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Canada : le discours du Trône des conservateurs avance la réaction sociale et le militarisme

 

Par Keith Jones

13 avril 2006

 

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Le 4 avril dernier, le nouveau gouvernement minoritaire conservateur du Canada a profité de l’allocution parlementaire inaugurale, ou discours du Trône, pour réaffirmer son intention d’appliquer à la politique un important virage à droite. Ses principaux engagements sont: le renforcement de son appareil militaire, des relations plus étroites avec l’administration Bush, une présence policière accrue dans les rues, des baisses d’impôt, «des budgets responsables sur le plan financier» et une économie canadienne «plus compétitive».   

 

Particulièrement remarquables dans le discours ont été les références répétées à l’intervention des Forces armées canadiennes en Afghanistan, associées à l’engagement que le Canada jouera un rôle plus actif sur la scène mondiale.

 

Les trois partis de l’opposition: les libéraux, les sociaux-démocrates du Nouveau parti démocratique et le parti pour l’indépendance du Québec, le Bloc québécois, ont réagi au discours du Trône en déclarant qu’ils étaient prêts à travailler avec le gouvernement conservateur, à la tête duquel se trouve Stephen Harper, un idéologue néo-conservateur.

 

En faisant savoir qu’ils ne tenteraient pas de faire tomber le gouvernement, les partis de l’opposition ont loyalement traduit les désirs de la grande entreprise canadienne, qui a fortement appuyé l’arrivée au pouvoir des conservateurs lors des élections fédérales du 23 janvier.

 

Le gouvernement libéral de Jean Chrétien et Paul Martin, qui a siégé durant 12 ans, a été le gouvernement fédéral le plus à droite depuis la grande dépression. Malgré tout, la grande entreprise est devenue de plus en plus insatisfaite du régime libéral à cause de son échec à aller encore plus de l’avant avec des coupures de programmes sociaux après avoir réalisé, entre 1995 et 2001, les plus grandes coupures budgétaires et baisses d’impôt de toute l’histoire canadienne. La grande entreprise a aussi reproché aux libéraux de s’être accrochés à une variante du nationalisme canadien qui mettait en contraste un Canada progressiste et pacifique avec une république du dollar, rapace et militariste, au sud.

 

La majeure partie du discours du Trône des conservateurs a été consacrée à la réitération des cinq priorités des conservateurs mentionnées par Harper au cours des dernières semaines de la campagne électorale.

 

Ces priorités - la Loi sur l’imputabilité fédérale, une réduction de deux pour cent de la Taxe sur les produits et services (TPS), une allocation pour le choix en matière de garde d’enfants de 100$ par mois pour chaque enfant de moins de six ans, des peines plus sévères pour les criminels condamnés pour crime violent et une garantie sur les délais d’attente pour les services médicaux essentiels - ont été formulées avec l’objectif de masquer partiellement et de conférer une apparence populiste au programme réactionnaire et orienté vers le grand capital des conservateurs.

 

La Loi sur l’imputabilité interdira les contributions corporatives et syndicales ainsi que les trop grosses contributions personnelles aux partis politiques et empêchera les anciens ministres et fonctionnaires fédéraux de faire du lobbying auprès du gouvernement. Cette loi survient à la suite d’une campagne de deux ans des conservateurs utilisant le scandale des commandites - les pot-de-vin distribués à l’aile québécoise du parti libéral - pour dénoncer la corruption des libéraux et faire des dernières élections un référendum sur la corruption du gouvernement.

 

Désirant obtenir une majorité lors des prochaines élections, dans un horizon de 6 à 24 prochains mois, les conservateurs ont l’intention de continuer à mettre l’accent sur la «corruption libérale». Cette stratégie cadre bien avec leurs tentatives de dépeindre les dépenses gouvernementales comme étant hors de contrôle et ainsi justifier leurs coupures.

 

Ainsi, à la suite d’un discours de Bill Graham, chef libéral par intérim, qui critiquait timidement le discours du Trône, Harper a-t-il réagi par une attaque viscérale, accusant les libéraux de «13 ans de gaspillage, de mauvaise gestion, de tergiversation et de corruption.»

 

Le discours du Trône a fait la promotion de la réduction de la TPS par les conservateurs, présentée comme une mesure visant à «aider les travailleurs ordinaires et leur famille.» Ceci est un mensonge cynique. Son véritable objectif est de donner une légitimité populaire aux plans des conservateurs de couper beaucoup plus substantiellement dans les impôts sur les revenus personnels et d’entreprises et sur les revenus de capital. Ces baisses d’impôt vont profiter en très grande majorité aux grandes entreprises et aux mieux nantis.

 

De la même façon, l’allocation des conservateurs pour le choix en matière de garde d’enfants est une imposture. Cent dollars ne couvriront seulement qu’une minuscule fraction des frais de garde d’un enfant pour un mois. Le véritable objectif des conservateurs est de se prémunir d’une couverture politique pour le démantèlement du régime national de garderies, tardif et insuffisamment financé, des libéraux. Le plan des libéraux a soulevé la colère des conservateurs et de la grande entreprise canadienne car ceux-ci ont craint qu’il aurait pu évoluer en un nouveau programme national de service public, le premier depuis les années 70.

 

La plus hypocrite de toutes les priorités est la garantie sur les «délais d’attente» pour les services médicaux. Quinze ans de coupures budgétaires et de sous-financement chronique du système de santé par Ottawa et les provinces ont mené au rationnement des services de santé sous la forme de longues listes d’attente pour des actes médicaux essentiels, même pour ceux concernant des cas de vie ou de mort. Maintenant, avec la bénédiction de la Cour suprême par l’arrêt Chaoulli, la grande entreprise canadienne et la droite ont profité de l’injustice soulevée par les listes d’attentes comme d’un levier pour accroître le rôle des compagnies privées, à but lucratif, dans la gestion et l’octroi des soins de santé.

 

Même si les conservateurs se sont abstenus d’expliciter les détails de leur garantie de délai d’attente, ils ont affirmé à plusieurs reprises qu’ils ne fourniraient pas plus d’argent aux provinces, qui ont la responsabilité constitutionnelle des soins de santé, pour s’attaquer au problème des listes d’attentes. L’innovation, c’est-à-dire une implication plus grande du secteur privé dans le système de santé, est la solution qui est préférée.

 

Dans les deux mois de son gouvernement, Harper a utilisé ses pouvoirs exécutifs pour aligner le Canada plus étroitement avec l’administration Bush et pour jeter à la poubelle l’idée selon laquelle le Canada est un gardien de la paix, par opposition à une nation engagée à faire respecter les «valeurs canadiennes», c’est-à-dire les intérêts de la classe dirigeante canadienne, à l’aide de ses forces armées, par des missions militaires à l’étranger.

 

Ces changements ont été soulignés une autre fois lors du discours du Trône de mardi dernier. Les conservateurs ont promis une plus grande implication du Canada dans les affaires mondiales, «des relations multilatérales et bilatérales plus solides, notamment avec les États-Unis, notre meilleur ami et notre plus grand partenaire commercial», «un rôle diplomatique plus prépondérant» et le «renforcement de l’appareil militaire» du Canada. 

 

Le jour suivant le discours, Harper a confirmé que son gouvernement ira de l’avant avec une programme d’achats militaires de plusieurs milliards de dollars et une importante expansion du nombre des troupes des Forces armées canadiennes.

 

Le discours du Trône a aussi promis un nouveau «fédéralisme d'ouverture», y compris des mesures pour s’accommoder aux demandes du gouvernement québécois pour plus de pouvoirs. La décentralisation est favorisée par Harper et son gouvernement comme un moyen de satisfaire les demandes de l’élite du Québec et de celle de l’Ouest canadien, surtout en Alberta, pour plus de pouvoir et pour aller de l’avant dans le démantèlement de ce qui reste de l’État-providence.

 Thomas d’Aquino, président et chef de la direction du Conseil canadien des chefs d’entreprise, a peut-être été le plus enthousiaste des nombreux porte-parole du monde des affaires et des éditorialistes qui ont encensé le discours du Trône.

 «Les principaux engagements pris par le Parti conservateur au cours de la campagne électorale, notamment en ce qui concerne la responsabilité financière, l'abaissement des taxes, un mode de prestation des services publics plus innovateur ainsi que le rehaussement de l’intégrité et de l'efficacité du gouvernement, contribueront d'eux-mêmes de façon importante à renforcer l'économie», a dit d’Aquino.

 «Le premier ministre Stephen Harper a du même coup reconnu que le Canada devait faire face à des défis très réels au sein de l'économie mondiale, qui est transformée par l'émergence de nouveaux géants comme la Chine et l’Inde. Ses priorités de départ sont claires et il a émis un signal incontournable quant à sa détermination d'accroître la compétitivité et la productivité de l'économie canadienne.»

 Les éloges du dirigeant du plus puissant lobby de la grande entreprise au pays n’a pas fait hésiter le NPD. Le chef du NPD, Jack Layton, a favorablement comparé les conservateurs à leurs prédécesseurs libéraux, déclarant que le nouveau gouvernement semblait plus ouvert à travailler avec l’opposition. «Je suis modérément optimiste, a dit Layton, que les leçons de l’histoire ne seront pas perdues pour le nouveau gouvernement».

 

Au dernier parlement, le NPD s’est d’abord allié aux représentants de la grande entreprise que sont les libéraux, pour se joindre ensuite aux conservateurs pour développer une motion de blâme qui ne condamnait pas le gouvernement Martin pour ses politiques de droite, mais pour sa corruption, ce qui a contribué à augmenter la crédibilité de la stratégie électorale des conservateurs.

 

Le Bloc québécois, le parti appuyé par la bureaucratie syndicale québécoise a appuyé encore plus directement les conservateurs que le NPD ne l’a fait. Ce n’est que quelques minutes après le discours du Trône que le chef du BQ, Gilles Duceppe, a dit que son parti voterait avec le gouvernement sur cette question, assurant ainsi la survie du gouvernement conservateur.


 

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