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Interview avec Marc Blondel de Force ouvrière: portrait d'un bureaucrate syndical français

Par David Walsh
8 mars 2003

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Le 18 février des reporters du World Socialist Web Site ont parlé à Marc Blondel, secrétaire général de CGT-FO (Confédération générale du travail ­ Force ouvrière), d'habitude appelée FO, la troisième confédération syndicale de France.

FO a des origines politiques peu reluisantes : elle est née d'une scission par la droite d'avec la CGT dominée par le Parti communiste (PCF) en 1948, scission qui fut en partie financée et soutenue par Washington dans le contexte de la guerre froide. Son premier président fut Léon Jouhaux, un des grands collaborationnistes de classe du mouvement syndical français. On se fait une idée de la longévité et de la politique de Jouhaux en observant que Lénine l'a dénoncé comme traître social-patriotique lors de la Première Guerre, qu'il s'est allié avec les staliniens au temps du Front Populaire, gardant alors le silence au sujet des purges en URSS, et qu'il a fini par s'allier à l'impérialisme américain.

Selon des estimations, FO regroupe presque 300.000 membres ­ environ 15 pour cent du total des membres des syndicats français. (Une autre estimation met le chiffre à 180.000) Le taux de syndicalisation est traditionnellement faible en France par rapport aux autres pays industrialisés. Il n'y a pas dans ce pays de prélèvement de la cotisation syndicale obligatoire et automatique ou d'obligation de faire partie du syndicat pour travailler dans une société syndiquée. Les non-syndicalisés ont typiquement fait grève à l'appel des syndicats représentant les travailleurs de leur entreprise. Cependant, le pourcentage des travailleurs membres d'un syndicat baisse : de plus de 23 pour cent de la main d'oeuvre en 1973 à environ 21 pour cent en 1978, 17 pour cent en 1983 et 11 pour cent en 1993. Aujourd'hui le chiffre est à 8 pour cent.

FO représente surtout des fonctionnaires et des employés des sociétés nationalisées. Le syndicat a joué un rôle majeur dans la constitution et l'opération d'organisations d'enseignement pratique et de protection sociale en matière de santé, de retraites, et d'assurance-chômage. Ceci explique, en partie, la vigueur relative avec laquelle Blondel et FO ont réagi aux tentatives du milieu des années 1990 du gouvernement Juppé de réorganiser ces institutions et de réduire le rôle des syndicats. Ces programmes ont fourni des ressources financières considérables à FO.

La corruption est omniprésente dans les syndicats, en France comme ailleurs. Dominique Labbé, professeur de sciences politiques à l'Université de Grenoble, estime que les contributions des membres ne fournissent qu'environ 25 pour cent du budget des syndicats en France ­ le reste vient de relations légales et illégales avec différents niveaux du gouvernement.

En janvier 2000, Le Monde a publié les résultats d'un rapport préparé par l'Inspectorat général des Affaires sociales (IGAS), qui affirmait qu'un fond de pension paritaire, le CRI, finançait directement et indirectement cinq syndicats qui aidaient à le gérer, dont FO. L'IGAS affirmait qu'entre 1995 et 1998, les syndicats, avec l'assentiment de l'organisation patronale, le Medef, avec récolté 34,3 millions de francs en salaires pour des permanents syndicaux. Selon le rapport, les syndicats français auraient reçu ces fonds par le biais d'un système complexe d'influence et d'échanges de services, négociés secrètement entre le directeur général du CRI et des personnages de haut niveau des différentes bureaucraties syndicales.

Les médias français ont rapporté que Blondel et FO ont accepté de rembourser 281.000 euros à la ville de Paris pour avoir accepté des paiements illégaux de la ville à 250 représentants syndicaux entre 1990 et 2001. Jacques Chirac, alors maire de Paris, et Marc Blondel avaient négocié l'accord. Le syndicat a accepté de payer si la ville abandonnait toute poursuite en justice.

Sous Blondel, qui a pris le poste dirigeant en 1989, FO a essayé de prendre une position plus à gauche. Des bruits courent que le secrétaire général de FO aurait eu des relations à long terme avec le Parti des travailleurs (PT), anciennement l'OCI, de Pierre Lambert. Le PT pseudo-trotskyste continue à exercer une influence considérable au sein de FO.

Une certaine mythologie entoure le rôle de Blondel dans les grèves massives de 1995. FO a pris une position verbale plus agressive que d'ordinaire contre les attaques du gouvernement Juppé, mais Blondel a joué un rôle tout aussi important que ceux de Louis Viannet (CGT) et Nicole Notat (CFDT ­ Confédération française démocratique du travail) dans la tentative de contrôler le mouvement de masse et de laisser le régime de droite au pouvoir.

Nous avons parlé avec Blondel dans son bureau au cinquième étage du quartier général de FO sur l'Avenue du Maine à Paris. Son bureau était couvert de papiers ­ il s'est décrit comme étant un «papierivore».

Nous lui avons d'abord demandé son attitude envers la guerre contre l'Irak. Il a donné plusieurs motifs pour expliquer son opposition, tout en admettant une dette auprès de la «démocratie américaine» lors de la Deuxième Guerre mondiale. «Je suis internationaliste et pacifiste», a-t-il dit. Il a ajouté que le système politique américain n'est pas «la démocratie que l'on pense» à cause de ses «millions d'exclus». Il a critiqué les Etats-Unis qui, selon lui, essaient de jouer le rôle de gendarme à travers le monde. Il a observé que la guerre se base toujours sur le sacrifice de la classe ouvrière. «Donc, j'ai manifesté [le 15 février]», a-t-il dit.

Pourquoi les Etats-Unis attaquent-ils l'Irak ? Ses commentaires étaient superficiels et conservateurs. Il semblait prendre l'argumentation américaine au pied de la lettre : l'Amérique aurait répondu «trop rapidement» aux attentats terroristes du 11 septembre et faisait de l'Irak une «tête de turc». Il n'a pas mentionné les richesses pétrolières du pays ni les ambitions géopolitiques de l'impérialisme américain.

S'il a critiqué la politique américaine, sans parler de l'administration Bush ou de son caractère politique, il a beaucoup critiqué le régime de Saddam Hussein. Le secrétaire général de FO a indiqué qu'il n'y a pas de syndicats libres en Irak et dans le monde arabe. «Une de mes plus grandes préoccupations est l'existence de syndicats libres dans le monde arabe et en Chine», a-t-il déclaré.

Blondel prend le ton d'un social-démocrate anti-communiste (ce qu'il est politiquement). Le rôle de la tendance Lambert, qui a évité pendant des années la question du stalinisme en s'orientant vers le Parti socialiste français, est important ici. Lionel Jospin, l'ancien premier ministre PS qui fut un autre défenseur de l'ordre social établi, est aussi passé par l'école de l'OCI-PT.

Dans un éditorial du 18 février dans l'hebdomadaire de FO, Blondel a expliqué pourquoi il a participé aux manifestations du 15 février : «Dans ce cas, nous agissions dans le contexte de la ICFTU [Confédération internationale des syndicats libres] et, en parallèle, avec l'AFL-CIO». Son identification avec l'ICFTU anti-communiste, fondée en 1949 par opposition à la stalinienne Fédération mondiale des syndicats, et avec l'AFL-CIO réactionnaire, qui aide la CIA dans ses activités internationales, est révélatrice.

Dans son éditorial Blondel continue : «Au nom de l'internationalisme des travailleurs, nous avons choisi de lutter pour cet objectif (les syndicats libres) pendant l'époque du stalinisme. Nous ne manquerons pas d'énergie contre les dictatures arabes et chinoises».

Le conflit entre la France et les Etats-Unis sur la guerre en Irak, qui reflète les intérêts divergents de deux puissances impérialistes, a donné à une large couche de la «gauche» (Parti socialiste, PCF, les Verts, la Ligue communiste révolutionnaire, et d'autres) une autre occasion de se solidariser avec le représentant choisi de la bourgeoisie française, le président Jacques Chirac. Pendant notre conversation Blondel n'a pas manqué l'occasion de s'aligner avec la politique du gouvernement français.

«Je félicite Chirac. Il a pris une position courageuse à l'ONU», Blondel a-t-il dit. Il a ensuite expliqué que le soutien qu'il portait à Chirac était une alliance «de circonstance». Il a rapidement ajouté que ceci ne se soldait pas par un soutien des politiques économiques et sociales de Chirac. «Mais sur cette question, nous sommes d'accord», a-t-il dit.

Quant au conflit entre les Etats-Unis et l'Europe, Blondel n'avait évidemment pas réfléchi à la question. Il n'y a jamais répondu directement, répétant que «l'Europe n'est pas unifiée» et que la plupart des nations européennes sont des «monarchies, même si elles sont démocratiques». Il a ensuite remarqué que la plupart des pays européens sont «basés sur la religion», et que seuls la France et le Portugal sont des «pays laïcs». (C'est une autre obsession du groupe PT)

Les Etats-Unis ont insisté que l'ONU approuve une guerre en Irak, Blondel a commenté, mais sur ceci il y a «une divergence». Il a expliqué qu'il n'avait pas entièrement confiance en l'ONU, mais que celle-ci est cependant «indispensable» et qu'il «est bien qu'il y ait une divergence». Il a continué : «Que ce soit à l'ONU ou dans une autre organisation, il faut y avoir une opposition à la guerre».

Sur la politique française, Blondel a critiqué la droite pour son caractère opportuniste et vénal. Il s'est plaint du fait que la «gauche» n'a aucune structure politique, mais «ils gagnent en crédibilité à cause de la politique de droite du gouvernement» de Jean-Pierre Raffarin. Les partis de gauche (PS, PCF) n'avaient pas «de perspective ou de structure précise», a-t-il dit. Il y aura une alternance de gauche, qui formera peut-être le prochain gouvernement, mais que fera-t-elle ? Depuis la chute de l'URSS, la gauche n'a plus d'idées communes, de volonté de lutter. Il a exprimé son manque de confiance dans «l'extrême gauche».

Tout le long de la conversation, Blondel a exprimé un pessimisme profond sur l'avenir. Il a déploré la politique communaliste ou ethnique. Il s'est inquiété que la population pourrait descendre vers une «jacquerie» (une référence à la violence des mouvements paysans du 14e siècle). «L'initiative révolutionnaire du passé» n'existe plus, a-t-il dit.

«J'ai commencé dans les mines», a-t-il dit, et dans un travail difficile de ce genre, on ne s'identifie pas par l'ethnie, mais simplement comme travailleur. «Mon meilleur ami était polonais, mais il ne se considérait pas comme un Polonais, mais comme un travailleur». Aujourd'hui c'est différent, a-t-il dit.

«J'ai commencé dans le service public, je suis collectiviste», nous a-t-il dit. Mais aujourd'hui c'est contre le courant. Il a parlé contre la déréglementation, la privatisation et le «modèle anglo-saxon».

Mais que propose-t-il sous les circonstances actuelles ? Nous lui avons demandé ce qu'il pensait du rôle d'une organisation nationale face au caractère mondial du capitalisme et à la lumière des manifestations anti-guerre internationales. Ses réponses à cette question étaient les remarques les plus importantes de toute la conversation.

Blondel s'est moqué de la possibilité d'organiser la classe ouvrière internationalement (après s'être décrit comme un «internationaliste» !). Selon Blondel, l'organisation internationale est «utopique», de «la littérature». Toute organisation sérieuse, nous a-t-il dit, a une base nationale.

Pour illustrer son idée, il a remarqué que beaucoup de personnes avaient manifesté contre la guerre en Irak, dont certaines avec qui il a des différends. Il n'était pas content de marcher avec des femmes voilées, Blondel a dit, parce que le voile indique la «soumission», mais lui et ces femmes étaient tous contre la guerre, donc ils avaient manifesté ensemble. (En passant, il a remarqué la présence d'associations ethniques et de groupes semblables, et l'absence de certains groupes. «Pourquoi y avait-il si peu d'asiatiques à la manifestation», a-t-il demandé, remarquant que la manifestation s'était déroulée près du 13e arrondissement, zone à fort pourcentage d'asiatiques).

Apparemment Blondel pense que manifester contre une guerre impérialiste nécessite un niveau d'accord et de conscience moindre qu'une participation dans une lutte pour des salaires. Selon lui, les syndicats sont le coeur de la classe ouvrière ; la lutte de cette classe égale la lutte syndicale.

Le rejet explicite de l'internationalisme, l'aveuglement face aux réalités mondiales économiques et sociales, l'attitude quasi-chauvine envers les immigrés, l'insistance sur les questions économiques les plus restreintes ­ dans tout cela on voit le portrait d'un bureaucrate syndical contemporain, y compris la variété «de gauche» française. On sent que Blondel se considère comme membre d'une espèce qui disparaît, le dernier d'une race de solides «dirigeants ouvriers», luttant noblement dans des circonstances désespérées face à l'indifférence populaire.

Il y a quelque chose de sinistrement comique à l'incompréhension de Blondel. Quand nous lui avons posé la question des conditions sous lesquelles vit la classe ouvrière française, il a répondu par un seul mot : «catastrophique». Il a décrit que les retraites, la Sécurité sociale, et «tous les gains» de la classe ouvrière étaient systématiquement attaqués. Peu à peu, disait-il, ils détruisent tout.

«Vous n'êtes pas optimiste», avons-nous suggéré. «Non», a-t-il répondu fermement.

Les syndicats aujourd'hui, Blondel a dit, sont réduits à se défendre. C'est un syndicalisme plus difficile. Il disait préférer un syndicalisme qui apporte quelque chose aux gens. Le capitalisme a changé, a-t-il commenté : ce n'est plus le capitaliste isolé que l'on confronte, mais le capital financier, le capital mondial.

Donc, face à des circonstances qu'il décrit comme étant «catastrophiques», sous lesquelles les travailleurs font face au capital organisé à l'échelle mondiale, que propose Blondel ? De faire comme avant : le syndicalisme national, la même politique qui a si manifestement failli pour la classe ouvrière à travers le monde.

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