Nicolas Sarkozy s’est rendu à Londres pour sa première
visite à l’étranger depuis sa nomination officielle de candidat à la
présidentielle pour le parti gaulliste au pouvoir, l’UMP (Union pour un
mouvement populaire.) Le 30 janvier, il a fait une visite au Marylebone
Jobcentre Plus (agence nationale pour l’emploi), a déjeuné avec le
premier ministre Tony Blair puis a fait un discours à un meeting de campagne
électorale organisé par la branche londonienne de l’UMP et qui a attiré
2 000 ressortissants français.
Le premier tour des élections présidentielles se tiendra le 22
avril.
Le journal britannique The Guardian a noté: « Le
choix de Londres par M. Sarkozy pour son premier voyage à l’étranger
depuis le lancement de sa campagne présidentielle est considéré comme
profondément symbolique. Il a à cœur de se présenter comme homme
d’Etat international, ami de M. Blair et proche de l’alliance
américano-britannique. »
Sarkozy aurait rencontré Blair pour des discussions pas moins
de huit fois. Leur amitié personnelle est soulignée par des rencontres non
officielles, « dont lors de vacances à Florence et lors du voyage de
Sarkozy à Londres pour y célébrer sa réconciliation avec son épouse Cécilia ».
Lorsque l’épouse de Blair se rend à Paris, elle dîne au
ministère de l’Intérieur que dirige Sarkozy.
La visite à Londres et notamment le meeting de fin de journée
donne une idée de la base sociale de Sarkozy. On compte 60 000 électeurs
inscrits parmi l’importante communauté de ressortissants français
installés en Grande-Bretagne (environ 300 000), vivant principalement à
Londres et dans le sud-est prospère du pays. Bon nombre d’entre eux sont
attirés par les impôts faibles et l’économie déréglementée qui ne
s’encombre pas de droits sociaux et du travail, où l’accumulation
de richesses n’est pas entravée. L’éditorial du Guardian du
30 janvier commente : « La communauté de ressortissants français en
Grande-Bretagne est l’une des plus importantes hors de France. De jeunes
banquiers dynamiques et des hommes d’affaire fuyant une patrie en état de
torpeur politique (et de torpeur de l’entreprise) sont les électeurs
naturels d’un homme qui a promis de briser le moule de la politique
française.
D’après le Daily Telegraph, quotidien
conservateur, « Bon nombre de ces nouveaux arrivants travaillent dans le Square
Mile [la City de Londres, quartier des banques et de la finance] où les primes
font qu’ils peuvent gagner cinq fois ce qu’ils gagneraient en
France pour le même travail. »
The Guardian a ainsi décrit le
public venu entendre Sarkozy: « Des centaines de financiers huppés de la
City, des étudiants des banlieues chics de Paris, des employés de restaurants
et des enseignants qui vivent en Grande-Bretagne ont occupé une salle de
l’ancien marché de Old Billingsgate. »
The Telegraph a fait le reportage
suivant, « Plus de 2 000 partisans prospères et chics ont entonné
“Sarko président” quand il leur a dit qu’il avait besoin de
leur soutien à sa candidature et à sa vision d’une nouvelle France. »
Raphaël Leclerc, 21 ans, étudiant à la London School of
Economics a dit au Guardian qu’il avait grandi dans une banlieue
chic de Paris et qu’il était issu « d’un milieu privilégié et
d’une famille de droite » et avait joué au football contre les fils
de Sarkozy. Alex Poitiers, 29 ans, courtierpour une banque étrangère, a
dit au Daily Telegraph, « en termes de salaire et de
responsabilités qui me sont confiées il n’y a aucune comparaison possible
avec la France, mais j’adore toute la philosophie de ce pays. »
Cette philosophie qui domine dans ces couches sociales est
bien exprimée par un article du groupe de réflexion français basé à Londres, Le
Cercle d’Outre-Manche, repris dans le Financial Times du 30
janvier. Il affirme que la Grande-Bretagne a dépassé la France en matière de pays
où l’on peut faire fortune :
« Le Royaume-Uni génère 76 milliards d’euros de produit
national brut (PNB) de plus... 25 ans auparavant le PNB du Royaume-Uni
représentait 75 pour cent de celui de la France. »
L’article explique ensuite le secret de ce succès: « Margaret
Thatcher a démoli de nombreuses rigidités et réintroduit des pratiques de
marché dans l’économie. Avec Tony Blair à la barre et Gordon Brown au
trésor, la fluidité du marché a été introduite dans quasiment tous les aspects
de l’économie. »
Nous voyons ici la signification de la visite de Sarkozy à une
agence pour l’emploi. La destruction de la protection du travail est
glorifiée par l’euphémisme « on a facilité l’embauche de
personnel ». Obliger les gens à accepter tout emploi mal rémunéré proposé
par l’agence pour l’emploi, au risque de se voir retirer les
allocations en cas de refus est ainsi présenté avec approbation :
« Les ressources de l’Etat providence sont ciblées pour faciliter le
retour au travail des chômeurs de longue durée, des travailleurs plus âgés, des
jeunes et des mères célibataires grâce à la politique de la carotte et du
bâton. »
Telles sont les personnes auxquelles Sarkozy s’adresse
et qui attendent de lui qu’il fasse en France ce que Thatcher a fait
avant lui en Grande-Bretagne. Ce qu’ils applaudissent chez Thatcher et
aussi chez Blair, c’est, comme le dit le Cercle d’Outre-Manche,
« qu’ils ont tenu bon face à l’opposition ».
Le cynisme de Sarkozy, quand il prétend, dans de récentes
déclarations, avoir l’intérêt des travailleurs à coeur et même approuver une
meilleure rémunération du travail se révèle clairement dans une interview
publiée le 31 janvier dans l’International Herald Tribune :
« Je veux que les gens soient récompensés et respectés pour leur travail.
Je veux que les gens comprennent la valeur du travail. Je m’occupe des
gens qui veulent travailler dur, et je veux leur parler. Quand les gens
travaillent dur, il faut qu’ils soient récompensés. C’est pour cela
que je veux supprimer les lois sur l’héritage, parce que si
quelqu’un a travaillé dur toute sa vie, alors il faut qu’il puisse
transmettre à ses enfants le fruit de son travail…Je n’accepte pas
que l’on soit pauvre si on a travaillé vraiment dur. »
Le message de Sarkozy ne s’adresse pas aux travailleurs,
mais aux élites qui montent et aux élites financières qui auront des richesses
substantielles à léguer à leurs enfants. Son appel à récompenser le dur labeur
est en fait un appel visant à permettre aux riches de s’enrichir
davantage. Il prétend, avec la même fausseté que Blair, être engagé dans un
combat en faveur de la méritocratie, où une soi-disant égalité des chances pour
l’avancement social et l’accumulation de richesses s’oppose à
des appels à une plus grande égalité sociale – qu’il dénonce parce
qu’elle bride ceux qui « travaillent dur » et récompense les
paresseux et les flemmards.
Quiconque défend l’égalité sociale est en rupture avec
son époque, Sarkozy déclare: « Mes idées sont les idées du monde d’aujourd'hui :
respect pour le travail, promotion sociale, égalité des chances. Permettez-moi
de vous dire, je n’aime pas l’égalitarisme. Je n’aime pas que
les gens soient aidés inutilement. Je n’aime pas l’abaissement au
service de l’égalité. Je veux faire monter tout le monde. »
Et interrogé sur ses engagements en matière de déréglementation
et de privatisation, Sarkozy rassure son interlocuteur, « Je ne suis pas
l’ennemi de l’Etat. Un grand pays a besoin de l’Etat, mais
permettez-moi de m’exprimer très simplement. Je crois au capitalisme. Je
crois à l’économie de marché. Je crois à la compétition. »
Quand on lui a demandé pourquoi dans un sondage récent 51 pour
cent des gens ont dit qu’ils étaient perturbés par sa politique et ses
actions, il s’est félicité de son succès dans les sondages et l’a
attribué au fait qu’il n’hésitait pas à confronter
l’opposition sociale et politique.
Sur sa manière de faire face à 27 jours d’émeutes à
Paris et dans les grandes villes françaises, il a répondu :
« Heureusement, cela me préoccupe. Si j’étais en train de vous
rassurer, comment seraient les choses… vous venez et vous dites, "Monsieur
Sarkozy, pourquoi est-ce que vous faites peur aux gens ? Pourquoi est-ce
que les gens sont inquiets ? Qu’est-ce qu’il faudrait faire
pour ne pas faire peur aux gens ?" Je suis le mieux placé [dans les
sondages], donc il doit y avoir un peu de réconfort ; du moins,
c’est ainsi que certains le perçoivent.
« Je n’ai pas peur des idéologies, des crédos, je
ne vais pas me plier devant la dernière vogue, et je n’ai pas peur de
confronter les difficultés. »
C’est sur son rôle d’homme fort, de figure
autoritaire que Sarkozy veut se faire élire président.
Il a exprimé son appréciation du courage de l’ancien
premier ministre gaulliste Alain Juppé en 1995, quand ce dernier avait essayé
d’imposer des coupes claires dans les droits à la retraite de salariés du
secteur public. Un mouvement de grève de masse, soutenu par l’immense
majorité des Français, avait obligé Juppé à battre en retraite et avait conduit
à la chute, un plus tard, de son gouvernement. L’erreur de Juppé, dit
Sarkozy, est « d’avoir oublié... de mobiliser les électeurs. »
Les fanfaronnades de Sarkozy et sa confiance en lui-même ne
sont pas dues à une quelconque force naturelle ni à la popularité de sa
politique élitiste– il vient en tête des sondages, mais avec
seulement 33 pour cent d’intentions de vote. C’est la conséquence du
manque de toute opposition conséquente de la part des partis officiels de
gauche : le Parti socialiste, le Parti communiste, les Verts, les
syndicats et leurs parasites des mouvements soi-disant de
« l’extrême gauche » (la Ligue communiste révolutionnaire
– LCR, Lutte ouvrière – LO, le Parti des travailleurs – PT,
José Bové et les associations altermondialistes).
Un récent sondage a révélé que plus de 70 pour cent des Français
ne croient pas que l’économie de marché est la condition nécessaire au
bien-être social. Cela s’est aussi exprimé dans le rejet de la Constitution
européenne lors du référendum de mai 2005, dans les mouvements de contestation
de 2003 contre la réforme des retraites, et en 2006 contre le démantèlement des
protections et droits sociaux et du travail.
Luc Chatel, porte-parole de l’UMP, a fait remarqué que a
Grande-Bretagne était « un bon exemple de pays qui avait su se remettre en
question, se moderniser, se tourner vers l’avenir. Donc, il y a beaucoup
à tirer d’un échange avec le Premier ministre britannique. »
Ce que Sarkozy cherche à apprendre de Blair c’est
comment rendre acceptable à l’électorat une politique de destruction des
droits et du niveau de vie, imposée par un Etat autoritaire, en l’habillant
d’un déguisement pseudo progressiste. Il a besoin des conseils de Blair pour
faire en sorte que suffisamment d’électeurs croient que son crédo
« Je crois à la compétition » puisse aussi inclure ce qu’il a
décrit dans The International Herald Tribune comme « une forme
éthique du capitalisme ».
Il a promis, s’il est élu, de réduire le droit de grève
et de piquets de grève, de généraliser le CNE (Contrat de Nouvelle Embauche) à
présent seulement en vigueur dans les petites entreprises – contrat similaire
au CPE (Contrat première embauche), qui avait dû être retiré grâce au
mouvement d’opposition de masse de jeunes et de travailleurs au printemps
2006. Il propose la suppression des allocations aux chômeurs qui refusent pour
la deuxième fois une proposition d’emploi de l’ANPE., l’allongement
des heures de travail et des attaques draconiennes supplémentaires sur les
droits à la retraite.
Blair est l’homme de politique le plus méprisé de
Grande-Bretagne du fait de ses mensonges et de sa complicité avec le président
américain George W. Bush dans la justification de l’invasion illégale et de
l’occupation de type colonialiste de l’Irak face à l’opposition
massive nationale et internationale. Il est également détesté pour sa
politique sociale.
La visite de Sarkozy à un personnage aussi discrédité que
Blair témoigne un peu plus de son aliénation des préoccupations des simples
citoyens français.
Dans les conditions actuelles de concurrence accélérée pour
les ressources et marchés mondiaux, l’aspiration du grand patronat
français à rattraper le taux d’exploitation de la classe ouvrière du
Royaume-Uni exigera des attaques frontales contre les droits démocratiques et
le niveau de vie des travailleurs. Sarkozy et la candidate à l’élection présidentielle
du Parti socialiste, Ségolène Royal, le choix proposé aux électeurs français,
incarnent cette offensive. Julien Dray, porte-parole de Ségolène Royal qui
n’a pas encore rencontré Tony Blair mais qui a quand même dit
qu’elle l’approuvait, a déclaré le 30 janvier, « Mais il
n’est pas impossible qu’elle le voie d’ici l’élection
présidentielle. »