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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

France : le gouvernement Sarkozy introduit une loi limitant le droit de grève

Par Antoine Lerougetel
13 août 2007

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Le 2 août, l’Assemblée nationale a voté une nouvelle loi obligeant les travailleurs des transports en commun à assurer un service minimum. Cette nouvelle mesure représente une restriction historique du droit de grève et s’adresse tout particulièrement aux travailleurs des transports en commun urbains, trains autobus et métro. Cette nouvelle loi donne aussi aux syndicats la responsabilité d’organiser et de veiller à l’application, en collaboration avec les employeurs, du niveau de service minimum mis en place en cas de grève.

La loi sur le service minimum stipule que les employés des transports en commun fassent part, individuellement et sous peine de sanctions, 48 heures à l’avance, de leur intention de faire grève et que, après huit jours de grève, la direction puisse organiser un vote à bulletins secrets auprès des travailleurs sur la poursuite du mouvement de grève. Dans les faits, cette mesure transfère à la direction de l’entreprise le contrôle de la poursuite du mouvement de grève.

Le vote de cette loi s’est déroulé le dernier jour de la session extraordinaire du parlement qui s’était ouverte le 3 juillet, convoquée par le président nouvellement élu du parti de droite UMP gaulliste (Union pour un mouvement populaire), Nicolas Sarkozy. Cette session parlementaire a fait passer une série de lois « d’urgence » réactionnaires visant à dépouiller les travailleurs pour enrichir les nantis au moyen de réformes fiscales désavantageant les plus pauvres. Il y a eu aussi la diminution de l’âge de la responsabilité pénale pour les jeunes délinquants et la réorganisation des universités qui sont désormais ouvertes aux pressions du marché et de l’entreprise capitaliste.

Le gouvernement a clairement fait savoir qu’il envisageait d’étendre cette nouvelle loi sur le service minimum à des couches plus larges de travailleurs, en particulier à ceux des transports aériens, maritimes et de l’Education nationale. Durant ces deux dernières décennies, les grèves des cheminots, des employés du métro et des enseignants ont constitué la résistance la plus déterminée aux attaques du gouvernement sur les acquis sociaux, tels les droits à la retraite.

La nouvelle législation a aussi pour objectif de préparer le terrain pour tout un programme de privatisations, d’attaques plus poussées sur les retraites (notamment sur les « régimes spéciaux » concernant les retraites avantageuses des fonctionnaires des transports ferroviaires et autres) et de coupes claires dans les postes du secteur public, notamment dans l’éducation.

Les syndicats, en réagissant à cette loi par une journée d’action organisée sans grande conviction et peu suivie, ont déjà indiqué leur empressement à accepter une loi qui renforce la collaboration corporatiste entre représentants syndicaux et direction. Cette nouvelle loi mine les droits des travailleurs tout en intensifiant l’intégration des syndicats dans l’Etat et renforce la capacité de la bureaucratie à isoler et réprimer toute action indépendante des travailleurs.

La loi déclare que les travailleurs devraient “informer, au plus tard 48 heures avant de participer à la grève, le chef d’entreprise ou la personne désignée par lui, de leur intention d’y participer” et poursuit “est passible d’une sanction disciplinaire le salarié qui n’a pas informé son employeur de son intention de participer à la grève.” La nature de la sanction n’est pas précisée.

Le droit donné aux employeurs d’organiser un vote à bulletins secrets, au bout de huit jours de grève, pour voir si les travailleurs souhaitent poursuivre le mouvement, est un moyen d’isoler les grévistes. Il est probable que l’intention première déclarée, à savoir rendre passibles de sanctions les grévistes qui poursuivent l’action après que le vote les ait mis en minorité, a dû être retirée car elle aurait été jugée anticonstitutionnelle par le Conseil constitutionnel et aurait contrevenu au droit de grève internationalement reconnu. La nouvelle loi a pour objectif de miner l’autorité des assemblées générales de grévistes à prendre des décisions et exige que les travailleurs se prononcent individuellement plutôt que collectivement en assemblée générale.

Un aspect de la loi qui n’a pas vraiment retenu l’attention des médias et n’a pas suscité de grandes protestations de la part des syndicats et partis de “gauche” est celui concernant le préavis de grève. Ce préavis de grève protège tout gréviste isolé contre le risque de poursuites pour rupture de contrat. La nouvelle loi stipule que, avant de déposer un préavis, «une organisation syndicale représentative procède à la notification à l’employeur des motifs pour lesquels elle envisage de déposer un préavis de grève.»

L’employeur doit rencontrer les organisations syndicales dans les trois jours et ils disposent d’une semaine pour négocier. Cela équivaut à un corporatisme statutaire : la bureaucratie syndicale est tenue de travailler main dans la main avec l’employeur en excluant du processus décisionnel la masse des travailleurs et des syndiqués.

En plus de cette restriction qui permet aux employeurs, à l’Etat, aux syndicats et aux médias d’exercer une pression dissuasive sur les travailleurs, il y a la disposition selon laquelle «un nouveau préavis ne peut être déposé … qu’à l’issue du délai du préavis en cours et avant que la procédure prévue … n’ait été mise en œuvre, » soit dix jours plus tard.

Il est très significatif qu’aucune objection n’ait été soulevée par les syndicats sur la question de l’obligation imposée aux employeurs et aux non grévistes de remplacer et faire le travail des grévistes, autrement dit d’agir en briseurs de grève. La loi déclare que l’accord trouvé entre syndicats et patrons pour la poursuite du service «fixe les conditions dans lesquelles, en cas de perturbation prévisible, l’organisation du travail est révisée et les personnes disponibles réaffectées afin de permettre la mise en œuvre du plan de transport adapté. En cas de grève, les personnels disponibles sont les personnels de l’entreprise non grévistes.»

La nouvelle loi sur le service minimum fera appel aux syndicats pour négocier des accords qui imposeront que les non grévistes agissent en briseurs de grève et remplacent leurs collègues grévistes. On peut supposer que les non grévistes qui refuseraient seraient en rupture de contrat.

Les comités de grève et assemblées générales qui se forment au cours d’un mouvement de masse et échappent à la camisole de force collaborationniste des syndicats, seront dépouillés de toute protection légale et les grèves seront généralement criminalisées à moins de jouir de l’aval de la bureaucratie syndicale.

Cependant, l’aspect le plus sinistre de cette loi n’a pas suscité le moindre commentaire, et ce du fait qu’il recueille l’approbation de la bureaucratie syndicale et de ses alliés parmi les soi-disant partis de gauche et d’extrême-gauche : «L’employeur et les organisations syndicales représentatives engagent des négociations en vue de la signature, avant le 1 janvier 2008, d’un accord cadre organisant une procédure de prévention des conflits et tendant à développer le dialogue social.» On voit ici le concept de collaboration de classe incarné par la notion de « partenaires sociaux » se cristalliser en une obligation légale.

Soutien de la bureaucratie syndicale à Sarkozy

Sarkozy a été encouragé à passer à l’offensive contre les droits des travailleurs, conforté par le soutien de la bureaucratie syndicale. Deux jours avant de devenir président, Sarkozy avait invité les dirigeants des cinq confédérations syndicales officiellement reconnues à venir s’entretenir avec lui. Tous ceux qui s’y étaient rendus avaient exprimé en sortant leur volonté de coopérer avec lui.

C’était en contradiction marquée avec l’importante opposition à Sarkozy exprimée par de larges sections de la jeunesse et de la classe ouvrière manifestant contre son programme autoritaire et en faveur du patronat. Les syndicats eurent tôt fait de se dissocier des protestations spontanées qui avaient éclaté suite à l’élection de Sarkozy le 6 mai.

Les bureaucraties syndicales ont bien soulevé quelques objections devant la mouture finale de la loi sur le service minimum et fait part de leur déception quant à l’article déclarant que sont passibles de sanctions les travailleurs qui ne se plient pas à déclarer 48 heures à l’avance s’ils seront grévistes. Leurs protestations sont toutefois totalement insincères : Il était clair depuis le début que Sarkozy avait l’intention de faire de cette stipulation une obligation légale. La collaboration de la bureaucratie syndicale avec le président français le plus droitier depuis la Libération a joué un rôle significatif pour désarmer la classe ouvrière et légitimer la nouvelle loi de Sarkozy.

Didier Le Reste, secrétaire de la fédération des cheminots CGT (Confédération générale du travail, proche du Parti communiste) a déclaré sur France 2, le 31 juillet, qu’il n’avait pas de désaccords de fond avec la nouvelle loi. «Si d’aventure à la fin de ce processus parlementaire, le projet de loi devait se radicaliser un peu plus, cela pourrait nous handicaper sérieusement pour mener les négociations » en septembre, dit-il. Refusant toute responsabilité des syndicats à conduire quelque forme de lutte que ce soit contre les mesures de Sarkozy, il a donné l’initiative au gouvernement en ces termes, «La balle est dans le camp à la fois des pouvoirs publics et des directions d’entreprises.»

La CGT a pris part à “une journée d’action” syndicale en France ce jour-là, mais qui fut peu suivie. Quelque 2000 manifestants s’étaient rassemblés à Paris devant l’Assemblée nationale, où la loi était débattue. Dans d’autres grandes villes, les manifestations n’avaient pas rassemblé plus de cent à deux cents personnes selon les reportages.

En fait, la mobilisation du 31 juillet a été délibérément freinée par les syndicats. De nombreuses sections syndicales de cheminots n’avaient pas déposé de préavis de grève et s’étaient contentées d’appeler à des rassemblements. En région parisienne nombreux étaient les cheminots qui n’étaient même pas au courant qu’il y avait un rassemblement devant l’Assemblée nationale. La plupart des trains roulaient comme un jour normal.

Alors que les députés du Parti socialiste votaient au parlement contre la loi, de nombreux présidents de région socialistes disaient qu’ils appliqueraient la loi si elle était votée et qu’ils mettraient en place un service minimum des transports dans leur région. Cela s’explique par le fait que, fondamentalement, ils sont d’accord avec la campagne de Sarkozy visant à limiter la capacité de la classe ouvrière à se défendre contre ces mesures, notamment contre la privatisation des transports en commun. Leur but est d’augmenter la profitabilité des grandes entreprises françaises et l’attractivité de la France pour les investisseurs.

On peut se rendre compte de l’étendue de cette entente entre le PS et Sarkozy dans un article du quotidien conservateur Le Figaro daté du 3 août. L’article décrit la position conciliante adoptée par les députés PS concernant les membres du parti qui sont récemment passés dans le camp de Sarkozy et rejoint son gouvernement. «Les socialistes ont convenu de ne pas surréagir, » dit l’article. « Jean-Marie Bockel, dont les idées sociales libérales sont connues, appelle peu de commentaires. Martin Hirsch, Fadela Amara ou Jean-Pierre Jouyet forment une catégorie à part : Aucun socialiste ne les accuse d’opportunisme et on les juge sincères dans leur démarche. ‘Ils pensent réellement pouvoir infléchir la politique du gouvernement’, dit un responsable PS.»

Comme on pouvait le prévoir, la nouvelle législation a été critiquée par des groupes tels Lutte ouvrière (LO) et la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) qui critiquent aussi les syndicats pour leur manque d’opposition. Mais de telles organisations refusent de signaler la nature corporatiste de cette nouvelle loi qui accroît le pouvoir de contrôle de la bureaucratie sur la classe ouvrière. Au lieu de faire ressortir la logique inhérente au rôle de la bureaucratie et d’appeler les travailleurs à rompre de façon consciente avec la politique réformiste des syndicats, ces organisations cherchent à propager le vain espoir que la bureaucratie peut être réformée par la pression et l’action de la rue.

Bien que cette nouvelle loi représente une attaque sans précédent depuis la Libération sur le système des relations au travail, les cercles conservateurs et patronaux se plaignent qu’elle ne va pas encore assez loin.

Le Figaro du 4 août cite tout un éventail d’organisations libérales qui pensent que Sarkozy n’a fait qu’effleurer la question. Benoîte Taffin, parlant au nom d’une association de contribuables, Contribuables associés, dit, «Les mesures mises en œuvre restent toujours en deçà de l’attente des Français qui ont élu le président de la République … Pendant sa campagne, Nicolas Sarkozy avait promis un service normal aux heures de pointe le matin et le soir. Or, la loi adoptée par le parlement ne dit rien de tel et s’en remet au bon vouloir des collectivités locales.»

D’autres accusent le président de “crain[dre] les syndicats alors qu’il ne faudrait pas avoir peur de les affronter” et font remarquer que “le choc avec la rue est inévitable si le président de la République décide de toucher aux vaches sacrées.”

Il ne fait pas de doute que cette nouvelle loi n’est qu’un début. Des mesures plus poussées et plus étendues contre le droit de grève requièrent des amendements à la Constitution française et Sarkozy est déterminé à faire avancer à grands pas de tels changements. Le revers électoral subi par l’UMP, suite aux cadeaux fiscaux faits aux riches et financés par l’augmentation de la TVA, a privé son parti de la majorité de deux tiers escomptée et dont il avait besoin pour procéder à des changements constitutionnels. Il est possible que ce revers constitue, en quelque sorte, un obstacle aux projets de Sarkozy, mais ce dernier a clairement laissé entendre que cette dernière série de lois n’est qu’un début.

Avant de prendre ses vacances d’été aux Etats-Unis (et au cours desquelles une rencontre est prévue avec le président Bush) Sarkozy s’est ainsi vanté, « Vous pouvez être sûr que nous reprendrons avec force à la rentrée », tandis que le journal économique Les Echos titrait « Sarkozy promet une rentrée chargée. »


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