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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Elections législatives en France : l’effondrement de la « gauche »

Par Antoine Lerougetel et Peter Schwarz
9 juin 2007

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A deux jours du premier tour des élections législatives en France, une victoire écrasante pour le parti gaulliste UMP (Union pour un mouvement populaire) du président Nicolas Sarkozy semble courue d’avance. Les sondages varient, mais ils prévoient tous que l’UMP obtiendra entre 400 et 460 des 577 sièges à l’Assemblée nationale. Actuellement, l’UMP a un total de 359 députés.

Le principal parti d’opposition, le Parti socialiste (PS) ne prétend même pas vouloir s’opposer sérieusement à une victoire de l’UMP. Son secrétaire général, François Hollande, a annoncé que le parti a pour objectif d’obtenir plus que le « chiffre symbolique » de 120 sièges. 

 « Passer la barre des 120 serait jugé respectable par nombre de socialistes », a dit Hollande

Le Parti communiste, allié de longue date du PS, est à deux doigts de sombrer dans le gouffre. On s’attend à ce qu’il ne retienne qu’entre 4 et 12 des 21 sièges qu’il détient actuellement. Il est quasiment certain qu’il perdra les privilèges et le financement qui reviennent à un groupe parlementaire (qui doit compter au minimum 20 députés). Déjà en proie à des difficultés financières, des rumeurs circulent selon lesquelles le Parti communiste envisagerait de vendre des peintures de Pablo Picasso et de Fernand Léger, voire même son quartier général de la Place du Colonel Fabien.

Les efforts de François Bayrou pour mettre en place un nouveau parti bourgeois du centre, le Mouvement démocratique (MoDem), ont échoué. Selon les prévisions, son parti n’obtiendra qu’entre 2 et 6 pour cent des sièges. Presque tous les députés de l’ancien parti de Bayrou, l’Union pour la démocratie française (UDF) se sont ralliés à l’UMP de Sarkozy.

Le Front national, parti d’extrême droite, perd aussi des électeurs au profit de Sarkozy. Selon des sondages d’opinion, avec un soutien tournant autour de 6 pour cent, le parti de Jean-Marie Le Pen devrait obtenir ses pires résultats depuis les années 1980.

Le système électoral français déforme grandement la vraie relation de forces. Avec 41 pour cent des voix prévues, l’UMP serait en mesure d’obtenir les trois quarts des sièges à l’Assemblée nationale, tandis que le PS, avec ses 29 sièges prévus, obtiendrait moins d’un quart des sièges.

Ce système se base sur les circonscriptions électorales. Le 10 juin au premier tour il peut y avoir autant de candidats que l’on veut. Au deuxième tour le 17 juin, seuls les candidats ayant obtenu au premier tour les voix de 12,5 pour cent de l’électorat (et non 12,5 pour cent des votants) restent en lice. Cela produit un certain nombre de « triangulaires » où trois candidats se disputent le deuxième tour.

Malgré cela, il faut donner une explication politique à cette écrasante victoire annoncée de l’UMP. Après tout, avec 53 pour cent du vote populaire, la victoire de Sarkozy à l’élection présidentielle du 6 mai était certes confortable, mais n’était pas écrasante.

Comment se fait-il que cet homme — qui est haï par de larges couches de jeunes et de travailleurs, qui a la réputation de quelqu’un qui promeut la polarisation politique et les mesures droitières en matière d’immigration, de code du travail et de sécurité, et dont les liens étroits avec les super riches sont bien connus — soit en position d’asseoir sa présidence sur une majorité parlementaire aussi large ?

Le quotidien Libération, qui soutenait la candidate du Parti socialiste Ségolène Royal dans la course à la présidentielle et qui exprime la vision de la classe moyenne de gauche, s’exprime déjà comme s’il était hypnotisé par Sarkozy et souffrait d’une espèce de paralysie politique. Un éditorial de mercredi dernier était intitulé « Sarkozyraptor » et attribuait à Sarkozy les « mâchoires d’un vélociraptor politique ».

Utilisant le terme de « tsunami » pour décrire l’inévitabilité d’une victoire de l’UMP, Libération avertit: « L'omnipotence sarkozienne est une menace, y compris pour une droite que guetterait l’hubris fatale. Si la gauche ne se réveille pas et si l'électeur n'y prend garde, nous risquons cinq ans de pouvoir unique. Danger... »

Les mêmes crainte et effroi sont exprimés par le Parti socialiste, qui préfère lui aussi le terme de « tsunami », qui fait référence à une catastrophe naturelle, pour justifier sa propre impuissance et sa lâcheté devant une victoire imminente de l’UMP. 

En fait, le secret du succès de Sarkozy n’est pas difficile à comprendre. Il n’est pas la figure toute puissante, le « Sarkozyraptor » décrit par Libération. Au contraire, sa principale force est l’absence totale de toute opposition politique réelle. On peut carrément dire que le Parti socialiste ainsi que les autres sections de ce qu’on appelle à tort « la gauche » sont d’accord avec lui sur toutes les questions fondamentales.

Cela était déjà apparu clairement lors de la campagne présidentielle, où Ségolène Royal rivalisait avec Sarkozy sur les thèmes typiquement de droite tel le nationalisme et le « tout sécuritaire ». C’est devenu encore plus flagrant après l’élection, lorsque Sarkozy s’est mis à recruter pour son gouvernement des représentants en vue de la « gauche. »

Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères, cofondateur de Médecins sans frontières et membre de longue date du Parti socialiste en est l’exemple le plus remarquable. Il y en a bien d’autres, dont Martin Hirsch, président de l’association Emmaüs du défunt Abbé Pierre, et Jacques Attali, longtemps proche conseiller et confident de l’ancien président François Mitterrand, du Parti socialiste, et auteur d’une récente biographie de Karl Marx, qui a accepté d’effectuer des missions spéciales à l’étranger pour le nouveau président.

Certains dirigeants du Parti socialiste peuvent ne pas approuver la décision de Kouchner de rejoindre le gouvernement de Sarkozy. Mais il s’agit là de différences tactiques ; leur vision politique est fondamentalement la même que celle de Kouchner. Royal, qui apparaît comme la dirigeante de la campagne du Parti socialiste pour les élections législatives, a déjà fait savoir qu’elle est prête à collaborer avec Sarkozy.

Elle a déclaré que les députés du Parti socialiste à l’Assemblée nationale ne monteraient pas une opposition sérieuse à l’UMP, dont elle considère la victoire comme courue d’avance. Le 4 juin elle a dit à la presse, « la théorie de l’opposition frontale, je n’y crois plus du tout, les Français ne veulent plus entendre "on abroge tout". »

Faisant référence à « l’ouverture » de Sarkozy à d’anciens membres du Parti socialiste tels Kouchner, elle a affirmé, « la droite parle maintenant de façon différente… si on brandit trop l’opposition frontale sur tous les sujets, on n’est plus crédible. »

François Fillon, premier ministre de Sarkozy, parle du Parti socialiste avec un mépris affiché, jetant aux orties l’habituelle courtoisie diplomatique observée par les politiciens bourgeois français envers les parlementaires de l’opposition. Il condamne « l’imposture morale », celle « des grandes âmes sèches, qui pratique la justice sociale comme on offre un caramel mou du bout des doigts, à la sortie des kermesses dominicales ». En comparaison à l’implacable détermination du camp de Sarkozy, cette caractérisation est juste.

Sarkozy a su exploiter avec une certaine adresse la prostration de la « gauche » dans cette campagne électorale. La défection de Kouchner et d’autres est un facteur essentiel de la consolidation de ses chances électorales. Il emploie un énorme personnel d’experts en médias et de spécialistes professionnels des relations publiques qui utilisent avec compétence la confusion et la démoralisation créées par l’effondrement de la soi-disant « gauche » et les décennies de promesses non respectées et de trahisons des gouvernements de gauche.

La propagande de Sarkozy exploite la désorientation, la peur, la frustration et même la colère qu’un niveau de chômage élevé, le déclin du niveau de vie et une société en crise, ont produit. Ce fils d’aristocrate hongrois et ami des riches se présente en outsider, en immigré même, qui n’est pas passé par les grandes écoles de l’establishment français.

Il a promis que chacun aura sa chance s’il est prêt à travailler dur. Il a opposé les « honnêtes » gens aux petits « malfrats », ceux qui se lèvent tôt pour aller travailler aux « paresseux » qui dépendent des allocations sociales. Il se présente en homme politique qui se tient au dessus des querelles entre « gauche » et « droite. » Il n’a eu de cesse d’en appeler à « la grandeur de la nation française, » à la fierté d’être français quelle que soit l’origine ethnique ou la couleur de peau.

Cela a produit un certain effet. De tels appels auraient peu d’impact si l’opposition sociale massive qui s’est exprimée à maintes reprises dans les grèves et les manifestations énormes de cette dernière décennie, avait trouvé une expression politique et une orientation claire. Mais étant donné l’effondrement total de toute opposition significative de la « gauche » officielle, le populisme de droite de Sarkozy a été en mesure de trouver une réponse parmi de larges couches sociales.

Il y a cependant une différence énorme entre les Kouchner, les Attali, les bureaucrates du Parti socialiste et des syndicats, les environnementalistes qui se pressent dans le camp de Sarkozy et les gens ordinaires des classes moyennes et les travailleurs qui ont voté pour lui en désespoir de cause. Ceux-là, effrayés par le chiasme social et les tensions politiques qui s’intensifient, recherchent un Etat fort qui maintienne l’ordre et protège leurs privilèges. Kouchner, partisan de la première heure du néocolonialisme « humanitaire », est typique à cet égard. Les derniers, bien que dans la confusion et désorientés, recherchent une issue qui les sorte de l’impasse sociale.

La présidence de Sarkozy, malgré son contrôle ferme sur l’Etat et les institutions politiques, repose sur une société tiraillée par des divisions sociales profondes et explosives. C’est ce qui explique les nombreux signes extérieurs bonapartistes de ce régime.

A la différence des anciens présidents, Sarkozy maintient un contrôle strict sur chaque aspect du travail de son gouvernement. Les ministres rendent compte directement à l’Elysée et même les conférences de presse sur la politique intérieure et sociale, normalement une prérogative du cabinet du premier ministre, sont données par le président.

Une majorité UMP massive à l’Assemblée nationale donnera à Sarkozy un pouvoir quasiment incontesté sur les pouvoirs législatif et exécutif de l’Etat, foulant aux pieds un principe fondamental du régime démocratique : la séparation des pouvoirs.

Comme l’écrit Libération, « Le Président ne se contente pas de contrôler heure par heure le fonctionnement de l'exécutif tout en surveillant minute par minute la vie de l'UMP. Il veut un Parlement d'un bleu profond et uniforme qui lui fournisse la légitimité dont il a besoin pour son programme de réformes. »

Sarkozy est pleinement conscient de ce que la confusion produite par l’effondrement de la « gauche » lui fournit un tout bref délai pour prendre par surprise la classe ouvrière et pour mettre en application sa politique de droite. C’est ce qui explique son hyperactivité qui fait couler beaucoup d’encre. Les tensions sociales vont inévitablement exploser au grand jour.

Lors des élections législatives de 1993, durant la phase finale de la présidence de Mitterrand, le RPR gaulliste (prédécesseur de l’UMP) et l’UDF partisan du libéralisme économique avaient obtenu 472 sièges au parlement et le Parti socialiste était réduit à 53 sièges. Mais il n’avait fallu que deux ans pour qu’éclate un mouvement massif de grèves qui força le gouvernement du premier ministre Alain Juppé à capituler. Incidemment, Juppé est le premier ministre bis du présent gouvernement.  

On ne devrait cependant pas utiliser l’argument de l’extrême volatilité de la société française pour suggérer que Sarkozy ne représente aucun danger. Au contraire.

De nombreux gouvernements précédents ont adopté une attitude intransigeante face aux mouvements sociaux, se sont retrouvés dans une impasse et ont dû faire des concessions, le dernier exemple en date étant les protestations de l’année dernière contre le Contrat première embauche (CPE). Sarkozy est plus souple, davantage prêt à manoeuvrer et à utiliser le soutien des bureaucrates syndicaux et d’autres forces. Mais il ne fait pas de doute qu’il réagira avec la plus grande brutalité si la situation devenait incontrôlable. Personne n’ignore ses relations très étroites avec la police et ses ouvertures politiques au Front national qui exerce quelque influence parmi les forces de sécurité.    

De plus, Sarkozy ne se cache pas du programme droitier qu’il entend bien appliquer dès les premiers mois de sa présidence. Il est certain qu’il se servira de la légitimité qu’une large majorité à l’Assemblée nationale confèrera à son gouvernement pour empiéter encore bien plus sur le niveau de vie des travailleurs et leurs droits démocratiques.

Sarkozy peut compter sur le soutien de toutes les principales confédérations syndicales qui l’ont déjà rencontré deux fois. Elles ont toutes accepté de travailler avec lui et ont dit qu’il est possible de trouver des accords en matière de conditions de travail et de droits à la retraite.

Sarkozy a proposé des lois qui laisseront place à des négociations substantielles entre le gouvernement et « les partenaires sociaux » français, les représentants du patronat et des syndicats, et qui aboutiront à des accords industrie par industrie et secteur par secteur. Au motif de continuer à garantir un certain niveau de services publics, une sorte de limitation volontaire du droit de grève est envisagée. Ceci afin de maintenir une situation où les bureaucraties syndicales pourront continuer de jouer un rôle dans le but de contrôler la classe ouvrière.

De même, des militants écologistes sont sortis d’une table ronde avec Sarkozy et ses principaux ministres, ne tarissant pas d’éloges sur le président et sa mise en avant des questions concernant l’environnement. Ce fut ensuite au tour de Dominique Voynet, la candidate présidentielle des Verts, de faire une visite personnelle et de proposer de le conseiller sur ces questions.

Il est impératif de tirer les leçons politiques de cet effondrement et totale prostration de la soi-disant « gauche. » Pendant la campagne des élections présidentielles, le World Socialist Web Site s’est opposé à tous ceux qui appelaient à voter Royal pour « barrer la route à Sarkozy ». Cette position s’est révélée tout à fait correcte.

Tant que les travailleurs seront dans l’illusion que la soi-disant « gauche » représente un « moindre mal » ou qu’il est possible de faire pression sur le Parti socialiste pour qu’il agisse dans leurs intérêts, Sarkozy et les forces réactionnaires qui le représentent auront les coudées franches. L’unique façon de se préparer aux confrontations de classes est de construire un nouveau mouvement politique de la classe ouvrière, indépendant de tout l’establishment politique bourgeois dont font partie les partis de la « gauche », et qui se base sur un programme socialiste international.

(Article original paru le 8 juin 2007)


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