Le vote unanime du 24 mars au Conseil de
sécurité des Nations unies sur l’imposition de sanctions plus sévères envers
l’Iran est la plus récente étape de la campagne de l’administration Bush pour
isoler le régime de Téhéran et pour préparer une possible attaque militaire.
Cette résolution a été passée un jour après l’arrestation de quinze membres de
la Royal Navy par les forces navales des Gardiens de la révolution de l’Iran, provoquant
une confrontation diplomatique entre l’Iran et la Grande-Bretagne.
La résolution, la deuxième à imposer des
sanctions en trois mois, impose des nouvelles sanctions économiques pour punir
l’Iran d’avoir refusé de suspendre son programme d’enrichissement d’uranium.
Elle vise quinze personnes et treize organismes, y compris la banque centrale
iranienne. Pour la première fois, des sanctions sont imposées aux Gardiens de
la révolution, un corps militaire d’élite, et à une unité militaire
subordonnée, la Force Quds, qui n’ont aucun lien avec les programmes nucléaires
de l’Iran.
Le fait de cibler les Gardiens de la révolution,
que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne accusent d’armer le Hezbollah au
Liban, le Hamas en Palestine et la milice chiite anti-occupation en Irak, ainsi
que d’interdire l’exportation d’armes iraniennes donnent aux Etats-Unis un
nouveau prétexte légal pour mener des opérations subversives et des actions
militaires contre l’Iran.
Ces derniers mois, l’administration Bush a
accusé l’Iran d’armer les milices anti-américaines et laissé entendre que
l’armée américaine a le droit d’attaquer l’Iran dans le but de défendre les
troupes américaines en Irak. Washington va sans aucun doute déclarer que l’Iran
continue à armer les milices irakiennes et citera cette nouvelle résolution
pour couvrir de l’autorité des Nations unies l’intensification de ses
préparatifs militaires contre l’Iran.
«Est-ce que cette résolution a pour
objectif d’empêcher l’Iran d’acquérir l’arme nucléaire », a demandé Jean
du Preez, le directeur du Programme Organisations
internationales et non-prolifération de l’Institut des études internationales
de Monterey, « ou bien s’agit-il d’un changement de régime sous une autre forme? »
Une fois de plus, la Russie, la Chine et les
autres membres du Conseil de sécurité se sont rangés derrière Washington. La
Chine et la Russie se sont opposées à des restrictions plus sévères sur les
voyages des hauts responsables iraniens et à un embargo sur la vente d’armes
conventionnelles à l’Iran, mais ont refusé de s’opposer aux demandes
essentielles des Etats-Unis. La Russie a fait pression sur l’Iran à sa manière en
bloquant la livraison du combustible pour le réacteur nucléaire de Bushehr qui
est presque achevé.
Les discussions sur plusieurs amendements
proposés par trois membres non permanents du Conseil de sécurité, l’Afrique du
Sud, l’Indonésie et le Qatar, ont montré que la Grande-Bretagne et les
Etats-Unis s’opposaient à tout changement significatif, y compris à la
proposition de l’Afrique du Sud d’un un moratoire de 90 jours sur toutes les
sanctions pour permettre des négociations. Après avoir exprimé leurs
préoccupations devant le texte de la résolution finale, les trois pays ont docilement
voté en faveur de celle-ci.
Le New York Times a cité R. Nicholas
Burns, adjoint au secrétaire d’Etat aux Affaires politiques : « Nous
tentons de forcer un changement dans les actions et le comportement du
gouvernement iranien. C’est pourquoi les sanctions se concentrent d’emblée sur
le programme de recherche sur les armes nucléaires, mais nous tentons aussi de
limiter la capacité de l’Iran à être un facteur perturbant et violent de la
politique au Moyen-Orient. »
Il est possible
que les pressions s’intensifient dans 60 jours, lorsque l’Agence internationale
de l’énergie atomique rendra son rapport confirmant ou non que l’Iran a suspendu
son programme d’enrichissement d’uranium.
Il y a toutefois
un élément parmi les clauses de la résolution qui ne va pas aussi loin que
l’auraient souhaité les Etats-Unis. La résolution invoque le chapitre 7,
article 41 de la Charte des Nations unies. Bien que celui-ci rende obligatoires
les clauses de la résolution, il n’autorise pas le recours à l’action
militaire.
Dans cette
perspective, les événements qui ont conduit à l’affrontement entre la Royal
Navy et l’Iran dans le Golfe deviennent encore plus significatifs. Bien qu’il
semble que la Grande-Bretagne aborde prudemment le problème, et que la question
n’ait pas été soulevée directement à la réunion du Conseil de sécurité, la
détention de 15 membres de la Royal Navy pourrait toujours servir de prétexte à
une future action militaire.
On est loin de
s’entendre sur les circonstances exactes entourant l’incident. La Grande-Bretagne,
appuyée par les Etats-Unis et l’Union européenne, soutient que les huit
matelots et les sept marines de la frégate HMS Cornwall de la Royal Navy ont
été capturés en eaux irakiennes par des forces iraniennes alors qu’ils étaient
à bord d’un boutre, cherchant des armes et du matériel de contrebande. Londres
affirme que des bateaux iraniens ont abordé l’embarcation et que les
Britanniques ont été escortés sous la menace de fusils dans les eaux iraniennes
à 10h30, heure locale.
L’Iran insiste pour
dire que la confrontation s’est produite dans les eaux iraniennes, après
plusieurs incursions de vaisseaux britanniques dans son territoire. L’agence de
presse Fars a déclaré que les membres du personnel britannique avaient été
emmenés à Téhéran pour y être interrogés car « ils n’avaient pas respecté
les frontières internationales et avaient pénétré illégalement dans les eaux
territoriales iraniennes ».
L’armée iranienne
a affirmé depuis que ses interrogateurs avaient obtenu des confessions des 14
hommes et de l’unique femme, selon lesquelles ils s’étaient égarés et avaient
pénétré illégalement dans les eaux territoriales iraniennes.
Le commandant
militaire irakien en charge des eaux territoriales a émis une déclaration qui
semblerait confirmer la version iranienne. Le général de brigade Hakim Jassim,
à Basra, a déclaré : « Nous avons été informés par des pêcheurs
irakiens... qu’il y avait des canonnières britanniques dans une zone hors du
contrôle irakien. Nous ne savons pas pourquoi ils étaient là. »
Les matelots ont
été capturés dans l’étroit passage de Shatt al-Arab, au confluent du Tigre et
de l’Euphrate qui forme la frontière sud entre l’Irak et l’Iran. Situer avec
exactitude la frontière précise entre les deux pays sur cette voie navigable
est depuis longtemps source de conflits.
En 2004, huit
militaires britanniques avaient été capturés par le Corps des gardes de la
révolution islamique de l’Iran dans le Shatt al-Arab. Téhéran avait argumenté à
l’époque que les trois bateaux avaient été interceptés en eaux iraniennes, et
les contestations de la Grande-Bretagne avaient été plus ou moins
convaincantes, évoquant une « météo épouvantable » et une
« situation confuse ».
On ne peut fondamentalement
comprendre cet incident en dehors du contexte d’intensification des hostilités
politiques et des menaces militaires par Washington et Londres contre Téhéran.
Certains avancent que les Iraniens auraient pu capturer les Britanniques comme
riposte à la détention par les troupes américaines en Irak de cinq Iraniens qui
feraient partie des Gardes de la révolution.
Les relations
entre l’Iran, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne sont tellement tendues que même
un incident relativement mineur pourrait dégénérer en une confrontation plus
large. Washington et Londres ont augmenté leur présence navale dans le golfe
Persique ces derniers mois, sous prétexte de stopper les efforts iraniens
d’armer les insurgés irakiens.
Présentement, les Etats-Unis
ont deux porte-avions et leurs navires subordonnés dans les eaux du golfe Persique
et la Grande-Bretagne a promis d’importantes ressources militaires en soutien
de l’opération dirigée par les Etats-Unis. Le 26 février, un officier senior de
la marine britannique pour le golfe Persique et commandant en second de la
flotte armée au commandement central américain, le commandant Keith Winstanley,
rapportait que le déploiement de la Royal Navy dans la
région avait doublé depuis octobre. Dans une entrevue avec le Daily
Telegraph, il a été clair le but du déploiement était au moins de menacer
l’Iran. « La plupart de ces navires y sont pour une mission
d’entraînement, a-t-il dit, mais il n’y pas de doute que nous pourrions
faire usage de leurs capacités de combat militaires. »
Parmi les
vaisseaux britanniques envoyés dans le golfe Persique, on trouve le HMS
Cornwall, deux démineurs, le HMS Ramsey, le HMS Blythe, et un vaisseau de la Flotte
royale auxiliaire. Winstanley faisait référence à la zone d’opération en tant
qu’« espace de combat ».
L’incident dans le
golfe coïncide avec de nouvelles accusations faites par le lieutenant-colonel Maciejewski,
l’officier en commande de la base britannique de Basra Palace, selon qui l’Iran
fournit des armes aux insurgés dans le sud de l’Irak. Dans une entrevue
diffusée par BBC Radio 4 Today, il a dit qu’il n’avait pas « l’arme
du crime » pour appuyer sa prétention, pour ajouter ensuite que « toute la
preuve circonstancielle pointait vers l’implication iranienne dans les
bombardements ici à Basra ».
Les affirmations à
l’effet que l’Iran était sur le point d’acquérir la capacité de fabriquer des
armes nucléaires, a jusqu’à maintenant jouer le rôle central dans les
tentatives de l’administration Bush de justifier une possible frappe militaire
contre Téhéran. Mais étant donné l’opposition de la Russie, la Chine et la France, membres permanents du
Conseil de sécurité de l’ONU, à un tel geste ainsi que celle de membres non
permanents du Conseil de sécurité, un incident militaire qui présenté comme
preuve de l’hostilité de l’Iran contre les forces de la coalition, pourrait
offrir un prétexte commode pour la guerre.
Cette possibilité
a été soulevée publiquement le mois dernier par Zbigniew Brzezinski, conseiller
à la sécurité nationale sous Carter. Témoignant devant le Comité des relations
étrangères du Sénat, il révéla ce qu’il présenta comme un « scénario
plausible » qu’utiliserait l’administration Bush « pour une collision
militaire avec l’Iran ».
Cela pourrait
impliquer, suggéra-t-il, une « provocation en Irak ou… un attentat
terroriste aux Etats-Unis attribué à l’Iran, culminant en une opération
militaire "défensive" des Etats-Unis contre l’Iran qui plonge une
Amérique solitaire dans un bourbier toujours plus vaste et plus profond
finissant par englober l’Irak, l’Iran, l’Afghanistan et le Pakistan. » [souligné
par le WSWS]
Publiquement, le
premier ministre Tony Blair a déclaré qu’il n’y avait pas de plan américain
pour une action militaire contre l’Iran, mais il a également systématiquement
refusé d’écarter la possibilité de faire usage de force. Déjà, en avril 2006,
le Telegraph rapportait des entretiens secrets entre le gouvernement
Blair et les dirigeants de la défense au sujet « des conséquences
possibles d’une attaque contre l’Iran ».
Le journal
continuait : « On croit qu’une attaque dirigée par les Américains
dans le but de détruire la capacité iranienne de développer la bombe nucléaire
est “inévitable” si les dirigeants à Téhéran refusent de se soumettre aux
demandes des Nations unies de stopper leur programme d’enrichissement de
l’uranium. »