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France: les élections présidentielles de 2002


Jean-Pierre Chevènement - le "troisième homme" derrière Chirac et Jospin

Par Marianne Arens et Françoise Thull
11 février 2002

Depuis la fin du mois de janvier la France se trouve en campagne électorale. Le premier tour des élections présidentielles aura lieu le 21 avril et, quinze jours plus tard, le 5 mai le second tour. Les députés du nouveau parlement seront élus quelques semaines plus tard, les 9 et 16 juin.

Alors que les deux principaux protagonistes - le président sortant Jacques Chirac (Rassemblement pour la République) et le premier ministre Lionel Jospin (Parti socialiste) - n'ont toujours pas déclaré officiellement leur candidature et semblent décider à attendre le dernier moment pour démarrer la phase active de leur campagne électorale, un "troisième homme" fait déjà parler de lui depuis le mois de septembre: Jean-Pierre Chevènement, l'ancien ministre de l'Intérieur du gouvernement Jospin. Les sondages le créditent de 14 pour cent d'intention de vote en le plaçant immédiatement derrière Jospin et Chirac.

Les médias lui accordent une attention toute particulière en l'appelant "Che" d'après Che Guevara et en parlant de sa "campagne d'hiver". Son "pôle républicain" rassemble des partisans de la droite allant des royalistes, d'anciens disciples de Le Pen et des sympathisants de Pasqua en passant par des souverainistes des camps gaulliste, socialiste et stalinien jusqu'à d'ex-trotskystes, tel François Morvan, un ancien dirigeant de la Ligue communiste révolutionnaire.

A l'image de l'ensemble des candidats français, Chevènement brigue lui aussi les bonnes grâces du mouvement anti-mondialisation Attac. Charles Josselin, un politicien socialiste invétéré et ministre de la Coopération de Jospin, remarquait cyniquement à ce sujet: "A la SFIO [parti prédécesseur du PS], on disait que les congrès se gagnaient à gauche, cela ne me dérange pas que l'élection présidentielle se gagne aussi à gauche." (Le Figaro, 01.02.02)

L'on pouvait donc remarquer que l'ouverture de la campagne électorale française n'eut pas lieu à Paris, mais au Brésil, à Porto Alegre. Et c'est ainsi qu'à l'occasion de l'inauguration du sommet social mondial, le pendant du forum économique mondial de Davos ou plutôt de New York, en plus des 40.000 militants anti-mondialisation, une véritable jet set de candidats français avaient fait le pèlerinage au Brésil. Y participaient non seulement six représentants du Parti socialiste, Noël Mamère, le candidat des Verts à l'élection présidentielle, Olivier Besancenot, le candidat pabliste de la LCR, mais aussi Serge Lepeltier, le secrétaire général du RPR, le mouvement gaulliste de Chirac. Chevènement plastronnait même d'être "un dirigeant du mouvement anti-mondialisation" pour y avoir déjà participé l'année dernière.

Qui est Jean-Pierre Chevènement?

Chevènement joue depuis plus de trente ans un rôle important dans la politique française. Il aida François Mitterrand à prendre la direction du Parti socialiste en lui donnant un coup de main en 1971 lors du congrès d'Epinay. C'était également lui qui avait rédigé le programme du parti. Après l'élection de Mitterrand en 1981, il fut plusieurs fois ministres dans des cabinets socialistes. Il transforma son propre mouvement, le CERES (Centre d'Etudes, de Recherches et d'Education Socialiste), en "Socialisme et République". Au fil des années le "Socialisme" s'estompait de plus en plus alors que la "République" - le nationalisme français - prenait les devants.

Chevènement démissionna trois fois de son poste de ministre et chaque fois pour des raisons de défense de l'Etat national français: sa première démission remonte à 1983 quand il protesta contre le revirement politique de Mitterrand qui, pour s'orienter plus fortement sur l'unité européenne, était revenu sur les nationalisations effectuées en 1981. La seconde démission fut celle de janvier 1991 pour protester contre la subordination de la France aux Etats-Unis durant la guerre du Golf. La troisième fois ce fut en été 2000 pour marquer son opposition au projet d'autonomie partielle de la Corse de Jospin qu'il considérait être une atteinte à l'indivisibilité de la France et un pas vers la régionalisation de l'Europe qu'il refusait. Après avoir été pendant longtemps un adversaire de l'Euro, il a accepté bon gré, mal gré récemment l'introduction de la monnaie européenne commune.


En automne 1992, Chevènement quittait le Parti socialiste pour fonder le Mouvement des Citoyens (MDC). En 1993 il énonçait dans son programme: "Le MDC estime que la question sociale et la question de la nation ne peuvent pas être séparées. La nation ne doit pas être abandonnée au nationalisme de droite et encore moins d'extrême-droite." La création du MDC était la réponse de Chevènement à l'endossement du traité de Maastricht et de l'intégration européenne par le gouvernement français.

Son anti-américanisme prend pourtant largement le pas sur son refus de l'intégration européenne. La France n'étant pas en mesure de s'imposer seule face aux Etats-Unis, il s'accommode forcément de l'Europe. En ce qui concerne les rapports avec les Etats-Unis, il avait déclaré dans une interview à L'Express: "Je suis pour une Europe européenne, capable de régler elle-même ses propres affaires. Les Etats-Unis ont d'ailleurs autre chose à faire dans le monde! Il y a aujourd'hui des chances raisonnables que l'Europe parvienne progressivement à une certaine autonomie envers les Etats-Unis, si par exemple nous organisons la zone euro et si nous nous dotons d'un minimum de moyens de défense pour assurer notre sécurité sur notre sol et à nos marges. " (23.11.2000)


Ceci ne l'empêcha pourtant pas de soutenir les Etats-Unis après le 11 septembre dans leur "guerre contre le terrorisme". Ceci dit, il était moins question de solidarité avec le gouvernement américain que de la sauvegarde des intérêts français dans la lutte stratégique pour les ressources globales.

Chevènement n'est pas très regardant quant au soutien qu'il reçoit: "Je demande d'ailleurs à tous les Français, dès lors qu'ils sont au clair avec les principes républicains, de faire en sorte d'aller à l'essentiel et de se regrouper autour de moi. Par conséquent, je ne demande à personne d'où il vient." (Le Monde, 20.11.01)


C'est le cas de Pierre Poujade, quatre-vingt-un ans, qui a décidé en novembre dernier de rallier Chevènement. Poujade avait fondé en 1953 un mouvement d'extrême-droite l'Union de défense des commerçants et artisans (UDCA) qui avait organisé un boycott des impôts. En 1956, Poujade permit à Jean-Marie Le Pen, l'actuel dirigeant du Front National fasciste, d'accéder à un siège de député.

La polarisation de la société

La candidature de Chevènement est le signe que de fortes tensions existent au sein de la société française. Son "pôle républicain" représente la tentative de rassembler les couches moyennes traditionnelles qui ont toujours joué un rôle important en France et qui, en raison de la mondialisation, de l'intégration européenne et de la polarisation de la société subissent un broyage. C'est la seule explication possible à son étrange amalgame d'adhérents allant de l'extrême droite à d'anciens membres de la gauche. Le 25 décembre dernier, Le Monde écrivait: " les soutiens lui arrivent de tous les horizons, mais surtout de la droite ­ 47 % de ses électeurs potentiels ne se classent pas à gauche."

L'organisation patronale, le Mouvement des Entreprises de France (Medef), se situe traditionnellement du côté des gaullistes. Il soutient l'intégration européenne ainsi que l'introduction de l'euro et s'immisce avec force dans la campagne électorale dans le but de démonter l'Etat social et de niveller vers le bas le niveau de vie des travailleurs français.

C'est ainsi que son président, le baron Ernest-Antoine Seillière, s'est emporté le 15 janvier à Lyon sur "tous les problèmes qui brident la croissance et limitent la création de richesse" en excitant les patrons: "Que de rage de voir notre société bloquée alors qu'elle est en mouvement partout chez nos partenaires européens qui ont tous choisis, eux, la voie de l'adaptation et de la modernisation!"

Seillière exige la suppression de la semaine de 35 heures, une "fiscalité moderne qui permet à chaque acteur économique de travailler à armes égales avec ses concurrents, notamment étrangers", "la refondation sociale" (qui équivaut au démantèlement de l'Etat social) ainsi que le droit aux entreprises de conclure des accords en l'absence de délégués syndicaux. "Chaque Français doit pouvoir travailler autant qu'il le souhaite, dans le cadre de contrats et conventions librement négociés."

A l'occasion de son attaque frontale contre le gouvernement Jospin, le Medef bénéficia en janvier dernier de l'appui de la haute juridiction, le Conseil constitutionnel, dont les décisions sont irrévocables. Le Conseil constitutionnel avait déclaré plusieurs décisions importantes du gouvernement comme étant contraires à la Constitution et donc non applicables. Il censura d'abord un article de la nouvelle loi de "modernisation sociale", qui interdisait les licenciements sous certaines conditions comme portant atteinte à la "liberté d'entreprendre". Ensuite il censura la politique de la Corse de Jospin en déclarant inconstitutionnelle la loi sur l'attribution d'un pouvoir législatif au Parlement insulaire, loi qui se trouvait au coeur même de l'autonomie partielle de la Corse.

Lionel Jospin qui, pour le moment, est encore à la tête d'une coalition de cinq partis tous qualifiés de gauche, (le Parti socialiste, les Verts, le Parti communiste français, le Mouvement des Citoyens et le Parti radical de Gauche), a perdu en grande partie la confiance qui lui avait permis d'accéder de façon surprenante au pouvoir en 1997, après le grand mouvement de grève de 1995. Ses promesses électorales et ses projets politiques ont tous, les uns après les autres, été réduits à néant dans le but de complaire aux désiderada de l'économie. La pauvreté croissante et la polarisation sociale ont fait qu'une partie de la population, qui à l'origine l'avait supporté, se retourne contre sa politique de privatisation, de réduction des dépenses sociales et de renforcement de l'Etat.

L'adversaire de Jospin, le gaulliste Jacques Chirac, n'est pourtant pas en mesure de tirer profit de la situation en raison de nombreuses affaires de corruption qui lui donnent bien du mal. Dans les sondages d'opinion sa cote de popularité est pour le moment en baisse et un grand nombre de personnes interrogées lui dénient toute "honnêteté" et toute "crédibilité". Certes, il lui a été possible de se démettre d'Eric Halphen, ce juge gênant qui, se sentant menacé lui et sa famille, a démissionné de ses fonctions en janvier 2002 après avoir instruit pendant sept ans l'enquête sur les HLM de Paris impliquant Chirac et son successeur à la Mairie de Paris, Jean Tiberi. Mais, le retour en France hier de Didier Schuller, un personnage-clé des affaires de corruption des gaullistes, fait que les scandales risquent à nouveau de le rattraper.

C'est pourquoi un grand nombre de politiciens gaullistes influents, comme les anciens premiers ministres Edouard Balladur et Alain Juppé ont volé au secours de Chirac afin de sauver ce qui pouvait encore l'être. Une partie de l'UDF (Union pour la démocratie française) a même décidé de soutenir Chirac dès le premier tour et non son propre candidat, François Bayrou. Philippe Séguin, qui s'était distancé de Chirac il y a deux ans, vient de rejoindre le parti. Il a toutefois lancé l'avertissement que le RPR s'exposait à être réduit à un parti purement présidentiel s'il laissait trop le thème de la "République" aux autres et risquait ainsi de ne plus assumer les intérêts de l'économie.

C'est dans cet état de fait que Chevènement, qui se veut "ni à droite ni à gauche", est apparu comme "l'homme de la nation". Il représente parmi les forces de la bourgeoisie et de la classe moyenne française celles qui manifestent un certain scepticisme aussi bien vis-à-vis de l'intégration européenne que de l'alliance avec les Etats-Unis. Ce scepticisme avait été renforcé par le comportement des gouvernements européens après le 11 septembre, quand ils s'étaient tous hâtés de rejoindre les Etats-Unis pour défiler devant Bush et lui apporter leur soutien. Conformément à la tradition de la bourgeoisie française, Chevènement se réfère à la "République". Ce faisant, il profite de la faveur du moment pour conférer à son nationalisme une apparence progressiste en s'adaptant au mouvement anti-mondialisation.

 

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