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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Les élections parlementaires russes : le parti de Poutine garde le contrôle

Par Vladimir Volkov
13 décembre 2007

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L’une des principales caractéristiques de la campagne pour les élections russes à la Douma a été l’effort massif de propagande entrepris par les médias influents et contrôlés par le gouvernement en faveur d’un candidat unique, celui du parti pro-Kremlin Russie unie, placé en tête de liste par le président Vladimir Poutine après le 1er octobre.

Ce « jeu partial » informationnel qui s’est poursuivi pendant au moins deux mois ainsi que le recours très répandu à de soi-disant « ressources gouvernementales », à savoir des méthodes d’intimidation des électeurs et de jonglage avec les chiffres électoraux, a assuré à Russie unie un avantage impressionnant dans les élections législatives russes du 2 décembre.

Selon les chiffres publiés le 3 décembre par la Commission électorale centrale de Russie (CEC), après le dépouillement de 98 pour cent des bulletins, Russie unie a obtenu 64,1 pour cent des scrutins et, selon des données préliminaires, a décroché 300 des 450 sièges au parlement ou Douma.

D’autres partis ayant obtenu des sièges sont le Parti communiste de G. Ziouganov qui a remporté 11,6 pour cent des voix, le PLDR de V. Zhirinovsky avec 8,2 pour cent et Russie juste dirigé par le porte-parole du Conseil de la Fédération (chambre haute du parlement russe), Sergueï Mironov qui a recueilli 7,8 pour cent des votes.

Un certain nombre de représentants de l’élite politique se sont dépêchés de proclamer le succès du « vote de confiance » envers Poutine. De l’avis de Dmitrii Orlov, le dirigeant de l’Agence des Communications politiques et économiques, « La majorité des citoyens s’est en fait exprimée en faveur de la présente trajectoire de Vladimir Poutine. » Le dirigeant de Russie unie, Boris Gryzlov, a annoncé une « victoire de Poutine au premier tour, » faisant évidemment allusion aux prochaines élections présidentielles.

Selon les termes du même Gryzlov qui contredisent les évaluations de la majorité des observateurs et des experts, les élections étaient « absolument transparentes et démocratiques. »

Une autre section de l’establishment politique s’exprime avec plus de prudence. De l’avis de Gleb Pavlovsky, l’un des experts politiques influents du Kremlin, cela ne signifie pas grand-chose « de dire que ces élections étaient un référendum de confiance envers Poutine. » Cette phrase, précise-t-il n’est rien d’autre qu’une formule de propagande. De l’avis de Pavlovsky, la « tâche de Poutine est de faire en sorte que la confiance que les citoyens lui portent personnellement se transforme en confiance dans l’Etat. »

Derrière cette position se trouve une évaluation plus sobre du caractère des élections dont les résultats requis par les autorités ont été réalisés au moyen de manipulations extrêmement douteuses et de slogans qui, dans une certaine mesure, mettent en cause la base même de l’ordre social et économique qui existe en Russie.

La condamnation des années 1990

Russie unie a mené sa campagne dans les conditions où l’autorité de l’ensemble des structures du pouvoir gouvernemental et de la politique officielle connaît un sévère déclin. La décision de Poutine de se positionner en tête de liste de Russie unie avait été dictée par le risque que le Kremlin pourrait ne pas être en mesure de s’assurer un contrôle majoritaire à la Douma sans lequel la totalité du mécanisme de « pouvoir vertical » pourrait commencer à déraper.

Les réussites auxquelles la propagande gouvernementale et Poutine lui-même se réfèrent, à savoir l’accroissement à plusieurs reprises du produit interne brut (PIB) au cours de ses quelques dernières années, les recettes élevées de l’Etat résultant de l’exportation des ressources naturelles, les améliorations des revenus de certaines sections de la population, sont éclipsés par des tendances visibles de tous, telle l’augmentation rapide du prix des biens de consommation de base, de l’ordre de 25 à 30 pour cent cet automne. Les « réussites » de Poutine n’ont que peu d’impact sur les besoins au quotidien de la majorité des citoyens.

La principale dynamique de la campagne électorale de Poutine n’était pas quelques objectifs positifs (de ce côté il n’a rien a offrir aux gens), mais deux thèmes : la condamnation de la politique de « thérapie de choc » d’Eltsine et de privatisation des années 1990, et la lutte contre la menace d’une « Révolution orange » en Russie inspirée par des forces occidentales libérales agissant avec le soutien et dans l’intérêt de l’impérialisme mondial.

En fait, le principal thème de Poutine durant la campagne avait été l’affirmation que lui-même et le régime qu’il a créé sont le moindre mal et que si « d’autres revenaient » ce sera pire. C’était tout ce que les idéologues du Kremlin d’aujourd’hui étaient en mesure d’offrir comme  moyen de consolider leur électorat.

Le point culminant de cette ligne du président a été le discours qu’il a prononcé le 21 novembre devant une foule de 5.000 partisans au stade Luzhiniki. Poutine a condamné « ceux qui il y a dix ans contrôlaient les positions-clé à la fois au Conseil de la Fédération et dans le gouvernement. » Ce qui est inadmissible, a-t-il déclaré, c’est le retour au pouvoir de ceux « qui dans les années 1990, tout en occupant de hautes positions, ont agi au détriment de la société et de l’Etat, en servant les intérêts des structures oligarchiques et en dilapidant la propriété de la nation. »

« C’est eux, » a-t-il poursuivi « qui ont fait de la corruption le principal instrument de la concurrence politique et économique. C’est eux qui, année après année, ont voté des budgets déséquilibrés et tout à fait irresponsables qui aboutissaient à la faillite en entraînant une baisse impitoyable du niveau de vie de nos citoyens. »

Dans le même temps, Poutine a condamné ceux qui ont « des objectifs absolument différents et des points de vues différents de la Russie. » Il a continué en disant : « Ils ont besoin d’un Etat affaibli et débilité. Ils ont besoin d’une société désorganisée et désorientée. Ils ont besoin d’une société divisée afin de faire des affaires derrière son dos et recevoir des récompenses à nos dépens. Malheureusement, il y encore ceux qui dans notre pays s’accrochent aux ambassades étrangères, aux représentants diplomatiques étrangers en comptant sur le soutien de fondations étrangères et de leurs gouvernements plutôt que sur le soutien de leur propre peuple. »

Cette rhétorique, faisant allusion à des tendances vraiment réelles, a joué un rôle non négligeable dans la décision de nombreux électeurs russes de faire une espèce de compromis personnel et d’accepter en fin de compte de se réconcilier avec la pression exercée par les autorités pour voter pour le parti qui en réalité incarne presque tous les vices que Poutine a dénoncé en paroles.

Le caractère hypocrite et démagogique des tirades de Poutine est clair pour quiconque est politiquement informé. Poutine lui-même est de la même famille que ces couches de la nouvelle élite qui dans les années 1990 ont posé les fondations pour leur richesse et leurs privilèges actuels.

Quelques jours avant la tenue du discours mentionné ci-dessus, Dmitrii Furman, professeur d’histoire et chercheur de haut rang à l’Institut européen de l’Académie des Sciences de Russie, avait judicieusement remarqué :

« …Poutine est l’héritier "légitime" de 1991. Il a reçu le pouvoir du principal dirigeant de la "révolution dissidente" [Eltsine] et le deuxième président était lui-même l’assistant de l’un de ses dirigeants, le père de Ksenia Sobchak. Ce n’est pas Poutine qui a créé l’actuel système, mais ceux qui ont été successivement victorieux en 1991, 1993 et en 1996. » (Independent Gazette, le 14 novembre)

C’est dans cette attitude publique extrêmement contradictoire de Poutine que des gens comme Pablovsky voient un sérieux danger. La démagogie fonctionne, mais elle a ses limites. Elle peut avoir des conséquences indésirables et imprévisibles.

Le principal résultat de la campagne électorale a été la formation en Russie d’un consensus public basé sur une attitude extrêmement négative à l’égard des années 1990.

Ruslan Grinberg, chef de l’Institut économique de l’Académie des Sciences de Russie, s’était consacré à ce sujet dans l’édition du 20 septembre du journal Izvestia. Dans une réponse à la question, « En dernière analyse, les réformes ont-elles réussi ? », il a répondu :

« Cela dépend de la manière dont on les évalue. Prenez une personne de l’époque de 1990 et dites-lui que le produit intérieur brut d’aujourd’hui est le même qu’alors. Elle deviendrait folle. Vous ne pouvez pas comparer la disponibilité des marchandises. Toutefois, compte tenu de tout cela, seuls 20 pour cent des citoyens ont commencé à mieux vivre, 30 pour cent sont dans une situation identique et pour 50 pour cent la situation a empiré. Donc, nous avons un mélange de données objectives et de sentiments subjectifs. »

« Il semblerait qu’il y ait eu une croissance substantielle », a poursuivi Grinberg, « les réserves monétaires ont augmenté, les revenus des gens ont augmenté et l’inflation est en baisse… Mais tout cela n’est "qu’en moyenne". Il y a beaucoup de choses qui sont préoccupantes. Je vois quatre problèmes clé. Premièrement, la "primitivisation" de l’économie continue : nous sommes de plus en plus tributaires de la vente de ressources naturelles. Deuxièmement, l’infrastructure totalement délabrée n’est en aucune façon rénovée, les routes, les pipelines, l’habitation et ainsi de suite. Troisièmement, le fruit de l’afflux malsain des pétrodollars est distribué de la pire façon latino-américaine. Finalement, et le pire de tout, la productivité générale de l’économie est plus faible qu’elle ne l’était du temps de l’Union soviétique.

« Et à présent rappelons-nous pourquoi nous avons commencé la Perestroïka et ses réformes : nous voulions accroître la productivité et l’économie, faire des marchandises de meilleure qualité, moins chères et d’une plus grande variété et, ce faisant, accroître le niveau de vie général. Et que s’est-il passé ? Au lieu de marchandises manufacturées médiocres, presque plus rien ; la consommation énergétique augmente, le rendement des investissements de capitaux baisse, l’innovation est presque au point mort… De telles choses étaient inimaginables même dans un cauchemar. »

Le nouveau premier ministre, Victor Zoubkov, avait récemment été obligé de reconnaître l’extrême délabrement technologique des infrastructures industrielles. Le 20 novembre, le journal gouvernemental Gazette russe a écrit que lorsque Zoubkov s’était rendu à la mi-octobre à l’usine de construction de machines Salyut près de Moscou et a vu l’équipement usagé il « en a été tellement découragé qu’il a même eu honte d’en parler. »

Dans des commentaires qu’il a faits à l’usine, Zoubkov a confessé : « Rien que dans les usines de Roskosmos [l’agence spatiale russe], plus de 70 pour cent des machines sont dépassées et physiquement cassées et 15 pour cent de l’équipement technologique spécialisé a servi pendant plus de vingt ans. Au cours de ces cinq dernières années, nous avons rénové et il est honteux de le dire, moins d’un pour cent des machines. »

Entre-temps, les conditions sociales de dizaines de millions d’habitants russes ne s’améliorent pas. Pour la majorité, elles empirent.

C’est cette réalité que les masses de gens ordinaires perçoivent dans leur expérience au quotidien. Cette réalité leur inspire un inévitable sentiment de protestation et un désir de trouver des alternatives sociales.

Toutefois, jusqu’à présent de tels sentiments ont trouvé une expression contradictoire et régressive dans la forme d’un vaste vote pour le régime actuel. Les gens ne veulent pas d’une répétition de la période catastrophique des années 1990 avec son pillage effréné de l’économie nationale par un groupe de crapules, la domination de la criminalité et le terrible effondrement social. C’est précisément à ces impulsions que les autorités cherchent à s’adapter dans l’espoir de tromper une fois de plus les masses.

Le résultat des élections de dimanche est avant tout la conséquence du rôle traître joué par tous les partis d’opposition officiels. Ces partis, et le Parti communiste de Ziouganov avant tout, servent d’instrument à l’élite de la bureaucratie oligarchique et sont hostiles aux intérêts fondamentaux des travailleurs en ne leur laissant aucun choix dans le cadre du système politique existant.

La faillite historique du libéralisme

Un autre résultat important des élections est le renchérissement de la dégénérescence du libéralisme russe et sa perte de tout soutien significatif dans la société.

Les résultats immédiats du vote pourraient être plus bénéfiques aux deux principaux partis de la droite libérale, l’Union des forces de droite (UFD) et Yabloko (Pomme). Selon les données préliminaires de la Commission électorale, Yabloko a reçu 1,6 pour cent des voix et l’UFD un pour cent. Les autorités ont mené une campagne ciblée à leur encontre, les considérant comme une concurrence dangereuse dans le domaine de la politique capitaliste et aussi comme des forces soutenues par l’occident.

Même avec un dépouillement honnête du scrutin, ils n’auraient certainement pas obtenu un résultat plus significatif. L’influence de l’UFD et de Yabloko a décliné régulièrement au cours de cette dernière décennie.

La principale raison du déclin de leur popularité est leur défense continue des droits à la propriété privée et de la politique qui renforce la destruction des structures sociales. Cet état de fait n’a pu être obscurci ni par la prétendue inquiétude pour les pauvres et les retraités affichée par l’UFD au cours de la campagne électorale ni par l’attitude d’« ange gardien » des principes démocratiques que Yabloko aime à adopter.

Le rôle joué par Boris Mentsov, le principal personnage figurant sur la liste électorale de l’UFD, nommé comme le candidat présidentiel du parti, revient trop facilement en mémoire durant la période de l’histoire récente. Il avait été et est toujours, l’un des défenseurs les plus dévoués de la politique de restauration capitaliste dans la forme appliquée des années durant par Eltsine, et ses autorités politiques favorites sont, à en croire ses propres confessions, des personnages comme Margaret Thatcher.

Quant à Grigory Yavlinsky, le dirigeant de Yabloko, il a, au cours de la présente campagne, démonstrativement mis l’accent sur son adhérence aux principes du marché. Dans une interview accordée à l’hebdomadaire Moscow News (édition du 28 septembre-4 octobre), il a insisté sur le fait que l’un des problèmes majeurs du pays est que « l’inviolabilité des droits de propriété fait défaut. » En élaborant ses pensées, Yavlinsky a dit :

« Nous considérons que les entreprises russes à grande échelle sont une réussite nationale et nous aimerions nous assurer qu’elles ont confiance dans la Russie, parce que sans elles l’économie ne peut exister. »

Immédiatement après ce commentaire il a appelé à une légitimation totale des résultats de la privatisation des années 1990, « partant des conditions réelles qui se sont développées dans notre pays, et non pas de schémas abstraits. » De plus, Yavlinsky a expliqué que « tant que les entrepreneurs ne croient pas que tout cela leur appartient vraiment, ils ne peuvent pas être sûrs de leur avenir. »

Tout ceci montre une fois de plus à quel point les préoccupations des partis « démocratiques » russes sont éloignées des intérêts des millions de travailleurs. Le libéralisme russe de nos jours est encore moins à même de faire à la nation des propositions qui soient capables de vraiment résoudre les problèmes que ne l’étaient ses prédécesseurs au début du 20e siècle.

La faillite politique du libéralisme russe est un des facteurs permettant au Kremlin de s’afficher en « défenseur du peuple ». Entre-temps, la base sociale du soutien pour le Kremlin de Poutine s’érode de façon continue bien que lentement. L’une des expressions de cette érosion est le déclin relatif de l’autorité personnelle de Poutine et de Russie unie dans les grands centres urbains, ce que les dernières élections ont révélé.

Si Russie unie a obtenu près de 65 pour cent des voix au plan national, à Saint-Pétersbourg ce soutien n’a été que de 51 pour cent et à Moscou, de 53 pour cent. Cependant, dans des régions traditionnellement arriérées et politiquement conservatrices telles le Tatarstan, le « parti du pouvoir » a recueilli 87 pour cent du scrutin ; à Mordovia, il a reçu 97 pour cent. En Tchétchénie, les efforts de « l’ami de Poutine », le dictateur autoritaire, Ramzan Kadyrov, ont résulté en une participation de près de 100 pour cent et un vote pour le « parti du pouvoir ».

L’augmentation de l’atmosphère anti-gouvernementale, quoique limitée, dans les centres urbains influents est le prélude à un futur nouveau mouvement social et politique qui doit émaner en Russie comme l’expression des intérêts authentiques de la majorité de la population laborieuse. Par anticipation, le Kremlin commence à recourir à un degré de plus en plus important non seulement à des « moyens administratifs » et à la répression directe, mais à chercher le soutien parmi les couches de la population les moins éduquées et socialement les plus vulnérables en essayant d’utiliser leur confusion et leurs difficultés pour s’assurer de leur soutien.

Selon Dmitrii Oreshkin, expert en politique à l’Institut de Géographie de l’Académie des Sciences de Russie, « dans les conditions d’une scission de l’élite durant les années 1990, Boris Eltsine avait été le "président des villes", à un moment où les provinces avaient adopté des positions communistes conservatrices [c’est-à-dire, en sympathisant avec le Parti communiste de Ziouganov]. Aujourd’hui, la situation est tout à fait celle d’un reflet du miroir. Vladimir Poutine est davantage un "président des provinces" alors que les villes ignorent fondamentalement les élections, ou bien accordent entre 10 et 15 pour cent moins de soutien à Russie unie.

Dans ces élections, le Kremlin a été en mesure de réaliser le résultat dont il avait besoin. Mais à lui tout seul, le contrôle de la Douma ne suffit pas à résoudre la crise du conflit croissant avec l’occident et de l’aliénation grandissante de la classe ouvrière dans laquelle l’autoritarisme russe est embourbée en raison de ses contradictions internes. Le développement ultérieur des événements doit inévitablement tendre en direction de conflits croissants et de lutte au sein des groupes dirigeants du régime et contribuer à la croissance de protestations sociales des travailleurs à l’encontre de toutes les couches de l’élite dirigeante.

(Article original paru le 6 décembre 2007)


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