Le président des Etats-Unis George W. Bush,
le vice-président Dick Cheney et la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice
ont tous donné personnellement l’avertissement au premier ministre irakien
Nouri al-Maliki que le temps commençait à manquer. Les échéances sont déjà dépassées
ou sur le point de l’être. Et l’administration Bush est encore loin
de la réalisation des « objectifs » qu’elle avait demandés au
gouvernement irakien le 10 janvier et qui sont liés au succès de son escalade
militaire actuelle.
Les objectifs ont pour but de faire
pression sur le gouvernement irakien dominé par les Chiites et les Kurdes pour
qu’il accepte un nouveau partage des pouvoirs. Les Etats-Unis veulent que
des concessions importantes soient faites aux élites arabes sunnites de
l’ancien régime baasiste de Saddam Hussein, espérant que des sections
importantes de l’insurrection sunnite mettent fin à leur résistance
armée. La marginalisation des baasistes et le rôle de premier plan donné aux
partis chiites et kurdes après l’invasion américaine ont joué un rôle
dans l’éruption de la guérilla anti-occupation dans les régions sunnites
ainsi que dans le développement subséquent de la guerre civile confessionnelle.
La rénovation du gouvernement marionnette
de Bagdad était aussi une composante essentielle de la stratégie de
l’administration Bush pour la région dans son ensemble. Alors
qu’elle attise les tensions avec l’Iran, la Maison-Blanche
recherche le soutien des Etats dits sunnites tels que l’Arabie saoudite
et l’Egypte, qui sont hostiles à la croissance de l’influence
iranienne dans la région et particulièrement sur le gouvernement irakien. En
partie, les « objectifs » américains visent à établir un régime à
Bagdad qui sera plus acceptable aux yeux des alliés régionaux des Etats-Unis et
qui appuiera toute action militaire américaine contre l’Iran chiite.
Une des priorités de Washington est
l’adoption d’une loi irakienne sur le pétrole qui ouvrira le pays
aux compagnies américaines, mais la loi est bloquée à cause d’intérêts antagonistes.
L’administration Bush a demandé que
le gouvernement irakien revoie la constitution irakienne, écrite par les
Etats-Unis en 2006, qui donnait le contrôle sur la nouvelle production de
pétrole aux provinces dominées par les Kurdes au nord et les Chiites au sud, là
où l’on trouve les principaux gisements pétrolifères. A moins que la
constitution ne soit changée, le gouvernement irakien central et les provinces
à majorité sunnite de l’ouest et du centre du pays, pauvres en
ressources, verront la plus grande partie des revenus provenant de
l’exploitation du pétrole aller vers les élites kurdes et chiites.
L’establishment sunnite aliéné n’a aucun avantage économique à
retirer son appui à la lutte armée anti-américaine.
Autre concession aux élites sunnites, les
Etats-Unis ont insisté pour que l’on mette fin à la politique de
« débaatisation » par laquelle les membres seniors du Parti Baas sont
exclus du gouvernement, de l’administration de l’Etat et de
l’armée. Bush veut aussi que des élections provinciales aient lieu au
cours de l’année, ce qui permettrait aux partis sunnites, qui avaient
boycotté le précédent scrutin, de reprendre le contrôle des provinces sunnites.
La Maison-Blanche a supposé que les
factions kurdes et chiites se rangeraient aux demandes américaines. Sur le
front politique, toutefois, l’escalade militaire a clairement échoué.
Le comité sur la réforme de la constitution
irakienne, qui devait présenter ses recommandations de changement de la
constitution au parlement avant le 22 mai, n’a pu s’entendre sur un
document final. Les partis nationalistes kurdes, alliés clés de
l’occupation américaine depuis le tout début, ont refusé d’accepter
des changements qui retireraient le contrôle des nouveaux puits de pétrole au
gouvernement semi-autonome régional kurde (KRG) qui administre les trois
provinces du nord, à majorité kurde.
Certains dirigeants chiites se sont aussi opposés à tout
affaiblissement des pouvoirs régionaux et provinciaux reliés à
l’industrie pétrolière. Le Conseil suprême islamique en Irak (CSII), un
autre allié crucial des Etats-Unis, a exprimé le désir d’établir une
région chiite au sud de l’Irak qui contiendrait la majorité des champs
pétrolifères irakiens inexploités.
Les Etats-Unis ont participé à l’élaboration
d’une loi, acceptée par le cabinet de Maliki en avril, qui retire aux
régions le contrôle sur le pétrole. Le parlement devrait voter la loi
d’ici le 31 mai. Cette loi fait en sorte que le contrôle de 93 pour cent
des champs pétrolifères inexploités de l’Irak passe à une compagnie
pétrolière d’Etat, qui serait responsable devant le gouvernement central
et qui accorderait des contrats à des sociétés étrangères. Les revenus seraient
amassés par le gouvernement national, qui les distribuerait ensuite aux
provinces selon la population et les besoins.
Cependant, le fait de ne pas avoir réussi à modifier la
constitution rend inefficace la nouvelle loi sur le pétrole. Le 27 avril, le
KRG avait émis une déclaration qualifiant le projet de loi
d’« inconstitutionnel ». Il avait déclaré que la loi « ne
sera pas appuyée par le KRG au parlement fédéral ». L’établissement
d’une compagnie pétrolière nationale, a soutenu le KRG,
« transgresse la constitution irakienne qui exige que le secteur pétrolier
soit développé par des investissements privés, que le contrôle de nouveaux
champs pétrolifères appartienne aux instances régionales et que les champs
actuels soient développés conjointement par les régions et le gouvernement
fédéral ».
La constitution originale définit aussi que le KRG possède
un droit de veto contre tout changement affectant ses pouvoirs. La clause 126
(4) du document stipule : « Des articles de la constitution ne
peuvent être amendés si de tels amendements retirent des pouvoirs aux régions
qui ne sont pas sous le contrôle exclusif des autorités fédérales, ou sans
l’approbation de l’autorité législative de la région en question et
l’approbation de la majorité de ses citoyens dans un référendum
général. »
Les partis kurdes se sont aussi opposés à tout changement
de la date, déterminée constitutionnellement, du 31 décembre 2007, qui verra la
tenue d’un référendum dans la province de Kirkouk pour déterminer si
celle-ci fera partie de la région kurde. Plus de 40 pour cent des champs
pétrolifères irakiens connus se trouvent dans la province de Kirkouk.
Le mouvement chiite dirigé par l’imam Moqtada al-Sadr,
deux partis sunnites et le front laïc dirigé par l’ancien premier
ministre par intérim Iyad Allawi ont déclaré leur opposition au référendum.
L’International Crisis Group a averti dans un rapport publié en avril
qu’il était probable qu’une guerre civile totale éclate au nord de
l’Irak si les partis kurdes ne laissaient pas tomber leurs ambitions de
s’emparer de la province. Des représentants des communautés arabes et
turkmènes de Kirkouk ont menacé de recourir aux armes afin d’empêcher le
référendum — qui a été structuré pour faire en sorte qu’une grande
majorité des électeurs soient kurdes.
Pendant que les nationalistes kurdes bloquent la loi sur le
pétrole et menacent de déstabiliser le nord, les partis chiites du gouvernement
font de l’obstruction à tout relâchement dans la politique de
« débaatisation ».
L’establishment clérical chiite, le CSII et le
mouvement sadriste se sont opposés à toute réhabilitation importante des hauts
dirigeants de l’ancien régime. Alors que l’administration Bush
considère que la « réconciliation nationale » est un ingrédient
essentiel pour convaincre les insurgés sunnites à déposer les armes, les
factions religieuses chiites la perçoivent comme une menace à leur pouvoir et
privilèges. De plus, leurs partisans parmi la population chiite, victimes
d’une violente répression sous Saddam Hussein, s’opposent
vigoureusement à toute concession aux baasistes.
La semaine dernière, un législateur sadriste, Falah Hassan
Shansal, a déclaré au Washington Post : « Si le prix à payer pour
la réconciliation nationale est le retour des assassins baasistes, nous nous
opposerons à la réconciliation. »
Le gouvernement Maliki retarde la fixation d’une date
pour la tenue des élections provinciales. Le parti Da’wa de Maliki et le
SIIC craignent que le mouvement sadriste gagne le contrôle de la plupart des
provinces du sud à prédominance chiite si les élections sont tenues.
Une section significative de la population voit le Da’Wa
et le SIIC comme des marionnettes américaines. Par opposition, les sadristes
ont mené la lutte d’un bref soulèvement contre les forces américaines en
2004. Bien qu’ils aient par la suite adhéré à une coalition avec
d’autres parties chiites et le gouvernement, les sadristes ont renforcé
leur base d’appui en demandant à l’administration Bush
d’établir un échéancier pour le retrait de toutes les troupes américaines
et étrangères. En avril, alors que l’opposition populaire augmentait en réaction
à l’ « escalade » américaine, Sadr a donné l’ordre à ses
supporteurs de démissionner du conseil des ministres de Maliki.
Les sadristes ont boycotté les élections provinciales en 2005,
mais croient qu’ils pourraient gagner presque tout le sud dans une
nouvelle élection. Dans une démonstration de force politique, des centaines de
milliers de personnes ont pris part à un ralliement sadriste à Najaf le 9 avril
pour protester contre l’occupation américaine. Au cours des derniers
mois, des affrontements sanglants ont pris place entre l’Armée du Mahdi
sadriste et des milices chiites rivales à Basra, Najaf, Nasriyah, et dans
d’autres plus petites villes du sud, alors que les rivalités locales s’intensifient.
Préoccupé par le fait que le mouvement sadriste ne devienne un
dangereux pôle d’attraction au mouvement d’opposition
à l’occupation américaine, les militaires américains cherchent à
affaiblir ou à détruire l’Armée du Mahdi et à prendre le contrôle de son
bastion dans la banlieue de Sadr City à Bagdad. Cependant, les opérations
militaires américaines contre l’Armée du Mahdi n’ont que très peu
affaibli son influence.
Cherchant à élargir leur autorité, les sadristes ont entrepris
des pourparlers avec les tribus et les organisations sunnites afin
d’établir une alliance politique. Certains partis sunnites partagent une
base commune avec les sadristes. Les deux proposent un gouvernement central
fort contrôlant les ressources pétrolières du pays et rejettent les prétentions
kurdes sur Kirkouk. Les deux font également appel à de larges couches de la
population profondément hostiles à l’occupation américaine.
Associated Press, citant un initié
sadriste, rapportait le 23 mai que Sadr se préparait pour le jour de la prise
du pouvoir de son mouvement à Bagdad. L’article de l’AP
déclarait: « La stratégie d’al-Sadr est en partie basée sur la
croyance que Washington allait bientôt commencer à retirer les troupes ou à les
réduire significativement, laissant derrière un énorme trou dans la structure
politique et sécuritaire en Irak, ont dit les associés d’al-Sadr… Al-Sadr
croit également, ont dit ses associés, que le gouvernement du premier ministre chiite
Nouri al-Maliki n’allait plus durer longtemps, étant donné son échec en
matière de sécurité, de service et en matière économique. Un effondrement
gouvernemental sera certainement suivi d’un réalignement politique dans
lequel le mouvement sadriste a de bonnes chances d’apparaître comme le
joueur principal. »
L’incapacité du gouvernement Maliki d’atteindre un
seul des objectifs de Bush, combiné aux divisions persistantes entre les
différentes factions sectaires et ethniques, pourraient bien inciter les Etats-Unis
à suspendre le parlement et à établir une forme de junte de « salut
national. » Il y a eu des rapports au cours de la dernière année selon lesquels
l’administration Bush soupèse la possibilité d’installer un homme
fort militaire pour simplement imposer les demandes américaines au pays.
Il est clair, cependant, qu’un tel régime fantoche
n’aura aucune base sociale d’appui et que sa survie sera totalement
dépendante des militaires américains. Il sera confronté à un nord kurde de plus
en plus hostile, à une insurrection continue dans les zones sunnites et à la
perspective d’un soulèvement dirigé par les sadristes impliquant des
millions de chiites à Bagdad et dans le sud de l’Irak.