L’administration Bush a intensifié sa guerre de
propagande contre l’Iran lors d’un point de presse à Bagdad
dimanche dernier où il a été déclaré que le régime iranien armait des milices
anti-américaines en Irak. Même si le « dossier » américain ne réussit
pas à mettre en causeTéhéran, cette conférence de presse montre que la
Maison-Blanche est déterminée à fabriquer un prétexte pour une confrontation
militaire avec l’Iran.
Le parallèle avec les mensonges sur les armes de destruction
massive de Saddam Hussein est évident. Ces mensonges avaient été fabriqués de
toutes pièces pour justifier l’invasion illégale de l’Irak en 2003.
Le moment choisi pour cette conférence donne une indication de son véritable
objectif. Même si les Etats-Unis ont, pendant plus d’une année, accusé
l’Iran de fournir des bombes sophistiquées (roadside bombs) à des groupes
irakiens, ce n’est que maintenant, alors que l’armée américaine
renforce sa flotte dans le golfe Persique, que la soi-disant preuve est
dévoilée.
Le manque de substance du « dossier » a lui-même fait
l’objet d’un débat au sein de l’administration Bush. Sa
publication a été repoussée deux fois parce que, comme l’a carrément expliqué
le conseiller à la Sécurité nationale Stephen Hadley, « nous croyions
qu’il allait trop loin ». Le département d’Etat et les hauts
responsables des services de renseignement ont déclaré aux médias sous couvert
d’anonymat que la preuve n’était pas « concluante ». En
fin de compte, la conférence de presse de Bagdad n’a pas été prononcée
par l’ambassadeur américain Zalmay Khalilzad comme cela avait été
annoncé, mais par trois représentants de l’armée américaine qui ont
insisté pour ne pas être nommés.
On a présenté à un auditoire de journalistes choisis une série
de douilles de mortier et de grenades propulsées par fusée avec des numéros de
série qui selon les officiels permettaient d’établir que les armes
avaient été fabriquées dans des usines iraniennes. L’accent a été mis sur
un type de bombe connu sous le nom projectile à charge formée (EFP, explosively
formed penetrator) pouvant percer la plupart des blindages, y compris celui des
chars Abrams. Selon les présentateurs, l’arme est responsable de la mort
de plus de 170 soldats depuis juin 2004.
Aucune preuve n’a toutefois été présentée pour étayer
l’affirmation que le régime iranien était directement impliqué. L’un
des trois responsables, présenté comme un analyste militaire haut placé, a
insisté sur le fait que les armes étaient passées en Irak par une unité
spéciale des Gardiens de la révolution iranienne, la Force al-Qods.
L’implication des Gardiens de la révolution iranienne et de la Force al-Qods
(GRI-Qods), a-t-il déclaré, signifie que les opérations ont été directement
dirigées par « les plus hauts niveaux du gouvernement iranien ».
Lorsqu’il lui fut demandé des preuves de ce qu’il avançait, il a reconnu
que cette affirmation n’était « qu’une déduction ».
Le New York Times a noté de façon significative:
« Néanmoins, cette déduction, et l’anonymat des responsables
l’ayant énoncée, ne pouvait que provoquer le scepticisme de ceux qui
soupçonnent l’administration Bush de chercher un bouc émissaire à ses
problèmes en Irak, et peut-être même de tenter de préparer le terrain pour une
guerre avec l’Iran. » En d’autres termes, il est largement
reconnu dans les cercles dirigeants américains que les accusations actuelles
contre l’Iran ne sont rien de plus qu’un prétexte pour attaquer
l’Iran.
La preuve d’une implication des GRI-Qods en Irak est,
elle aussi, peu convaincante. Les officiels américains ont soutenu que des
membres des GRI-Qods se trouvaient parmi les Iraniens arrêtés lors de raids à
Bagdad en décembre dernier et dans la ville de Irbil, plus au nord, en janvier.
L’arrestation à Bagdad du seul officiel iranien dont on a dévoilé
l’identité, Mohsin Chizari, en même temps qu’au moins quatre autres
personnes, a suscité des protestations non seulement de la part de
l’Iran, mais aussi du gouvernement irakien. Deux des personnes arrêtées
étaient des diplomates officiels invités par le président irakien Jalal Talibani
pour des pourparlers à Bagdad.
Ces arrestations ont mis en évidence les contradictions de la
politique de l’administration Bush. En évinçant le régime de Saddam
Hussein, les Etats-Unis ont dû avoir recours à un gouvernement fantoche à
Bagdad dominé par des partis chiites fondamentalistes, ayant des liens de
longue date avec l’Iran voisin. Tout en affirmant qu’ils ont
l’autorisation de l’ONU pour protéger le gouvernement irakien, les officiels
américains accusent les milices chiites du gouvernement de recevoir de
l’aide de l’Iran.
Lors du point de presse, les accusations ont été portées
principalement contre les « éléments rebelles » de l’Armée du
Mahdi de Moqtada al-Sadr, qui est la principale cible de
l’« intensification » du déploiement de troupes à Bagdad.
Cependant, des officiels américains ont aussi soutenu que des armes avaient été
envoyées à la brigade Badr, qui est liée au Conseil suprême de la révolution
islamique en Irak (CSRII) — l’un des plus proches alliés de
Washington en Irak.
L’Iran a nié vigoureusement avoir fourni des armes aux
milices irakiennes. Le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a rejeté les
accusations, affirmant que la sécurité de son pays dépendait de la stabilité de
l’Irak. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Mohammad
Ali Hosseini, a déclaré : « De telles accusations ne sont pas fiables
et ne peuvent être présentées comme preuves. Les Etats-Unis ont un long bilan
de fabrication de preuves. De telles accusations sont inacceptables. »
A Bagdad, le haut dirigeant chiite Abou Firas al-Saedi a fait
remarquer au magazine Time que les Etats-Unis portaient des accusations
contre l’Iran mais gardaient le silence sur le soutien envoyé aux milices
sunnites par des pays comme l’Arabie Saoudite, le Koweït et la Jordanie.
« Nous ne nions pas que l’Iran s’intéresse à l’Irak, et
cela est inquiétant », a-t-il déclaré. « Mais la véritable question est
la suivante : “Pourquoi les Etats arabes permettent-ils aux
terroristes d’entrer en Irak en passant par leurs frontières, et pourquoi
les financent-ils ?” »
L’explication réside dans le fait que les accusations
contre Téhéran ne sont rien de plus qu’un prétexte alors que
l’administration Bush se prépare à lancer une attaque militaire.
Washington garde le silence sur l’implication de l’Arabie Saoudite,
du Koweït et de la Jordanie en Irak car depuis plusieurs mois, il est occupé à
tenter d’assurer diplomatiquement une alliance avec ces Etats arabes
contre le soi-disant « expansionnisme iranien ». Tout en mobilisant
d’autres navires de guerre dans le Golfe persique, les Etats-Unis ont
déployé d’autres systèmes anti-missiles Patriot pour soutenir la défense des
Etats du Golfe persique et de leurs bases militaires.
C’est un secret de polichinelle à Washington que
l’administration Bush, ou une section significative menée par le
vice-président Dick Cheney, tente agressivement de précipiter une attaque sur
l’Iran. Dimanche dernier, dans l’émission Face the Nation
sur CBS, le sénateur démocrate Chris Dodd a exprimé un « certain
scepticisme » quant aux dernières allégations contre l’Iran,
soulignant le récent rapport de l’inspecteur général du Pentagone
détaillant les activités du sous-secrétaire à la Défense Douglas Feith qui
aurait créé de toutes pièces des « renseignements » pour justifier
l’invasion de l’Irak.
Lorsque on lui a demandé si l’administration Bush
préparait le terrain pour attaquer l’Iran, Dodd a répondu : « Eh
bien, c’est possible. Certains à qui je pense sont assurément en faveur
d’un tel geste. Nous avons déjà vu qu’ils n’aimeraient rien
autant que de préparer le terrain pour le faire. Certains d’entre nous
nomment cela, l’année 2007, l’année de l’Iran et, dans un
sens, cela m’inquiète. C’est comme ça que nous nous sommes engagés
dans le bourbier irakien. C’est pour ça que certains d’entre nous
avaient appuyé ces résolutions, à cause d’informations fabriquées.
« Aussi, je suis très sceptique, en me basant sur
l’histoire récente, sur cette administration qui nous conduit dans la
même direction. Cela m’inquiète. Ce n’est pas que l’Iran ne
m’inquiète pas. Je suis préoccupé par l’Iran, et des mesures
pourraient être prises, je pense, pour tenter de changer la direction qu’ils
sont en train de prendre. Mais je suis très inquiet que le travail de base qui
est fait maintenant soit la prémisse d’une opération militaire contre
l’Iran. »
Rien dans les propos de Dodd n’indique que lui-même ou
le Congrès démocrate s’opposeraient à la guerre contre l’Iran, pas
plus qu’ils ne se sont opposés à l’invasion de l’Irak ou à
l’intensification actuelle de la guerre par Bush. L’élite dirigeante
américaine dans son ensemble est déterminée à établir et maintenir la domination
américaine sur le Moyen-Orient et ses énormes réserves en énergie. Mais elle
est clairement inquiète de la possibilité qu’une attaque contre
l’Iran ait des conséquences désastreuses et propage la guerre à toute la
région.
Dans un commentaire paru dans le New York Times
d’hier, intitulé « Scary Movie 2 » le chroniqueur Paul Krugman
soulignait le danger d’une réédition de la guerre en Irak.
« Attaquer l’Iran serait une erreur catastrophique, même si toutes
les allégations concernant les agissements de l’Iran étaient
vraies. Mais ce ne serait pas la première erreur catastrophique de cette
administration, et il y a des indications que, au minimum, une puissante
faction de l’administration cherche la bagarre », écrit-il.
Krugman a souligné que la Maison-Blanche insistait sur la
question des armes que l’Iran fournirait à l’Irak, entre autres,
pour éviter d’avoir à obtenir l’approbation du Congrès. « Si
vous pouvez prétendre que l’Iran intervient en Irak, vous pouvez affirmer
ne pas avoir besoin de l’autorisation pour attaquer – puisque le
Congrès a déjà donné le pouvoir à l’administration de faire ce qui était
nécessaire afin de stabiliser l’Irak. Et avant que les avocats
n’aient terminé d’argumenter, eh bien, la guerre battra déjà son
plein », commentait-il.
Le même prétexte peut être utilisé pour justifier une attaque
contre l’Iran sans l’approbation du Conseil de sécurité de
l’ONU. Les hauts gradés militaires américains à Bagdad ont insisté auprès
des médias sur le fait que les points de presse soulignaient leur souci
d’« une protection par la force », qui, prétendaient-ils, était
déjà garantie par la résolution de l’ONU autorisant l’occupation
américaine en Irak. En prétendant défendre les troupes américaines,
l’administration Bush cherche à éviter les objections de ses rivaux alors
qu’il prépare une autre guerre d’agression.
Alors que les médias américains soulignent la menace alléguée que
représentent les armes de fabrication iranienne contre les forces américaines, la
vie des soldats américains en Irak est bien le dernier des soucis de
l’administration Bush dans le « dossier » qu’elle
fabrique.