Le Conseil de sécurité des Nations unies a accepté à
l’unanimité une résolution visant à envoyer une force armée combinée de
l’ONU et de l’Union africaine (UA) au Soudan dans la région du
Darfour. Cette force étant avancée comme la plus grande force de maintien de la
paix au monde, 20.000 soldats et 6.000 policiers intégreront l’actuelle
force de 7.000 soldats de l’UA déjà présente au Darfour. Elle sera
déployée sous le Chapitre 7 de la charte de l’ONU, ce qui lui permettra
d’employer la force militaire pour protéger les civils et les
travailleurs humanitaires. Les premiers soldats devraient être envoyés en
octobre mais le déploiement complet nécessitera probablement beaucoup plus de
temps.
La majorité des efforts pour faire adopter la résolution
semblent être venus du président français Nicolas Sarkozy et du premier
ministre britannique Gordon Brown, qui se sont tous deux servis de la question
du Darfour depuis leur arrivée au pouvoir pour rehausser leur crédibilité
humanitaire. Cela leur a aussi permis d’offrir leur soutien au président
George Bush. Après que la résolution fut adoptée à l’ONU, Brown a
personnellement remercié Bush « pour son leadership au Darfour ».
Il ne fait aucun doute qu’un désastre humanitaire
s’aggrave au Darfour : un récent rapport de l’ONU déclarait
que plus d’un demi million de personnes sur un total de 4,2 millions de
personnes touchées n’avaient accès à aucune aide humanitaire. Mais la
motivation derrière l’intervention qui est proposée est l’intérêt
qu’ont les Etats-Unis et les puissances occidentales à prendre davantage
contrôle de cette région stratégique et de sa richesse pétrolière.
On prévoit que la plupart des soldats de cette force de
maintien de la paix seront africains mais il n’y aura qu’une seule
voie hiérarchique de l’ONU qui dictera les ordres des gouvernements
occidentaux sur les opérations. L’actuelle force de l’UA est
sous-financée par l’Occident et elle est petite et inefficace car
n’ayant pas été sous son contrôle direct.
La France s’est déjà portée volontaire pour envoyer
des soldats. Le conflit au Darfour s’est en effet propagé aux pays
voisins que sont le Tchad et la République centrafricaine, où la France a déjà
des troupes cantonnées et soutient des régimes impopulaires contre les forces
rebelles (voir Le
nouveau gouvernement Sarkozy hôte d’une conférence sur le Darfour).
La Grande-Bretagne et la France, avec l’accord de
Washington, ont laissé tomber une demande pour que « d’autres
mesures » soient prises contre le gouvernement soudanais et les forces
rebelles pour leur manque de coopération. Selon certains diplomates, une
résolution plus « conciliatoire » fut adoptée pour s’assurer
que la Chine n’oppose pas son veto à la résolution au Conseil de sécurité
et que des pays africains ne soient pas écartés de la décision. La Chine achète
la majeure partie des exportations de pétrole du Soudan et fournit celui-ci en
armes, et elle s’était précédemment opposée aux propositions américaines
et britanniques dirigées contre le régime soudanais. La Chine appuie maintenant
l’intervention de l’ONU, apparemment inquiète que les Jeux
olympiques de Pékin de 2008 ne deviennent la cible de manifestants.
Des pressions d’organisations telles que la Coalition
Sauvons le Darfour — qui bénéficie d’un large appui aux Etats-Unis —
ont joué un rôle dans l’accord de la Chine pour l’envoi d’une
force de maintien de la paix. Parmi ces organisations se trouvent des milliers
de jeunes qui sont véritablement touchés par la souffrance des réfugiés au
Darfour. Cependant, la perspective simpliste mise de l’avant par les
organisateurs de la campagne qui affirme que le problème n’est que le
soutien du régime de Khartoum pour les milices janjawids contre le reste
de la population n’a servi qu’a détourner l’attention de la
question fondamentale et est utilisée pour légitimer une intervention militaire
des grandes puissances.
Le Darfour est une autre conséquence tragique de la
domination impérialiste du continent africain. Il est aussi extrêmement naïf de
penser que l’on pourrait convaincre l’administration Bush,
responsable de crimes de guerre en Irak, d’entreprendre des activités
humanitaires au Soudan.
Le régime soudanais — ainsi que d’innombrables autres
régime oppresseurs dans des pays en développement qui ne sont pas à ce point-ci
la cible de reproches par les Etats-Unis — prospère dans un système
impérialiste qui supervise l’exportation de milliards de dollars en
allègement de dette aux banques occidentales sous les auspices du Fond
monétaire international et la création d’énormes profits provenant de
l’exploitation minière par les transnationales, tandis que la très grande
majorité de la population est forcée de vivre dans la pauvreté la plus abjecte.
Peu importe la rhétorique anti-occidentale employée pour tromper la population,
un rôle crucial est joué par des gouvernements brutaux comme celui de Khartoum pour
maintenir le statu quo.
L’administration Bush, tout en appliquant des sanctions
contre le régime soudanais et en introduisant le terme « génocide »
en relation avec le Darfour, a également donné un appui tacite au régime en
utilisant ses service de renseignements comme source d’information et
même d’opération secrètes (voir “CIA uses Sudanese
intelligence in Iraq”).
Contrairement à l’administration précédente de Clinton,
qui avait donné au Soudan le statut d’Etat paria, l’administration
Bush a négocié en 2005 une paix entre le régime de
Khartoum et les rebelles du sud, le Mouvement de
libération du peuple soudanais (SPLM), le dit « Accord de paix
global » (CPA), mettant fin à la plus longue guerre civile en Afrique. Il
y a actuellement près de dix mille soldats de maintien de la paix de
l’ONU déployés pour faire respecter cet accord. L’une des premières
considérations à Washington était que dans une entente de partage du pouvoir le
SPLM puisse avoir une partie des richesses pétrolières du Soudan et ouvrir des
possibilités aux compagnies occidentales plutôt qu’aux firmes chinoises.
Compte tenu de ces considérations, les Etats-Unis ne voulaient
pas d’une intervention de l’ONU au Darfour – en fait, le
Darfour avait délibérément été mis de côté lors des négociations sur
l’Accord de paix, ce qui a permis au régime soudanais de continuer sa politique
de longue date consistant à utiliser des milices locales pour tuer et expulser
les villageois. Ceci n’empêchait pas les Etats-Unis d’aller de
l’avant pieusement à l’ONU avec des résolutions sur le Darfour,
sachant que la Chine et la Russie imposeraient leur veto.
Il se pourrait bien qu’il y ait maintenant un virage
politique et que la balance penche en faveur des sections de l’élite
dirigeante américaine, spécialement au sein du parti démocrate, qui demandent
une intervention militaire. A part les conflits au sein de
l’administration américaine, cela peut s’expliquer par plusieurs facteurs
ayant trait au Soudan lui-même.
Premièrement, le conflit au Darfour est devenu de plus en plus
complexe et violent. L’intervention de maintien de la paix de l’ONU
a été mise en oeuvre sans même qu’il y ait une entente de paix en place.
En mai de l’an dernier, sous les auspices des Etats-unis et de la Grande
Bretagne, une entente avait été conclue entre le gouvernement soudanais et
l’un des mouvements rebelles du Soudan, mais les deux autres mouvements
le rejetèrent, faisant échouer l’entente.
Au lieu d’être limités à un affrontement entre ces
groupes rebelles et la milice arabe janjawid épaulée par le gouvernement, la plupart des
conflits se passent cette année entre des groupes arabes rivaux. Il y
maintenant plus de 12 groupes rivaux, certains ayant des liens avec le
gouvernement du Tchad, qui est de plus en plus impliqué dans le conflit. Ces
groupes ont maintenant été invités aux pourparlers de Arusha en Tanzanie.
Un des dirigeants rebelles en vue, Abdel Wahed Mohamed el-Nur
du Mouvement de libération du Soudan, a refusé d’y participer. Un autre
dirigeant, Suleiman Jamous, est retenu à Khartoum par le gouvernement. Il
semble peu probable qu’une entente de paix significative puisse être
conclue dans un futur rapproché.
Deuxièmement, l’Accord de paix global entre le nord et
le sud craque de tous côtés et il est possible que le conflit entre Khartoum et
le SPLM recommence. Le gouvernement soudanais était supposé retirer en juillet ses
troupes des régions du sud. Selon le dernier rapport de
l’International Crisis Group, cela ne
s’est pas produit dans les régions productrices de pétrole. L’ ICG
note également que les paiements de Khartoum au gouvernement régional du sud,
censés représenter sa part des revenus du pétrole, vont en diminuant.
Troisièmement, le régime soudanais est lui-même de plus en
plus instable. A cause de la grande disparité de revenus entre les cercles gouvernementaux
qui profitent de la manne du pétrole et le reste de la population, le régime
est en train de perdre toute base d’appui. En plus du Darfour, il y a des
conflits ou des conflits potentiels moins publicisés dans plusieurs autres
parties du pays, le grand nord, l’est du Soudan et la région de Kordofan.
Quelles que soient les machinations des cercles dirigeants
américains, la principale préoccupation des gouvernements américain et
occidentaux est comment freiner l’implication croissante de la Chine au
Soudan et dans une bonne partie de l’Afrique. Contrairement au Fonds
monétaire international, épaulé par les États-Unis, la Chine n’a pas fait
d’exigences aux gouvernements africains pour qu’ils acceptent une
politique de libre marché au nom de la « bonne gouvernance » avant de
leur accorder des prêts ou du financement. Elle a aussi investi dans une gamme
de projets d’infrastructure et fait une cour assidue aux dirigeants
africains, évitant les références habituelles et hypocrites aux droits de
l’homme faites par l’Occident.
Tel qu’expliqué dans un livre récent : « Pour
les politiciens et décideurs occidentaux, le profil montant de la Chine dans l’exploitation
du pétrole africain représente plus qu’une menace commerciale pour les
entreprises occidentales. La dépendance croissante de Pékin sur le pétrole
africain l’a lancé sur une trajectoire menant à une collision frontale
avec les priorités politiques des Etats-Unis pour le continent. De nombreuses
voix se sont élevées à Washington, allant des députés aux chroniqueurs, pour se
plaindre de la volonté de la Chine à faire affaire avec des pays que les
Etats-Unis cherchent à pressurer ou isoler. » *
Le gouvernement soudanais a accordé des concessions de pétrole
partout au Darfour et dans d’autres parties du pays, anxieux
d’aller au-delà de ses champs de pétrole actuels qui ont atteint leur
production maximale. Mettre cette manne potentielle de pétrole sous la supervision
de l’ONU et la rendre sujette à l’exploitation des gouvernements
occidentaux plutôt que la Chine, tel est l’un des motifs clés de l’
intervention projetée de maintien de la paix.
* Untapped: The Scramble for Africa’s Oil by John Ghazvinian, Harcourt, 2007.