Des dizaines de milliers de personnes se sont rendues à Washington samedi
dernier pour signifier leur opposition à la politique d'intensification de la
guerre en Irak de l'administration Bush et pour demander la fin de la guerre et
le retrait des soldats américains. Des étudiants et des jeunes de plusieurs
régions du pays ont participé à l'événement. Il y avait aussi une délégation
importante de vétérans de la guerre en Irak ainsi que des familles de soldats
tués ou blessés en Irak ou encore de soldats présentement en Irak ou en
Afghanistan. Plusieurs dizaines de soldats en service ont aussi participé à la
manifestation.
Toutefois, tous ceux qui se sont rendus à Washington parce qu'ils avaient un
désir sincère de mettre fin à la guerre n'ont pu trouver aucune perspective
sérieuse ou honnête de la part des organisateurs de la manifestation. Ces
derniers l'ont délibérément subordonnée aux manœuvres des démocrates au
Congrès et aux ambitions électorales du Parti démocrate dans la course
présidentielle de 2008.
Unis pour la paix et la justice (UFPJ, United for Peace and Justice), le
collectif qui a organisé le ralliement de Washington ainsi que des
manifestations de moindre envergure à Los Angeles, San Francisco et d'autres
villes, a invité plusieurs politiciens démocrates à la tribune du National
Mall, y compris le représentant de l'Ohio au Congrès, Dennis Kucinich, qui
tente d'obtenir la candidature démocrate pour les élections présidentielles de
2008, les représentants Maxine Waters et Lynn Woolsey de Californie, le
représentant du Michigan, John Conyers et Jessie Jackson.
Une déclaration émise samedi par UFPJ, intitulée « Pourquoi nous manifestons »,
a clairement établi l'alliance politique entre les organisateurs de la
manifestation et le Parti démocrate. Elle louait une loi proposée par les
membres du Congrès, Woolsey, Waters et Barbara Lee, demandant le retrait de
l'Irak des soldats américains au cours des six prochains mois et
déclarait : « Nous nous rangeons avec ce groupe de membres du
Congrès, qui ne cesse de croître. Il est maintenant temps pour le Congrès
d'agir dans le cadre de ses pouvoirs, de faire l'histoire, d'utiliser son pouvoir
d'autorisation des dépenses pour arrêter le financement de la guerre. »
En fait, cette loi et une mesure similaire qui sera présentée au Sénat par
Russ Feingold n'ont aucune chance d'être acceptées ou même d'obtenir un appui
significatif des législateurs. La direction du Parti démocrate à la Chambre des
représentants — la chef de file Nancy Pelosi et le leader de la majorité
Steny Hoyer — et le leader de la majorité au Sénat, Harry Reid, ont
affirmé qu'ils s'opposaient au blocage du financement pour l'envoi de
21 500 soldats supplémentaires, et qu’il était hors de question pour
eux de cesser le financement de la guerre dans son ensemble.
Au contraire, ils tentent cyniquement, au moyen de résolutions non
exécutoires contre l'intensification militaire de Bush, d'apaiser et de
désamorcer le sentiment anti-guerre de masse, tout en développant une nouvelle
stratégie bipartisane pour sauver l'aventure coloniale américaine en Irak.
Le but des manœuvres législatives, comme la loi présentée par Waters et
compagnie à la Chambre et par Feingold au Sénat, est de donner un peu de
crédibilité aux démocrates et de renforcer les illusions que ce parti
impérialiste est réceptif aux pressions visant à lui faire adopter une
politique étrangère pacifiste.
Alors que l'administration Bush méprise sans se gêner l'opinion publique sur
la question de la guerre en Irak, et qu'elle perd ses appuis au Congrès, même
parmi les républicains, pour sa politique téméraire d'intensification de la
guerre en Irak et ses menaces de guerre contre l'Iran, l'establishment
politique dans son ensemble se dirige vers une crise politique et
constitutionnelle de proportions potentiellement historiques. Les deux partis
sont terrifiés à l’idée que l’opposition de masse à la guerre
puisse s’associer à d’autres revendications sociales des
travailleurs et déclencher un mouvement social hors du contrôle de ces partis
ou de toute autre institution de l’élite dirigeante américaine.
Cette crainte est partagée par ceux qui ont organisé les manifestations du
27 janvier. Le collectif Unis pour la paix et la justice comprend
l'organisation démocrate libérale MoveOn.org et est dirigé par des défenseurs « de
gauche » du Parti démocrate comme la chef stalinienne du Parti communiste
Judith LeBlanc et l'organisatrice expérimentée Leslie Cagan.
Ils ont très consciemment fait en sorte de présenter le Parti démocrate
comme le seul point de rencontre légitime de toute activité anti-guerre. Ils
ont aussi volontairement bloqué l'émergence d'un mouvement contre la guerre
impérialiste venant de la gauche, c'est-à-dire un mouvement indépendant du
système biparti mettant de l'avant un programme socialiste et articulant les
intérêts de la classe ouvrière américaine et internationale.
Ceux qui se sont exprimés au rassemblement du 27 janvier ont maintes fois
dit à la foule que le moyen de mettre un terme à la guerre était de faire
pression sur le nouveau Congrès démocrate. L'appel à faire pression sur le
Congrès démocrate s’accompagnait d’appels, à peine voilés, à élire
un président démocrate en 2008. (On a fait peu de cas de l'absence des
principaux candidats démocrates à la présidence : Hillary Clinton, Barack
Obama, John Edwards ou Joseph Biden.)
Eleanor Smeal, présidente de la Fondation de la majorité féministe, a
déclaré : « Nous élirons des majorités encore plus importantes en
2008... Gardez aux pieds vos chaussures de lobbying. »
Faisant référence au Congrès démocrate, Susan Schaer de Women's Action for
New Directions (Mouvement des femmes pour de nouvelles directions) a
déclaré : « Ce sont eux les décideurs, et non pas Bush. Ce sont eux
qui commandent. C'est maintenant à eux de faire le changement ... À chaque
étape nous devons être derrière eux. Une résolution non exécutoire c'est bien,
mais ce n'est pas assez... Nous pouvons y arriver. Nous l'avons fait en
novembre et nous pouvons le refaire l'an prochain. »
La manifestation était en grande partie organisée en toile de fond
d’une nouvelle tentative pour faire pression sur le Congrès, intitulée
« Américains contre l'intensification de la guerre en Irak », qui a
été lancée récemment par une coalition de syndicats et MoveOn.org.
La complicité des démocrates dans la guerre, de ses débuts à aujourd'hui, a
été largement ignorée, et il n'y a eu aucune explication des causes
fondamentales de l'éruption du militarisme américain dans la crise du
capitalisme américain et mondial.
En fait, la manifestation de Washington avait un caractère semi-officiel.
Dans les jours qui ont précédé le rassemblement, le Washington Post a publié
des articles qui prédisaient une participation massive, a fourni un plan du
site et a même affiché les portraits de célébrités de Hollywood, telles que
Jane Fonda, Susan Sarandon, Tim Robbins et Danny Glover, qui allaient être sur
place. L'édition de vendredi a même annoncé que la manifestation allait
profiter d'une douce journée ensoleillée. Le Washington Post du dimanche
avait en première page un article sur la manifestation avec une grande photo
des manifestants — une pratique totalement différente de la couverture
médiatique insignifiante que le journal avait faite lors des précédentes
manifestations anti-guerre.
Certaines indications soulignent la nature semi-officielle de la
manifestation et de la coordination entre les organisateurs et la direction du
Parti démocrate, comme le fait que la bureaucratie de l'AFL-CIO ait donné son
appui. La fédération syndicale, qui au départ appuyait la guerre et qui est
demeurée silencieuse durant plusieurs mois alors que le carnage s'intensifiait,
a envoyé Fred Mason, le président de l'AFL-CIO du Maryland-DC, pour accueillir
le rassemblement au nom du président de l'AFL-CIO John Sweeney.
Un événement organisé sur la base de cette fausse perspective ne peut pas
devenir un véhicule pour l'expression de la haine intense des travailleurs et
des jeunes envers la guerre et l'administration Bush et des grandes
préoccupations sociales et économiques des larges masses.
Un des aspects les plus odieux de l'événement fut le discours démagogique de
Dennis Kucinich, imposteur et vaurien politique de première classe. Le
représentant de l'Ohio au Congrès cherche à rejouer le rôle qu’il avait
joué dans la course à la candidature présidentielle des démocrates de 2004, où
il s'était présenté comme le soi-disant candidat anti-guerre le plus déterminé
pour finir par soutenir le candidat pro-guerre John Kerry au congrès de
nomination du Parti démocrate.
Avant de faire subir à la foule un sermon de plus de Jesse Jackson sur le
refrain de « Gardons l’espoir » le coordonnateur national
d'Unis pour la paix et la justice a présenté de façon révérencieuse cet
imposteur politique aguerri comme « une personne qui fait partie de ce
mouvement et de tous les mouvements pour la justice sociale et économique. »
Lorsque le journaliste du WSWS a interviewé Jackson avant son discours,
toutefois, sa position sans principes et jouant sur deux tableaux a été exposée
clairement. Lorsqu'il lui fut demandé s'il était en faveur d’interrompre
le financement de la guerre, Jackson a répondu « Oui. Il est impossible de
faire autrement. »
Ensuite, à la question « Tout le financement ou simplement celui
concernant l'augmentation du nombre des soldats ? », Jackson a
éludé la question : « A, stopper l'augmentation du nombre des soldats
et B, commencer à regrouper une véritable coalition de volontaires pour
commencer la transition pour nous sortir de là… » a-t-il
dit.
Quand je lui ai demandé s'il était en faveur de la destitution de Bush, il a
encore évité de répondre, disant « Je suis en faveur d'audiences et
d'enquêtes. Commençons au moins le processus pour déterminer ce qui a mal
tourné et qui a fait quoi et à quel moment. »
Derrière de telles dérobades et un tel double langage, on trouve la
politique d'un parti qui, quelles que soient ses critiques de la politique de
Bush en Irak, défend entièrement les intérêts de l'élite américaine du monde de
la finance et des affaires tant dans le pays qu'à l'étranger. Il n'y a pas un
iota d'opposition de principes soit à la continuation du bain du sang en Irak
ou aux lancements de nouvelles guerres impérialistes.
Il faut tirer les leçons politiques décisives de la complicité du Parti
démocrate dans les guerres avec l'Afghanistan et l'Irak, sans parler de la
guerre d'Israël contre le Liban de l'été passé
soutenue par les Etats-Unis. Il faut aussi tirer les leçons de la politique des
alliés opportunistes prétendument de gauche du Parti démocrate, comme ceux qui
ont organisé les manifestations de samedi dernier.
L'unique et véritable base pour le développement d'un mouvement de masse
contre le militarisme et la guerre est la mobilisation des travailleurs à
échelle internationale, indépendamment des partis de l'élite dirigeante
capitaliste et en les combattant. Cela signifie qu'il faut rompre de façon
irrévocable avec le Parti démocrate et construire un mouvement de masse
socialiste indépendant.
(Article original anglais publié le 29 janvier 2007)