Le président français nouvellement élu,
Nicolas Sarkozy, a avancé le nom de Dominique Strauss-Kahn du Parti socialiste
(PS) pour la direction du Fonds monétaire international (FMI) et a reçu le
soutien européen pour cette candidature. Ceci est la dernière d’une série
de démarches de Sarkozy pour appeler des politiciens de « gauche »
dans son gouvernement afin d’accroître le pouvoir de la France au sein de
diverses institutions économiques internationales.
Le FMI, tout comme la Banque mondiale, avait
été fondé par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et les puissances capitalistes alliées
lors de la conférence de Bretton Woods en 1944 dans le but de stabiliser
l’économie capitaliste mondiale après la Grande dépression et la Seconde
guerre mondiale. Aujourd’hui, il contrôle les flux financiers mondiaux et
contraint les pays pauvres à réduire les services publics et les dépenses
publiques en échange d’un allègement de leur dette. Par tradition, les
Européens désignent le directeur général du FMI et Washington nomme le
président de la Banque mondiale.
Strauss-Kahn, un dirigeant du Parti socialiste
français, dispose d’excellentes références du monde des affaires.
Economiste, il fut, de 1991 à 1993, ministre de l’Industrie et du
Commerce extérieur, puis membre à Bruxelles, dans la capitale européenne, du
groupe de pression pour le constructeur automobile Renault et le financier de
Vincent Bolloré. A partir de 1997, il fut ministre de l’Economie, des
Finances et de l’Industrie dans le gouvernement du Premier ministre
socialiste, Lionel Jospin. Il privatisa entre autres France Télécom, le Crédit
Lyonnais, le groupe d’électronique de défense Thomson-CSF et Air France. Il
aurait aussi joué un rôle majeur dans le lancement de l’euro. Il
démissionna en 1999 suite à un scandale de corruption. Depuis, il n’a cessé
d’être un des ténors du PS et un député influent à l’Assemblée
nationale.
En acceptant la proposition de Sarkozy,
Strauss-Kahn rejoint un nombre de politiciens du Parti socialiste qui occupent
ou qui vont occuper des postes dans le gouvernement Sarkozy-Fillon.
L’ancien ministre de la Culture, Jack Lang, après avoir été menacé de
suspension par la direction du PS s’il acceptait l’offre de Sarkozy
de participer à une commission sur « la réforme des institutions », a
donné sa démission en dénonçant la « discipline mesquine » de la
direction. L’ancien ministre des Affaires étrangères du PS, Hubert
Védrine, dirige à présent un groupe d’étude sur les effets de la
mondialisation que lui a confié Sarkozy.
La dernière vague de convertis du PS a occupé
des postes plus élevés dans l’appareil du PS que le groupe de politiciens
sociaux-démocrates précédents ayant déjà accepté de rejoindre le gouvernement
Sarkozy-Fillon. Parmi ces derniers se trouvaient au premier plan,
l’ancien « humanitaire », Bernard Kouchner, qui est à présent
le ministre des Affaires étrangères de Sarkozy et l’ancienne féministe,
Fadela Amara, à présent secrétaire d’Etat auprès de la ministre du
Logement et de la Ville.
La hâte avec laquelle les politiciens du PS se
sont bousculés pour rejoindre un gouvernement farouchement droitier en dit long.
(Sarkozy s’est vu attribuer récemment la distinction douteuse
d’être le premier président français à avoir invité le dirigeant
néo-fasciste du Front National, Jean-Marie Le Pen, au palais présidentiel de
l’Elysée. Cela montre clairement qu’il n’existe pas de
désaccords majeurs entre les « socialistes » du PS et les forces de
Sarkozy. La direction du PS et l’extrême droite peuvent facilement
travailler ensemble ; seules des divergences d’ordre tactique les séparent.
Dans ce contexte, il faudrait se rappeler que pratiquement l’ensemble de « l’extrême
gauche » française avait appelé à voter pour le Parti socialiste à la fois
à l’élection présidentielle et à l’élection législative de cette
année.
Les médias de centre-gauche français se sont efforcés
de citer le commentaire de Sarkozy selon lequel il cherche à
« asphyxier » le PS en donnant des postes gouvernementaux au
personnel de haut niveau du PS pour ainsi se l’assujettir. Sans aucun
doute ceci est en partie le cas. Toutefois, l’intérêt du jeu dépasse les
simples considérations politiques à court terme ou de nature électorale.
La logique des actions de Sarkozy, tout comme
l’acceptation de ses offres d’emploi de la part des dirigeants du
Parti socialiste, devient quelque peu plus claire si l’on considère le
caractère essentiel de sa présidence. Comme le clamait Sarkozy durant sa
campagne, son objectif est de créer une « rupture » avec les
institutions sociales actuelles de la France, c’est-à-dire que
l’heure est au règlement de compte sérieux avec la « mentalité Etat
social » et au-delà, avec la classe ouvrière française et son niveau de
vie. Son objectif est d’engager les « réformes » que ses
prédécesseurs avaient proposées mais qu’ils ne furent pas en mesure d’appliquer
en raison des protestations massives de la classe ouvrière française (contre la
réforme de la sécurité sociale d’Alain Juppé en 1995, contre le projet de
réforme de la retraite de Jean-Pierre Raffarin en 2003 et contre le Contrat
Première Embauche de Dominique de Villepin en 2005). Sa stratégie est de faire
passer les réformes tout en posant comme le grand restaurateur de la gloire et
de l’unité de la France.
Sarkozy a fait le commentaire quelque peu
révélateur suivant en répondant à la question pourquoi il avait nommé
Strauss-Kahn pour le poste au FMI et abandonné ainsi les candidats de
droite : « Lui [Strauss-Kahn] et moi avons la même vision du
fonctionnement du FMI… Et je devrais priver la France de sa candidature
parce qu’il est socialiste ? Comment serais-je le Président de tous
les Français si je raisonnais comme ça ? »
En bref, Sarkozy a besoin du personnel du PS pour
présenter une fausse apparence d’unité nationale tandis qu’il
prépare un programme de « rupture » prévoyant des coupes sociales,
programme conçu pour enrichir la bourgeoisie française et appauvrir les
travailleurs français, et aussi pour faire valoir les intérêts impérialistes
français de par le globe. Les ténors du PS sont plus qu’heureux de fournir
cette façade de « gauche ». En fait, pour l’essentiel ils sont
d’accord avec son programme.
Au moins pour le moment, l’agressivité
de Sarkozy impressionne sans aucun doute les élites dirigeantes des autres pays
européens qui sont impatientes de perpétrer elles aussi des attaques identiques
contre les programmes sociaux et les droits démocratiques. C’est pourquoi,
Sarkozy s’est invité à la réunion des ministres des Finance de la zone
euro (Eurogroup) et s’est assuré facilement de leur soutien pour la
candidature de Strauss-Kahn au FMI.
Il a également obtenu leur accord pour repousser
l’échéance de la réduction du déficit budgétaire de 2010 à 2012, en violant
ce faisant l’accord européen signé en avril pour la relance de
l’économie française. Sarkozy espère, de par une telle politique, faire
passer les réformes vu qu’un taux d’emploi relativement élevé dans
une économie plus forte pourrait passagèrement cacher l’effet des
réductions des dépenses sociales.
Les autres ministres des finances ont essayé
de faire bonne mine, en semblant penser que Sarkozy procédera à des réductions
des dépenses sociales telles que le déficit budgétaire ne sera pas un problème.
Le Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, a dit qu’il
était « content de voir la France s’engager dans une phase de réformes
profondes et de substance. » Il a poursuivi en disant que Sarkozy avait
promis que la France resterait « profondément ancrée dans une philosophie
de consolidation budgétaire. » Le ministre des Finances néerlandais,
Wouter Bos, a ajouté : « Je suis très optimiste. Je crois que je peux
encore être convaincu. »
L’influence exercée par Sarkozy dans les
milieux bourgeois n’est pas sans bornes et s’est heurtée à des
limites bien définies. L’autre proposition que Sarkozy a faite à l’Eurogroup,
à savoir de conférer davantage de poids aux ministres des finances au sein de
la Banque centrale européenne (BCE) lors des prises de décisions relatives à la
fixation des taux d’intérêts en vue de donner une direction politique à
la politique monétaire européenne, s’est heurtée à une opposition bien
plus substantielle. Sarkozy avait sans doute d’une part espéré relancer
l’économie européenne en obtenant des taux d’intérêts plus bas et d’autre
part relancer les exportations européennes par une baisse de la valeur de l’euro.
Mais cette mesure engendre des implications
économiques et géopolitiques bien plus vastes et que l’économiste Jean
Pisani-Ferry cite dans l’éditorial du journal LeMonde du 9
juillet : « Le projet, c’est d’acquérir une identité
externe et de permettre à la zone euro de peser dans la régulation monétaire et
financière internationale. Cette volonté, qui a dès l’origine marqué les
initiatives françaises, est d’actualité dans un contexte de changement
rapide des rapports de force. Les pays de la zone euro sont… de faible
influence dans les négociations financières. Le débat sur le taux de change
chinois en est l’illustration : alors que l’enjeu est aussi
important pour l’Europe que pour les Etats-Unis, la discussion se conduit
essentiellement entre Washington et Pékin. »
La proposition de Sarkozy le met en conflit
avec les puissantes sections de la bourgeoisie européenne qui craignent ses
effets sur l’économie nationale ainsi que l’effet potentiellement
déstabilisant qu’elle pourrait avoir sur le commerce international et les
relations avec Washington. L’attitude « pro USA » adoptée par
Sarkozy et rapportée de toutes parts des deux côtés de l’Atlantique
n’a pas pu dissimulé le fait qu’il propose de doter l’Union
européenne de moyens pour mettre en place une politique indépendante et
potentiellement opposée à Washington. Après la conférence, la chancelière
allemande, Angela Merkel, a signalé les risques d’inflation en concluant,
« C’est pourquoi, il n’est pas question pour l’Allemagne
de changer d’avis [d’opposition à la proposition de Sarkozy
relative à la BCE] en ce moment. »
En effet, il y a quelque chose de gauche dans les
tentatives outrancières de Sarkozy de placer sur la scène internationale la
France comme une grande puissance et de vouloir faire accepter à la classe
ouvrière française, avec ses traditions socialistes et ses luttes, des coupes
profondes dans les dépenses sociales et le niveau de vie. Quel que soit son
pouvoir de mettre en scène toutes sortes d’illusion, la frénésie des
médias qui a accompagné l’élection de Sarkozy ne change pas objectivement
le monde ou la position intérieure de la bourgeoisie française.
Le récent voyage de Sarkozy en Afrique du Nord
et sa proposition d’établir une « Union méditerranéenne » a révélé
certaines de ces limitations. Les 10-11 juillet, Sarkozy a effectué une courte
visite en Algérie et en Tunisie pour discuter de ses projets d’une
« Union méditerranéenne » qui comprendrait la France,
l’Espagne, le Portugal, l’Algérie, la Tunisie et le Maroc ainsi que
tous les autres pays riverains de la Méditerranée.
Les points qui furent vraiment débattus durant
sa visite relevaient du ressort véreux habituel de la diplomatie
impérialiste : la collaboration entre le groupe énergétique algérien
Sonatrach et Gaz de France (les investissements français sont passés derrière
les investissements américains en Algérie en raison de l’implication des
Etats-Unis dans le secteur algérien de l’énergie du gaz et du
pétrole) ; les ventes françaises d’équipement nucléaire ; et
l’élaboration d’accords de prise de contact pour une coopération
militaire entre Paris, Alger et Tunis. Quant à la question primordiale d’obtention
de visas pour les familles d’Afrique du Nord pour leur permettre de
rendre visite à leurs familles en France, Sarkozy a seulement remarqué qu’elle
serait discutée au niveau européen.
Sarkozy a présenté, comme à son habitude, son
idée d’une Union méditerranéenne avec force exagération tout en gardant
les oreilles bouchées. Ses projets flous et que l’un de ses conseillers
avait qualifié d’« utopie mobilisatrice » ( !), ne
pouvaient cacher la perspective essentiellement raciste ou sa défense
vigoureuse et honteuse de l’impérialisme français. Il appela les
relations entre la France et son ancienne colonie une « histoire
d’amour » en raillant les suggestions selon lesquelles il pourrait
s’excuser pour la guerre brutale que la France a menée contre
l’indépendance algérienne en disant que « le repentir est une notion
religieuse et n’a pas sa place dans les relations d’Etat à
Etat. »
(Article original anglais paru le 13 juillet
2007)