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Strasbourg La mort "accidentelle" d'un enfant de quatre ans

Par Marianne Arens et Françoise Thull
Le 8 Juin 2002

Officiellement la mort de Bilal, un garçon de quatre ans, qui était tombé dans une cage d'ascenseur le 19 mai dans le quartier de la Meinau à Strasbourg, passait pour un accident tragique, pour lequel personne ne pouvait être rendu responsable. Vu de près, cependant, ce fait tragique éclaire de manière significative les conditions de vie des familles d'ouvriers en France.

Que s'est-il passé?

La famille de Bilal, qui avait quitté la Meinau un an auparavant, était venu rendre visite ce dimanche de Pentecôte à leurs anciens voisins de palier au premier étage de cet immeuble du quartier de la Meinau. Après le déjeuner, les enfants partent chercher de la menthe et de la semoule chez une voisine au troisième étage. Ils jouent dans l'escalier et arrivent ainsi au cinquième étage où, pour redescendre, le petit Bilal veut emprunter l'ascenseur. La porte de l'ascenseur s'ouvre sur la cage vide et Bilal fait une chute de 15 mètres. Grièvement blessé il est transporté à l'hôpital où il devait succomber peu de temps après.

Le jour même, les sapeurs-pompiers et les policiers constatent que les portes palières s'ouvrent anormalement à chaque étage, que le voyant lumineux reste allumé à l'étage, alors que la cage d'ascenseur se trouve en fait en panne au rez-de-chaussée.

La CUS Habitat, la société de HLM de la communauté urbaine de Strasbourg, s'est empressée de déclarer qu'il ne pouvait s'agir que d'un acte de malveillance. De plus, elle indiqua que la société Ascenseurs multiservices (AMS) était chargée de l'entretien technique des ascenseurs. De son côté, la société AMS déclara qu'aucun problème d'ouverture de porte n'avait été signalé avant l'accident. Selon elle, toute panne technique est à écarter, les portes ne pouvant s'ouvrir que si la cabine est au niveau de la porte.

Le premier procureur adjoint a précisé que la thèse, selon laquelle des toxicomanes ou des trafiquants de drogue auraient pu utiliser les cages d'ascenseur pour y cacher de la drogue et donc déverrouiller les portes, n'était pas à écarter. Des policiers accompagnés de chiens renifleurs parcoururent l'immeuble sans pourtant rien trouver.

Les locataires de l'immeuble et les riverains de la Meinau témoignèrent spontanément leur sympathie en rendant visite à la famille du petit garçon, et se rassemblant devant l'immeuble pour y déposer des fleurs, des jouets en peluche et des messages. La porte d'entrée fut ornée d'un drapeau marocain. Les parents de Bilal étant originaires du Maroc. Sur les mur du bâtiment l'on pouvait lire "Immeuble de malheur", "Bilal, on t'aime" ou "La CUS Habitat a assassiné un enfant de quatre ans".

Les habitants de l'immeuble ont confirmé que les ascenseurs qui datent de la fin des années 1950 étaient déjà tombé en panne à maintes reprises dans le passé, et que l'ascenseur en question avait été en panne sans que des mesures de sécurité aient été prises, comme celles par exemple de condamner les portes. Une jeune femme de l'immeuble a expliqué qu'il y a quinze jours, alors qu'elle voulait prendre l'ascenseur, elle avait remarqué au dernier moment qu'elle avait failli engager sa poussette dans le vide.

La pointe de l'iceberg

La mort de Bilal ne représente que la pointe de l'iceberg. La négligence et la gabegie qui sont à l'ordre du jour dans la cité ouvrière HLM de la Meinau - tout comme dans nombre d'autres cités HLM de banlieues françaises - devaient tôt ou tard aboutir à un accident mortel.

Il y a un, un autre enfant avait trouvé la mort dans un accident identique à Clichy-sous-Bois: Un jeune de neuf ans avait chuté du 13ème étage dans la cage d'ascenseur parce que la porte s'était ouverte alors que la cabine se trouvait au rez-de-chaussée. A l'époque l'on avait conclu à un acte de malveillance, la porte palière ayant été endommagée, ce qui avait permis de relaxer la société HLM.

Quelques jours seulement après la mort de Bilal, une jeune femme de 29 ans fit, elle aussi, une chute dans la cage de l'ascenseur de son immeuble HLM dans la région de Montbéliard (Doubs). Heureusement pour elle, elle n'était tombée que du rez-de-chaussée et ne fut que légèrement blessée.

La coordination CGT des grandes entreprises d'ascenseurs a confirmé le 20 mai "l'extrême vétusté" de nombreux ascenseurs installés dans l'habitat social et a réclamé "leur rénovation complète" aux frais des sociétés HLM. Il y a un an, une inspection sur une soixantaine d'appareils à Strasbourg avait déjà révélé la vétusté d'un certain nombre d'entre eux. La CUS Habitat a précisé qu'un projet avait démarré depuis le début de l'année prévoyant la rénovation de l'ensemble de leurs 671 ascenseurs.

Les habitants de la cité de la Meinau n'en ont pourtant rien remarqué. C'est ainsi que le père de Bilal, Zakaria Wahibi, soudeur de profession et lui-même employé par CUS Habitat, a fait remarquer que les travaux de maintenance et de réparation étaient "toujours faits à la va-vite". "C'est du bricolage, du système Mac Gyver" [Mac Gyver - personnage d'une série de télé].

En réponse à la thèse de la malveillance due à des toxicomanes, Wahibi rétorqua: "Il n'y a pas de drogue ici, les chiens renifleurs de la police n'en ont pas trouvé". ... "La vraie malveillance, c'est celle de CUS Habitat. Cet ascenseur présentait beaucoup d'anomalies, les experts qui sont venus ici l'ont bien vu". Parlant à la presse mardi, suite à une visite d'inspection menée par la justice sur les lieux du drame, Wahibi déclarait vouloir porter plainte pour homicide involontaire.

La veille, la voiture des techniciens d'AMS avait été incendiée par des jeunes en colère et le lendemain ce fut celle de CUS Habitat. Wahibi calma les esprits en faisant: "ça ne ramènera pas mon fils Je condamne la violence."

Première opération des GIR

La réponse des responsables politiques français et strasbourgeois aux événements survenus dans la cité de la Meinau fut donnée par retour de courrier. Le 22 mai, trois jours après la mort de Bilal, la cité de la Meinau servit de champ d'expérimentation aux GIR (Groupements d'intervention régionaux) nouvellement créés.

Des forces de l'ordre lourdement armés ont arrêté onze personnes après avoir passé le quartier au peigne fin. La razzia a conduit à la saisie de caméoscopes, de 15.000 euros et de deux armes, un pistolet 357 Magnum et une carabine 22 long rifle. Après coup, l'on affirma qu'il s'était agi "d'une opération exemplaire" contre "la mafia des quartiers sensibles".

Le nouveau ministre de l'Intérieur de Jacques Chirac, Nicola Sarkozy, s'était personnellement rendu à Strasbourg dans le but de superviser la première opération des GIR, ces unités spéciales réunissant policiers, gendarmes, douaniers, magistrats et agents du fisc, dont l'existence devait être officiellement scellée deux jours plus tard - le 24 mai - par une "circulaire interministérielle".

Sarkozy visita par la même occasion le nouvel hôtel de police de Strasbourg, en qualifiant le siège du parlement européen de "ville sinistrée par la délinquance" et en annonçant que la police de proximité serait équipée de flash-ball.

L'opération avait été menée dans le cadre de la campagne électorale de la droite. La droite ayant érigé la sécurité intérieure, le réarmement de l'appareil d'Etat et le recours à des mesures draconiennes en son thème central.

Sarkozy a l'intention de consacrer six milliards d'euro supplémentaires à la sécurité intérieure. Ses 28 groupements d'intervention régionaux sont considérés être le fer de lance de la lutte contre l'économie souterraine et la criminalité. Ils disposent de compétences illimitées et pourront être sollicités "contre toutes les formes de délinquance endémique, de trafics locaux de stupéfiants, d'objets ou véhicules volés ou recelés, d'actions violentes concertées, aboutissant à la désorganisation de la vie sociale et entretenant dans la population un sentiment permanent d'insécurité".

Les GIR n'ont certainement pas réussi à créer un sentiment permanent de sécurité dans la population de la cité de la Meinau. Au lieu de cela, les habitants se sentent blessés et provoqués. Rudi Wagner, le directeur de l'association Prévention et action sociale à la Meinau, n'a eu qu'un haussement d'épaules: "Mais ce n'est pas le moment d'en rajouter. Il aurait fallu tenir compte de l'émotion provoquée par la mort de ce gamin, qui renforce le sentiment des habitants d'être des laissés-pour-compte."

Edmond Stenger, le procureur de Strasbourg, qui suit l'enquête sur la mort de Bilal tout comme celle des personnes interpellées suite à l'opération du GIR, a estimé que "le coup de filet était le résultat d'une enquête judiciaire et non une initiative de M. Sarkozy." "Les équipes changent mais les pratiques demeurent".

Parallèlement, les journaux remarquaient qu'avec les GIR, Sarkozy ne reprenait et ne développait que ce qui avait été défini de longue date par Daniel Vaillant, son prédécesseur social-démocrate. Ce dernier avait mis en application, il y a un an déjà, de soi-disant "opérations ciblées" et qui avaient été conduites une trentaine de fois. Le département du Bas-Rhin dont Strasbourg est le chef-lieu, aurait depuis longtemps été retenu pour le lancement des GIR.

A la Meinau se concentrent, comme sous des verres grossissants, les faits qui ont conduit aux résultats des dernières élections présidentielles. La colère, provoquée par l'arrogance et l'indifférence des politiciens de l'establishment, de droite comme de gauche, qui ont négligé et ruiné des institutions sociales jadis en état de marche - dont les habitations à loyer modéré (HLM) font partie - s'était exprimée dans une abstention record et un gain substantiel du Front national. Les résultats électoraux à la Meinau ne différaient guère de la moyenne nationale. L'extrême-droite recueillait 19 pour cent des votes pour un taux d'abstention de 28 pour cent.


 

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