wsws.org/francais

Visitez le site anglais du WSWS

SUR LE SITE :

Contribuez au WSWS

Nouvelles et Analyses
Luttes Ouvrières
Histoire et Culture
Correspondance
L'héritage que nous défendons

A propos du CIQI
A propos du WSWS

AUTRES LANGUES

Allemand

Français
Anglais
Espagnol
Italien

Indonésien
Russe
Turque
Tamoul

Singalais
Serbo-Croate

 

Pourquoi les retraites sont-elles réellement attaquées

Par Jean Shaoul
Le 17 novembre 2003

Utilisez cette version pour imprimer

Sous prétexte d'introduire des réformes, on attaque les systèmes de retraites dans presque tous les pays industriels. Cela met des millions de travailleurs, au soir de leur vie, dans une situation de pauvreté et de solitude révoltantes. La question des retraites est vite en train de devenir un des principaux sujets de controverse dans le débat politique.

Pourquoi le système public des retraites, une des premières mesures de protection sociale à être instaurée il y a plus de cent ans et qui est toujours un des éléments les plus caractéristiques de l'« Etat providence », est-il tout d'un coup devenu impossible à payer en ce début de vingt-et-unième siècle ?

Un récent numéro du magazine d'affaires The Economist, montre en couverture la photographie d'une jeune femme imitant le tableau de Munch, « Le Cri ». Sur cette couverture, on peut aussi lire : « La solution du problème des retraites en Europe serait un allongement de la durée du temps de travail et une augmentation du nombre des naissances ». The Economist n'est pas la seule publication à faire porter essentiellement aux facteurs démographiques la responsabilité du problème des retraites, la démographie devenant par là même la solution du problème.

Dans l'hebdomadaire The Observer, l'éditorialiste libéral Will Hutton écrit : « La baisse du taux de natalité entraîne une baisse du nombre de jeunes travailleurs. Par conséquent, les profits et les impôts à partir desquels sont payées des retraites plus élevées et des remboursements d'impôts [aux personnes âgées] sont en baisse. Dans quelle mesure peut-on imposer à ces jeunes travailleurs de payer plus d'impôts et de renoncer à toute augmentation de salaire simplement parce qu'ils vivent dans une société qui vieillit et qui n'a pas mis assez d'argent de côté il y a 20 ou 30 ans pour pouvoir, aujourd'hui, subvenir aux besoins de ses retraités ? Quel que soit le côté par lequel on aborde ce débat, les questions de justice et de moralité sont primordiales. »

Cette analyse du problème des retraites est fondamentalement fausse. Une étude attentive des statistiques ­ qu'on évalue souvent de manière à leur faire dire qu'il faut placer le « fardeau » des retraites sur les épaules de l'individu ­ inscrit tout argument démographique en faux.

Il est indéniable que dans les pays capitalistes avancés l'espérance de vie tout comme le nombre des retraités sont en augmentation. Mais cela n'a jamais fait problème puisque cette augmentation a été contrebalancée par une réduction du nombre des naissances, faisant que le taux de dépendance - le nombre de dépendants (les personnes en-dessous de 16 ans ou au-dessus de 59) par travailleur adulte - est en tout et pour tout stationnaire sinon en baisse.

Les chiffres publiés par les Nations unies dans un rapport intitulé United Nations's Population Prospects : The 1998 revision montrent que le taux de dépendance a plutôt baissé entre 1950 et 1998. Dans les pays développés, il est passé de 64 à 61, alors que dans les pays en voie de développement il est passé de 88 à 90. Donc, dans les pays où les retraites publiques existent réellement, la pyramide de l'âge de la population ne pose pas de problème. Même s'il faut reconnaître que, dans les pays occidentaux, une minorité importante de jeunes ne commencent pas à travailler avant d'avoir atteint vingt ou trente ans, le fait que d'autres personnes partent en retraite bien après l'âge de 59 ans ne contredit pas l'argument de base.

Par conséquent, si les retraites étaient ou sont réellement un fardeau, les causes doivent en être recherchées non pas dans les facteurs démographiques mais ailleurs.

Dans son rapport de 1996, intitulé Vieillir dans les pays de l'OCDE, et écrit pour justifier une réduction du montant des retraites, l'OCDE conclut qu'en 2000, si la politique en vigueur ne changeait pas, les pensions publiques représenteraient une part moindre du PNB qu'en 1995. Ce sera toujours le cas en 2010 pour de nombreux pays d'Europe de l'Ouest. Il faudra attendre 2020 pour que la part des retraites publiques dans presque toute l'Europe occidentale soit plus importantes qu'en 1995.

S'appuyant sur les tendances démographiques actuelles, le rapport des Nations unies fait une série de prévisions démographiques pour 2050. Si l'on tient compte de ses prévisions moyennes, il est fort probable que le taux de dépendance augmentera de 50 pour cent dans les pays occidentaux d'ici à 2050. Mais cette donnée est plus que contrebalançée par l'augmentation annuelle de la productivité, même si l'on considère un taux d'augmentation qui ne serait pas supérieur à 2 pour cent par an en moyenne dans les principales économies occidentales. Cette augmentation pourrait, sans aucun problème absorber les effets d'une vie active plus courte et / ou d'une plus grande longévité.

Il faut ajouter que, dans de nombreux pays, un niveau plus élevé d'assurance retraite a été atteint dans les années 1960 et 1970 ainsi qu'au début des années 1980 alors que moins de femmes travaillaient. De plus, le niveau actuel des retraites a été atteint malgré un taux du chômage historiquement élevé. Si l'origine réelle de ce problème était la baisse du pourcentage d'actifs par rapport aux inactifs, il serait alors très simple d'inclure le grand nombre des sans-emploi et des sous-employés dans la population active. Si ceci n'était pas possible à l'intérieur des frontières, il faudrait alors recourir à l'immigration. Mais il y a plutôt trop de travailleurs que pas assez et les pays riches ont fermé leurs portes à l'immigration.

Il faut donc en déduire, que l'origine du « problème » des retraites n'est ni à chercher dans les facteurs démographiques, ni dans les contraintes économiques. Pour cette raison, c'est dans la nature même du système économique qu'il faut en chercher la cause.

En dernière analyse, les retraites représentent, comme n'importe quel financement opéré par l'Etat providence, une déduction de la plus-value que les sociétés capitalistes et leurs propriétaires extraient de la classe ouvrière sous forme de profit. Tout allongement de la durée de la vie active ou toute baisse du montant des retraites ­ soit sous la forme d'une baisse de la taxe professionnelle soit sous celle d'une baisse de la part patronale à un plan de retraite publique ou sectorielle - représente une tentative du patronat d'augmenter le profit ou d'accroître le taux de restitution du capital investi.

Pendant la période d'après guerre, quand les taux de profits augmentaient (ou du moins ne diminuaient pas), les gouvernements, toute tendance politique confondue, purent développer la protection sociale, par exemple par la possibilité de partir en retraite plus tôt ou en augmentant le montant des retraites. Mais, tandis que le montant absolu du capital utilisé dans les industries modernes a augmenté de façon astronomique, le taux de profit par rapport à l'investissement eut tendance à chuter.

Le patronat essaya de riposter en éliminant des pans entiers de la main-d'uvre des entreprises, en s'attaquant aux salaires, en aggravant les conditions de travail, en faisant augmenter la productivité et en éliminant la concurrence. Ils exigèrent des gouvernements une réduction des impôts sur les sociétés, ainsi qu'une baisse de la part versée par les employeurs aux caisses de sécurité sociale et ils présentèrent ces baisses comme l'unique moyen de revenir au niveau de bénéfices acceptables pour leurs actionnaires. Ils ont réclamé - et obtenu - une réduction de leurs propres impôts et ceci au détriment des simples contribuables. Pendant ce temps, les tranches supérieures des impôts sur le revenu étaient réduites. Les milliards correspondant aux sommes d'impôts perdus, ont été récupérés par l'intermédiaire d'impôts régressifs sur la consommation de biens et de services courants. Ces impôts régressifs ont touché le plus durement les foyers modestes. Ils ont aussi réclamé une baisse des tranches les plus basses de l'impôt sur le revenu et ceci dans le but de faire subventionner les salaires de misère payés par les sociétés.

Non seulement cette couche vénale de la société fait tout son possible pour ne pas payer d'impôts, mais elle essaie encore de faire porter la charge de l'aide sociale aux travailleurs. Les retraites, comme les autres formes de protection sociale, les soins médicaux, l'éducation et les transports plublics doivent devenir de simples marchandises existant pour le profit et destinées à être achetées par les travailleurs. C'est pour cette raison que les politiciens, les patrons et les économistes de tous les pays répètent sans cesse le crédo suivant: le niveau actuel des retraites est insoutenable. Il faut augmenter le nombre d'années travaillées, il faut diminuer le montant des retraites publiques. Ils prétendent que toute autre mesure représente une charge injuste pour les travailleurs jeunes. C'est là, la bonne vieille tactique qui consiste à diviser pour régner en montant une génération contre une autre.

Les gouvernements ont, à force d'appels démagogiques à la liberté et aux choix individuels, encouragé les plans de retraites individuels ou les retraites basées sur l'achat d'actions en essayant par là d'attaquer l'idée que le financement des retraites constitue un droit social plutôt qu'une responsabilité individuelle.

Toute la vie économique et sociale fonctionne dans le seul intérêt de cette minuscule élite financière. C'est ce principe qui se cache derrière la volonté générale de "réformer" et de privatiser les systèmes de retraite. L'attaque des retraites à travers toute l'Europe n'est autre chose que la continuation d'une offensive des classes dirigeantes dans le monde entier. Cette offensive consiste à faire payer au prolétariat la faillite de plus en plus flagrante de tout le système économique. Mais il est bien évident que la réforme des retraites ne peut être présentée sous ce jour. C'est pour cette raison que l'on a recours aux données erronées, aux mensonges et aux invocations sans cesse répétées de pressions démographiques, tout en se gardant bien d'avancer la moindre preuve crédible pouvant étayer ces informations ou susciter un réel débat public.

Le fait que les milieux financiers aient réussi à saccager les systèmes de retraites ou les autres formes d'aide sociale est directement imputable au fait que les vieux partis ouvriers, les syndicats et les autres organisations ouvrières ont renoncé à leur ancien programme réformiste et au fait que ces organisations ont adopté l'agenda néo-libéral du "libre marché". Dans tous les pays, les partis politiques associés dans le passé aux réformes de l'aide sociale ont joué un rôle clef dans le saccage de celle-ci : soit en attaquant eux-mêmes les retraites, soit en restant impassibles quand un autre parti de gouvernement faisait cette basse besogne.

L'échec des vieilles organisations à défendre tous les acquis sociaux de la classe ouvrière n'est pas simplement dû à des erreurs politiques ni au manque de combativité de certains dirigeants. C'est plutôt l'expression de l'impasse représentée par la perspective politique du réformisme, fondée sur l'acceptation du salariat et des relations sociales telles qu'elles existent dans le système capitaliste.

En examinant l'histoire du siècle passé, on constate que les acquis qui ont été gagnés l'ont été grâce aux grandes luttes politiques et sociales. Ces luttes ont été très souvent menées par des socialistes et ont été la plupart du temps dirigées contre les directions opportunistes. Il y a cent ans, Rosa Luxembourg écrivait dans Réforme et Révolution :

« Le travail légal de réformes ne possède aucune autre forme motrice propre, indépendante de la révolution; il ne s'accomplit dans chaque période historique que dans la direction que lui a donnée l'impulsion de la dernière révolution, et aussi longtemps que cette impulsion continue à se faire sentir... »

Essentiellement, les réformes accordées par la bourgeoisie au cours de la période suivant la Deuxième guerre mondiale étaient tout d'abord une réaction à la Révolution Russe de 1917 et puis à la menace de révolution causée par les luttes de la classe ouvrière et des masses opprimées sur le plan international dans la deuxième moitié des années 1940.

La réussite même des classes dirigeantes à continuer leur offensive au cours des vingt dernières années, y compris l'attaque des retraites publiques, est directement liée à l'absence de mouvement ouvrier disposant d'une réelle conscience politique. Les idées socialistes qui motivaient de nombreux ouvriers après la Révolution russe ont été progressivement détruites ou corrompues par les agences de l'impérialisme, le stalinisme, le réformisme, le syndicalisme et ses défenseurs politiques ­ joignant leurs efforts pour mettre à mal les idéaux du socialisme et plus particulièrement son axe central, l'internationalisme.

Le droit à un niveau de vie décent durant la retraite, tout en demeurant en assez bonne santé, ne peut pas être garanti par un retour à l'"âge d'or" de la période d'après guerre et son système de retraites basé sur des prélèvements à partir du salaire des ouvriers. Ce qui est essentiel c'est plutôt que se développe un mouvement politique du prolétariat international. Mouvement qui doit être basé sur un programme socialiste visant à l'abolition d'un système économique fondé sur l'exploitation de la majorité par une infime minorité, ainsi que l'instauration d'une société basée sur les besoins collectifs et non pas sur le profit individuel.

Voir aussi :


 

Untitled Document

Haut

Le WSWS accueille vos commentaires


Copyright 1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés