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La controverse à propos du congressiste américain Moran : l'antisémitisme, le sionisme et la guerre en Irak

Par Bill Vann
Le 21 mars 2003

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Une remarque faite plus tôt ce mois-ci lors d'une réunion contre la guerre par le congressiste américain James Moran représentant le Nord de la Virginie a provoqué une tempête de critiques. Les grandes organisations sionistes américaines ont exigé sa démission pour avoir associer la « communauté juive » à la poussée militariste de l'administration Bush contre l'Irak.

La ligue anti-diffamatoire a fait publier une annonce dans le Washington Post pour dénoncer Moran et l'accuser de ressusciter le « dangereux mensonge antisémite à propos de l'influence et du contrôle juifs sur la politique étrangère américaine ». Les leaders démocrates se sont opposés à qui mieux mieux aux républicains pour censurer Moran, qui fut immédiatement relevé de son poste de whip régional démocrate à la chambre des représentants. Dans une déclaration commune, six congressistes juifs ont conseillé à Moran de ne pas se représenter, alors que le Washington Post publiait un éditorial intitulé « Blâmer les Juifs » dans lequel il déclarait que Moran ne pouvait « servir au Congres » et émettait l'espoir que les démocrates « s'efforceront de trouver un meilleur candidat » lorsque le poste de Moran sera soumis au suffrage l'an prochain.

En quelques jours, deux candidats potentiels pour son siège au Congrès se sont annoncés, espérant sans doute pouvoir profiter des ressources substantielles du lobby pro-israélien afin de chasser l'élu en place.

Moran est l'ancien maire d'Alexandria, en Virginie, et son district est considéré sûr pour les démocrates et l'un des plus riches de l'État. Il est considéré comme un démocrate du centre entretenant de solides liens avec les forces armées et l'industrie de la haute technologie, les deux principaux employeurs de la région.

C'est un acteur politique typique, mêlé à deux scandales de corruption récents impliquant des prêts substantiels d'entreprises désireuses de profiter de son vote. On ne peut aucunement le décrire comme un opposant de principe à la politique étrangère américaine ou aux intérêts financiers qui l'oriente.

La fureur actuelle a été déclenchée par une remarque que Moran a faite en s'adressant à une audience d'environ 120 personnes dans une église locale pour s'opposer à la guerre en Irak. Moran répondait à une femme qui s'est levé pour s'identifier comme étant juive et s'interrogeait à voix haute pourquoi il n'y avait pas plus de juifs qui participaient au forum. Faisant référence à l'inévitabilité de la guerre, le congressiste répondit : « sans le puissant soutien de la communauté juive à la guerre en Irak, nous ne serions pas ici. Les leaders de la communauté juive sont assez influents pour pouvoir changer le sens des événements et je pense qu'ils devraient le faire ».

La remarque de Moran était à la fois peu ébauchée politiquement et inexacte - un reflet de la façon de penser d'un calculateur démocrate voyant le monde en termes de « blocs votants », de contributeurs de campagne et de lobbyistes. Il n'a pas explicité ce qu'il entendait par « communauté juive » et « leaders juifs ». Il n'y a pas suffisamment de matière ici pour en faire un antisémite. Mais les motifs des républicains eux sont bien clairs : ils espèrent cyniquement utiliser cet incident pour recueillir les faveurs des organisations juives qui jouent un rôle important dans les campagnes de financement et au sein des lobbys politiques. Les démocrates sont également intervenus pour tenter de se gagner les mêmes groupes.

Saisir un commentaire irréfléchi prononcé devant une petite assemblée pour créer un scandale de proportions nationales est une pratique courante au Capitole. C'est une méthode éprouvée pour régler ses comptes, influencer des débats politiques, et comme dans le cas présent, intimider quiconque envisageraient de s'opposer aux politiques d'Israël et de ses supporters sionistes américains.

Il y a toutefois une autre dimension politique dans cette affaire. Comme un responsable du parti Démocrate déclarait au Washington Post, le congressiste Moran a « touché un nerf sensible au moment ou le monde court un grand danger. Il ne pouvait trouver plus mauvais moment ».

Quel est ce « nerf sensible » ? La population réalise que les intérêts israéliens jouent un rôle anormalement important dans la politique étrangère des États-unis en général, et dans les plans pour la guerre dans le golfe Persique en particulier. Cette perception grandit dans des conditions où la suspicion et le malaise règnent parmi de grandes sections de la population américaine à propos des prétextes toujours changeants donnés par l'administration Bush pour vendre sa guerre en Irak.

Moran a eu tort d'associer la « communauté juive », une expression qui peut faire référence à tous les Juifs habitant aux États-Unis, avec les « leaders de la communauté juive », expression par laquelle il voulait bien probablement faire référence au lobby pro-israélien bien établi. Mais en même temps, il y plus qu'un grain de vérité dans ce qu'il a dit. Les principales organisations juives qui sont farouchement pro-israéliennes exercent en effet une influence importante à Washington, et plus particulièrement dans les actions des États-Unis au Moyen-Orient. Si ces organisations venaient à s'opposer activement à la guerre en Irak, cela compliquerait les plans militaristes de l'administration Bush.

On ne peut affirmer sur la base d'une seule remarque que Moran est antisémite. La fausse identification entre l'ensemble des Juifs et les groupes pro-sionistes n'est malheureusement pas singulière à Moran. En effet, cette conception est assidûment promue par les sionistes eux mêmes qui réagissent à toute critique à l'endroit de leur politique ou des actions de l'État israélien comme une preuve flagrante d'antisémitisme.

Beaucoup d'encre a coulé dans les pages éditoriales des principaux quotidiens nationaux américains au cours des dernières semaines pour rejeter les accusations selon lesquelles les sionistes américains et les intérêts israéliens joueraient un rôle substantiel dans l'actuel poussée militariste. Dans la plupart des cas, ces articles d'opinions ont utilisés des hommes de paille antisémites pour discréditer les accusations.

C'est ainsi que Richard Cohen du Washington Post a écrit que l'administration Clinton « comprenait plus de Juifs à des postes importants que l'administration Bush pro-guerre, poursuivant : ...il est prétentieux de suggérer que George Bush pourrait gagner la communauté juive qui vote majoritairement démocrate avec sa base conservatrice chrétienne dont l'appui à la guerre approche les 102 pour cent... ».

Pour sa part, Bill Keller du New York Times, soutenant la guerre, a écrit un article semblable intitulé « Est ce bon pour les Juifs ? » (Is it good for the Jews?) : « rendre le monde plus sécuritaire pour nous - combattre le terrorisme et remodeler une région qui est une source d'hostilité toxique à tout ce que nous défendons - c'est également rendre le monde plus sécuritaire pour Israël aussi. Mais affirmer que les intérêts israéliens sont derrières l'un des tournants les plus audacieux de la politique étrangère américaine est simpliste et insultant ».

La guerre contre l'Irak n'est pas menée sur l'ordre d'Israël. C'est une guerre pour assurer l'hégémonie impérialiste américaine au Moyen-Orient et internationalement. Ceux qui soutiennent le contraire - la majeure partie se retrouvant au sein de l'aile droite républicaine - flirtent en fait avec l'antisémitisme.

Qu'il y ait des groupes néo-nazis et des théoriciens de la conspiration antisémites comptant le nombre de juifs à Washington (et mettant probablement Rumsfeld dans cette liste) et qui parle de « gouvernement d'occupation sioniste » est indiscutable. Mais le vrai problème n'est pas l'ethnicité ou la religion des membres de l'administration qui font la promotion de la guerre en Irak, mais leurs politiques.

Avec l'arrivée de l'administration Bush, un groupe politique intimement lié qui s'était déjà coalisé sous l'administration Reagan est revenu au pouvoir. Connus comme étant des « néo-conservateurs », ce groupe est un petit monde fermé d'experts politiques à Washington qui se caractérisent par leur promotion du militarisme américain et de la politique expansionniste de la droite israélienne. Plusieurs de ces individus ont amassé des fortunes substantielles dans le secteur privé en servant d'intermédiaires dans des contrats de vente d'armement américains, israéliens et turcs.

Ce groupe comprend parmi ses membres les plus en vue le sous-secrétaire à la Défense Paul Wolfowitz; Richard Pearle, le président du comité politique de la défense du Pentagone, le sous-secrétaire à la Défense pour la politique Douglas Feith, et Elliott Abrams, qui fut condamné pour avoir menti au Congrès lors de la crise Iran-contra et récemment promu à la tête de la division des Affaires du Proche-Orient du conseil de sécurité national de Bush.

Ces individus constituent une faction idéologique de droite dont les vues ne représentent pas plus celle de la plupart des Juifs américains que Richard Cheney ne reflète la pensé de la plupart des religieux méthodistes. En fait, plusieurs sondages ont indiqué que les Juifs aux États-Unis s'opposaient à la guerre en Irak dans une plus grande proportion que la population en général.

Même dans le spectre de la politique israélienne, ces représentants gouvernementaux représentent une couche décidément réactionnaire. Feith et Pearle ont été conseillers en 1996 pour le jeune gouvernement israélien du Likoud de Benyamin Netanyahu, dirigeant même à l'époque un document intitulé « Une rupture nette : nouvelle stratégie pour sécuriser le domaine » (A clean break: a new strategy for securing the realm).

Ce document répudie toute proposition d'échange de « terres pour la paix » qui passerait par un retrait d'Israël des territoires occupés et prône plutôt une politique israélienne agressive pour remodeler l'« environnement stratégique » régional par le renversement du régime irakien de Saddam Hussein. Il y est conseillé au gouvernement israélien de gagner le soutien américain à cet objectif en présentant le conflit au Moyen Orient en termes qui rappellent la Guerre froide contre le bloc soviétique.

Quatre ans plus tôt, Pearle - tombé en disgrâce dans les années 1980 pour avoir accepté des paiements d'une entreprise d'armes israélienne qui vendit plus tard des armes au Pentagone - s'est joint à Abrams pour créer le Comité sur les intérêts américains au Moyen-Orient. Cet organisme fut créé dans le but de saborder les négociations à Oslo entre Israël et l'Organisation de la libération de la Palestine et faire pression sur Washington pour soutenir inconditionnellement le contrôle des territoires occupés par Israël.

La présence de ces individus à des postes clés de preneurs de décision sur la stratégie militaire américaine et le conflit israélo-arabe ne donne-t-elle pas une influence énorme sur la politique américaine ? Le simple fait de poser la question provoque au sein du lobby israélien aux États-Unis des cris accusateurs d'« antisémitisme ». Cette attitude reprend la position du gouvernement israélien qui balaie en les taxant d'antisémites toutes critiques contre ses politiques de plus en plus brutales et réactionnaires contre la population palestinienne. C'est ainsi que le gouvernement Sharon qui est responsable de la mort de plus de 2 200 Palestiniens au cours des 30 derniers mois a dénoncé les accusations selon lesquelles les troupes israéliennes auraient massacré des civils à Jénine comme étant un « libelle diffamatoire sanglant ».

L'antisémitisme est une vision insensée et réactionnaire présentant toute une histoire d'infamie bien méritée. Mais il est en fait renforcé par cette double tentative de faire taire toute opposition au sionisme et aux politiques colonialistes de l'État israélien en la présentant comme une attaque contre le peuple juif.

Le quotidien israélien Ha'aretz a récemment publié un article soulevant précisément ce point : « il est difficile de ne pas penser qu'Israël ne contribue pas à ce brouillage des distinctions. Les ministres et les porte-paroles du Cabinet en Israël sont trop rapides à qualifier toute critique à l'endroit d'Israël de motifs antisémites - même lorsque ces critiques sont spécifiques et dirigées contre les politiques du gouvernement, sans la moindre intention dérogatoire à l'endroit des Juifs en général....D'un autre côté, lorsque Israël affirme que la vaste majorité des Juifs est derrière elle, il crée l'équation entre lui même et les Juifs ».

Le « brouillage des distinctions » a été utilisé par l'État israélien depuis sa création. Il est la pièce centrale de l'idéologie sioniste affirmant que les Juifs ne peuvent exister en tant que peuple que par l'établissement de leur propre État national. Longtemps minoritaire dans le monde politique juif, le sionisme a récupéré tous les grands crimes du XXe siècle - la liquidation par le stalinisme de ses opposants socialistes et internationalistes suivies par l'holocauste nazi et le meurtre de 6 millions de juifs européens - pour créer les conditions dans lesquelles il pouvait réaliser son projet réactionnaire

Ces événements terribles ont également eu leur impact sur la pensée politique d'une couche d'intellectuels juifs qui étaient auparavant orientés vers le mouvement socialiste et qui se sont ensuite tournés radicalement vers la droite. Le mentor politique du mouvement néo-conservateur qui a engendré des individus comme Abrams et Pearle fut Irving Kristol, qui dans sa jeunesse fut socialiste et même brièvement membre du mouvement trotskyste. Lors de son récent speech devant l'American Enterprise Institute lors duquel il a présenté sa « vision » pour remodeler le Moyen-Orient, Bush a salué de la tête Kristol en commençant son discours.

Il ne fait aucun doute que les organisations juives en majorité israéliennes aux États-Unis ont évolué radicalement vers la droite au cours des dernières années. Par leur défense enragée des actions indéfendables du gouvernement israélien contre les Palestiniens et leur soutien inconditionnel au militarisme américain, elles ont déshonoré l'association de longue date des intellectuels, professionnels et ouvriers juifs avec l'opposition à l'oppression sous toutes ses formes.

Ces « leaders » sionistes vont de plus en plus chercher à s'allier avec les éléments réactionnaires membres de l'administration Bush ou gravitant autour, y compris les antisémites fondamentalistes chrétiens qui appuient avec ferveur l'agression israélienne en y voyant un raccourci vers Armageddon (la destruction de la juiverie « païenne »).

Le lobby israélien va chercher à se venger contre Moran, non seulement pour sa remarque dans cette église de Virginie, mais aussi pour d'autres déclarations plus anciennes critiquant les actions israéliennes en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, ainsi que ses questionnements à propos de l'importance du financement de l'aide américaine à l'État sioniste. La menace est importante, comme la représentante Cynthia McKinney (Démocrate de Georgie) l'a déjà constaté à ses dépends. Ses remarques critiques à l'égard de la politique israélienne ont entraîné un flot d'argent de la droite sioniste dans les coffres de ses opposants et ont ainsi contribué à la perte de son siège aux élections.

Un telle manuvre politique ne visera pas l'antisémitisme, mais elle défendra les relations corrompues entre les représentants du gouvernement, les fabricants d'armes et les acteurs des trafics d'influence de Washington et de Tel Aviv. Elle sera menée pour envoyer un message aux autres politiciens que toute critique du complexe militaro-industriel américano-israélien équivaut à un suicide politique. Tout comme Israël, ces organisations sionistes ne fournissent aucune réponse à l'antisémitisme et aux dangers de la guerre et du fascisme qui réapparaissent avec plus de force que jamais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. En fait, ils ne font qu'alimenter ces dangers.

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