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Les images d'Abou Ghraib et l'imposture de la «liberté d'expression» anti-musulmane

par David Walsh
Traduction d'un article paru le 17 février 2006

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La publication d'autres photos et de vidéos horrifiants provenant de la prison d'Abou Ghraib jette une lumière révélatrice sur le caractère hypocrite et véritablement sinistre de la soi-disant campagne pour la «liberté d'expression» entourant la publication des caricatures de Mahomet dans la presse européenne et internationale.

L'émission «Dateline,» de la chaîne australienne Special Broadcasting Service (SBS), a diffusé le 15 février dernier un certain nombre de nouvelles images d'Abou Ghraib. Une vidéo montrait un homme menotté se cognant la tête contre une porte de métal. Dans d'autres images, on voit le même homme suspendu la tête en bas, couvert de ses propres excréments. Le cadavre d'un homme qui serait décédé durant un interrogatoire de la CIA apparaît dans une autre photographie. Certaines images montrent des détenus qui sont clairement blessés et qui saignent. La SBS a diffusé un clip vidéo de cinq hommes avec des sacs sur leurs têtes, se masturbant sous les ordres de leurs gardes.

De façon indépendante, Salon.com a obtenu ce qui semble être l'ensemble complet des photos d'Abou Ghraib réalisées entre le 18 octobre et le 30 décembre 2003.

Mark Benjamin de Salon explique que le matériel comprend un rapport d'enquête faisant état du contenu. On peut y lire : «Une revue de tous les fichiers informatiques a révélé un total de 1325 images et 93 fichiers vidéo montrant possiblement de mauvais traitements sur les détenus, 660 images pornographiques, 546 images de détenus irakiens qu'on peut présumés morts, 29 images de soldats participant à des actes sexuels simulés, 20 images d'un soldat avec une croix gammée dessinée entre les yeux, 37 images de chiens utilisés par l'armée dans l'abus de détenus et 125 images d'actes suspects.»

Benjamin note que les photographies comprennent : «un prisonnier menotté, nu, le corps contorsionné; un prisonnier mort sévèrement battu; un prisonnier qui semble se sodomiser avec un objet et un prisonnier nu, encapuchonné, se tenant debout aux côtés d'un officier américain qui, appuyé contre un mur, écrit nonchalamment un rapport. D'autres photographies montrent une cellule ensanglantée.»

Les images diffusées par SBS représentent «un saut quantique quant au sérieux des mauvais traitements apparents. Cela ajoute beaucoup à ce que nous savions de ce qui se passait là-bas,» commenta Mike Carey, producteur exécutif de «Dateline.» Walter Shapiro, de Salon, fit remarquer que «les photographies publiées jusqu'à maintenant par les organisations de presse représentent seulement un échantillon partiel des archives effrayantes du gouvernement provenant d'Abou Ghraib.»

Ces images horrifiantes de torture, d'abus et de meurtre systématiques nous rappellent de la façon la plus brutale ce que les «valeurs» de la «civilisation occidentale» ­ tel que proclamé par ceux qui prennent la défense de la croisade du «choc des civilisations» contre les musulmans ­ signifient en pratique dans la majeure partie du monde, et certainement pour le monde arabe et musulman. Georges W. Bush, ses apologistes des médias et ses complices du Parti démocrate peuvent jaser tant qu'ils veulent au sujet de «l'apport de la liberté et de la démocratie en Irak», mais la présence américaine dans ce pays est synonyme dans l'esprit d'une masse de gens de formes omniprésentes et sadiques d'oppression et de terreur.

Qu'avait écrit le chroniqueur du New York Times, David Brooks, en réaction aux manifestations contre les caricatures racistes danoises? «Nous, en Occident, sommes nés dans un monde qui reflète l'héritage de Socrate et de l'agora Nous croyons au progrès et au développement personnel. En nageant dans cette rafale de perspectives, en faisant face à des faits désagréables, nous tentons de nous rapprocher de plus en plus de la compréhension Notre mentalité est progressiste et rationnelle. Votre mentalité est mythologique et date d'une époque antérieure aux Lumières.»

Brooks a simplement rendu le plus mielleux possible l'argument, répété sans cesse dans les médias et dans l'establishment politique au cours des dernières semaines, selon lequel un gouffre infranchissable sépare les «valeurs occidentales» de celles du monde musulman, fanatique et barbare. Fred Barnes, de la publication de droite Weekly Standard, a été plus direct, informant les téléspectateurs sur le réseau Fox News que la controverse entourant les caricatures «nous informe que notre ennemi n'est pas seulement Al Quaida que les Musulmans à travers l'Europe et à travers le monde sont assurément des ennemis de la civilisation occidentale Nous voyons le mépris des Musulmans pour la démocratie, pour la liberté d'expression, pour la liberté de presse et, particulièrement, pour la liberté de religion.»

Les rédacteurs en chef du San Diego Union-Tribune (et d'autres commentaires philistins semblables et prévisibles pouvant être trouvés dans d'innombrables journaux américains) ont affirmé: «Depuis presque trois siècles, l'Occident a été imprégné de la liberté d'expression comme droit fondamental de l'homme. Mais le 18e siècle, le siècle des Lumières, qui transmit ce principe central aux sociétés laïques en Europe et en Amérique, est passé à côté du monde musulman.»

Les rédacteurs en chef pourraient peut-être nous répondre maintenant : Comment les droits fondamentaux se manifestent-ils dans le sang et les obscénités des chambres de torture d'Abou Ghraib?

Personne ne peut sérieusement prétendre que les horreurs saisies dans les milliers d'images dont l'existence est connue puissent être le travail de quelques «pommes pourries» seulement. Ce qui s'est déroulé à Abou Ghraib a été institué au mépris de la loi internationale aux plus hauts échelons du Pentagone et de l'administration Bush.

Les voies hiérarchiques menant du secrétaire à la défense Donald Rumsfeld jusqu'au général Geoffrey Miller, au général Ricardo Sanchez et d'autres ont été bien établies. La torture dans le but de soutirer des renseignements faisait partie de la politique officielle. Jusqu'à maintenant, aucun haut dirigeant n'a été puni; neuf réservistes militaires de rang inférieur ont été condamnés à des sentences allant d'un congédiement de l'armée jusqu'à l'emprisonnement. Et il n'y aucune raison de croire que ces pratiques cruelles et perverses ont cessé.

Les images d'Abou Ghraib nous font prendre conscience, encore, de ce qui a inspiré l'indignation parmi les masses arabes et musulmanes autour du monde. Contrairement à l'incompréhension des éléments confus ou carrément mauvais face à la réaction à la publication des caricatures danoises, cette fureur populaire n'est pas irrationnelle, pas plus qu'elle n'est, dans les mots des brutaux et stupides rédacteurs en chef de l'Australian de Rupert Murdoch, une «réaction exagérée et hystérique».

Les caricatures racistes ont été simplement le comble de l'outrage. Pour des raisons historiques et culturelles, les caricatures sont devenus le point de convergence pour toutes les injustices ressenties par des centaines de millions de personnes quant à la violence et l'exploitation perpétrées par les grandes puissances ­ pour le pétrole, le caoutchouc, les diamants et les profits des géants corporatifs mondiaux ­ contre les populations du Moyen-Orient, de l'Afrique du Nord et de l'Asie Centrale. Cette criminalité impérialiste ne cesse d'aller en augmentant sous l'administration Bush.

Qu'ont à dire les nobles militants pour la «liberté d'expression» à propos de la suppression par l'armée américaine, l'administration Bush, le Congrès, les Partis républicain et démocrate des images d'Abou Ghraib? Depuis que l'existence de photos et de vidéos est connue du public en avril 2004, le Pentagone et l'administration Bush se sont farouchement opposés à leur publication. Premièrement, contre une poursuite sur la liberté d'accès à l'information par l'American Civil Liberties Union (l'Union américaine des libertés civiles, ACLU), ils argumentèrent que la publication des images ne ferait qu'accentuer l'humiliation des détenus et violer leurs droits sous la Convention de Genève!

Lorsque la cour rejeta cet argument, après que l'ACLU ait fait remarquer que les visages des détenus pouvaient être masqués, le gouvernement s'opposa avec une objection de dernière minute en juillet 2005: les images ne devaient pas être dévoilées car elles pouvaient mettre en danger les troupes américaines et les civils à l'étranger.

Lucy Dalglish du Reporters Committee for Freedom of the Press (Comité des journalistes pour la liberté de presse) a souligné que «Le gouvernement a pris la position dans cette affaire que plus le comportement démontré par les troupes américaines est scandaleux, moins le public a le droit d'en être informé. Une telle position est entièrement contraire à ce qu'énonce la loi d'accès à l'information.»

Le général Richard B. Myers, président du Comité des chefs d'états-majors interarmes, soutenait dans des documents de la cour que la publication de photographies et de vidéos aiderait le recrutement d'Al Quaida, affaiblirait les gouvernements afghan et irakien et inciterait à la violence envers les troupes américaines. John Abizaid, commandant du Commandement central américain, affirma que la publication des images entraverait son travail contre le terrorisme: «Lorsque nous insistons et montrons les images sans cesse, cela ne fait que créer l'image, une fausse image, que ceci est le genre de chose qui se produit encore, mais tel n'est pas le cas.»

L'administration Bush et l'armée ont interdit la publication du matériel, non pas parce que cela créait une «fausse image» des opérations américaines mais parce que cela fournissait une image vraie et exacte, révélant la nature brutale et colonialiste de la guerre en Irak et de l'occupation. Les images de torture et de mauvais traitements ont enflammé la population irakienne et arabe et ébranlé l'appui pour la guerre dans le peuple américain. Comme le fit remarquer le secrétaire à la défense Donald Rumsfeld en 2004 au sujet des images d'Abou Ghraib qui n'ont été publiées: «Si celles-ci sont dévoilées au public, la situation sera visiblement pire.»

En septembre 2005, un juge fédéral déclara que les images devaient être publiées, contrevenant aux plaintes du gouvernement selon lesquelles ces images porteraient atteinte à la réputation des États-Unis et mettraient des vies américaines en danger. L'administration Bush en appela de la décision. Les révélations par la télévision australienne et Salon portent un coup à cet effort concerté pour étouffer la vérité.

Contrairement à l'absence de censure de la part de l'État, en Europe et aux États-unis, quant aux caricatures danoises anti-musulmanes et en dépit de la fausse indignation au sujet de la liberté d'expression, la suppression des photos et vidéos d'Abou Ghraib constitue un véritable cas de censure. Pourtant, les médias américains et le parti d'opposition officiel, les démocrates, s'y sont soumis de plein gré et il n'y a pas eu la moindre protestation de ceux dans le camp de la droite anti-immigration et anti-musulmane en Europe qui sont récemment devenus les défenseurs de la «liberté d'expression».

CBS, NBC et le New York Times font partie du Comité des journalistes pour la liberté de presse qui a plaidé aux côtés de l'ACLU dans sa cause, mais ces organes de presse n'ont certainement pas été à l'avant-garde d'une campagne pour exposer les pratiques militaires américaines à Abou Ghraib et ailleurs en Irak et en Afghanistan.

Avec les ressources et les contacts que possèdent les réseaux de télévision et les principaux journaux américains, il serait absurde d'affirmer qu'ils n'auraient pas été en mesure de révéler ces informations. Selon le Financial Times, le reportage de la télévision australienne «a été réalisé par Olivia Rousset, une journaliste indépendante primée, qui, à ce que l'on croit, aurait obtenu les images par l'entremise de contacts locaux en Irak».

Les personnalités serviles des médias américains, qui font la promotion de l'invasion de l'Irak et sont complices dans les crimes américains, ne réussirent pas à révéler les documents car ils n'avaient aucun désir d'embarrasser l'administration Bush ou de discréditer la guerre davantage.

Bien que la population américaine ait été empêchée de voir les photos et les vidéos de torture, les membres du Congrès ont eu droit à un visionnement spécial le 12 mai 2004. Les républicains comme les démocrates ont exprimé leur indignation face aux images qu'ils ont vues. «Ce que nous avons vu est épouvantable» a dit aux journalistes le sénateur républicain du Tennessee, Bill Frist, chef de la majorité au Sénat. «Croyez-nous. Elles sont dégoûtantes», affirma le sénateur Mitch McConnell du Kentucky, le whip de la majorité.

Le sénateur démocrate de la Californie, Dianne Feinstein a commenté: «Toute l'affaire est dégoûtante et il est difficile de croire que c'est ce qui se passe vraiment dans une installation militaire». Le sénateur démocrate de la Floride, Bill Nelson, a raconté aux médias: «Ce que j'ai vu est dégoûtant et décevant». Il ajouta: «Alors, vous ne pouvez nous dire que sept ou huit soldats ont causé tout ceci. La question est donc : Par quel niveau de la chaîne de commandement ces ordres ont-ils été donnés et où se sont produit les manquements au commandement et au contrôle?»

Quoique des républicains de droite loyaux à Bush, comme les sénateurs John Warner de Virginie, Frist et McConnell aient exigé que les images ne soient pas dévoilées au public américain (Warner a laissé entendre que la publication de ces images de torture compromettrait «la cause de la liberté»!), d'autres membres du Congrès, comme le sénateur démocrate du Michigan, Carl Levin, ont insisté pour que les images soient rendues publiques et ont promis «d'aller au fond des choses» au sujet des mauvais traitements.

Tout ceci n'a été que pour simple consommation publique. Les médias et les politiciens ont laissé tomber la question des mauvais traitements à Abou Ghraib le plus rapidement possible. ABC News diffusa deux nouvelles photos le 19 mai, le Washington Post et le New York Times en publièrent une poignée de plus, et c'était tout. Incident réglé.

Lors des audiences tenues pour confirmer le défenseur de la torture, Alberto Gonzales, au poste de secrétaire d'état à la Justice, une rumeur avait circulé selon laquelle Levin ferait pression pour que l'on divulgue d'autres photos d'Abou Ghraib. Il n'a rien fait de tel. Selon Matt Welch de Reason.com, la porte-parole de Levin, Tara Andriga, a déclaré que «Levin et le sénateur Warner sont d'accord.» S'il n'en dépendait que des démocrates au Congrès, les photos seraient encore inaccessibles au public.

Comme nous pouvons voir, ces partisans des «valeurs occidentales» sont hautement sélectifs quant à l'application des droits fondamentaux de l'homme, y compris la liberté d'expression. En ce qui a trait à cette dernière, la formule semble simple: ce qui provoque et diabolise le peuple musulman, et justifie à l'avance davantage de guerres et d'occupations, devrait être publié et largement disséminé; ce qui expose les crimes de l'impérialisme américain devrait être supprimé.

Les faits, et les photos, parlent d'eux-mêmes.


 

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