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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Les élections législatives et la crise du régime autoritaire en Russie

Par Vladimir Volkov
7 décembre 2007

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La campagne en vue des élections législatives (Douma) de dimanche en Russie s’est faite sur le contexte d’une crise grandissante de l’ensemble de la structure politique qui a émergé à la suite de la liquidation de l’Union soviétique et du lancement des « réformes » capitalistes au début des années 1990.

Les partis et les forces socio-politiques participant à ces élections sont profondément discrédités aux yeux des électeurs. Ils défendent tous les intérêts d’une nouvelle couche de propriétaires et des couches supérieures de la bureaucratie d’Etat dont les intérêts sont diamétralement opposés aux besoins et aux aspirations de la population laborieuse, soit de la vaste majorité du pays.

Dans le même temps, la campagne électorale a révélé des antagonismes croissants au sein de l’élite dirigeante elle-même : l’incapacité d’arriver à un compromis au sujet de la succession du président Vladimir Poutine ; des désaccords sur ce que devrait être les priorités quant à davantage de développement social et économique (un rôle plus grand pour le marché ou pour l’Etat dans l’économie ; une intensification ou un répit des attaques contre les structures sociales) ; sur la politique internationale dans le contexte d’une lutte grandissante entre les puissances mondiales pour s’assurer le contrôle des marchés et des ressources.

Jusqu’à présent, ces contradictions avaient été maîtrisées par l’autorité personnelle de Poutine qui a servi de facteur stabilisant dans son rôle « d’arbitre suprême de la nation ». Cependant, à partir du moment où il a été obligé ouvertement de prendre partie pour le parti au pouvoir afin de lui garantir une majorité parlementaire, il s’est identifié directement avec l’oligarchie et la bureaucratie prédatrices et son autorité a commencé à décliner.

Ceci menace d’ébranler la dernière institution politique relativement stable restant dans la Russie post-soviétique, à savoir la fonction de président qui a joué un rôle crucial au cours de ces dernières années en maintenant la totalité de la structure du nouveau capitalisme russe.

« Il n’y rien de mieux »

Sur les onze partis officiels admis à participer aux élections, pas plus de quatre ont une chance réelle de faire leur entrée au parlement, selon les données rassemblées par des sociologues. Il s’agit du parti pro-Kremlin, Russie unie dont Poutine conduit la liste électorale, le Parti communiste de la fédération de Russie (PCFR) de Guennadi Ziouganov, le descendant du Parti communiste stalinien de l’Union soviétique, le parti ultra nationaliste libéral démocrate (PLDR) de Vladimir Zhirinovsky et Russie juste, le « deuxième parti au pouvoir » dirigé par le président du Conseil de la Fédération (chambre haute du parlement russe), Sergueï Mironov.

Loin de refléter le véritable éventail de l’opinion politique dans la société russe, tous ces partis représentent les tendances politiques de base qui se sont développées au sein de l’élite dirigeante.

Le parti favori pour gagner les élections, Russie unie, a été fondé durant l’été et l’automne de 1999 lorsque les oligarques de l’époque d’Eltsine, dirigés par Boris Berezovski, qui est tombé entre temps en disgrâce et qui est exilé, avaient préparé les conditions pour le transfert du pouvoir au successeur d’Eltsine. Ce parti devait devenir le servile instrument entre les mains de la clique dominante au Kremlin pour contrôler le processus législatif de façon à garantir la transformation de la Russie prétendument « démocratique » de l’époque d’Eltsine en un pouvoir souverain centralisé capable de poursuivre la restauration capitaliste et de parler davantage sur un pied d’égalité avec les gouvernements influents de l’impérialisme mondial.

Au cours de ces dernières années, Russie unie a servilement pris un grand nombre de mesures en faveur du Kremlin et est devenue à raison un symbole de la politique molle et de la corruption. Poutine lui-même a été forcé de le reconnaître. A la mi-octobre, dans un discours prononcé à Krasnoyarsk, il a dit que Russie unie ne disposait pas d’une idéologie consistante ou de principes fermes et qu’elle comptait dans ses rangs de nombreux « suiveurs » qui non seulement discréditaient le parti, mais le régime dans son ensemble. Dans son discours, Poutine a ajouté « toutefois, nous n’avons rien de mieux ».

Le caractère révélateur de cet aveu a été immédiatement remarqué par de nombreux commentateurs.

Depuis sa fondation au début de 1993, le PCFR de Ziouganov sert de pilier politique le plus important au Kremlin. En formant un pont vivant entre la vieille nomenclature soviétique et la nouvelle bourgeoisie et bureaucratie, son rôle est de diriger les protestations de masse vers des canaux relativement sûrs du nationalisme grand russe et des aspirations de grande puissance.

Après qu’Eltsine ait recouru aux tanks pour bombarder le parlement en automne 1993, le PCFR a soutenu les nouvelles élections de la Douma et le référendum sur la constitution autoritaire qui est restée en vigueur à ce jour, légitimant ainsi les deux du fait de sa participation. En été 1996, Ziouganov avait accepté l’annonce officielle qu’Eltsine avait gagné les élections présidentielles en dépit du fait que des rumeurs circulent en permanence parmi les experts disant qu’Eltsine avait perdu au premier tour.

Le PCFR a joué un rôle non moins honteux et traître au début de 2005 lorsque le pays était la proie d’une vague de protestations spontanées contre la monétarisation des allocations sociales à un moment où la politique avait commencé à toucher d’autres couches de la population que les personnes âgées et les retraités. Le PCFR avait pris la « tête » de ses manifestations dans le but de les étouffer.

Malgré ses critiques occasionnelles sévères des autorités, le PCFR de Ziouganov a toujours docilement voté pour des lois promues par le Kremlin. Ce parti n’a jamais placé l’intérêt social de ses électeurs au-dessus de ses propres positions dans la structure du pouvoir. Au contraire, ce vestige du stalinisme en état de décrépitude s’est toujours très bien accommodé du nouveau régime et de sa défense du profit privé.

Le PLDR de Zhirinovsky qui est le plus ancien des partis officiels de la « nouvelle Russie » (il avait été créé avec la bénédiction de la direction de Gorbatchev) joue le rôle d’inciter et d’attiser systématiquement les préjugés et les instincts arriérés. Le PLDR considère les électeurs comme étant exclusivement des gens à manipuler en disant une chose un jour et une autre le lendemain sans jamais essayer de justifier les contradictions de ses positions ou d’expliquer sa servilité devant le Kremlin.

Le parti de Zhirinovsky joue également le rôle d’un des principaux canaux permettant à des éléments criminels et à des personnes de réputation douteuse d’entrer au parlement. Dans l’actuelle campagne électorale, le candidat numéro deux inscrit sur la liste électorale du PLDR est Andreï Lugovoï, ancien membre du KGB et homme d’affaires accusé par les autorités britanniques d’avoir à l’automne de l’année dernière à Londres empoisonné au polonium Alexandre Litvinenko, un autre ancien officier du KBG.

Le parti « Russie juste » est une structure de l’appareil d’Etat créée l’année dernière avec le soutien du Kremlin en alliant le Parti de la Vie (l’instrument initial de Mironov, président du Conseil de la Fédération de Russie) au Parti russe des retraités et au parti ultra nationaliste Rodina (Patrie). Ce dernier avait été dirigé à l’origine par Dmitriy Rogozin, qui fut nommé dernièrement au poste de Représentant permanent de la Russie dans l’OTAN.

Russie juste critique les autorités et propose l’application de mesures sociales.

Tout ceci reste toutefois strictement du domaine des exercices rhétoriques. Mironov, le dirigeant du parti est l’un des défenseurs les plus actifs de l’idée d’un troisième mandat pour Poutine. En tant que troisième personne de l’Etat, Mironov affiche un talent extraordinaire pour imaginer de nouveaux prétextes judiciaires pour une telle démarche anticonstitutionnelle.

Selon l’appréciation de sociologues, les deux partis libéraux dirigeants et partisans de la libre concurrence n’ont aucune chance d’être élus à la Douma : l’Union des Forces de droite, politiquement liée aux architectes de la « thérapie de choc » et de la privatisation des années 1990, Yegor Gaidar et Anatoly Chubais ; et le Parti Yabloko (La pomme) dirigé par Grigory Yavlinsky. Les deux partis, en dépit de leurs désaccords et des différentes nuances d’orientation ont perdu la confiance de masses d’électeurs suite à leur dépendance des oligarques et de leurs appels continus à l’occident comme étant le prétendu garant de la « démocratisation » de la Russie.

Dans le contexte de l’occupation américaine de l’Irak et d’autres manifestations de la lutte interimpérialiste pour un nouveau partage du monde, leur condamnation des mesures autoritaires du gouvernement Poutine, justifiée en soi, semble totalement hypocrite. Ceci facilite au Kremlin l’application de mesures répressives à leur encontre. De telles démarches sont justifiées dans la propagande officielle par des références à ces organisations comme étant des instruments au service de l’intervention étrangère dans les affaires russes.

La confrontation croissante avec l’occident

La situation est identique en ce qui concerne le parti L’Autre Russie, le mouvement d’opposition bourgeois dirigé par l’ancien champion d’échecs, Garry Kasparov. L’Autre Russie est restée à l’écart des élections parlementaires, mais a organisé des marches de protestation contre l’autoritarisme de Poutine. Lors de la plus récente manifestation, le week-end dernier, Kasparov et plusieurs douzaines de partisans ont été arrêtés à Moscou.

Peu de temps auparavant, le Bureau des Institutions démocratiques et des Droits humains (ODIHR) de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) avait déclaré renoncer à envoyer des observateurs aux élections parlementaires russes, en faisant référence aux nombreux obstacles que les autorités russes avaient posés sur son chemin.

Se sentant obligé de réagir à ces événements, Poutine a déclaré le 26 novembre que la décision de l’ODIHR avait été prise sur ordre du département d’Etat américain et que la Russie s’en souviendrait lorsqu’elle considérerait ses relations avec les Etats-Unis. La décision de ne pas envoyer d’observateurs a pour but, selon le président russe, de délégitimer les élections parlementaires.

Dans le même temps, Poutine avait conseillé aux puissances étrangères de ne pas fourrer leur « nez morveux » dans les affaires russes.

En réponse, le président américain George Bush a appelé le lendemain à la libération des manifestants interpellés lors des « marches dissidentes » en Russie. Il a déclaré : « Je suis profondément préoccupé par l’emprisonnement de nombreux défenseurs des droits de l’homme et de dirigeants politiques qui ont participé ce week-end à des rassemblements pacifiques à Moscou, Saint-Pétersbourg, Nijni-Novgorod et Mazran.

« Je suis particulièrement inquiet, a poursuivi Bush, par le recours à la force dans l’application de la loi pour mettre fin à ces activités pacifiques et pour empêcher certains journalistes et défenseurs des droits de l’homme d’en faire des reportages. »

Poutine à son tour a pris la parole le 28 novembre devant des diplomates étrangers et des dirigeants d’organisations internationales. Il a une fois de plus souligné qu’il était inadmissible que des événements en Russie « soient corrigés de l’extérieur. »

Cet échange de propos rudes souligne la dureté du conflit qui s’accentue entre la Russie et les pays occidentaux, d’abord et avant tout les Etats-Unis. A commencer par le discours tenu par Poutine à Munich en février dernier, lorsqu’il a accusé les pays de l’OTAN de faire preuve « d’un dédain de plus en plus grand pour les principes de base du droit international », le Kremlin avait accusé l’occident d’ignorer les intérêts de la Russie.

Le thème de la résistance aux manigances occidentales a occupé une place centrale dans les discours préélectoraux de Poutine cet automne. Le point culminant fut le discours prononcé le 21 novembre à Luzhniki devant 5.000 partisans. Il y attaquait ceux qui « ont besoin d’un Etat affaibli et débilité, une société désorientée et divisée afin de faire des affaires derrière son dos et recevoir des récompenses à nos dépens. » Poutine faisait allusion aux oligarques russes bannis, aux opposants libéraux et à leurs promoteurs occidentaux.

La culture du culte de la personnalité de Poutine

Le conflit croissant avec l’occident et la menace d’une « Révolution orange » au sein de la Russie, soutenue par l’occident, sert à créer un culte de la personnalité autour de Poutine. Quasiment l’ensemble de la propagande du Kremlin déclare que l’ensemble de l’édifice de l’Etat russe repose exclusivement sur un homme. S’il part, le pays peut s’attendre à tomber dans le chaos, la discorde et le déclin.

Russie unie a même annoncé que les élections parlementaires sont « un référendum de confiance à Poutine ».

La nature contradictoire de telles déclarations est évidente même à des commentateurs relativement loyaux. Le journal Nezavisimaia Gazeta daté du 19 novembre a remarqué: « Dans leurs efforts de justifier la nécessité de garder au pouvoir Poutine, les représentants de l’idéologie officielle ont reconnu qu’une déviation même d’un "micron" provoquerait immédiatement l’effondrement de la structure entière et conduirait à un retour au chaos des années 1990. Ils n’ont pas fait remarquer que tout cela renie l’accomplissement des huit années du régime de Poutine. De quel genre de stabilité d’agit-il si elle disparaît en un instant en cas de changement de pouvoir d’un micron ? »

Ce qui sous-tend la promotion du culte de la personnalité de Poutine est l’antagonisme grandissant entre la nouvelle élite dirigeante en Russie et la classe ouvrière. Le niveau considérable des inégalités sociales qui se sont développées en Russie ces dernières vingt années, rendent impossible de gouverner la société à l’aide même d’un semblant de procédures démocratiques.

Les élections parlementaires sont un exemple de cette situation. Selon les lois adoptées dernièrement, un parti doit compter 50.000 membres et collecter non moins de 20.000 signatures de par les différentes régions de Russie, pour pouvoir participer aux élections. Pour pouvoir entrer au parlement, un parti doit recueillir non moins de 7 pour cent des voix de ceux qui ont participé aux élections. De plus, les régions à un mandat ont été annulées (dans ces régions les électeurs étaient en droit de choisir des candidats indépendants, différents de la liste du parti) et le bulletin de vote n’offre plus la possibilité de voter « contre tous ».

Comme l’a remarqué le correspondant du Financial Times à Moscou, Neal Buckley, un parti peut recueillir 3,5 millions de voix sans pour autant entrer à la Douma.

En conséquence, le niveau de confiance dans les élections est très bas. Selon les instituts de sondages influents, entre 39 (Centre national d’étude de l’opinion publique russe, VTsIOM) et 16 pour cent (Centre Levada) de personnes ont confiance dans ces élections.

De plus, peu d’électeurs savent ce que signifie le soi-disant « plan Poutine » dont on fait le battage jour et nuit dans les mass médias contrôlées par le Kremlin. Selon des données émanant du Centre Levada mentionné ci-dessus, 65 pour cent des personnes interrogées ont exprimé la certitude que « Poutine dispose d’un plan », mais 6 pour cent seulement croient savoir ce qu’il est.

Dans ces conditions, des appels incessants sont faits pour que Poutine fasse un troisième mandat ou qu’un mécanisme quelconque soit créé lui permettant de rester le dirigeant suprême sans occuper de poste officiel.

L’un de ces plans avait été avancé par les idéologues de Russie unie. Il projette d’établir une nouvelle institution, le « dirigeant national ». Ce nouveau centre inconstitutionnel du pouvoir personnel serait créé par une conférence pan-russe de représentants de l’industrie et de l’Etat organisée entre la date des élections du nouveau président et son inauguration au printemps prochain. Ce plan, publié mi novembre sur le site Internet de Russie unie fut ensuite retiré. Toutefois, il est clair que des projets identiques continuent d’être développés et d’être secrètement préparés.

Politiquement ceci signifie que l’élite dirigeante prépare plusieurs variantes de coups d’Etat qui permettraient aux groupes dominants du Kremlin de rester au pouvoir.

On pourrait dire en parlant de l’impasse dans laquelle le régime post-soviétique se trouve en Russie que le « film du développement historique » (pour employer l’expression de Trotsky) a été rembobiné à l’époque qui a précédé la Révolution d’Octobre de 1917.

L’effondrement de l’Union soviétique et la restauration du capitalisme ont donné une fois de plus une expression concentrée de l’échec de toutes les tentatives visant à surmonter l’arriération sociale et économique du pays par le biais des moyens bourgeois libéraux. A présent, à l’époque de la mondialisation qui a aiguisé la crise du système capitaliste mondial, le libéralisme russe, dans toutes ses formes, est encore moins à même de faire avancer le pays qu’en 1917.

Quelle que soit l’issue des élections parlementaires du 2 décembre, il est sûr qu’elles annonceront un nouveau stade du pourrissement de la « démocratie » bourgeoise en Russie et intensifieront la crise de la nouvelle élite dirigeante. Tant que la classe ouvrière ne construira pas un mouvement politique indépendant, ravivant l’héritage et la perspective internationale de la Révolution d’octobre 1917, l’autoritarisme « démocratique » russe sera déchiré entre les menaces d’une « Révolution orange » et de coups d’Etat nationalistes à caractère ultra droitier.

(Article original paru le 1er décembre 2007)


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