Le groupe allemand Alternative socialiste (SAV),
le pendant du Parti socialiste de Peter Taafe en Grande-Bretagne voit dans la prévention
d’un mouvement indépendant de la classe ouvrière sa principale mission. Sa
récente conférence nationale, qui avait pour objet de déterminer son attitude
vis-à-vis du futur Parti de la Gauche, devant se constituer cette année à
partir d’une fusion du Parti de la Gauche.PDS (Parti du socialisme démocratique)
et de l’« Alternative électorale-travail et justice sociale » (WASG),
l’a clairement montré.
Le SAV avait fait la une des journaux l’an dernier
lorsqu’il avait soutenu une candidature indépendante du WASG contre le
Parti de la Gauche.PDS à l’élection du Land de Berlin l’automne
dernier – tout en préconisant en même temps une fusion des deux
organisations au niveau national. Lucy Redler, du SAV, avait été tête de liste du
WASG dans cette élection.
La décision d’une candidature indépendante à
l’élection du Landtag (parlement régional) de Berlin se heurta à
l’opposition véhémente de la direction nationale du WASG, qui fit son
possible pour que son organisation berlinoise ne présentât pas ses propres candidats.
Un renvoi arbitraire de la direction régionale de la WASG berlinoise par la
direction nationale ne fut annulé qu’à la suite d’une décision de
justice confirmant celle-là dans ses fonctions et lui permettant ainsi de
participer à l’élection.
Derrière la candidature indépendante de la WASG berlinoise,
il y avait le fait que le Parti de la Gauche.PDS gouverne depuis plusieurs
années le Land de Berlin dans une coalition avec le Parti social-démocrate
allemand (SPD). Les mesures prises durant les cinq dernières années par ce gouvernement
régional avaient montré que, derrière son discours de gauche, le Parti de la Gauche.PDS
poursuivait une politique très à droite. Pour la WASG, se présenter comme une
alternative de gauche tout en faisant campagne pour une réélection du parti de
la Gauche.PDS à Berlin aurait été dénué de toute crédibilité.
Pour cette même raison, le SAV voyait dans la
participation du Parti de la Gauche.PDS au gouvernement du Land de Berlin un
obstacle au projet de former un parti de gauche unifié au niveau national. Difficile
de duper les électeurs et de leur faire penser qu’un tel parti représenterait
leurs intérêts, alors qu’à Berlin il s’opposait à ces mêmes
intérêts tous les jours. Le but de la candidature indépendante du WASG à Berlin
était de forcer le Parti de la Gauche.PDS à quitter l’actuelle coalition
avec le SPD et de garantir ainsi une fusion au niveau national.
Ce plan, toutefois, ne réussit pas. Malgré une
hémorragie de voix dans l’élection parlementaire berlinoise, le Parti de la
Gauche.PDS continue de gouverner le Land de Berlin avec le SPD et il a
intensifié son attaque de la classe ouvrière et des conditions de vie des Berlinois
ordinaires.
Le SAV réagit en effectuant une acrobatie
politique rarement observée jusque-là. A l’Est de l’Allemagne, il
s’oppose à une fusion avec le Parti de la Gauche.PDS et cherche, avec le
WASG, à développer une organisation régionale d’alternative, parce qu’à
l’Est, « on associe » comme il dit le Parti de la Gauche.PDS
« à une participation aux coupes budgétaires et aux privatisations ».
A l’Ouest de l’Allemagne, il appelle bien tout d’abord à voter
contre une fusion, mais déclare en même temps qu’il continuera de
travailler au sein du parti résultant d’une telle fusion puisque ce
nouveau parti fera, selon le SAV, « malgré tout partie de la gauche et du
mouvement ouvrier » et sera vu comme « une force
d’opposition ».
Bien que le SAV soit tout à fait conscient du
caractère droitier du Parti de la Gauche.PDS, il veut subordonner à ce parti
les travailleurs de l’Ouest de l’Allemagne. A l’Est, où le
caractère droitier du Parti de la Gauche.PDS est évident pour tous, le même
objectif doit être réalisé en construisant une fausse alternative sous la forme
d’une WASG régionale. Au lieu d’expliquer aux travailleurs le véritable
caractère du Parti de la Gauche.PDS et de la WASG, les disciples allemands de
Pater Taafe encouragent des illusions dans ces partis afin d’empêcher la
classe ouvrière de développer une organisation représentant ses intérêts indépendants.
Le rapport présenté à la conférence nationale du
SAV déclare explicitement que les délégués rejetaient fermement « l’idée
qu’un autre parti ou organisation de gauche de type parti soit formé en réaction
à la fusion prévue du WASG et du Parti de la Gauche.PDS » parce que pour
le moment, la base sociale pour cela n’existe pas. Le SAV a au contraire
pour objectif de construire un réseau de « forces oppositionnelles ou de
gauche », « indépendamment d’une activité à l’intérieur
ou à l’extérieur du parti résultant de la fusion ». Le SAV cherche de
cette manière à lier au futur Parti de la Gauche toutes les forces qui ne sont
pas prêtes à collaborer au sein de celui-ci ou celles qui, déçues, s’en
sont déjà détournées.
Un mécanisme de ce genre a déjà été créé au sein
du WASG, avec la participation active du SAV, sous forme d’un « Réseau
opposition de gauche » (NLO). Dans l’intervalle, une majorité au sein
de ce Réseau est parvenue à la conclusion qu’il faudra éventuellement construire
une nouvelle force politique d’alternative au Parti de la Gauche.
Bien que ceci se veuille surtout être une menace
vis-à-vis de la direction du WASG, pour le SAV, cela va trop loin.
L’appel à la construction d’une organisation d’alternative
est devenu la cause de vives disputes au sein du NLO. Dans une lettre ouverte datée
du 19 décembre, la direction nationale du SAV annonçait que de telles décisions
signifiaient que le SAV « ne pouvait plus collaborer avec le NLO ».
Le SAV critique surtout le fait que le NLO dit
vouloir construire une force politique d’alternative vis-à-vis de tout
parti « privatisant la propriété publique, impose des restrictions
sociales et des bas salaires ». Pour le SAV, les conditions actuelles
« ne promettent pas réellement un succès » pour ce qui est de la
construction d’une « force d’alternative » vis-à- vis du
Parti de la gauche fusionné.
Ces arguments révèlent l’étendue du cynisme
et de la duplicité de cette organisation. « Nous supposons que le parti issu
de la fusion doit tout d’abord être discrédité au niveau national avant
que ne se développe la base sociale nécessaire à la formation d’un nouveau
parti ou d’une “force d’alternative”, écrit le SAV. Cela
se produira si la présente direction prévaut à l’avenir, ce qui est à
prévoir ».
Le SAV part du fait qu’un Parti de la Gauche
unifié poursuivra à l’avenir une politique de vives attaques du niveau de
vie et des conditions de travail de la population ordinaire. Mais au lieu de lancer
une mise en garde contre lui, de dire la vérité et de lutter pour construire
une alternative révolutionnaire, il encourage de nouvelles illusions dans ces
forces droitières en affirmant que le Parti de la Gauche est « la seule
force de gauche sérieuse au niveau des partis politiques » et que les
« militants » se tourneront vers lui.
On ne peut pas montrer plus clairement que le SAV
n’est rien d’autre qu’une caution de gauche pour la politique
droitière du Parti de la Gauche.
On forgea aussi à la conférence nationale du SAV un
discours adéquat pour cette pratique opportuniste. Ainsi, Lucy Redler, de la
direction du SAV, expliqua que les marxistes avaient aujourd’hui la
double tâche de développer une organisation marxiste et de contribuer à la
reconstruction du mouvement ouvrier au sens large. Présentement, elle joue
elle-même ce double rôle en vitupérant publiquement le cours droitier du Parti
de la Gauche.PDS et du WASG tout en restant dans la direction nationale de la
WASG, afin de donner au parti qui sera issu de la fusion une couverture de
gauche.
Une telle distinction entre la construction
d’une organisation marxiste et la construction du mouvement ouvrier est typique
des organisations petite-bourgeoises comme le SAV. Par mouvement ouvrier
« au sens large » ils entendent les syndicats, des appareils bureaucratiques
réactionnaires et corrompus qui se fondent sur la collaboration de classe. L’idée
que le mouvement ouvrier ne peut se développer que par la construction
d’un parti marxiste indépendant ne les effleure même pas. C’est précisément
de cette manière que fut construit dans la seconde moitié du 19e
siècle en Allemagne un des mouvements ouvriers les plus puissants, le SPD, qui défendait
encore à cette époque, un programme marxiste.
La condition préalable la plus importante de la
reconstruction d’un mouvement ouvrier révolutionnaire est une rupture
consciente avec les vieilles organisations réformistes et les conceptions théoriques
du réformisme social. Le SAV est, quant à lui, organiquement hostile à une
telle rupture. Il cherche à tout prix à perpétuer la subordination des travailleurs
à des bureaucraties décrépites dont ils se détournent après de longues années
pleines de déceptions.
Le SAV joue le même rôle en Allemagne que les
organisations petite-bourgeoises radicales comme la Ligue communiste révolutionnaire
en France ou Rifondazione Communista en Italie. Partout en Europe, les vieilles
organisations ouvrières sont largement discréditées du fait de leur politique
droitière et une masse de gens cherche une politique d’alternative. Pour défendre
son système social, la bourgeoisie dépend par conséquent de plus en plus de
telles forces petite-bourgeoises « de gauche », dont la tâche
principale est d’empêcher la classe ouvrière de rompre d’avec le réformisme
social et de se tourner vers une perspective socialiste.