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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Wielgus a collaboré avec les services secrets staliniens

Pologne : la démission de l’évêque lève le voile sur la crise de l’Eglise catholique

Par Marius Heuser et Peter Schwarz
2 février 2007

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La récente démission de Stanislaw Wielgus en tant qu’évêque de Varsovie a levé le voile sur la profonde crise de l’Eglise catholique en Pologne. L’Eglise, qui a traditionnellement représenté un rempart réactionnaire en Pologne et qui a joué un rôle important pour canaliser l’opposition de masse au régime stalinien dans un processus de restauration capitaliste, voit son influence constamment diminuer dans ce pays.

Wielgus a démissionné le 7 janvier avant de prêter serment après que des documents rendus publics quelques jours auparavant aient prouvé qu’il avait collaboré avec les services de sécurité de l’Etat polonais.

Le gouvernement des jumeaux Kaczynski (Lech est président et Jaroslaw premier ministre) est profondément divisé sur l’affaire Wielgus. Des sections du camp conservateur gouvernemental — le Parti Samoobrona du premier ministre adjoint Andrzej Lepper, la radio catholique Radio Maryja et le primat de l’Eglise catholique, le cardinal Jozef Glemp — prennent la défense de Wielgus malgré son passé de collaboration avec les services secrets staliniens. D’autres au sein des cercles conservateurs — comme le journal radicalement anticommuniste Gazeta Polska, qui a publié les preuves que Wielgus était un informateur — l’ont attaqué avec véhémence.

Pour les Kaczynski, la dénonciation de ce dignitaire catholique de haut rang a été la source d’un grand malaise. Incapables de remplir leurs promesses dans le domaine social et devenant de plus en plus impopulaires, ils cherchent à jouer la carte éculée de l’anticommunisme. L’examen minutieux de toutes les personnes détenant un poste dans l’Etat pour déterminer si elles avaient autrefois collaboré avec les services secrets est un élément central de leur programme gouvernemental. La dénonciation d’un haut dignitaire catholique en tant qu’informateur du service de sécurité polonais a coincé ces deux bigots catholiques.

L’affaire Wielgus n’est que la partie émergée de l’iceberg. L’Institut pour la mémoire nationale (IPN) à Varsovie, qui administre les documents des services secrets staliniens croit qu’entre 10 et 15 pour cent de tous les prêtres polonais ont été en contact avec le SB (le service intérieur secret). Selon d’autres estimations, ces chiffres sont plus élevés.

Selon le journal polonais Dziennik, des documents montrent que le service secret a infiltré les plus hauts niveaux de l’Eglise et a même tenté d’influencer le choix des prélats. Les dossiers des services secrets donnent la liste des noms de code de douze évêques qui, à la fin des années 1970, leur faisaient des rapports sur le déroulement interne de la conférence des évêques.

Le régime stalinien et le clergé catholique

Cette dénonciation montre clairement que Wielgus et les autres informateurs des services secrets ne sont pas des cas isolés. Malgré les conflits quelquefois aigus entre le clergé catholique et le régime stalinien, ils s’entendaient sur une question fondamentale : ils craignaient tous deux le développement d’un mouvement révolutionnaire exprimant les intérêts de la population polonaise.

Le régime stalinien percevait avec justesse que les mouvements de grève importants de 1956, 1970, 1976 et 1980 représentaient des menaces à son pouvoir. Depuis la révolution russe de 1917, l’Eglise catholique, avec sa tradition plusieurs fois séculaire de défense de la classe dirigeante et de la propriété privée, était un bastion international d’anticommunisme. Ce n’est pas par hasard que l’Eglise catholique avait soutenu les fascistes de Franco pendant la guerre civile espagnole.

Quand dix millions d’ouvriers polonais avaient formé le syndicat Solidarnosc en 1980, l’Eglise avait usé de son influence dans ce pays traditionnellement catholique pour en isoler les éléments les plus progressistes et pour canaliser le mouvement dans l’impasse du nationalisme. Avec sa longue expérience de défenseur du pouvoir et de l’ordre, elle était consciente qu’elle ne pouvait pas simplement s’opposer passivement à un tel mouvement de masse, mais qu’elle devait chercher à l’influencer activement dans le but de le détruire.

Le pape Jean-Paul II, qui avait été le premier Polonais à être nommé souverain pontife deux ans plus tôt, avait joué un rôle très actif dans ce processus. En 1980, il avait invité une délégation de Solidarnosc à une audience au Vatican. Le pape Jean-Paul II travaillait étroitement avec les services de renseignement américains et avait réussi, grâce à diverses sources, à amasser au moins 50 millions $ pour appuyer le syndicat. L’importante intervention du Vatican avait considérablement servi à marginaliser toute tendance progressiste à l’intérieur de Solidarnosc et avait permis que domine l’aile cléricale et nationaliste entourant Lech Walesa.

Les conseillers et la direction de Solidarnosc, influencés par l’Eglise, avaient tout fait pour empêcher une confrontation ouverte avec le gouvernement. Plus les confrontations avec le gouvernement devenaient violentes et plus la direction de Solidarnosc intervenait pour contenir les travailleurs. Lorsque le général Wojciech Jaruzelski avait instauré la loi martiale le 13 décembre 1981, emprisonnant des milliers de travailleurs et en tuant des dizaines d’autres, le syndicat était complètement paralysé.

Pour Jozef Glemp, alors primat de l’Eglise polonaise, la tâche la plus importante était de maintenir l’ordre public. Lors de son discours de Noël 1982, il avait demandé aux Polonais de ne pas raviver « les blessures du Noël passé ». Il avait condamné certaines mesures prises par le régime, particulièrement celles prises par les autorités locales, qui, soutenait-il, n’avaient pas obtenu l’accord des pouvoirs centraux. « Le découragement et l’apathie, la passion et le désespoir sont des états dangereux pour l’âme », avait-il prévenu les fauteurs de troubles potentiels. « Il est difficile d’édifier un ordre social sur des fondations internes aussi instables. »

En 1983 et 1987, le pape Jean-Paul II avait entrepris deux pèlerinages vers son pays natal, et en ces deux occasions avait rencontré le pouvoir militaire au gouvernement en la personne du général Jaruzelski. Selon certains reportages, leurs rencontres avaient été très vives. Mais le pape souhaitait avant tout empêcher un développement révolutionnaire et assurer une restauration capitaliste.

Il est significatif que le pape ait reçu Jaruzelski au Vatican, même lorsque ce dernier n’était plus à la tête du gouvernement. En janvier 2002, le pape Jean-Paul II avait accordé une audience au général, qui à ce moment n’était que simple citoyen.

Et en janvier 2006, Radio Vatican avait annoncé : « Le dernier président communiste de la Pologne, le général Wojciech Jaruzelski, fera office de témoin durant le processus de béatification du pape Jean-Paul II... Lors des procédures de béatification de Jean-Paul dans le diocèse de Cracovie, Jarulzeski, qui avait imposé la loi martiale en 1981, discutera surtout du profil politique du pape Wojtyla. »

Que ce général qui avait dirigé le putsch se présente comme principal témoin pour aider le pape Karol Wojtyla à atteindre la sainteté en dit plus long sur la véritable relation entre le stalinisme et l’Eglise que tous les mythes officiels sur la soi-disant résistance de l’Eglise.

Wielgus l’informateur

Il est tout à fait logique qu’un grand nombre d’hommes de l’Eglise aient franchi un pas de plus et soient devenus informateurs des services secrets staliniens. Le passé de l’archevêque de Varsovie ne semble pas avoir troublé le cardinal Ratzinger, successeur de Wojtyla.

Dans son discours de démission, Wielgus a déclaré qu’il en avait informé le Vatican : « J’ai informé le Saint-Père et les autorités nécessaires du Vatican sur la voie que ma vie a empruntée, y compris cette partie de mon passé concernant mon implication avec les contacts des forces de sécurité de l’époque, qui agissaient dans un Etat totalitaire hostile à l’Eglise. »

Pour sa part, le Vatican le nie. Mais d’autres accusations du même genre pesaient contre Wielgus et étaient connues depuis longtemps. Cependant, l’Eglise a réussi jusqu’à maintenant à empêcher une véritable enquête sur ses archives.

Wielgus a nié fermement avoir eu quelque rencontre que ce soit avec les services secrets staliniens — jusqu’à la publication des documents prouvant le contraire. Parmi ces papiers se trouve une déclaration écrite dans laquelle Wielgus promet de surveiller la communauté polonaise en exil, en particulier le bureau de rédaction de la station de radio « Europe libre » pendant sa visite d’étude à l’étranger au début des années 1970.

Durant les cinq années qui ont suivi, il aurait rencontré les services secrets près de 50 fois. Selon un rapport des services secrets, il avait recruté des agents d’informations à l’Université catholique de Lublin, transmis des profils de prêtres et de scientifiques, et donné une évaluation de l’état d’esprit des enseignants durant les crises politiques de 1968 et de 1970. 

Wielgus maintient que ses activités n’ont causé de tort à personne. C’est difficile à croire, surtout à la lumière de ses déclarations antérieures où il niait avoir eu des contacts avec les services secrets.

Un jour seulement après la démission de Wielgus, un autre membre du clergé a démissionné en raison de ses contacts avec les services secrets. Le prélat de la cathédrale de Wawel à Cracovie, Janusz Bielanski a donné sa démission au cardinal Stanislaw Dziwisz, qui l’a immédiatement acceptée.

Le Newsweek Polska rapporte qu’un nombre considérable de membres du clergé dans l’entourage du cardinal Dziwisz avait subi des pressions considérables pour collaborer avec les services secrets. Dziwisz était l’aumônier de Karol Wojtyla, qui, après avoir été élu pape, en avait fait son assistant personnel.

La publication de ces documents a provoqué une réaction virulente. Plusieurs journaux ont appelé à une dénonciation complète du rôle de l’Eglise. Au même moment, des protestations se sont élevées contre de telles procédures. Le cardinal Glemp a défendu Wielgus en ces termes : « Même l’apôtre Pierre a fait des erreurs. Il a renié Jésus, et malgré cela, il a été le premier chef de la chrétienté. »

Même le dirigeant du gouvernement, Jaroslaw Kaczynski, habituellement partisan agressif des dénonciations d’informateurs staliniens, a fait marche arrière et pris la défense de Wielgus : « La culpabilité du bourreau ne devrait pas être cachée par la culpabilité de ceux qui ont fait de mauvaises choses et qui ont été brisés, mais qui n’en restent pas moins des victimes. »

La conférence des évêques polonais a promis d’ouvrir à l’enquête tous les documents des services secrets concernant les évêques.  Cependant, le résultat de cette enquête ne sera pas rendu public et ne sera divulgué qu’au pape.

L’affaire Wielgus, est symptomatique de la crise de l’Eglise catholique en Pologne. Le fait qu’elle soit impliquée dans les cercles politiques les plus à droite et les conséquences sociales catastrophiques de la réintroduction du capitalisme ont discrédité l’Eglise aux yeux de bien des Polonais. L’Eglise perd rapidement son soutien dans un pays où 95 pour cent de la population est composée de catholiques baptisés. Il y a 20 ans, plus de 80 pour cent des habitants de Varsovie allaient régulièrement à l’église le dimanche ; aujourd’hui, on en compte moins d’un tiers. L’Eglise n’a réussi à préserver son influence que dans les régions rurales reculées de l’est de la Pologne.

Durant trois décennies, l’Eglise catholique a été un rempart important contre tout développement social progressif en Pologne. Le gouvernement actuel — surtout le Parti droit et justice (PiS) des frères Kaczynski et la Ligue des familles polonaises (LFP) — s’appuie sur les préjugés religieux et l’arriération pour faire adopter un programme brutal contre la population en général. La crise de l’Eglise risque de faire tomber tout le régime post-stalinien en Pologne. À la lueur de ce qui précède, le chef du gouvernement Kaczynski a bien raison lorsqu’il dit que la crise actuelle de l’Eglise catholique de Pologne est également une « crise nationale ».

(Article original paru le 31 janvier 2007)

Lire aussi :

Espagne: nouvelle capitulation du Parti socialiste devant l’Eglise catholique [6 novembre 2006]

Pologne: les frères Kaczynski contrôlent à présent les deux plus importantes fonctions politiques [14 juillet 2006]

L'extrême droite entre au gouvernement polonais [22 mai 2006]


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