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Le conflit du gaz entre la Russie et l'Ukraine

Par Peter Schwarz
(Article original paru le 4 janvier 2006)

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Avec l'interruption des livraisons de gaz russe à l'Ukraine, le conflit qui couvait depuis longtemps entre ces deux Etats issus de l'ancienne Union soviétique s'est transformé en crise ouverte.

Gazprom, le trust d'Etat russe, a stoppé ses livraisons de gaz à l'Ukraine le 1er janvier, après le refus de celle-ci de payer 230 dollars les 1000 m3 de gaz, qui est le prix courant sur le marché mondial. Jusque là, l'Ukraine obtenait le gaz russe au prix préférentiel de 50 dollars les 1000m3, ce qui correspond à un peu plus d'un cinquième du tarif sur le marché mondial.

Mercredi matin, Gazprom a conclu un accord avec la société ukrainienne Naftogas. A l'avenir, Gazprom vendra du gaz à l'Ukraine au prix du marché mondial de 230 dollars via une filiale de Gazprom et d'une banque autrichienne, RosOurkEnergo, qui garantira à son tour la livraison du gaz à 95 dollars les 1000m3. La différence doit être couverte par la vente par RosOurkEnergo de gaz à meilleur marché en provenance d'Asie centrale.

Le gouvernement ukrainien avait bien approuvé le principe d'un alignement du tarif du gaz à celui du marché mondial, mais avait réclamé une période transitoire d'au moins cinq ans. Il s'était déclaré favorable à une hausse pour l'année en cours, mais à 70 dollars seulement. Il avait rejeté une proposition faite par Poutine, le président russe, d'appliquer l'ancien prix pour une durée supplémentaire de trois mois, à la suite de quoi l'Ukraine paierait le prix fort.

Jusque là l'Ukraine recevait de la Russie120 millions de m3 de gaz par jour, un peu plus du quart de sa consommation totale. Les principaux gazoducs affectés à l'exportation du gaz russe à destination de l'Europe centrale et orientale passent par l'Ukraine. Le seul autre gazoduc est celui qui passe par la Pologne et la Biélorussie. Le gazoduc de la Mer Baltique, dont on a récemment approuvé la construction et qui reliera la Russie directement à l'Allemagne, ne sera terminée qu'en 2010. La crise russo-ukrainienne du gaz menace donc également l'approvisionnment de l'Union Européenne qui importe 66 % de son gaz de la Russie.

Tandis que les pays d'Europe occidentale, comme l'Allemagne, disposent de réserves couvrant leurs besoins en gaz pour deux ou trois mois, les pays d'Europe de l'Est sont eux touchés plus durement. La Pologne qui reçoit 42 % de son gaz naturel et 90% de son pétrole de la Russie ne dispose que de deux semaines de réserves.

Tant Gazprom que le gouvernement ukrainien ont donné l'assurance que les livraisons en direction de l'Union Européenne ne seraient pas affectées. Mais le 1er janvier, les quantités de gaz à destination de l'UE étaient en net recul. Les importateurs se plaignirent de déficits atteignant jusqu'à 30 %.

Gazprom accusa alors l'Ukraine d'avoir détourné illégalement de grandes quantités de gaz. 100 millions de m3 de gaz d'une valeur de 25 millions de dollars auraient été ainsi saisis sans permission le 1er janvier seulement. « Il s'agit ici sans aucun doute d'un vol » dit le vice-président de Gazprom, Alexandre Medvedev à la presse. Le gouvernement Ukrainien se défendit vivement d'une telle action, tout en menaçant aussi de « se servir du gaz russe comme d'une taxe sur le transit » en cas de froid persistant.

L'Ukraine veut temporairement couvrir ses besoins en gaz, outre par sa propre production, en recourant à des livraisons en provenance du Turkménistan, pays avec lequel elle a, l'an dernier, signé un contrat prévoyant l'importation de 40 milliards de m3 de gaz. Ce gaz transite par le territoire russe et Gazprom a déjà laissé entendre qu'il pourrait bloquer l'approvisionnement.

Les médias ukrainiens reprochent au Kremlin de poursuivre des buts politiques. Selon eux, l'interruption des livraisons de gaz servirait à soutenir, aux élections législatives de mars prochain, le camp du candidat perdant de l'élection présidentielle de 2005, Victor Ianoukovich et à pousser des parties de l'industrie ukrainienne à la banqueroute, afin d'acquérir à bas prix le réseau de pipelines et certaines industries clés.

Ce conflit peut s'envenimer considérablement. L'Ukraine a même envisagé de mettre fin à l'utilisation par la flotte russe de la Mer Noire de la base navale de Sébastopol, une démarche que Moscou n'accepterait guère sans riposter. Une intensification du conflit du gaz pourrait aussi enflammer à nouveau l'hostilité entre une Ukraine orientale économiquement tournée vers la Russie et avec une population à forte composante russe, et l'Ukraine occidentale.

L'origine du conflit

Le contrat actuel a une durée de cinq ans, mais il est peu probable qu'il durera tout ce temps. Le conflit du gaz n'est qu'un des symptômes de tensions économiques et politiques croissantes.

Afin de comprendre les origines du conflit actuel, il faut remonter à la période d'il y a quinze ans. Les présidents de la Russie, de l'Ukraine et de la Biélorussie avaient alors décidé à Minsk, de dissoudre l'Union Soviétique et de la remplacer par une communauté d'Etats indépendants. Boris Eltsine, Léonide Kravchouk et Stanislav Chouchkevitch avaient agi sans aucune légitimité démocratique et sans aucun débat sur les conséquences économiques et politiques de leur démarche. Ils agissaient au nom d'une petite élite, issue en grande partie de la bureaucratie stalinienne et qui devait, dans les années suivantes, s'enrichir démesurément par le pillage de la propriété d'Etat soviétique.

Afin de privatiser la propriété d'Etat et d'intégrer l'économie à la structure de l'impérialisme mondial, toutes les conquêtes économiques et sociales de l'Union Soviétique furent détruites et démantelées. Des relations économiques complexes qui, comme dans le cas de la Russie et de l'Ukraine, remontaient à une période bien antérieure à la naissance de l'Union soviétique, furent brisées. Les conséquences pour la population furent catastrophiques.

Comme dans les Balkans, où la destruction de la Yougoslavie s'accompagna de la provocation de conflits ethniques, les nouvelles élites russes et ukrainiennes misèrent, elles aussi, sur le nationalisme afin de créer une soupape de sûreté pour les tensions sociales. Les relations entre la Russie et l'Ukraine furent ainsi empoisonnées pour une longue période.

Depuis la dissolution de l'Union soviétique elles avaient été extrêmement tendues. Un conflit à propos de la flotte russe de la Mer Noire et de la question de savoir auquel des deux Etats appartenait la Crimée ne fut résolu qu'en 1997. Les livraisons de gaz naturel russe furent, elles aussi, une permente pomme de discorde. Ces livraisons furent plusieurs fois interrompues dans les années 1990 du fait de factures impayées. Plusieurs membres de l'oligarchie ukrainienne sont parvenus à leur immense fortune par le syphonage illégal des gazoducs et la vente d'énormes quantités de gaz. Parmi eux il y a Julia Timochenko, une des principales actrices de la « révolution orange », et qui gagna des millions grâce au commerce du gaz et du pétrole.

La « révolution orange », fortement soutenue par les Etats-Unis et l'Union Européenne, porta au pouvoir une aile de la bourgeoisie ukrainienne qui voyait son avenir dans un éloignement de la Russie et un tournant vers l'Otan et l'Union Européenne.

L'encerclement de la Russie par les Etats-Unis et l'Union Européenne a exercé une pression de plus en plus forte sur la Russie. Un gouvernment pro américain prit aussi le pouvoir en Géorgie l'an dernier. Auparavant déjà, la plupart des Etats membres du pacte de Varsovie avaient été accueillis au sein de l'Otan et, dans le cadre de la guerre contre l'Afghanistan, les Etats-Unis s'étaient installés en Asie centrale. Avec l'ouverture du pipeline Bakou-Ceyhan, Moscou perdit le monopole de l'exportation d'énergie à partir de la région de la mer Caspienne.

La couche dominante russe dirigée par Poutine essaie de contrecarrer cet encerclement en utilisant les ressources energétiques de la Russie comme moyen de pression. Outre l'Ukraine, ce sont aussi les trois Etats baltes, la Moldavie, la Géorgie, l'Azerbaïdjan et l'Arménie qui doivent payer des tarifs nettement plus élevés à partir du mois de janvier, même si la hausse de leurs tarifs est moins drastique que celle affectant l'Ukaine. Les livraisons de gaz à la Moldavie furent interrompues au même titre que celles de l'Ukraine.

La seule exception est la Biélorussie qui est étroitement associée à la Russie et à laquelle celle-ci livre du gaz au prix préferentiel de 48 dollar les 1000 m3. En contrepartie toutefois, la Bielorussie dut céder a Gazprom l'entièreté de son réseau de gazoducs.

Le Kremlin et Gazprom peuvent se réclamer du fait que la hausse des tarifs gaziers correspond tout à fait à la logique de l'économie libérale des gouvernement affectés. L'Organisation mondiale du commerce (OMC) fait même de l'alignement de ces tarifs aux prix du marché mondial une condition d'adhésion, étant donné qu'elle considère les prix préférentiels comme une distorsion de la concurrence. Elle prend cependant fait et cause pour une hausse graduelle des prix. « Ces pays doivent payer à moyen terme les prix energétiques du marché, afin que leurs économies deviennent nettement plus efficace », dit le directeur général de l'OMC, Pascal Lamy.

L'importance stratégique du gaz et du pétrole

Etant donné la limitation des quantités d'énergies fossiles et les besoins grandissants en énergie des pays émergeants comme la Chine et l'Inde, l'accès au gaz et au pétrole devient de plus en plus la question stratégique numéro un du 21e siècle. C'est au plus tard depuis que les Etats-Unis se sont établis, à travers la guerre contre l'Iraq, dans la région du Golfe Persique dont les pays riverains, Arabie séoudite, Iran, Irak et Emirats du Golfe disposent des ressources pétrolières les plus importantes du globe, que la garantie de l'approvisionnement énergétique est devenue, pour les décennies à venir, le but primordial des gouvernements de tous les pays industriels.

La lutte pour les ressources énergétiques est potentiellement porteuse d'énormes conflits. A présent déjà, la hausse de la demande et l'impact des guerres comme celle de l'Iraq, ont entraîné des prix records qui selon les experts ne sont pas près de baisser. De nouveaux conflits ne feront pas seulement monter encore les prix, mais ils couperont des économies entières des ressources d'énergie, mettant leur existence même en question. La garantie de l'accès au ressources énergétiques devient ainsi, dans le monde entier, aussi important qu'il y a un siècle l'accès au charbon et au minerai de fer sur le plan européen, une question qui a contribué de façon non négligeable au déclenchement de la Première guerre mondiale.

L'Europe avant tout et l'Allemagne en particulier se trouvent dans une situation délicate. Cette dernière n'a à sa disposition que peu de ressource énergétiques et qui,de plus, tendent à s'épuiser rapidement. Les pays européens de l'OCDE importèrent ainsi en l'an 2000 un peu plus du tiers de leur consommation de gaz. Cette part devrait atteindre presque deux tiers en 2030 selon les estimations de l'Agence internationale de l'énergie. Pour le pétrole, la situation est plus sérieuse encore. Pour cette forme d'énergie, la part produite par les pays européens de l'OCDE passera de 48 à 15% pendant la même période.

Les pays de l'Union Européenne importent à présent déjà 70% de leur pétrole et 40 % de leur gaz naturel. La différence entre les pays européens de l'OCDE et les pays de l'Union Européenne est due à la Norvège qui compte parmi les plus importants exportateurs de pétrole et de gaz naturel, sans être membre de l'Union Européenne.

Le rôle joué par la Russie dans l'approvisionnement futur de l'Europe en énergie est très important. La Russie dispose de plus du quart des réserves mondiales de gaz naturel et de plus de 6% des réserves de pétrole. S'ajoute à cela presque un quart des réserves de charbon.

C'est avant tout l'ancien gouvernement dirigé par Gerhard Schröder qui avait misé fortement sur la Russie pour garantir à long terme l'approvisionnement énergétique de l'Allemagne. Schröder qui entretenait des relations personnelles avec Poutine, s'était abstenu de toute critique vis-à-vis de sa politique en Tchéchénie, le louait comme un « démocrate impeccable» et resta neutre lors de la « révolution orange » ukrainienne. Peu avant qu'il ne quitte ses fonctions de chancelier, il signa le contrat pour la construction du pipeline de la Mer Baltique, qui doit garantir l'appovisionnment en gaz de la République fédérale pour les 30 ans à venir. Schröder doit devenir président du conseil d'administration du consortium qui construira et exploitera ce pipeline.

La hausse des tarifs par Gazprom fut vivement critiquée dans les médias allemands. On craint notamment que la Russie ne se serve, peut-être sous un autre gouvernment, des livraisons de pétrole à destination de l'Allemagne et de l'Europe en général comme d'un moyen de pression ou encore que l'Allemagne ne soit entraînée elle aussi dans la déstabilisation grandissante de la région.

L'hebdomadaire Die Zeit fait cette mise en garde dans un article intitulé « D'abord l'Ukraine, ensuite nous? » : « Gazprom n'a pas seulement porté ses regards sur l'Ukraine. Grâce à sa stratégie d'expansion intelligente et prévoyante, le trust d'Etat Gazprom obtient un accès direct aux marchés d'Europe occidentale. Le but à long terme est, là aussi, une fois que les réserves de gaz de la Mer du Nord seront epuisées, le contrôle des prix comme en Ukraine ».

Comme contre mesure, ce journal recommande une plus grande diversification: « Les réserves de gaz de l'Afrique du Nord et de la région de la Mer Caspienne, sont relativement accessibles depuis l'Europe et, ce qui n'est pas négligeable pour ce qui est des coûts, plus proches que les nappes de gaz sibériennes. La technologie de la liquéfaction du gaz est prête à être introduite en Allemagne, et le pays pourrait aussi importer du gaz par la voie maritime. C'est au nouveau gouvernment de trouver de nouvelles sources de gaz pour l'Allemagne à l'extérieur de la Russie ».

Le journal Frankfurter Allgemeine Zeitung raisonne de la même facon : « Le plus grand danger pour l'approvisionnement de l'Occident en énergie ne provient pas, pour ce qui est de l'avenir prévisible, d'une pénurie de ressources mais de la concentration de celles-ci dans les mains de quelques Etats qui sont souvent extrêmement peu fiables ».

Face à la pression politique des pays exportateurs d'énergie, il n'y a, selon ce journal, qu'une manière de se protéger : « L'Europe doit entamer une diversification de ses achats d'énergieLa région de la Mer Caspienne, accessible par des pipelines terrestres ou les Etats du Golfe Persique, qui ont une grande expérience dans le transport de l'énergie liquide, sont de nouvelles sources possibles d'approvisionnement ».

Ces conseils oublient une chose. Les régions mentionnées par Die Zeit et la Frankfurter Allgemeine, Afrique du Nord, région de la Mer Caspienne et Etats du Golfe ne sont pas seulement politiquement instables, la concurrence, France, Angleterre, Chine et avant tout Etats-Unis, s'y trouve déjà.

Les contrats de livraison de gaz et de pétrole sont maintenant déjà l'occasion de vives disputes dans le monde entier. La Chine, dont les besoins énergétiques augmentent constamment, a ainsi signé un contrat pour la livraison de gaz liquide avec l'Iran. Ce contrat concerne une période de 25 ans pour une valeur totale de 70 à 100 milliards de dollars. En contrepartie, la Chine prévoit d'investir massivement dans l'exploitation du gaz iranien. L'Inde elle aussi a conclu un marché de livraison d'énergie avec l'Iran pour un montant de 40 milliards de dollars. Les deux contrats ont été violemment critiqués par les Etats-Unis qui s'efforcent d'isoler l'Iran et brandissent la menace de sanctions.

La lutte pour l'énergie devient ainsi la force motrice de puissants conflits entre les vieux pays impérialistes et entre ceux-ci et les pays émergeants.

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