Les demandes pour la démission
de Paul Wolfowitz en tant que président de la Banque mondiale se sont fait plus pressantes
durant le weekend après une rencontre des ministres des Finances du Groupe des
sept (G7) à Washington. Plusieurs participants à cette rencontre ont suggéré
que la position de Wolfowitz était intenable.
Le ministre français des Finances, Thierry
Breton, par exemple, a décliné de répondre lorsqu’on lui a demandé s’il croyait
que l’on devait congédié Wolfowitz, mais a tout de même ajouté que la Banque
mondiale se devait d’avoir une « gouvernance éthique irréprochable ». C’était une référence claire au scandale miteux de la grande
augmentation salariale et de la promotion dont a bénéficié la compagne de
Wolfowitz, Shaha Riza, une Britannique d’origine libyenne. Elle faisait
carrière au sein de la bureaucratie de la Banque mondiale avant que George W. Bush
y nomme Wolfowitz à sa tête il y a un peu plus de deux ans.
« Je fais pleinement confiance
au Conseil d'administration de la Banque mondiale » pour régler cette
affaire, a ajouté Breton
Le ministre allemand au Développement, Heidemarie
Wieczorek-Zeul a déclaré que Wolfowitz doit décider « décider lui-même si,
au vu de cette erreur, il peut remplir sa mission de manière crédible ».
Le ministre suisse de l’Economie Doris Leuthard a déclaré « Ce
n’est pas la crédibilité de la Banque mondiale qui est en jeu, mais bien celle
de M. Wolfowitz. »
Le ministre brésilien Guido Mantega a fait écho à ces
sentiments, ajoutant : « Il faut voir si Wolfowitz pourra conserver
l'autorité morale nécessaire pour exercer ses responsabilités. »
Cependant, le comité du développement de la Banque mondiale,
comptant 24 ministres des Finances ou du Développement représentant les pays
membres au conseil d’administration de la Banque mondiale a émis un communiqué
déclarant que « La situation actuelle est source de grande inquiétude pour
nous tous. Nous devons faire en sorte que la banque puisse remplir sa mission
efficacement et qu'elle maintienne sa crédibilité et sa réputation, ainsi que
la motivation de son personnel. »
La journée précédente, Wolfowitz avait été hué à une
rencontre avec le personnel de l’agence internationale de prêts, dont une
majorité écrasante soutien les demandes pour son départ. L’Association du personnel
du groupe de la Banque mondiale a émis un communiqué jeudi déclarant qu’« il
semble impossible pour l’institution d’aller de l’avant avec confiance sous la
direction actuelle, particulièrement quant à notre objectif d’aider les
gouvernements et leurs gens à améliorer leur propre gouvernance. »
L’association a ajouté que « Le
président doit reconnaître que sa conduite a compromis l'intégrité et
l'efficacité de la Banque mondiale et dilapidé la confiance du personnel à son
égard. Il doit agir honorablementet démissionner. »
Il est largement admis
que le conseil, qui dans les faits vote selon les dictats des gouvernements que
représentent les membres du conseil ne va pas aller jusqu’à prendre une
décision sur le sort de Wolfowitz espérant plutôt qu’il démissionne de lui-même.
Quant à elle, l’administration
Bush a exprimé son fort appui et sa confiance dans l’ancien second du Pentagone
au poste de président de la Banque mondiale, une institution qui emploie
quelque 13 000 personnes de par le monde et qui prête environ 25 milliards
par année.
Il devient de plus en
plus évident que ce qui sous-tend ce profond désaccord sur le sort
professionnel et personnel de Wolfowitz, ce sont les profondes tensions se
développant entre les capitalismes américains et européens, non seulement sur
le rôle de la Banque mondiale, mais aussi sur toute une série de questions
économiques et politiques.
La nomination de l’ancien
adjoint du secrétaire américain à la Défense et architecte clé de la guerre
américaine d’agression contre l’Irak a été opposée dès le tout début par la
majorité du personnel professionnel de la Banque mondiale — un sondage interne
d’avril 2005 a trouvé que 90 pour cent du personnel y était opposé — ainsi que
la majorité des gouvernements qui participent dans ses délibérations.
Wolfowitz était et
demeure irrévocablement identifié aux mensonges sur les « armes de
destruction massive » et sur les liens terroristes que l’administration
Bush a utilisés pour justifier son invasion de l’Irak en 2003 — une guerre que
Wolfowitz soutenait bien avant les attentats du 11 septembre 2001 et avant l’élection
de Bush lui-même.
Cette nomination a
largement été considérée comme une autre manifestation du mépris de l’administration
droitière à Washington envers le reste du monde ainsi que de sa détermination à
subordonner toutes les institutions internationales à sa campagne militariste
pour imposer l’hégémonie mondiale américaine.
Depuis qu’il a été nommé
à la tête de la Banque mondiale il y a deux ans, Wolfowitz a été à la hauteur
des attentes.
Le scandale impliquant
un traitement de faveur pour une personne avec laquelle il a eu liaison
romantique n’est que la dernière controverse — et la plus embarrassante au
niveau personnel — impliquant Wolfowitz depuis sa nomination à la tête de la
Banque mondiale.
Néanmoins, cette affaire
a une signification qui ne trompe pas, par ce qu’elle dévoile à la fois sur les
mœurs de ceux qui occupent les plus échelons de la politique capitaliste
américaine et sur l’ampleur du cynisme et de l’hypocrisie qui régissent la
politique étrangère américaine.
Wolfowitz a fait connaître
ses relations avec Riza au printemps 2005, lors de ses négociations pour le
lucratif contrat de cinq ans pour le poste de directeur du conseil de la
banque. Le comité d’éthique de la banque a établi que le fait que Riza occupe
un poste qui allait être sous la responsabilité de Wolfowitz serait en
contravention du règlement de la banque sur les conflits d’intérêts.
Comme l’a révélé le Washington
Post dimanche dans un article écrit
par Karen DeYoung, l’entente que Wolfowitz a obtenu pour sa compagne faisait
partie d’une campagne agressive et avaricieuse pour obtenir des privilèges et
des avantages sans précédents pour lui-même et ses copains. Dans le cas de
Wolfowitz, cela signifiait la négociation de clauses lui permettant de donner
des conférences et de publier des livres, une source de revenus importants.
Dans le cas de Riza, Wolfowitz avait ordonné au directeur
du personnel de la banque d’augmenter son salaire à 193 590 $ — une
hausse de 60 000 $ — alors qu’elle était transférée de l’office de presse
pour le Moyen-Orient de la Banque mondiale vers le département d’Etat
américain. Elle travailla — gagnant même plus que la secrétaire d’Etat
Condoleezza Rice — sous la supervision de la fille du vice-président Dick
Cheney, Elizabeth, qui avait obtenu à peine deux mois plus tôt son propre poste
privilégié en tant que numéro deux au Bureau des affaires proche-orientales
du département d'Etat. La fille de Cheney — qui a quitté le
poste l’an dernier — y aurait été un des principaux défenseurs de
l’agression américaine contre la Syrie et l’Iran.
Assurément, le fait d’accorder une hausse de salaire valant
plus que le revenu annuel total de 75 pour cent des foyers américains ne
semblait pas troubler Wolfowitz. Au Pentagone, il avait été impliqué au coeur
d’une affaire de corruption de plusieurs millions de dollars avec son allié
irakien Ahmed Chalabi et Halliburton,le principal entrepreneur militaire en Irak anciennement dirigé par Dick Cheney.
Des rémunérations sans précédents imposées pour sa compagne et ses
copains
Avec la publication des détails du contrat salarial de sa compagne
— décrit par l’organisation du personnel comme « ne reflétant vraiment
pas » les politiques du personnel — son bureau avait fait circuler une
fausse affirmation selon laquelle l’entente avait été approuvée par les
autorités compétentes de la Banque mondiale. En fait, comme il est maintenant
documenté, Wolfowitz — avec l’avocat de Riza — avait imposé les conditions,
outrepassant les recommandations du comité d’éthique de l’institution et
empêchant le personnel compétent de participer aux négociations du contrat.
Incroyablement, Riza a déclaré qu’elle avait été
« persécutée » par cet accord lucratif, et a exigé « que l’on
mette fin aux attaques publiques et privées injustifiées et
malveillantes ».
De façon semblable, Wolfowitz s’est fait accompagné à la
Banque mondiale par deux membres républicains de droite de l’état-major de la
Maison-Blanche — Robin Cleveland et Kevin Kellems — qu’il avait nommés,
rapporte le Washington Post, « à des postes importants et
récompensés de contrats à durée indéterminée et de salaires non imposables d’un
quart de million de dollars, malgré leur manque d’expérience ».
Il est significatif que seulement quelques mois après sa
nomination à la Banque mondiale, Wolfowitz ait nommé Suzanne Rich Folsom,
juge et une activiste républicaine, à la tête du Département de l’intégrité
institutionnelle de l’agence, qui mène les enquêtes internes sur la corruption.
Elle a obtenu cette position après que les neuf candidats sélectionnés pour le
poste par le propre comité de recherche de la banque aient tous été rejetés
en faveur de la loyaliste de l’administration Bush.
L’arrogance et l’évidente corruption personnelle de
Wolfowitz étaient d’autant plus frappantes étant donné sa tentative de faire
d’une campagne contre la corruption gouvernementale internationalement son
cheval de bataille lors de son mandat à la Banque mondiale. Comme la
« guerre contre le terrorisme » et la croisade pour la
« démocratie », cette campagne devint de plus en plus clairement une
feuille de vigne pour la poursuite des intérêts mondiaux des Etats-Unis.
On invoqua la corruption comme prétexte pour arrêter de
prêter à des pays lorsque cela servait les objectifs de la politique étrangère
de Washington, tout en ignorant la corruption ou cela serait en conflit avec
les intérêts américains.
Ainsi, l’Ouzbékistan, qui avait reçu un demi-milliard de
dollars en prêts de la Banque mondiale depuis 1992, a vu ses vivres
soudainement coupés sur ordre de Wolfowitz en septembre 2005, deux mois
seulement après que le dictateur du pays, Islam A. Karimov, eut mis un terme à
une entente avec les Etats-Unis, ordonnant aux troupes et aux avions de guerre
américains de quitter le pays.
Cependant, dans le cas de l’Irak, de l’Afghanistan, du
Pakistan et d’autres régimes d’importance stratégique pour les opérations
militaires des Etats-Unis, la question de la corruption s’évanouit.
Selon le Washington Post, « tant les employés
que la direction [de la Banque mondiale] avaient manifesté des inquiétudes sur
ce qu’ils décrivent comme étant l’insistance de Wolfowitz à ce que la banque
accélère ses emprunts à l’Irak et l’ouverture de son bureau là-bas ». Le
gouvernement irakien est universellement connu pour être l’un des plus corrompus
au monde, et tout compte fait, la Banque mondiale a été incapable de recruter
le personnel qualifié pour un tel bureau, en raison des inquiétudes justifiées que
soulèvent les conditions de guerre civile qui règnent dans le pays.
Les critiques internationales de Wolfowitz ont beaucoup de
raisons pour demander sa destitution de la Banque mondiale. Cependant, derrière
cette tempête portant sur les politiques réactionnaires et sur l’éthique d’un
homme qui, au sens le plus strict du terme, est un criminel de guerre, on
trouve de puissantes forces économiques internationales et des tensions
politiques qui apparaissent de plus et plus à la surface.
La crise que confronte Wolfowitz à la Banque mondiale est
inséparablement liée à la débâcle de l’entreprise criminelle à laquelle son nom
sera toujours associé : la guerre américaine en Irak. Les dénonciations
des ministres d’un gouvernement après l’autre sont une indication additionnelle
de l’isolement politique de l’administration Bush à l’étranger comme au pays.
Plus fondamentalement encore, le sort de cet ancien
responsable du Pentagone est une manifestation du changement dans la position
du capitalisme américain dans les affaires économiques et politiques globales.
La Banque mondiale — avec le Fonds monétaire international
— était l’une des institutions clé mise sur pied sous l’hégémonie américaine
après la Seconde Guerre mondiale avec l’objectif de reconstruire le capitalisme
européen et créer les conditions pour l’expansion du capitalisme américain
lui-même.
Etant donné le rôle proéminent des Etats-Unis dans la
création de l’institution, aussi bien que la prédominance du capital américain
dans les affaires de l’économie mondiale durant la période d’après-guerre, le
gouvernement des Etats-Unis avait eu le droit de désigner le président de la Banque
mondiale, aussi bien qu’un nombre de votes au bureau de direction qui lui
assurait, dans les faits, un droit de veto.
Cette part, cependant, a été réduite en raison du déclin relatif
de la domination de l’économie américaine et de la montée de puissants rivaux
capitalistes en Europe et en Asie. Alors que Washington détenait un peu plus
que 37 pour cent des droits de vote lors de la fondation de la Banque mondiale,
ce pourcentage est aujourd’hui réduit à 16 pour cent. Les quatre autres
actionnaires les plus puissants dans la banque après les Etats-Unis — le Japon,
l’Allemagne, la France et l’Angleterre — peuvent maintenant bloquer les Etats-Unis
s’ils votent ensemble. La Chine, qui a droit à moins de trois pour cent du
vote, fait un appel puissant en faveur d’un renforcement de sa position aux
dépens des Américains.
Néanmoins, le quartier général de la banque demeura à
Washington, et le gouvernement américain continu d’exercer une influence
décisive sur ses décisions.
Mais dans la mesure où l’impérialisme américain demeure la
puissance globale dominante aujourd’hui, ce n’est pas en raison de sa puissance
économique ou de sa capacité de production. C’est plutôt une tentative de
compenser par la production de matériel militaire son déclin économique
relatif. Ceci génère inévitablement d’immenses conflits et des tensions inter-impérialistes
Alors que pour la plupart d’entre eux, les rivaux de
Washington en Europe et en Asie, ce sont pliés aux demandes de l’impérialisme
américain, ils ne l’ont pas fait sans ressentiment amer à l’égard de la
domination de Washington et avec une détermination à poursuivre leurs propres
intérêts en tant que puissance capitaliste. Dans ce scandale scabreux
flottant autour Wolfowitz, ils ont trouvé un moyen de réaliser ces objectifs.