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France : Amiante: manifestation de travailleurs français demandant que justice soit faite contre les empoisonneurs

Par Pierre Mabut
Le 26 octobre 2005

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Une manifestation nationale de travailleurs et de victimes de l'amiante fut organisée à Paris le 15 octobre pour exiger que des poursuites soient engagées contre les responsables.

La mobilisation, à l'appel de l'ANDEVA (Association nationale des victimes de l'amiante), mobilisa presque 10,000 manifestants, qui défilèrent derrière le mot d'ordre «Les empoisonneurs doivent être jugés ».

Des milliers de participants brandissaient des pancartes, portant l'inscription, "10 morts par jour, Ni Responsable­ Ni Coupable ! Contre l'oubli " D'autres portaient des banderoles revendiquant : «Pour un procès criminel de l'amiante » Il n'y avait pas de délégation officielle des syndicats.

Le défilé silencieux se rassembla rue de la Pépinière pour commémorer les 3 000 victimes de cancer des poumons lié à l'amiante, qui décèdent chaque année. Les organisateurs débaptisèrent symboliquement la rue pour la renommer « Rue des Empoisonneurs ». Durant de nombreuses années furent hébergés dans cette rue les sièges de de l'Association Internationale de l'amiante, l'Association Française de l'amiante et la Chambre Syndicale de l'amiante.

La manifestation nationale fut le résultat de la lutte déterminée d'un groupe de veuves de Dunkerque, qui, depuis de début de l'année, manifestent régulièrement devant le tribunal de la ville pour exiger que justice soit faite pour leurs maris décédés. Après des années de lutte, des victimes de l'amiante obtiennent à présent des indemnités compensatoires de la part de tribunaux civils, où des patrons ont été déclarés coupables d'une « faute inexcusable.»

Cependant, ces victimes de contamination par l'amiante du fait d'employeurs autour de Dunkerque, tels qu'Eternit à Thian, chantiers de construction navale, et la fabrique d'acier Sollac, ont vu leur bataille pour un procès criminel bloquée par les tribunaux d'appel locaux de Douai et de Dunkerque. En 2004, le tribunal de Douai jugea que les industriels étaient « coupables mais non pas responsables » de leurs actions, sous couvert d'un amendement juridique introduit par le gouvernement de la Gauche plurielle de Lionel Jospin (1997 ­ 2002). L'amendement établit que dans le cas d'une catastrophe industrielle ou sanitaire, personne n'est coupable s'il n'y a pas d'« intention criminelle délibérée » Les veuves de Dunkerque espèrent faire annuler par la Cour de Cassation cette interprétation en novembre prochain.

En 1971, il n'y avait pas de réglementation régissant le niveau de poussière d'amiante, comme il en existait en Grande Bretagne depuis 1931. En 1983, les dirigeants syndicaux français firent cause commune avec les employeurs pour « la défense de l'emploi » dans l'industrie de l'amiante, alors qu'au même moment, à trente kilomètres de là, outre-manche, un mouvement d'envergure des travailleurs se développait exigeant l'interdiction de son utilisation.

Un article,écrit par Bob Shaw, dirigeant trotskiste et ancien ouvrier des chantiers navals souffrant d'un incurable mésothéliome (cancer des poumons provoqué par l'exposition à l'amiante), résuma le mouvement de l'époque : « Il est temps que la classe ouvrière fasse connaître les détails de ce crime, qui ne concerne pas un ou deux travailleurs tués, ni même des centaines de travailleurs, comme dans les désastres de la mine, mais de centaines de milliers qui mourront à cause de la propagation de ce matériau et de la continuation de son utilisation industrielle sans aucun égard pour la sécurité des travailleurs.

"Les sociétés qui sont responsables et les gouvernements qui permettent de telles actions sans intervenir devraient être dénoncés et il faut mener une lutte contre cette destruction incontrôlée de la vie des gens..Les entreprises concernées devraient être fermées et un travail alternatif proposé aux travailleurs mis au chômage par les fermetures. »

La France est devenue une plaque tournante internationale pour l'utilisation de l'amiante. Dans les années 1970, 1980 et 1990, alors que la plupart des gouvernements européens avaient interdit l'utilisation de l'amiante pour l'isolation et la protection contre le feu, la France importait 80 kilos d'amiante par habitant. On peut dire que presque tous les bâtiments publics sont des zones polluées, où salariés et visiteurs sont exposés aux fibres d'amiante, qui provoquent le cancer des poumons jusqu'à quarante ans plus tard.

Un de ces bâtiments, l'université de Jussieu à Paris, ouverte par De Gaulle dans les années 60, qui reçoit 25 000 étudiants, est tristement réputée pour son taux de fibre d'amiante. C'est d'ici que la première alerte à l'amiante fut donnée, après que le décès de plusieurs enseignants chercheurs fut lié à l'amiante.

Marc Hindry, membre du comité actuel anti-amiante de Jussieu, qui participait à la manifestation de Paris, dit, "Les responsables sont les entreprises comme St Gobain et Eternit, les autorités publiques, et certains médecins du travail. »

La multinationale française St Gobain, dont l'empire est construit sur l'amiante, a eu un lobby puissant à l'intérieur des gouvernements. Ses anciens présidents ont tenu des postes de responsabilité dans des entreprises d'Etat et au gouvernement. Francis Mer, responsable de la politique industrielle de St Gobain en 1978, fut nommé président du groupe sidérurgique Usinor/Sacilor en 1986 par le gouvernement socialiste du président François Mitterrand. Roger Fauroux, ministre de l'industrie de ce même gouvernement, devint plus tard président honorifique de St Gobain.

François Malye, journaliste français, dans son livre récent, L'amiante: cent mille morts à venir", décrit l'irresponsabilité et l'indifférence pendant quarante ans des ministres de différents gouvernements face à l'amiante. Un élément primordial fut l'étouffement de la vérité par le Comité permanent amiante, CPA, agence chargée de louer les « avantages » de ce matériau.

Entre 1983 et 1995, pendant la présidence de Mitterrand, qui fut soutenue par les partis de gauche, le CPA prôna la politique d'«usage contrôlé » qui affirmait que, si quelques précautions étaient prises en manipulant le matériau selon les règles qui avaient été formulées en 1977, cela ne présentait aucun risque.

Malye souligne la responsabilité de politiciens comme Martine Aubry du Parti socialiste, nommée directrice des Relations du travail par le premier ministre socialiste Pierre Mauroy. Malye cite Jean-Luc Pasquier, sous-fifre d'Aubry, qui reçut l'ordre de collaborer avec le CPA dès le début de la présidence de Mitterrand.

Dans un entretien avec Malye, Pasquier dit:« J'y suis allé sur ordre ». De qui? « De mes différents supérieurs hiérarchiques. »Un silence. Y compris Martine Aubry? « Bien sûr. A partir de 1984, c'était elle qui dirigeait la Direction des relations du travail. Elle était tenue au courant de tous les dossiers chauds et l'amiante en faisait partie. Si elle avait voulu qu'on sorte du CPA, elle, comme ses successeurs, n'avait qu'à le décider. »

En 1991, quand Aubry était ministre du travail, à une époque où la majorité des états Européens interdisait l'amiante, elle bloqua la signature de décrets de l'UE imposant des limites à son utilisation. Comme Malye l'explique, « Sur ces deux périodes durant lesquelles Martine Aubry occupait les plus hautes fonctions au ministère du Travail, le tribunal administratif conclut 'qu'il ne peut être soutenu [] que les pouvoirs publics n'avaient pas connaissance du risque que faisait courir aux personnes exposées le maintien de la réglementation en vigueur'. »

Malye détaille le rôle, également criminel, joué par les bureaucraties syndicales. Les deux principales confédérations, la CFDT (proche du Parti socialiste) et la CGT (liée au Parti communiste) siégèrent au CPA tout le temps de son existence. Malye dit que le délégué CGT Michel Odet « pendant 10 ans ne fait rien pour obtenir ces fameux tests [pour un produit de remplacement]. Quant à la raison de sa présence à côté des industriels de l'amiante, il l'explique ainsi: 'Certains avaient eu peur de servir d'alibi, or il faut que les partenaires sociaux arrivent à un certain consensus. A la CGT, nous sommes contre la politique de la chaise vide.'

Malye écrit: "Le 25 septembre 1995, ministères et syndicats retirent du Comité amiante leurs représentants, ce qui est un bel aveu d'une faute qui a duré près de treize ans. »

Marc Hindry, avec une certaine naïveté, déclara au WSWS pendant la manifestation à Paris, «Bien sûr que les syndicats avaient été dupés et ils croyaient qu'ils pourraient protéger des emplois» en coopérant au sein du CPA avec les employeurs pendant les années 1980. Il ajouta : «Les syndicats ne voulaient pas contrarier les gouvernements de Gauche » sous la présidence de Mitterrand. « Il y avait aussi la campagne de désinformation conduite par l'industrie de l'amiante. Tout ceci fut rendu possible par la nature même de la maladie dont les symptômes peuvent prendre jusqu'à 30 ans avant de se déclarer ».

Michel Parigot, vice-président d'ANDEVA et président du Comité anti-amiante de Jussieu, dit au WSWS: « Les syndicats ont fait le choix de l'emploi au détriment de la santé. En 1995, ce qui les força à bouger ce furent les universités et les écoles, où le risque sanitaire était élevé, et cela faisait aussi le lien entre santé publique et maladie du travail, ce qui remit l'amiante sur le devant de la scène.

Un tollé général et une série d'études épidémiologiques obligèrent le président Chirac à interdire l'amiante en 1997. Mais Parigot est très inquiet en ce qui concerne le traitement du problème dans une situation où la loi exige un inventaire total des bâtiments publics pour juger de la présence du matériau. «Il y a obligation de localiser et de signaler la présence d'amiante dans les bâtiments publics », dit-il, « c'est une exigence datant de 2003. Mais il n'y a pas de suivi. En mai 2005, seule la moitié de tous les bâtiments avait été contrôlée ».

L'envergure de ce scandale sanitaire public représente une condamnation du capitalisme international et de ses défenseurs.

La France interdit les importations d'amiante en décembre 1996, ce qui conduisit à une dispute véhémente avec le Canada au sein de l'OMC (Organisation mondiale du commerce). Le Canada se plaignit que la France transgressait les accords commerciaux multilatéraux. En septembre 2000, l'OMC donna raison à la France, indiquant que l'interdiction était « nécessaire pour la protection de la santé humaine. » Le Brésil, les USA et le Zimbabwe étaient concernés par la dispute.

Quoique l'OMC ait statué en faveur de la France, l'organisation affirma que la France avait transgressé les règles de l'OMC en établissant une discrimination contre l'amiante canadienne, que l'OMC jugeait être un produit « similaire » à d'autres substituts domestiques plus sûrs. Cette interprétation inquiète beaucoup les environnementalistes car elle ne fait pas de distinction entre des produits toxiques et non toxiques.

Les pays en voie de développement sont maintenant la proie des producteurs multinationaux d'amiante qui veulent compenser les marchés occidentaux perdus, tout comme l'industrie du tabac se tourne à présent vers les pays les plus pauvres.

Le mépris et la destruction de la vie des gens sont une question internationale qui demande une réponse internationale. Compter seulement sur les tribunaux pour obtenir justice s'avérera illusoire.

L'envergure du problème est visible aux USA et en Australie, où des batailles juridiques ont conduit au paiement d'indemnités compensatoires. La société américaine Certain Teed, filiale de St Gobain, est confrontée à 108 000 litiges demandant des indemnités compensatoires, et elle s'est vue obligée de mettre de côté 426 millions d'euros, ce qui représente quasiment la moitié des ses bénéfices de 2004.

Mais aucune indemnité compensatoire, aussi élevée soit-elle, ni aucune pression réformiste ne pourra venir à bout de la chasse aux profits des multinationales.


 

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