Grande-Bretagne: Brown forme un nouveau gouvernement
comprenant des libéraux, des ex-conservateurs, des personnalités du monde militaire,
de la police et du monde des affaires
La première démarche entreprise par Gordon Brown en tant que
nouveau premier ministre britannique, en l’occurrence le remaniement de
son gouvernement, lui a valu les accolades de l’establishment
politique et des médias.
Onze des 22 membres sortants du gouvernement de Tony Blair
ont été remplacés dans le remaniement du gouvernement travailliste. Les
commentateurs politiques ont tiré un parallèle avec le président français,
Nicolas Sarkozy, du fait que Brown ait nommé pour la première fois une femme au
poste de ministre de l’Intérieur ainsi qu’un musulman au
gouvernement qui comprend des libéraux et des conservateurs.
L’on affirme que Brown a agi ainsi dans le but de
rompre avec « la vieille politique » et de tenir sa promesse initiale
d’utiliser le vaste espace du « terrain commun » de la
politique britannique afin de créer un gouvernement indépendamment des « sigles
des partis ». Le Parti travailliste, tout comme les médias, a acclamé le
remaniement ministériel comme étant un effort pour tirer un trait sur l’ère
Blair. Le fait que Brown envisage d’éventuelles réformes constitutionnelles,
y compris la création d’un jury citoyen, a incité Jackie Ashley du Guardian
a déclaré avec enthousiasme, dans une analogie avec la révolution anglaise, que
« les têtes rondes avaient pris le relais des royalistes » et
qu’« enfin la direction du Labour "renouait" avec le parti. »
Le message d’un Parti travailliste
« renouant » avec la grande masse de la population laborieuse fut renforcé
par l’ancienne ministre travailliste, Clare Short, qui avait démissionné
après le déclenchement de la guerre en Irak. Exprimant l’espoir que Brown
représentait un « nouveau départ », elle laissa entendre
qu’elle pourrait être disposée à revenir au bercail.
De telles affirmations, contribuent à renforcer la
crédibilité de suppositions selon lesquelles Brown pourrait préparer une
élection générale d’ici un an. Mais, un regard objectif sur la
composition du gouvernement et les premières promesses de Brown montre
clairement que ceci est un gouvernement encore plus droitier et plus servile à
l’égard du patronat que celui qu’il vient de remplacer, ce que bon
nombre de gens avaient tenu pour impossible.
C’est un fait que Brown ne pouvait pas continuer avec
la même coterie qu’avant. Non seulement bon nombre de ceux qui en faisait
partie, comme l’ancien ministre de l’Intérieur, John Reid, étaient des
alliés fidèles de Blair et s’étaient sans cesse opposés à ce que Brown
lui succède. Ils étaient aussi trop étroitement liés à la guerre en Irak qui a
produit une hémorragie du soutien politique du Parti travailliste.
Jack Straw, en tant que ministre des Affaires étrangères,
avait supervisé en 2003 la participation à l’invasion de l’Irak et l’on
rapporte qu’il souhaitait retrouver son ancien poste. Bien qu’ayant
mené la campagne de Brown pour le poste de chef du Parti travailliste, il
occupera cependant le poste de ministre de la Justice (un poste créé suite à la
division de l’ancien ministère de l’Intérieur) et celui de
président de la chambre des Lords.
La nomination de David Miliband comme ministre des Affaires
étrangères passe pour la preuve que la politique du gouvernement Brown sera
tout à fait différente de celle de Blair en matière de politique étrangère. La
BBC a rapporté que cela « signalait un éventuel changement de la politique
étrangère britannique en faveur d’une politique où on n’a pas
abandonné toute critique à l’égard des Etats-Unis et d’Israël. »
En fait, les antécédents de Miliband ne révèlent aucune
opposition de ce genre à la guerre en Irak. Le site Theyworkforyou.com le
présente comme quelqu’un qui « approuve fortement » la guerre
en Irak, et laisse au Guardian le soin de faire le commentaire pour ne
rien dire à savoir qu’il « n’est pas associé publiquement à la
décision d’envahir l’Irak et l’on rapporte qu’en privé
il avait des doutes à ce sujet. »
Sa seule divergence avec Blair ayant quelque substance était
de toute apparence l’évocation de sa « consternation » en
conseil des ministres sur le fait que Blair n’ait pas appelé à un
cessez-le-feu au Liban l’année dernière. Et, en tant que ministre de
l’Environnement, il avait déclaré lors d’une réunion aux Etats-Unis
que l’introduction d’un changement climatique nécessiterait « une
direction forte » à Washington.
Le fait que de telles choses puissent passer pour une
critique ou même une opposition à Washington est révélateur du degré de
dépendance de la Grande-Bretagne à l’égard des Etats-Unis. Miliband est
mieux connu pour le rôle déterminant qu’il a joué dans la fabrication de
New Labour. Il fut d’abord connu en 1997 pour avoir été à la tête du
groupe politique de Blair et n’a cessé de grimper rapidement les échelons
depuis.
Deux critiques éloquents de l’Irak sont entrés au
gouvernement. L’ancien secrétaire général adjoint des Nations unies, Sir
Mark Malloch-Brown a été nommé secrétaire d’Etat à l’Afrique,
l’Asie et l’ONU et John Denham, qui avait quitté le gouvernement pour
protester contre l’invasion de l’Irak, occupe le nouveau poste de
ministre d’Etat pour l’Innovation, les Universités et les
Aptitudes. L’amiral Sir Alan West, l’ancien chef de la marine
britannique et un vétéran décoré de la guerre des Malouines, a été nommé
ministre de la Sécurité.
Dans la mesure où ces nominations signifient un éventuel
changement de trajectoire, celui-ci serait motivé par la débâcle de
l’invasion menée par les Etats-Unis en Irak. Malloch-Brown avait attaqué le
manque de respect de Blair et de Bush à l’égard des Nations unies en
disant que la seule chose positive émanant de la guerre en Irak est
qu’elle caractérisait le point culminant de « l’unilatéralisme
américain ».
Le multilatéralisme était à présent « fortement de
retour », affirma-t-il, en raison d’une nouvelle « reconnaissance
saine des limites même de la puissance américaine à influencer et à façonner les
problèmes dans de nombreux endroits du monde ».
West a décrit l’éventualité d’une attaque
militaire de l’Iran comme étant « horrifiante ». Il a dit,
« Nous ne devrions pas le faire, la question devrait être résolue
d’une autre manière » et il a attaqué le gouvernement pour avoir affaibli
les forces armées britanniques.
Mais tout changement de trajectoire se fera dans le cadre
d’une promotion agressive des intérêts de l’impérialisme
britannique au sein du partenariat avec les Etats-Unis. Brown reste engagé en
faveur d’un maintien de bonnes relations avec la Maison-Blanche, a dit
son porte-parole. « Il croit très fortement à l’importance des
relations avec les Etats-Unis et à l’importance des relations avec le
président des Etats-Unis. »
Le fait que les divergences entre Blair et Brown ne sont qu’une
question de nuance fut souligné par le fait que Des Browne, le ministre de la
Défense, fut le seul à conserver son poste ministériel après le remaniement.
Browne avait joué un rôle primordial lors de la détention des quinze marins
britanniques dans les eaux territoriales iraniennes, attisant le tapage fait
par les médias.
La nomination de West comme ministre de l’Intérieur et
responsable de la sécurité fait entrer dans les plus hautes sphères
gouvernementales des militaires ne disposant d’aucun mandat électoral.
Dans le même contexte, Brown a nommé l’ancien directeur de la Police
métropolitaine de Londres, (Lord) John Stevens, comme son conseiller principal à
la sécurité internationale.
Brown a récompensé ses plus fidèles alliés. Alastair Darling
a hérité du ministère des Finances tandis que les conseillers les plus proches
de Brown, Nick Brown et Douglas Alexander, ont respectivement été nommés aux
postes de « chief whip » [chargé de s’assurer que les députés
votent conformément au souhait de la direction du parti] et au ministère pour
le Développement international. Un autre allié clé, Ed Balls, occupe également un
nouveau poste, celui de secrétaire d’Etat à l’Enfance, à
l’Ecole et à la Famille, tandis que sa femme, Yvette Cooper, a été nommée
ministre du Logement. Pour multiplier les liens familiaux, le poste de
secrétaire de cabinet fut confié à Edward Miliband, le frère de David Miliband.
Toujours est-il que la continuité de la politique de Blair
par Brown est démontrée par la nomination de Jacqui Smith comme ministre de
l’Intérieur. Smith, en tant que fidèle « blairiste », était
aussi une partisane farouche de la guerre contre l’Irak. Dans son
ancienne qualité de « chief whip » cependant, on lui sut gré d’avoir
fait régner la paix entre les factions de Blair et de Brown au sein du parti.
Durant la dernière course à la direction du parti, Brown avait
été le seul candidat en lice, Smith avait mis en garde contre tout virage à
gauche du parti et avait appelé à lutter pour les électeurs dans les régions
prospères du sud-est au lieu « d’un repli sur nos terres
d’origine… Nous avons changé notre paysage politique en prenant
clairement possession du centre, » a-t-elle précisé.
John Hutton, un autre « blairiste », conserve le
ministère du Commerce, des Entreprises et de la Réforme régulatrice tandis que
l’ancienne candidate au poste de vice-premier ministre, Hazel Blears, est
nommée au poste de ministre des Communautés et du gouvernement local.
Aux côtés de Blears, quatre autres candidats au poste de
vice-premier ministre se sont vus dotés de postes gouvernementaux. Harriet
Harman, qui avait remporté cette course, devient présidente de la Chambre des
communes et Peter Hain devient ministre du Travail et des Retraites.
Alan Johnson devient ministre de la Santé. Ses liens avec la
bureaucratie syndicale sont considérés comme très précieux compte tenu que
Brown cherche à intensifier la privatisation du système de santé publique.
L’une des dernières démarches de Brown en tant que ministre des Finances
avait été de couper drastiquement le budget 2007-2008 du service de santé
britannique (NHS), en supprimant près d’un tiers en le faisant passer de 9,3
milliards d’euros à 6,3 milliards d’euros. Il a également promu le
chirurgien de renom, Sir Ara Darzi, sous-secrétaire d’Etat à la Santé.
Darzi s’est fait le champion de la « reconfiguration » du NHS
par la fermeture des hôpitaux et des services entiers et en rentabilisant les
opérations.
Jon Cruddas, qui avait été promu au rang de candidat de
« gauche » lors de la course à la direction, reste sans poste. Il
aurait décliné un poste inférieur, probablement tellement inférieur qu’il
n’avait pas d’autre choix que de ne pas l’accepter.
Shaun Woodward, par contre, qui était passé des
conservateurs dans les rangs de Labour en 1999, a été promu ministre pour
l’Irlande du Nord. La défection la semaine passée du député conservateur
de longue date, Quentin Davies, en faveur du Parti travailliste a été portée au
crédit de Woodward.
Au moins trois membres libéraux-démocrates ont rejoint le
gouvernement. Lady Shirley Willians, qui a dirigé le Parti social-démocrate, à
présent défunt et qui était né d’une scission au sein du Labour en 1981,
a refusé un poste ministériel mais devrait jouer un rôle de conseillère en
matière de prolifération nucléaire. Lady Neuberger, la porte-parole libéral- démocrate
de la Santé, a également accepté la charge de conseillère en matière de
promotion du bénévolat et son collègue de parti, Lord Lester, sera conseiller
en matière de réformes constitutionnelles.
Les ouvertures de Brown aux libéraux-démocrates datent
d’avant sa nomination au poste de premier ministre quand il a proposé le ministère
de l’Irlande du Nord à Paddy Ashdown, ancien chef de file des libéraux-démocrates.
Ashdown a décliné l’offre mais le recrutement de Williams, Lester et
Neuberger laisse supposer que les libéraux-démocrates sont loin d’être
aussi hostiles à une coalition de fait avec Labour que leurs protestations
publiques ne le laissent entendre.
En dépit de rapports selon lesquels la proposition faite à
Ashdown avait été faite derrière le dos des deux partis, il apparaît à présent
que le dirigeant libéral-démocrate, Sir Menzies Campbell, avait été en
discussion avec Brown au sujet du poste ministériel et ne l’a décliné
qu’après que la chose ait été connue du public. Le Gardian rapporta
avoir été informé par des « sources autorisées » que les pourparlers
« en étaient à un stade plus avancé que les camps des deux hommes ne l’avaient
reconnu jusque-là. Il apparut que Lord Kirkwood, un collaborateur de haut rang
de Sir Menzies, et Alistair Darling, le ministre du Commerce et de
l’Industrie et un allié du ministre des Finances, avaient eu plusieurs
discussions ces jours derniers. »
Le recrutement de Sir Digby Jones, l’ancien directeur
général du Conseil du patronat britannique comme ministre du Commerce est tout
aussi révélateur. Digby Jones a écarté toute adhésion au Parti travailliste, mais
est sur le point d’être élevé à la dignité de pair et sera le chef de
file du groupe travailliste à la Chambre des Lords. Il est à la tête
d’une liste extensive d’hommes d’affaires faisant leur entrée
au gouvernement pour former le nouveau « Conseil des entreprises de
Grande-Bretagne » de Brown.
Ce conseil nouvellement créé sera dirigé par le patron du
fonds d’investissement Permira, Damon Buffini, ce qui revient à un rejet
direct des appels lancés par les syndicats pour que Brown intervienne contre
les fonds d’investissement. Le directeur de Permira, une société de
capital-risque et de capital-investissement, qui est déjà conseiller
gouvernemental en matière de réforme éducationnelle, dirigera une équipe de
grands patrons, y compris Sir Terry Leahy le PDG de la chaîne de supermarchés Tesco
[le numéro un britannique de la distribution], Sir Richard Branson, le PDG de
la chaîne de magasins Virgin et Sir Alan Sugar de la société
d’électronique et d’informatique Amstrad.
Selon le Financial Times, le conseil a pour but
« d’aider à injecter des expertises privées dans des domaines tels que
la compétence et les réformes de soutien aux entreprises. M. Brown souhaite
également recourir à ce conseil pour dépolitiser d’autres aspects des
dépenses publiques aux entreprises, tel le financement relatif de divers
secteurs. »
Le journal a rapporté que l’accession de Brown au
pouvoir « a engendré une course aux dons vers les coffres du Parti
travailliste avec quatre hommes d’affaires, y compris des personnalités
de fonds d’investissement, versant au parti plus d’un demi-million
de livres sterling ces dernières semaines. »
Les quatre riches hommes d’affaires qui ont ces dernières
semaines fait don chacun jusqu’à 350 000 euros sont Sir Ronald Cohen,
« le doyen du fond d’investissement britannique », Nigel
Doughty d’un fonds de capital-risque, l’ancien partenaire de la
banque d’investissements Goldman Sachs, Jon Aisbitt, et Peter Coates, le
patron des paris sportifs sur internet.
Le Financial Times a remarqué un « certain
rapprochement » entre le Labour et le patronat après « des relations tendues
au cours du troisième mandat du Parti travailliste. »
« Les entreprises britanniques ont cruellement besoin
de quelques réformes visant la règlementation, » écrit-il, en demandant
instamment à Hutton de « nettoyer Whitehall, en quête de problèmes causés
par les règlements, les charges fiscales et les initiatives
gouvernementales. » En signe des choses à venir, le journal poursuivait en
disant que « le flexible marché du travail britannique a bien fait les
choses au cours de cette dernière décennie, mais il n’est plus aussi
flexible qu’il l’était. Ceci devrait être la priorité absolue de M.
Hutton. »