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L'Angleterre de Blair et ce que cela signifie pour l'Europe

Par Julie Hyland
(Article original paru le 25 juin 2005)

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Dans son discours devant le Parlement européen le 23 juin, le premier ministre britannique Tony Blair s'est donné beaucoup de mal pour convaincre de son engagement envers une « Europe sociale ».

Il réagissait à l'accusation selon laquelle le « non » massif de la France et des Pays-Bas au référendum sur la Constitution européenne représentait une rebuffade catégorique à l'économie de marché libre, déréglementée et rapace défendue par son gouvernement et qui a plongé le Royaume-Uni dans un cauchemar d'inégalité sociale semblable à celui décrit par Charles Dickens.

Blair dénonça « l'idée que la Grande-Bretagne est saisie par une espèce de philosophie de marché anglo-saxonne extrême, foulant aux pieds les pauvres et les déshérités » et parla de caricature. Il dit que son gouvernement était au contraire à la pointe en matière d'avancées sociales ­ introduisant un programme d'emplois de type « New Deal » pour les chômeurs et un salaire minimum, augmentant l'investissement pour les services publics, régénérant les quartiers déshérités et s'attaquant à la pauvreté.

Blair laissa entendre que c'était ces réalisations qui l'autorisaient à faire la leçon aux autres dirigeants européens sur les prescriptions sociales et économiques nécessaires à la stabilité et au bien-être du continent et de ses peuples.

Que les remarques du premier ministre n'aient pas été tournées en dérision, comme elles le méritaient, donne la mesure de la flagornerie des médias britanniques. Car en réalité, la représentation de l'Angleterre, sous la plume de Charles Dickens, comme pays où une élite dirigeante se gavait et étalait sa richesse fabuleuse, dédaigneusement indifférente au sort de la masse de la population, trouve un écho distinct dans la Grande-Bretagne d'aujourd'hui. Blair a beau chercher à rassurer les travailleurs de l'Europe qu'il n'en est rien, les faits parlent d'eux-mêmes.

Cette année, la fondation Joseph Rowntree produisit une étude intitulée « Cent ans de pauvreté et de politique » comparant une enquête de deux ans sur les causes de la pauvreté au début du siècle dernier, menée par Seebohm Rowntree, fils du fondateur de la fondation, et une enquête menée au début du vingt et unième siècle.

Le rapport Rowntree trouva qu'en l'espace de cent ans, la Grande-Bretagne était revenue à son point de départ. En 1899, les bas salaires étaient la cause principale de la pauvreté. Ce fut le cas jusqu'à la Dépression des années trente où le chômage devint la cause principale, pour être ensuite remplacée dans les années cinquante et soixante par la vieillesse. En 2001-2002 cependant, les bas salaires étaient à nouveau la cause principale de la pauvreté au Royaume- Uni, avec plus d'un tiers des ménages dans la catégorie des « pauvres en activité ».

Les raisons de ce retour au point de départ ne sont pas difficiles à trouver. La période suivant la seconde guerre mondiale fut marquée non seulement par un boom économique mais aussi par une série de mesures gouvernementales ayant pour but d'assurer la paix sociale par la mise en place d'un filet de sécurité en-dessous duquel aucun salarié en âge de travailler ne tomberait.

Cependant, à la fin des années soixante dix, de telles protections sociales étaient dénoncées par la bourgeoisie britannique et le gouvernement conservateur de Margaret Thatcher comme étant « sclérotiques » et « dépassées ». La concurrence à l'échelle mondiale dictait que l'état providence et les services publics soient adaptés aux réalités du monde « moderne », telle était la rengaine.

Dans la décennie qui suivit, les emplois qui payaient bien furent détruits par dizaines de milliers et des impôts sur les riches et le grand capital furent radicalement réduits afin de transformer la Grande-Bretagne en un pays à main-d'oeuvre bon marché pour les grandes multinationales.

Le gouvernement travailliste a poursuivi l'offensive contre la classe ouvrière commencée par les conservateurs. Les diverses mesures de politique sociale glorifiées par Blair dans son discours au Parlement européen n'ont pas grand-chose à voir avec les protections de l'Etat providence du passé. Elles consistent essentiellement en des subventions données aux employeurs pour leur permettre de continuer à payer des bas salaires.

Ainsi, la politique du "New Deal" élimine les allocations sociales universelles antérieures qui étaient un droit et force les chômeurs à entreprendre des stages de formation obligatoires ou à accepter des emplois à bas salaires. Le salaire minimum est actuellement de 4£85 de l'heure pour un adulte et de ce fait, sert d'approbation officielle à une économie de bas salaire.

Malgré cela, des projets visant à augmenter ce salaire minimum de 20 pence de l'heure à partir d'octobre ont été âprement attaqués par les grandes entreprises en Grande-Bretagne au motif qu'une telle hausse serait « dommageable à la concurrence ». Pour aggraver la situation, le salaire minimum est de 4£10 pour les 18-21 ans et seulement de 3£ pour les 16-17 ans. Quant aux apprentis, ils n'y ont tout simplement pas droit.

Les bas salaires ont contribué à garantir que les salariés britanniques ont les journées de travail les plus longues d'Europe (le gouvernement Blair a résolument défendu l'exemption de la Grande-Bretagne de la directive européenne sur le temps de travail limité à 48 heures par semaine maximum). Les niveaux de pauvreté infantile sont parmi les plus élevés des pays industrialisés, avec plus d'un enfant sur quatre estimé pauvre d'après des critères officiels. Alors que le Royaume Uni a un des taux les plus bas en Europe d'impôt sur les sociétés, le niveau d'impôt indirect ­ qui touche le plus lourdement la classe ouvrière ­ est parmi les plus élevés.

Pour une bonne partie de la classe ouvrière, les bas revenus ont été masqués par un vaste recours aux emprunts. Mais avec le total des dettes personnelles au Royaume Unis dépassant aujourd'hui les mille milliards de livres sterling, les faillites individuelles ont atteint des records, avec une augmentation de 30 pour cent dans les douze derniers mois. L'introduction de frais de scolarité à l'université et le remplacement des bourses pour étudiants par des prêts signifie que les jeunes représentent un nombre croissant de ces faillites.

Il a été procédé à près de 26 000 saisies d'habitations, chiffre le plus élevé depuis 1995, les trois premiers mois de cette année car les gens n'étaient pas en mesure de rembourser leur hypothèque.

Quant à l'affirmation de Blair selon laquelle son gouvernement aurait augmenté les investissements dans les services publics, il s'agit principalement de partenariats public-privé, où le gouvernement paie pour que des investisseurs commerciaux pénètrent les marchés lucratifs du financement de la santé et de l'éducation qui leur étaient jusque-là fermés. Le résultat final est que le secteur public est toujours plus en manque d'argent et redevables de sommes toujours plus importantes aux investisseurs privés, ce qui mine la qualité des établissements scolaires et des soins hospitaliers.

Que Blair puisse se vanter du succès de son gouvernement malgré ces résultats épouvantables confirme son rôle de représentant politique d'une oligarchie financière qui a réellement profité des « réformes » de son gouvernement. Sous son ministère, les mille personnes les plus riches du Royaume-Uni ont vu une augmentation de 152 pour cent de leur fortune, avec le un pour cent le plus riche de la population accaparant une part du revenu national plus importante qu'à aucune autre époque depuis les années trente.

C'est dans l'intérêt de cette toute petite élite que les relations économiques et sociales en Grande-Bretagne ont commencé à rappeler une époque que Dickens aurait aisément reconnue : une époque où « le voleur de grands chemins la nuit était un marchand de la City au grand jour », et où les pauvres étaient jetés en prisons pour dettes impayées.

Ce n'est pas étonnant que, défiant leurs propres dirigeants politiques, les salariés en France et aux Pays-Bas aient rejeté le programme de destruction sociale enchâssé dans la Constitution européenne, programme en faveur des grandes entreprises.

Ce serait une très grande erreur de croire que cela n'ira pas plus loin. Malgré les tensions politiques entre Blair et d'autres dirigeants européens, l'appel du premier ministre à démanteler les protections sociales sur tout le continent a reçu un soutien significatif au parlement européen.

Blair avait raison sur un aspect de son discours ­ son rejet de l'affirmation selon laquelle la situation en Grande-Bretagne n'était que le résultat d'une version « anglo-saxonne » aberrante du capitalisme qui pourrait tout simplement être mise de côté en faveur d'une variante européenne plus progressiste. A ce sujet, cela vaut la peine de rappeler une autre étude produite au dix neuvième siècle, La condition de la classe ouvrière en Angleterre, de Friedrich Engels.

C'est en 1845 qu'Engels fit un portrait vivant de la surexploitation de la classe ouvrière anglaise, bien qu'elle ne fut finalement publiée en Grande-Bretagne que sept ans avant l'étude de Seebohm Rowntree. L'examen, par Engels, de la condition des ouvriers anglais à l'époque de la Révolution industrielle, n'avait pas pour objectif de mettre l'accent sur les particularités de ces développements par rapport à d'autres endroits du continent, mais d'insister sur le fait que les classes ouvrières de tous les pays étaient confrontées au même ordre social.

En Angleterre, les travailleurs assistaient au résultat inévitable du capitalisme industriel, expliqua-t-il, dont les conséquences ­ en termes de misère sociale et d'oppression des masses- seraient identiques pour les travailleurs européens, à moins que les travailleurs ne se mettent consciemment à construire un mouvement politique socialiste.

Engels écrivit: « Les causes fonda-men-tales qui ont provoqué en Angleterre la misère et l'oppression du prolétariat, existent égale-ment en Allemagne et doivent nécessairement provoquer à la longue les mêmes résultats. Mais, en attendant, la misère anglaise dûment constatée nous donnera l'occasion de constater aussi notre misère allemande et nous fournira un critère pour évaluer l'importance du danger. »

L'avertissement d'Engels garde sa validité pour les travailleurs européens, mais à une exception près. Aujourd'hui, la surexploitation de la classe ouvrière doit se mesurer non pas à l'aune de la Grande-Bretagne, ni même des Etats-Unis - même si les choses vont mal là bas - mais comme Blair lui-même l'a reconnu, à l'aune de la Chine et de l'Inde.

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