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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Allemagne: le fossé se creuse entre l’establishment politique et l’électorat

Par Dietmar Henning
28 août 2007

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« La richesse… c’est, pour moi, la sécurité. Pouvoir perdre son emploi sans tomber dans un trou. » Le président de Deutsche Bank, Josef Ackermann.

A partir d’un sondage réalisé par l’Institut de sondage Emnid auprès de la population pour le compte de l’hebdomadaire Die Zeit, il devient évident qu’une vaste opposition existe à l’encontre du gouvernement allemand de grande coalition unissant démocrates-chrétiens de la CDU-CSU (Union chrétienne-démocrate d’Allemagne-Union chrétienne-sociale) et sociaux-démocrates du SPD (Parti social-démocrate d’Allemagne). Seuls 16 pour cent des personnes interrogées étaient d’avis que le gouvernement en faisait assez dans le domaine de la justice sociale. En Allemagne de l’Est, ce chiffre tombait à moins de 10 pour cent. Le mécontentement s’étend à l’ensemble des partis politiques et était très répandu parmi les électeurs des partis gouvernementaux.

« Serait-il possible que ce pays se déplace imperceptiblement vers la gauche, » s’interroge le journaliste Jörg Lau de Die Zeit en commentant le sondage Emnid, « et qu’il se trouve aujourd’hui déjà bien plus à gauche qu’il ne veut le reconnaître ? » En conclusion Lau propose : « Dans tous les camps, de vastes majorités s’expriment pour plus d’intervention de l’Etat et contre davantage de privatisations, contre le nucléaire, contre le déploiement des troupes allemandes en Afghanistan et pour un arrêt des réformes. » Il y a des majorités de gauche pour de nombreuses questions, « et ce, dans tous les partis. »

A une époque où en Allemagne tous les principaux partis politiques virent à droite, où la pauvreté d’un côté et une richesse inconcevable de l’autre s’accroissent, où le gouvernement brade au plus offrant les actifs de l’Etat et une fois encore envoie l’armée faire la guerre dans le monde entier, les résultats de ce sondage sont étonnants à bien des égards.

Emnid a, entre autres, posé la question : « Gauche et droite sont des termes très souvent utilisés pour qualifier des positions politiques. Où vous situez-vous par rapport à eux ? »

Dans un sondage effectué il y a plus de 25 ans, en 1981, 17 pour cent de la population allemande se disaient de gauche. Aujourd’hui, c’est le double, donc 34 pour cent. Le rapport entre gauche et droite s’est inversé. Alors qu’en 1981, 38 pour cent se qualifiaient de droite, ils ne sont aujourd’hui plus que 11 pour cent. Même parmi les partisans de la CDU/CSU et du Parti libéral démocrate (FDP) ceux qui se considèrent de gauche sont plus nombreux que ceux qui se disent de droite.

Ce développement reflète en particulier la question sociale. Quelque 72 pour cent de l’ensemble des personnes interrogées pensent que le gouvernement n’en fait pas assez dans le domaine de la justice sociale. En Allemagne de l’Est ce chiffre atteint même 82 pour cent. Parmi les électeurs du parti de La Gauche, ce sont 97 pour cent, chez les Verts 93 pour cent, chez le SPD 76 pour cent et même chez les partisans de la CDU/CSU ce chiffre atteint 60 pour cent.

Des tendances similaires sont enregistrées pour ce qui est de la couverture sociale. Plus des deux tiers des personnes interrogées préconisent l’introduction d’un salaire minimum. Soixante-seize pour cent des électeurs SPD soutiennent une telle démarche et plus de la moitié des électeurs de la CDU/CSU ont la même appréciation bien que la direction du parti rejette avec véhémence le salaire minimum.

Le nombre des sondés qui rejettent l’allongement à 67 ans de l’âge de départ à la retraite et qui est défendu par le ministre fédéral du Travail, Franz Müntefering (SPD), est encore plus évident. Quelque 82 pour cent (90 pour cent en Allemagne de l’Est) estiment que cet allongement devrait être annulé, 82 pour cent des électeurs SPD et 80 pour cent de ceux votant CDU préconisent un retour à 65 ans pour l’âge de départ à la retraite.

Deux tiers des sondés rejettent la privatisation du service public. Ils estiment que des « sociétés telles les chemins de fer, les télécommunications et l’approvisionnement en énergie devraient rester entre les mains de l’Etat. » Ce chiffre dépasse les 70 pour cent chez les électeurs des partis gouvernementaux, CDU et SPD, et qui sont responsables pour les privatisations qui ont eu lieu au cours de ces dernières années.

Preuve que les arguments néo libéraux selon lesquels la privatisation accroît la concurrence et stimule l’économie ne convainquent plus. Au lieu de cela, l’expérience vécue par des millions de personnes fait qu’elles en tirent leur propre conclusion. Les banques et les gros actionnaires se remplissent les poches lors des privatisations alors que les salariés paient l’addition en pertes d’emplois et baisses de salaire, hausse des prix et dégradation des conditions de vie.

Une majorité pense également qu’une responsabilité plus grande incombe à l’Etat en matière de protection de l’enfant. Près des trois quarts des sondés, hommes et femmes confondus, estiment que l’Etat devrait s’engager davantage pour soutenir les jeunes enfants. Ceci confère un air désespéré et rétrograde à la revendication émanant des rangs de la CDU/CSU pour une « prime au fourneau » pour que les mères gardent leurs enfants au foyer. Loin d’être une réponse à la ‘demande populaire’, l’idée de la prime est une tentative de la part d’éléments ultraconservateurs de la CDU d’étouffer le désir largement répandu dans la population pour une émancipation sociale.

De nombreux partisans des Verts approuvent la mission de l’armée allemande en Afghanistan

Bien que 76 pour cent des électeurs Verts se disent de gauche, ils se font de toute évidence une idée toute autre de ce que signifie être « de gauche » pour les autres électeurs. Dans les questions économiques, ils se rapprochent habituellement plus des partisans du libre marché du FDP, en se positionnant donc à droite dans le paysage politique. Ainsi, bien qu’une nette majorité de partisans Verts soutienne l’annulation de l’allongement à 67 ans de l’âge de départ à la retraite, leur nombre est sensiblement inférieur à celui des partisans d’autres partis. Pour ce qui est de la privatisation des biens publics, l’approbation des électeurs Verts dépasse avec 48 pour cent celle de tous les autres.

L’évolution droitière de ce parti anciennement pacifiste apparaît le plus clairement sur la question du déploiement de l’armée allemande en Afghanistan. Alors que 62 pour cent des personnes interrogées considèrent que ce déploiement est « plutôt une mauvaise initiative » et seulement 24 pour cent le qualifient de « correct », 47 pour cent des électeurs Verts soutiennent la mission militaire allemande à l’étranger. « Les Verts comme dernier appui de l’armée à l’étranger est plutôt une ironie douteuse de l’histoire, » écrit Lau, le commentateur de Die Zeit.

Les questions sociales arrivent au premier plan

Le sondage Emnid confirme que le gouffre se creuse entre la politique officielle et la grande masse de la population. Sur les questions de justice sociale, comme nous l’avons déjà signalé plus haut, le SPS et la CDU/CSU qui aiment à se qualifier de « partis populaires » n’obtiennent plus que 16 pour cent de soutien de la population.

D’autres sondages confirment ce résultat. Dans une récente étude du Mannheimer Zentrum für europäische Sozialforschung (MZES) [dont la fonction principale est de promouvoir la recherche comparative concernant le développement social en Europe] note dans un rapport publié dans l’édition actuelle des « WSI-Discussion Papers » que le degré de satisfaction à l’égard du système de santé allemand avait chuté de près de 64 pour cent en 1996 à tout juste 31 pour cent en 2002. Compte tenu des « réformes » du système de santé appliquées durant ces cinq dernières années, l’insatisfaction n’aura pu que croître encore davantage.

L’incessante rengaine de la part des milieux politiques officiels et des médias concernant le « vieillissement de la population » et le besoin de « réduire la bureaucratie », l’assaut idéologique contre le « sentimentalisme du conservatisme social » et contre la « stratégie du cycle total » [l’Etat providence du berceau au tombeau], ne peut dissimuler la triste réalité. Depuis des années, les salaires et les revenus des familles ordinaires chutent.

Le nombre des salariés dont les revenus suffisent à garantir la survie de leur famille diminue continuellement. Les gens ressentent les effets des coupes sociales partout, chez eux comme sur leur lieu de travail. Ces dernières années, plus de 500 gares et guichets ont été fermés, plus de 10 000 emplois jeunes ont été détruits et plus de 1 500 piscines publiques ont été fermées. A ceci s’ajoutent les fermetures de bibliothèques, de maisons de jeunes, de centres d’information, de bureaux de poste, etc.

En peu de temps, 50 000 lits d’hôpitaux ont été supprimés alors que le nombre des malades s’est accru de près d’un million durant le même laps de temps.

Les exclus de l’emploi ont été les plus durement touchés. Ce qu’on appelle « lois Hartz » [réforme de l'assurance chômage], introduites par la coalition gouvernementale précédente SPD-Verts dirigée par Gerhard Schröder (SPD), ont réduit les allocations chômages et les allocations sociales à un niveau jamais vu depuis la République de Weimar des années 1920. Ces mesures ont créé un moyen de pression exercé sur les salaires de ceux qui travaillent et constituent la base d’une expansion massive des bas salaires en Allemagne.

Au bout d’un an, un chômeur n’a plus droit qu’à 347 euros (468 dollars US) d’allocations par mois. Pour les chômeurs de longue durée dont le nombre reste élevé en dépit de la croissance économique, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un revenu de misère. Ce taux des allocations avait été déterminé de façon tout à fait arbitraire en se basant sur la consommation du cinquième de la population au revenu le plus bas, c'est-à-dire les familles monoparentales, autrement dit, sur la base de la consommation de la couche la plus pauvre de la société.

Ce niveau d’allocation n’est ni indexé sur le taux d’inflation ni sur les augmentations de salaires mais est rattaché au niveau de la retraite. Celle-ci n’a pas été augmentée depuis des années et c’est seulement cette année qu’elle a bénéficié d’une augmentation de 0,54 pour cent. En conséquence, le taux de base imposé par les « lois Hartz » a augmenté au cours de ces trois dernières années d’à peine 2 euros pour atteindre les 347 euros par mois. Actuellement, près de 7 millions de personnes dépendent de ces allocations dont près de trois millions occupent des emplois à bas salaire ou des « mini job » [activités à faible rémunération].

Le quotidien Die Zeit est conscient que le vide politique qui s’est ouvert entre les travailleurs et l’establishment politique peut conduire à d’intenses luttes de classe. Jörg Lau met en garde : « Si la confiance dans l’égalité des chances dans la société se perd, cela peut devenir un problème pour la démocratie. » « Démocratie » ne signifie pas ici la détermination de la politique par la volonté du peuple mais le maintien de l’ordre bourgeois, de l’ordre capitaliste.

Le rôle que joue le parti « La Gauche » doit également être vu dans ce contexte. Mis en place par des sociaux-démocrates de longue date, des bureaucrates syndicaux et d’anciens staliniens de l’Allemagne de l’Est, La Gauche cherche à combler le vide politique qui s’est constitué afin de sauver l’ordre bourgeois. Le verbiage de gauche du parti va de pair avec une pratique totalement droitière, et visible pour quiconque est au courant de la situation qui règne à Berlin et dans les municipalités de l’Allemagne de l’Est où La Gauche partage la responsabilité gouvernementale. Là, le parti prône les coupes sociales, la privatisation et la destruction de l’emploi dans la fonction publique.

Seule la construction d’un parti socialiste international qui place les besoins sociaux au-dessus des intérêts de profit des grands groupes peut fournir une orientation politique en réponse aux besoins de la classe ouvrière qui vire à gauche.

(Article original paru le 21 août 2007)


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