malgré son talent d'écrivain, il manque au travail de Sampson la perspective historique nécessaire pour voir au delà de la mythification médiatique dont Mandela est encore auréolé au moment où il se retire de la présidence. Il n'y a pas de raison pour qu'une telle perspective historique ne puisse être élaborée immédiatement. Il ne s'agit pas non plus d'attaquer Mandela personnellement mais plutôt de le situer dans son contexte historique et de faire ressortir les interconnections entre la personnalité et les actions de cette figure historique et l'époque et les circonstances qui les produisirent. Cette personnalité et ces actions ont à leur tour influencé l'époque.

Une des meilleures façons de détacher le vrai Mandela historique du mythe de Mandela, crée par les médias, c'est de tenir compte de l'héritage qu'il laisse à l'Afrique du Sud. Il conserve encore une très bonne réputation personnelle mais les attentes lumineuses de réformes liées à son accession au pouvoir se sont assombries à mesure que son pays s'est enlisé dans la pauvreté et la criminalité. La montée de la criminalité est la conséquence du degré de pauvreté sans précédent dans un pays industrialisé. Ceux qui vivent dans la misère du Tiers Monde voient la richesse occidentale s'étaler quotidiennement devant leurs yeux. Selon les calculs de la Banque Mondiale, le taux d'inégalité entre les revenus en Afrique du Sud fait partie des taux d'inégalité les plus élevés au monde. Seul le Brésil a un bilan plus négatif. Les revenus mensuels des foyers noirs sont de 757 rands en moyenne contre 4695 rands pour les blancs. Ce niveau de pauvreté, l'ANC l'a hérité de l'apartheid mais n'a rien fait pour réduire l'écart entre les riches et les pauvres. Même le programme relativement modeste de réformes sociales que l'ANC s'était fixé a été abandonné au profit d'une course effrénée pour s'enrichir de la part des dirigeants de l'ANC. A la pauvreté héritée de l'apartheid s'ajoute l'apparition d'un fossé qui se creuse entre les foyers noirs à mesure que se crée une classe moyenne noire.

Le chiffre le plus frappant de l'inégalité sociale en Afrique du Sud est le taux de mortalité infantile. De soixante dix à cent pour mille enfants noirs meurent à la naissance, un chiffre comparable à celui du Bangladesh, l' un des pays les plus pauvres du monde, tandis que le taux de mortalité est de neuf pour mille dans la population blanche. Pourtant, avec le Programme du gouvernement pour le Développement et la Reconstruction, les dépenses pour la santé ont été gelées. Sampson n'essaye pas de cacher l'échec de la politique sociale de Mandela, mais il le décharge de toute responsabilité, attribuant cet échec aux effets du marché mondial. Il dépeint le gouvernement de Mandela comme submergé par des forces économiques échappant à son contrôle. Ce serait simplement la malchance de Mandela d'arriver au pouvoir à une période de mondialisation galopante, où les gouvernements nationaux perdaient leur capacité à poursuivre des politiques économiques relativement indépendantes des marchés internationaux.

Pourtant, comme le montre son propre livre, l'ANC reconnut ces changements avant même les élections, au moment où ses dirigeants faisaient leurs promesses de réformes sociales. Ils avaient déjà convenu d'une lettre d'intention secrète qui, comme l'explique Sampson, « les engageait à réduire le déficit, à imposer des taux d'intérêt élevés et à ouvrir l'économie, avec en contrepartie la possibilité d'un emprunt de huit cent cinquante millions de dollars, si nécessaire, auprès du FMI»(p.473). Cet accord contenait aussi la garantie tacite que le gouvernement de Mandela n'effectuerait aucune réforme sociale majeure parce que les marchés internationaux considéreraient le fait d'apporter des soins médicaux nécessaires aux nourrissons noirs comme un gaspillage.

Même si accepter les répercussions de la mondialisation signifiait abandonner de grandes parties du programme de l'ANC, telles que les nationalisations, Mandela y était bien préparé, puisqu'il n'avait jamais été favorable à autre chose qu'à des mesures pro-capitalistes. Les défenseurs de l'apartheid ont souvent accusé Mandela d'être communiste. La vérité c'est qu'il a toujours été un nationaliste dont l'ambition était de donner aux Africains noirs l'opportunité de devenir capitalistes. Ce but fut explicitement exposé en 1955 dans la Charte pour la Liberté de l'ANC, laquelle devait rester la principale déclaration de principe et de programme du mouvement.

Mandela a réaffirmé le caractère nationaliste et capitaliste de la Charte pour la Liberté dans un article qu'il a écrit en 1956. Il a expliqué que l'intention de l'ANC n'était pas de renverser le capitalisme mais de casser l'emprise des grosses compagnies qui dominaient l'économie sud-africaine. « Le démantèlement et la démocratisation de ces monopoles ouvriront de nouvelles perspectives pour le développement d'une classe bourgeoise non européenne prospère. Pour la première fois dans l'histoire de ce pays, la bourgeoisie non européenne aura l'opportunité de devenir propriétaire, en son nom propre et de droit, d'usines et de fabriques et en conséquence le commerce et l'entreprise privée prospéreront et s'épanouiront comme jamais auparavant.»(p.95). Tout au long de son incarcération, Mandela ne cessa d'affirmer que la lutte de l'ANC devait permettre à la classe moyenne noire d'accéder au capital. A la fin des années soixante dix, un débat idéologique virulent se déroula chez les prisonniers de Robben Island concernant la nature de la Charte pour la Liberté. En opposition à d'autres prisonniers qui affirmaient que la Charte était un document socialiste, Mandela maintenait que son but était d'établir une démocratie bourgeoise et de maintenir le système capitaliste. C'est précisément ce qu'a réalisé son gouvernement.

Même si tous les autres aspects du programme de l'ANC ont été abandonnés, sa clé de voûte, la création d'un capitalisme noir, a été suivie avec une ferveur quasi-religieuse. L'agence NAIL (Investissement pour la nouvelle Afrique), soutenue par le gouvernement, a fourni aux hommes d'affaires noirs les capitaux nécessaires pour le rachat de compagnies périphériques aux compagnies minières géantes qui dominent encore l'économie sud-africaine. Face aux nouvelles conditions économiques qui prévalent sur le marché mondial, les conglomérats, rendus inflexibles de par leurs multiples activités, ont été contraints de simplifier celles-ci afin de maintenir la rentabilité de leur activité principale. Pendant ce temps, les responsables de l'ANC ont été co-optés aux conseils d'administration des principales compagnies avec un joli paquet d'actions en poche, pour les aider à laisser derrière eux la lutte pour la libération. Il se peut que le mode de transition soit quelque peu différent de ce que suggérait l'ancienne rhétorique de l'ANC, mais son contenu est en adéquation totale avec ce que proposait la Charte pour la Liberté en 1955 et ce que Mandela a toujours prôné.

L'enthousiasme avec lequel les hommes d'affaires Sud Africains blancs ont adopté l'ANC est souvent attribué au charme personnel et à la sagesse d'homme d'état de Nelson Mandela. Il ne fait pas de doute que Sampson alimente ce mythe. Il décrit comment, peu après la libération de Mandela, l'ambassadeur britannique Robin Renwick l'invita dans un restaurant à la mode, non sans appréhender la réaction des hommes d'affaires fortunés qui en composaient la clientèle habituelle, « néanmoins Mandela prit tout particulèrement la peine de faire le tour des tables, serrant des mains et ralliant ces hommes d'affaires à sa cause. Ce fut un morceau de bravoure », déclara Renwick (p.412). Quelles que fussent les aptitudes politiques de Mandela, les hommes d'affaires sud- africains avaient de bonnes raisons de l'inviter dans leurs restaurants ainsi que de l'inviter à diriger leur gouvernement. Ils lui avaient tendu la main alors qu'il était encore en prison parce qu'il semblait être leur unique planche de salut face au désastre économique et au soulèvement social.

Les changements survenus dans l'économie mondiale des années quatre vingt eurent un impact considérable sur le régime de l'apartheid à cause du grand isolement de l'économie sud- africaine au sein du marché mondial. Le parti national avait créé une économie hautement régulée dans laquelle trente pour cent de la capacité de production appartenait à l'Etat et où d'importantes barrières douanières protégeaient l'industrie de la concurrence. Ce système totalement inefficace semblait fonctionner sur de courtes périodes quand le prix de l'or était élevé, particulièrement dans les années soixante, mais n'avait pas vraiment fait progresser le PNB par habitant depuis 1964. Le système de l'apartheid imposait de lourds fardeaux financiers sur le monde des affaires qui devait financer un vaste appareil d'état et soutenir l'effort de guerre grandissant dans les états frontaliers ainsi que la répression à l' intérieur du pays. Les sanctions internationales accentuèrent l'isolement à une époque où le capital devenait de plus en plus mobile.

Dès les années quatre vingt, les hommes d'affaires sud- africains faisaient pression sur le gouvernement pour parvenir à un accord avec l'ANC. En 1985, Gavin Relly, directeur général d'Anglo-American, la compagnie minière géante, s'envola pour Lusaka en Zambie, avec un groupe d'hommes d'affaires de premier plan, dans le but de rencontrer l'ANC. Ils eurent une impression positive des dirigeants de l'ANC. Selon les propos d'un des hommes d'affaires « il serait difficile d'imaginer un groupe de gens plus sympathiques et charmants.» (p.340). Sampson fait état de l'évolution des contacts. En 1986, la fondation Rockefeller, David Astor ainsi que Shell, mirent sur pieds le Projet sud- africain pour l'Education Supérieure afin de préparer la jeune élite de l'ANC aux fonctions gouvernementales et aux affaires. De son côté, Gold Fields, la compagnie fondée par Cecil Rhodes finança des rencontres secrètes entre intellectuels afrikaners et l'ANC à l'hôtel Compleat Angler, à Henley, dans le comté d'Oxford (p.362-63).

Alors que l'ANC développait ces relations étroites avec le monde des affaires, la classe ouvrière noire devenait plus militante. Vers le milieu de l'année 1985, la police ne parvenait plus à contrôler les townships et le gouvernement déclara l'état d'urgence. Les banques étrangères et les investisseurs doutèrent de la capacité du gouvernement Botha à contrôler la situation et retirèrent leur argent. L'ANC dut se battre pour se mettre à la tête d'un mouvement qui s'était déclaré plutôt indépendemment de lui. Comme bien souvent au cours de son histoire, cette organisation conservatrice se retrouva à la traîne de sa base. Sa rhétorique militante n'était que rhétorique. Comme le remarque Sampson, la stratégie de la lutte armée s'était révélée totalement inefficace. En fin de compte, ce ne fut pas l'ANC qui poussa le régime de l'apartheid à la table des négociations mais le mouvement de la classe ouvrière noire des townships.

Mandela offrait aux capitalistes sud- africains leur seule chance de contrôler la classe ouvrière noire. Apprenant que Mandela devait être opéré de la prostate, le gouvernement fut terrifié à l'idée que sa mort puisse plonger le pays dans la guerre civile. Mandela comprit parfaitement le rôle essentiel qu' il avait. En juin 86, quand la police armée assiégeait les townships et après que le groupe des hauts dignitaires du Commonwealth fut parti, en total désarroi, à l'issue des frappes aériennes menées par l'Afrique du Sud sur les capitales voisines, Mandela écrivit au général Willemse, alors haut responsable des prisons et qu'il avait connu lorsque celui-ci était gouverneur de Robben Island. Il exigea de le rencontrer «pour une question d'importance nationale.»(p.352). Willemse s'envola pour Pollsmoor, où Mandela était incarcéré et arrangea pour lui une rencontre avec le ministre de la justice Kobie Coetsee. Ce dernier avait tenu tout particulièrement à lui rendre visite après son opération, l'année précédente et avait été impressionné par Mandela.

Alors que la situation s'aggravait, des responsables afrikaners au sein du régime, tels que Coetsee et Niël Barnard, chef des services secrets, admettaient de plus en plus leur impuissance à défendre l'apartheid à l'aide des forces armées tout en préservant un environnement favorable à l'économie sud- africaine. Ils se tournèrent vers Mandela, celui-ci leur offrant la meilleure garantie pour protéger les intérêts capitalistes. Dès qu'il fut au pouvoir, Mandela justifia leurs espoirs. Sous sa présidence il s'avéra possible pour le capitalisme sud-africain d'amorcer le processus conduisant les industries jadis protégées, à s'adapter aux exigences du marché mondial, en licenciant et en baissant les salaires réels sans provoquer de mouvement de masse incontrôlable. Mandela prend sa retraite aujourd'hui après avoir démontré sa valeur de dirigeant bourgeois.

Une bonne partie du prétendu radicalisme de Mandela provient de ses liens avec le Parti Communiste.C'est là une des plus grandes faiblesses de la biographie de Sampson car il prend pour argent comptant les références révolutionnaires du Parti Communiste. Mais son ouvrage permet de voir comment cette relation s'est développée. Avant 1950, Mandela s'opposait activement au Parti Communiste. Il était devenu membre de l'ANC en arrivant à Johannesburg en 1941. Dès sa création en 1912, l'ANC avait demandé l'aide de Londres dans la lutte contre le régime blanc d'Afrique du Sud, et avait revendiqué l'autorité traditionnelle des chefs.

Mandela lui-même est issu de ce milieu de chefs. L'éducation qu'il avait reçue devait en faire un conseiller du futur roi Tembu, mais comme pour bon nombre de jeunes gens de sa génération, l'attraction exercée par la vie citadine fut plus forte que la perspective de devenir un homme, quand bien même important, dans un trou perdu. En temps de guerre, du fait d'un besoin grandissant de main-d'oeuvre, la population urbaine noire avait augmenté de 50 pour cent pour passer de 1 142 000 en 1936 à 1 689 000 en 1946. A Johannesbourg, Mandela rencontra un jeune agent immobilier nommé Walter Sisulu qui lui trouva un poste de clerc dans un cabinet d'avocats. Mandela et Sisulu faisaient partie du groupe qui créa une Ligue des Jeunes de l'ANC dans le but de rapprocher l'organisation des mouvements les plus militants qui se développaient alors parmi les noirs des villes pour lesquels les loyautés tribales perdaient de leur sens.

L'importance de la classe ouvrière comme force politique apparut clairement à Mandela en 1950 lorsqu'une grève du 1er mai fut suivie par la moitié des ouvriers noirs de Johannesbourg. Mandela et Sisulu se trouvèrent pris sous les coups de feux de la police tandis que les forces de sécurité se déchaînaient dans les quartiers noirs. Dix-huit ouvriers furent tués. Plus tard Mandela dit : « Ce jour-là fut un tournant dans ma vie, sur deux plans : je pris conscience, pour l'avoir vécu, de la cruauté de la police, et je fus profondément impressionné par le soutien apporté par les ouvriers africains à l'appel du 1er mai.» A partir de là, Mandela se rapprocha du Parti Communiste, bien qu'il ait joué un rôle prédominant, dans la période précédant la grève du 1er mai, pour briser leurs réunions.

Vers 1955, Rusty Bernstein, membre du Parti Communiste, préparait l'ébauche de la Charte pour la Liberté. Il n'y avait aucune anomalie à ce qu'un prétendu communiste rédigeât un document nationaliste préconisant la création d'un capitalisme noir. Depuis les années 20 et l'arrivée au pouvoir de Staline en Union Soviétique, représentant les interêts d'une couche bureaucratique privilégiée, le Parti Communiste développait une théorie de révolution en deux étapes qui n'avait rien à voir avec les conceptions de Lénine et Trotsky qui avaient servi de bases théoriques à la Révolution Russe. D'après cette théorie en deux étapes, le premier objectif était la mise en place d'une démocratie bourgeoise en Afrique du Sud, et seulement à une date ultérieure non spécifiée le passage au socialisme. Pendant les années 50, les partis staliniens se mirent de plus en plus à soutenir les luttes de libération nationales comme celles de l'ANC, une facette du conflit de la Guerre Froide avec les pays impérialistes. Mais ils n'avaient nullement l'intention d'encourager des révolutions socialistes qui auraient déstabilisé la position de la bureaucratie en Union Soviétique.

Son association avec le Parti Communiste fit paraître l'ANC plus à gauche qu'il ne l'était vraiment, position qui s'avéra inestimable au moment où la classe ouvrière sud- africaine s'accroissait. Dès les années 70, la majorité des sud- africains noirs avaient quitté la terre et étaient devenus ouvriers. Quand en 1984, l'économie sud- africaine entra en récession, jetant des millions de travailleurs à la rue, les troubles grandissants des années 70, dont la manifestation la plus aigüe furent les émeutes de Soweto de 1976, se transformèrent en un mouvement insurrectionnel. Ce mouvement prit l'ANC au dépourvu. S'il n'y avait pas eu les Staliniens, il aurait été plus difficile à l'ANC de prendre la direction du mouvement. Les Staliniens utilisèrent leur position dans la bureaucratie syndicale pour confiner les ouvriers dans les limites de l'agitation politique sanctifiée par les églises et les libéraux adversaires de l'apartheid.

Sampson montre clairement que la décision de Mandela, de chercher une alliance avec le Parti Communiste plutôt qu'avec la Quatrième Internationale qui représente la tradition authentique de la Révolution Russe, fut une décision délibérée. En 1948, Mandela rencontra le Trotskyiste sud- africain, Isaac Tabata qui fit une impression considérable sur lui. Sampson écrit :«Mandela avait la plus grande admiration, mêlée de respect pour Tabata : « Il m'était difficile de réfuter ses arguments...Je ne voulais plus continuer la discussion avec lui, car il me démolissait avec la plus grande facilité.» Il était choqué de voir que Tabata semblait plus hostile à l'ANC qu'au gouvernement. Plus tard, Tabata lui écrivit une très longue lettre dans laquelle il le mettait en garde contre les «collaborateurs» de l'ANC, et l'enjoignait à fonder son action sur des principes, à «nager contre le courant»(p.50). Bien que Mandela fût incapable, comme il le reconnut lui-même, de réfuter les arguments de Tabata, instinctivement il rejeta l'appel des Trotskyistes pour que les ouvriers noirs prennent la tête du combat pour la libération nationale sur la base d'un programme socialiste.

Pour Sampson, Mandela est un homme d'état qui représente un peuple tout entier sans considération de classe. Une fois que cette image créee par les médias est arrachée, l'homme qui reste peut encore prétendre à un degré légitime de grandeur historique, mais pas dans un sens informe et sans considération de classe. Il apparaît plutôt comme une figure historique d'envergure parmi les dirigeants capitalistes, dominant d'une bonne tête le commun des hommes politiques modernes, car il est d'une époque antérieure. L'éducation de Mandela dans les écoles de missionnaires lui a donné un niveau de culture plus élevé que celui qu'on trouve chez les dirigeants politiques d'aujourd'hui et il a fait bon usage du temps passé en prison pour construire sur ces fondations. La ténacité dont il a fait preuve en prison le distingue encore davantage comme un homme ayant des qualités personnelles exceptionnelles.

Ce fut une grande chance pour la classe capitaliste d'avoir un homme de cette envergure pour sauver le capitalisme sud- africain confronté à l'insurrection. Mais Mandela lui-même s'est avéré incapable d'assurer des conditions stables pour la poursuite de l'exploitation capitaliste en Afrique du Sud, à une époque où l'économie mondiale est de plus en plus destabilisée. Avec la chute des prix des matières premières dans le monde, l'industrie minière s'est contractée créant 50 pour cent de chômage chez les ouvriers noirs. Ajouté à cela, le gouvernement doit détruire 30 pour cent d'emplois dans le secteur public dans un avenir très proche juste pour maintenir le niveau actuel peu élevé des investissements étrangers. La crise économique qui se développe prépare les conditions pour une explosion sociale plus importante que celle qui a secoué le régime de l'apartheid. C'est bien plus qu'un Mandela dont la classe capitaliste aura besoin pour prolonger la vie d'un système incapable de répondre aux besoins les plus élémentaires de la majorité de la population.


 

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