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La loi contre le port du foulard islamique: le point de vue d'un enseignant français

Par Antoine Lerougetel
23 mars 2004

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Ce commentaire a été écrit par un enseignant français à la retraite qui contribue régulièrement au World Socialist Web Site

En tant que professeur ayant enseigné dans des établissements secondaires en France de nombreuses années, je suis d'accord avec les principes et l'analyse exprimés dans l'article d'Alex Lefèbvre, affiché sur le WSWS le 18 février (Voir France: l'Assemblée Nationale interdit le foulard islamique à l'école) sur la nouvelle loi qui interdit le port des signes religieux,

Comment se fait-il que quasiment toutes les organisations syndicales d'enseignants et tous les partis de la gauche et bon nombre d'enseignants en France, ont soutenu cette loi répressive ­ une loi, qui plus est, provient d'un gouvernement contre lequel les enseignants, ainsi que des millions d'autres travailleurs, combattaient voilà seulement six mois, dans des luttes des plus longues et déterminées de ces dernières décennies? C'est ce même gouvernement qui a passé outre l'opposition massive à la destruction des droits à la retraite et au démantèlement du service public de l'éducation.

Il semble que la même union sacrée qui s'est formée derrière le président Jacques Chirac comme soi-disant barrage contre le néo-fasciste Jean-Marie Le Pen au second tour des présidentielles en 2002 s'est regroupée maintenant derrière le président contre les musulmans en général, et contre nos élèves musulmanes en particulier ­ pour le grand plaisir de Le Pen. Ce faisant, ces mêmes forces ont une fois de plus redoré le blason de Chirac, en créant une diversion face aux réductions brutales des allocations chômage introduites le premier janvier et aux attaques contre la sécurité sociale et la santé en préparation pour après les élections régionales de mars et les élections européennes de juin.

Permettez-moi de corriger la traduction anglaise du mot français 'ostensible' comme 'ostentatious' à la deuxième ligne de l'article de Lefèbvre. La bonne traduction est 'conspicuous'. Je vais expliquer pourquoi c'est une question qui a son importance.

Au premier abord cela pourrait sembler n'être rien de plus qu'arguties dignes des débats scolastiques médiévaux. En fait, il est question d'enjeux sociaux, politiques et historiques bien réels.

Pendant des mois, la commission conduite par l'ancien ministre Bernard Stasi et divers parlementaires ont discuté et se sont disputés sur la manière de définir les signes religieux à interdire dans les établissements scolaires. Le choix se réduisit au statu quo « signes religieux ostentatoires » - signes ou symboles ayant pour but évident le prosélytisme ­ et signes « ostensibles » ou « visibles ». Finalement le mot « ostensible » fut retenu et voté à l'Assemblée nationale.

Le Concordat de Napoléon de 1801 reconnut les religions catholique et juive et deux religions protestantes. Son régime, puis les monarchies qui s'ensuivirent et le Second Empire ont largement restauré l'Eglise catholique et lui ont donné un rôle dominant dans l'éducation. Pendant les trois dernières décennies du 19ième siècle jusqu'en 1905, on assista à un bras de fer concernant le rôle de l'Eglise catholique dans un état capitaliste moderne : parfois la bourgeoisie libérale et radicale s'alliait avec le mouvement grandissant de la classe ouvrière, cherchant à fortement réduire la mainmise de l'Eglise catholique sur l'éducation. Le point fort de ce bras de fer fut la loi de 1905 sur la séparation des églises de l'état qui décréta que « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. »

Cette position fut abandonnée par le régime de collaboration avec l'envahisseur nazi du maréchal Pétain, qui remit en place l'Eglise. Une bonne part de cette réhabilitation du rôle de l'Eglise fut laissée intacte après la Libération. De Gaulle céda bien du terrain à l'Eglise quand il revint au pouvoir en 1958 avec la 5e République. Le rapport de la commission Stasi signale que «La loi du 31 décembre 1959 fixe les règles de fonctionnement et de financement des établissement privés sous contrat, majoritairement catholiques, dont le caractère propre est reconnu et protégé constitutionnellement ».

Ni la troisième, ni la quatrième, ni l'actuelle cinquième République n'alignèrent Alsace-Moselle (dans l'est de la France et faisant partie de l'Allemagne en 1905, donc la loi de séparation des églises de l'état ne s'y appliquait pas) à la République. Le Concordat donne aux églises le droit d'enseigner leur religion - presque exclusivement la religion catholique ­ dans les écoles publiques de la région.

Il ne faut pas oublier que l'Eglise catholique gère l'éducation d'environ 18 pour cent de la population française, proportion qui s'accroît du fait de la baisse des moyens allouées au service public de l'éducation.

Le rapport de la commission Stasi rejette clairement toute modification des privilèges de l'Eglise catholique dans ce domaine : « La commission estime que la réaffirmation de la laïcité ne conduit pas à remettre en cause le statut particulier de l'Alsace-Moselle, auquel est particulièrement attachée la population de ces trois départements ».

Adopter le terme "ostensible" pour remplacer l'actuel "ostentatoire" baisse le seuil d'acceptabilité des signes mais permet néanmoins aux élèves de porter des croix chrétiennes ou des étoiles de David comme pendants ou broches. Le foulard islamique ou voile, à la rigueur autorisé par les critères antérieurs, ne l'est plus par le nouveau critère « ostensible ».

Dans beaucoup d'établissements scolaires, selon mon expérience, avant le tollé actuel sciemment provoqué par l'establishment politique et les médias, des élèves musulmanes portaient le foulard sans que cela pose problème. D'ailleurs, dans mes classes elles faisaient habituellement partie des élèves les plus sérieux.

Ainsi, sans le dire ouvertement, la commission Stasi et les députés du parti du gouvernement ­ l'UMP, les députés Socialistes et la plupart des députés Communistes, avec le soutien extraparlementaire des syndicats enseignants et des opportunistes de « l'extrême gauche » menés par Lutte Ouvrière, ont voté une loi discriminante à l'égard des élèves musulmanes qui désirent porter un foulard ou voile qui couvre leurs cheveux. Ils poussent l'hypocrisie jusqu'à prétendre qu'ils traitent toutes les religions avec équité. Ils suggèrent même que les musulmans pourraient porter en pendants ou broches des mains de Fatima.

La petite communauté sikh, dont les croyances exigent que les garçons et les hommes portent le turban, s'est soudain rendu compte que ses fils seraient obligés d'abandonner soit leurs coutumes soit leur scolarité.

Dans un climat de ressentiment croissant au sein de la communauté immigrée et avec un certain désarroi dans la classe politique confrontée à la réaction provoquée par cette mesure, le ministre de l'éducation, Luc Ferry, déclara que tout objet pouvait devenir signe religieux. Il spécula sur la nécessité d'interdire dans les établissements scolaires les barbes, si elles étaient « islamiques ». Il commença à élaborer des recommandations détaillées sur la taille de bandana qui pourrait être acceptable pour les filles en remplacement du foulard. Il proposa un filet invisible pour les cheveux des élèves sikhs.

L'ambiance d'ingérence dans les affaires privées de nos élèves commençait à prendre une tournure clairement médiévale digne de la Sainte Inquisition. Le président Chirac et le premier ministre Raffarin ­ essayant de calmer une situation où des milliers de musulmans et des défenseurs des droits civiques, grandement mais pas exclusivement dominés par des intégristes, descendaient dans la rue ­ se sont vus forcés d'empêcher leur ministre de l'éducation de continuer à participer aux débats sur la loi.

La plupart des députés socialistes auraient préféré l'interdiction de signes religieux « visibles », ce qui aurait signifié une interdiction totale de toute expression vestimentaire d'appartenance religieuse. Cette pose ultra laïque, aussi appelée 'intégrisme laïc', donnerait à l'état et à ses représentants dans la hiérarchie et l'administration de l'Education Nationale des pouvoirs draconiens. Affichée comme l'authentique laïcité ­ l'interdiction pure et simple de toute expression religieuse dans les établissements scolaires publics ­ aurait au moins eu « le mérite » de toucher toutes les religions.

Les autorités chrétiennes et juives s'opposèrent à cette formulation. Le jour du vote, le Parti socialiste vota avec le gouvernement.

Quelques politiciens de droite voulaient interdire aussi, en plus des signes religieux, toute expression d'opinion politique dans les établissements scolaires ­ telle que les T-shirts avec le portrait de Ché Guévara.

Le choix retenu, « ostensible » permet de continuer la chasse aux sorcières contre les élèves musulmanes sans inquiéter les autorités juives et chrétiennes. La communauté sikh se trouve dans le rôle du passant pris entre des tirs croisés ­ véritable leçon montrant que toute discrimination, à l'encontre de quelque section de la population que ce soit et basée sur des différences ethnique, religieuse ou d'opinion, représente une atteinte fondamentale à tous les droits.

Depuis le 19ième siècle, le capitalisme, tout en faisant des concessions aux demandes toujours plus fortes de la classe ouvrière pour accéder à l'éducation, a toujours utilisé l'éducation publique comme instrument direct de contrôle social et politique. Ce contrôle social et politique est particulièrement accentué en France du fait de l'extrême centralisation de l'état, ce qu'on appelle jacobinisme. L'Education Nationale française a été et demeure l'expression la plus parfaite de ce jacobinisme, qui est défendu sous couvert de laïcité.

Dans le débat actuel et le battage médiatique c'est Lutte Ouvrière qui a été la championne la plus ardente de la répression de l'état contre les jeunes musulmanes voilées. Après quelques hésitations LO a fini par soutenir la loi. Auparavant ils avaient clairement déclaré que les en enseignants réticents devraient être obligés de sévir, même en l'absence d'une nouvelle loi : «Alors, reste la possibilité d'un règlement du ministère de l'Education nationale qui interdirait le port du voile, même « petit », même « discret », dans l'enceinte de tous les établissement scolaires. Tous les enseignants devraient alors le faire respecter et ce règlement devrait d'ailleurs alors prévoir cette obligation d'application. » (déclaration de Lutte Ouvrière d'Octobre 2003. Les italiques n'apparaissent pas dans l'original.)

LO continue de soutenir sans aucune critique le mouvement de femmes 'Ni putes ni soumises' qui fait campagne contre l'oppression des filles et des femmes des cités HLM, où il y a beaucoup d'immigrés et où le sentiment d'avoir été abandonnés par tous les partis de la gauche a poussé certains jeunes vers l'Islam conservateur. Porte-parole de Ni putes ni soumises, Fadela Amara, participait le 6 mars à la manifestation pour la journée internationale de la femme aux côtés de Nicole Guedj, secrétaire d'état pour le logement et la justice dans le gouvernement de Chirac et Raffarin, et aussi aux côtés d'Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte Ouvrière.

Fadela Amara dit: "Je suis très heureuse de voir que des femmes s'engagent, quelle que soit leur appartenance politique". Son mouvement soutient pleinement la loi de Chirac contre le foulard islamique. Les féministes et LO de 'l'extrême gauche' marchent bras dessus bras dessous avec le gouvernement de Chirac.

J'ai travaillé, la majeure partie de ma vie d'enseignant, dans des classes comprenant de nombreux élèves immigrés de première ou de deuxième génération, et un de mes sentiments les plus forts au sujet de cette loi, qui entrera en application dès septembre 2004, est qu'elle ne représente pas seulement une attaque contre les musulmans mais qu'elle est un moyen d'obliger les professeurs et leur administration à jouer le rôle de la police auprès des élèves. Elle réduit la possibilité d'une approche sensible et créatrice face aux différences sociales, ethniques, culturelles et religieuses. Elle encourage l'intolérance et la discrimination parmi les élèves. Des élèves ou des parents ayant des idées racistes ou fascistes auraient le feu vert pour accuser des professeurs faisant preuve de trop 'd'indulgence'. Tout cela me fait penser aux circulaires du régime de Pétain qui imposaient aux enseignants la délation des élèves ou des personnels soupçonnés d'être juifs ou résistants.

Libération du 11 mars rend compte d'une grève d'enseignants d'un collège du Haut-Rhin contre une élève portant le foulard. L'article confirme mes pires craintes.

"Hier, à 8 heures, elle s'y est présenté la tête couverte d'un foulard. Elle en est ressortie quelques minutes plus tard, comme ses 400 camarades." La majorité des enseignants s'étaient mise en grève. « Regroupés à l'entrée de leur collège, la plupart des élèves soutiennent l'action de leurs professeurs. » Un élève a sorti une pancarte de son sac : « Tu enlève (sic) ton voile, oui ou merde ! »

Un professeur est cité: "Le compromis entre la famille et notre hiérarchie a été conclu sans concertation aucune. Le terme erroné de bandana ayant trompé tout le monde, nous n'avons pu éviter le désarroi et les questions pressantes des élèves devant ce foulard. Désormais, certains élèves se permettent de venir in classe avec des couvre-chefs divers. »

De telles évolutions, qui détournent l'attention des gens de la suppression par le gouvernement de milliers de postes d'enseignants et des coupes sombres dans les budgets de l'éducation et de la recherche, ainsi que des attaques contre les droits sociaux et démocratiques, ne peuvent qu'aider les forces les plus réactionnaires.

Comme le déclare l'article d'Alex Lefèbvre: « Les préjugés religieux seront conquis par le développement politique et l'éducation de la classe ouvrière dans la lutte pour les droits démocratiques et le socialisme, non pas par des décrets de l'état imposés d'en haut par des gouvernements qui répondent aux intérêts d'une élite sociale. »


 

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