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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

25 ans après la guerre des Malouines

Par Paul Bond et Chris Marsden
28 juin 2007

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La classe dirigeante britannique a célébré avec une grande parade militaire le 25e anniversaire de la victoire des Malouines (Iles Falkands). Les services religieux et les défilés militaires survolés par l’aviation qui eurent lieu sur l’île et de par la Grande-Bretagne, donnèrent à cette célébration des airs de triomphalisme impérialiste. Quelque 900 personnes, 255 militaires britanniques, 649 argentins et 3 habitants de l’île (tués durant le bombardement naval de Port Stanley), moururent au cours de cette guerre qui dura 74 jours.

L’atmosphère fut résumée par l’ancien premier ministre, Margaret Thatcher, qui avait envoyé des troupes aux Malouines en avril 1982. Elle avait enregistré un message radiophonique qui fut retransmis aux habitants de l’île et aux forces britanniques et dans lequel elle décrivait la « libération de nos îles » comme « une grande victoire et une cause noble. » Qualifiant la guerre de « juste », elle dit que la Grande-Bretagne « s’était réjouie du succès et nous devrions encore nous réjouir. »

Le premier ministre, Tony Blair, était d’accord avec elle qu’« un principe était en jeu ». La décision de faire la guerre, dit-il dans une interview du mois dernier enregistrée pour le site web de Downing Street [résidence officielle et bureaux du premier ministre] avait nécessité du « courage politique », « mais c’était la chose à faire ».

Que s’est-il passé il y a 25 ans ?

Las Islas Malvinas, apparemment inhabitées au moment de l’arrivée des Européens dans le Nouveau Monde, étaient un petit bout de l’empire colonial espagnol en Amérique latine et qui avaient été explorées et réclamées aussi bien par les Britanniques que par les Français à la fin du dix-huitième siècle. De par la déclaration de leur indépendance de l’Espagne en 1816, les Argentins revendiquèrent le contrôle des Iles en tant qu’ancien territoire colonial espagnol.

La Grande-Bretagne tenta en vain par deux fois d’envahir l’Argentine même, en 1806-1807. Durant les guerres qui aboutirent en fin de compte à l’indépendance de l’Argentine (1816-1853), la Grande-Bretagne occupa les îles, en 1833. Les rebaptisant Falkands, elle commença par peupler les îles de citoyens britanniques et depuis, elle se sert d’eux pour revendiquer le pétrole et les ressources minérales des eaux polaires du sud. L’Argentine continue d’en réclamer la souveraineté.

En 1982, la junte militaire du général Leopoldo Galtieri chercha à se servir de cette revendication légitime sur les îles pour détourner l’opposition à sa politique intérieure sanglante. En mars de cette année, un navire marchand argentin débarque sur les Iles de Géorgie du Sud et le 2 avril Galtieri envoie des troupes dans ces îles et aux Malouines.

Thatcher se décida en faveur d’une réponse militaire pour défendre les intérêts de l’impérialisme britannique dans l’Atlantique du Sud. Une force opérationnelle fut envoyée à 8000 milles de là pour reconquérir les îles. Dans les cinq jours qui suivirent le débarquement argentin, le gouvernement britannique déploya des navires dans les Iles de Géorgie du Sud et déclara une zone d’exclusion de 200 miles nautiques autour d’elles.

Galtieri ne s’était pas attendu à ce que le gouvernement britannique réagisse. La junte n’avait reçu aucun indice des Nations unies quant à une invasion. La Grande-Bretagne était en train de réduire sa présence sur l’île. Depuis de nombreuses années, elle s’était également efforcée de négocier de nouveaux arrangements concernant leur administration.

Sir Laurence Freedman, un professeur d’études de guerre au King’s College de l’université de Londres, et auteur de l’histoire officielle des Falkands, révéla que le gouvernement de Thatcher avait proposé deux ans avant le conflit d’abandonner la souveraineté des îles à l’Argentine.

En juin 1980, le ministère des Affaires étrangères avait rédigé une proposition pour donner la souveraineté officielle des îles à Buenos Aires, après quoi la Grande-Bretagne conclurait un contrat de leasing pour une période de 99 ans. Le ministre des Affaires étrangères, Nicholas Ridley, rencontra secrètement en Suisse puis de nouveau à New York, Comodoro Cavandoli d’Argentine, mais le projet fut enterré en raison de l’opposition manifestée à l’encontre des propositions par les habitants des îles, comme l’avait relevé Ridley lors d’une visite officielle, et du Parti travailliste au parlement.

La junte avait également espéré que le gouvernement américain n’interviendrait pas en retour de services rendus. Galtieri avait escompté un soutien des Etats-Unis en raison de son bilan de torture et de meurtre de travailleurs et d’étudiants de gauche ainsi que pour son aide dans l’armement de la CIA et l’entraînement des Contras au Nicaragua.

Galtieri sera déçu. Les Etats-Unis restèrent officiellement neutres tout au long du conflit, mais fournirent un soutien tactique et de renseignement aux forces britanniques.

Il y avait de fortes raisons pour le soutien donné par les Américains aux Britanniques. D’abord, Reagan et Thatcher étaient des alliés pour s’être fait les chantres d’un programme économique monétariste de contre-réformes et d’attaques contre les salaires, les emplois, les droits syndicaux et les acquis sociaux. Ensuite, cela aurait été un précédent dangereux pour quiconque, même une junte argentine qui avait été un allié précieux des Etats-Unis, que de confisquer le territoire d’une puissance impériale.

Néanmoins, ce fut une bataille politique pour Thatcher que de s’assurer le soutien des Etats-Unis, compte tenu de leurs intérêts stratégiques en Amérique du Sud. Selon le Guardian, Freedman attira aussi l’attention sur la manière dont « le gouvernement Thatcher dut subir la pression incessante de Washington pour accepter un cessez-le-feu après l’invasion argentine et avant la reprise des îles. »

A un moment donné du conflit, le secrétaire d’Etat américain, Alexander Haig proposa un cessez-le-feu accompagné d’une force internationale de maintien de la paix comprenant des troupes américaines. Fin mai 1982, Thatcher dit à Reagan au téléphone qu’un cessez-le-feu avant le retrait argentin était inacceptable.

Elle demande à Reagan, « Comment les Américains réagiraient-ils si l’Alaska était envahi et, si avant que les envahisseurs furent repoussés, des appels à un retrait américain étaient lancés ? »

Thatcher insista à plusieurs reprises pour dire que la souveraineté des Falklands était une question de principe. Mais des calculs majeurs de politique intérieure se cachaient derrière sa détermination d’aller en guerre. En 1982, le gouvernement Thatcher était profondément haï. Le chiffre du chômage se situait à environ 3,6 millions, le total officieux étant supposé être bien plus élevé. Sa politique était confrontée à une opposition se manifestant par un grand nombre de conflits industriels et de grèves qui avaient lieu dans les grandes entreprises, et même par la menace d’une grève des infirmières. Les projets gouvernementaux de fermer 23 mines de charbon durent être ajournés en 1981 en raison d’une menace de grève.

Le gouvernement Thatcher ne tenait qu’à un fil. Le soutien du Parti travailliste pour la guerre des Falklands joua un rôle clé en le sauvant.

Deux ans auparavant, le ministre des Affaires étrangères du « shadow cabinet » [le « gouvernement » de l’opposition], Peter Shore, avait attaqué les projets des conservateurs prévoyant de nouveaux accords avec l’Argentine en employant un vocabulaire qui devait devenir familier par la suite durant la guerre elle-même. Au parlement, Shore avança l’argument de « l’importance suprême » de l’opinion des habitants des îles. Avec la décision d’envoyer la force opérationnelle, le Parti travailliste se jeta tête baissée dans le soutien patriotique du militarisme impérialiste. Seuls 33 députés travaillistes exprimèrent leur opposition à la guerre tandis que le dirigeant travailliste, Michael Foot, mettait en avant l’argument que le caractère droitier de la junte justifiait le soutien de l’impérialisme, insistant dans un discours tenu au parlement et qui dépassait la démagogie de Thatcher, pour dire que l’« agression vile, brutale » du côté argentin, n’avait pas le droit d’être victorieuse.

Sans le soutien du Parti travailliste, le conflit et les atrocités qui s’ensuivirent n’auraient pas été possibles. Aux côtés des médias, les fauteurs de guerre travaillistes permirent de par des efforts conjugués de déclencher un patriotisme frénétique au sujet d’une « guerre juste » contre une junte fasciste et pour le compte des insulaires qui désorienta et jeta dans la confusion de vastes couches de travailleurs.

Le 25 avril, alors que les négociations de paix entre Haig et Fernando Belaunde Terry étaient encore en cours, les marines britanniques battirent facilement la garnison se trouvant sur la Géorgie du Sud. Thatcher, en intensifiant sa propagande militariste, critiqua les journalistes leur disant de « simplement se réjouir de la bonne nouvelle. »

Le 2 mai, le croiseur argentin Général Belgrano naviguait en dehors de la zone d’exclusion et faisait route vers l’ouest-nord-ouest à 270 degrés (donc en direction opposée à l’île) lorsqu’il fut coulé par le sous-marin nucléaire HMS Conqueror, causant la mort de 323 militaires argentins. Le journal de Rupert Murdoch, le Sun, titra à la une « Gotcha ! » (On l’a eu), qu’il dut par la suite retirer en raison d’un sentiment de dégoût largement répandu. Le lendemain, le HMS Sheffield était touché par les avions argentins, tuant 20 hommes de son équipage et forçant l’abandon du navire. Cinq navires britanniques supplémentaires furent coulés durant le conflit.

Avec le début des combats au sol, la disparité entre l’armée professionnelle britannique et les soldats argentins mal équipés et mal entraînés et dont beaucoup étaient des jeunes devint apparente. A Goose Green, le premier jour des combats au sol, les forces britanniques moins nombreuses perdaient 17 hommes contre 250 tués du côté argentin. Plus de 1 000 prisonniers de guerre furent faits. Les troupes argentines furent seulement en mesure de mener des combats d’arrière-garde contre les Britanniques au fur et à mesure qu’ils avançaient dans l’île en direction de Port Stanley. Les forces argentines à Stanley capitulèrent le 14 juin, et les Britanniques annoncèrent la fin des hostilités le 20 juin.

Deux jours plus tard, le général Galtieri démissionnait. La colère populaire face à la débâcle sanglante sur les Malouines entraîna un an après la chute de la junte.

Toutefois, en dépit de la victoire expresse et de la supériorité militaire de la Grande-Bretagne, plus de militaires britanniques perdirent leur vie que ce n’a été jusque-là le cas en Irak et en Afghanistan réunis. Les conséquences à long terme furent également terribles. L’intensité des combats au corps à corps a résulté dans un syndrome de stress post-traumatique à la fois parmi les vétérans britanniques et argentins. Plus de militaires britanniques se sont suicidés depuis la fin de cette guerre que ne furent tués pendant la guerre. Selon l’organisation des vétérans South Atlantic Medal Association, 264 vétérans britanniques se sont donnés la mort en 2002 contre 255 victimes durant la guerre elle-même. Selon un film de 2006, le nombre de suicidés argentins est de 454.

Le Parti travailliste fut également responsable de la popularité politique de Thatcher après la victoire des Falklands.

Foot, un vétéran pacifiste et membre de la campagne pour le désarmement nucléaire, avait été élu à la tête de ce parti en 1980. Ceci avait été la conséquence de la répulsion ressentie au sein du parti sur la manière avec laquelle le gouvernement travailliste de James Callaghan avait, de par ses attaques contre la classe ouvrière, ouvert la voie à l’accession au pouvoir de Thatcher. Foot a trahi ce sentiment et fait en sorte que Thatcher remporte un deuxième mandat. Lors de l’élection générale de juin 1983, les tories remportèrent plus de 40 pour cent des votes, en n’enregistrant qu’une faible diminution. Les travaillistes ne remportèrent que 27,6 pour cent des voix, une baisse de plus de 9 pour cent, en cédant la plupart des votes perdus à l’Alliance formée par les libéraux et les sociaux-démocrates, la scission droitière survenue au Parti travailliste en 1981.

Grâce également aux travaillistes, la victoire de Thatcher en 1983 ouvrit la porte aux attaques contre les conditions de vie des travailleurs qui connurent leur point culminant avec la défaite des mineurs après un an de grève et la privatisation des services essentiels.

Voilà les termes dans lesquels Thatcher mesure le succès du conflit des Malouines. A partir de la première parade de victoire quand il fut interdit aux vétérans défigurés d’y participer, son manque de respect à l’égard de ceux qui se sont battus pour lui conférer cette victoire était évident.

Aujourd’hui, le Parti travailliste a une fois de plus rejoint les tories pour chanter les louanges du conflit des Falklands, mais cette fois en tant que gouvernement au pouvoir avec Thatcher dans le rôle de la femme d’Etat vieillissante. Leurs motifs ne sont pas simplement la justification d’un crime passé, mais la défense des crimes commis aujourd’hui et planifiés pour demain.

Dans son discours d’anniversaire, Thatcher a rappelé son affirmation barbare du colonialisme comme une « grande lutte nationale ». Elle mit en garde qu’il n’y a « pas de victoires finales, car la lutte contre le mal dans le monde est sans fin. La tyrannie et la violence portent de nombreux masques. Pourtant, nous pouvons tous aujourd’hui tirer espoir et force de la victoire des Falklands. »

Quant au premier ministre, Tony Blair, il saisit l’anniversaire des Falklands pour associer ses propres guerres en Irak et en Afghanistan à cette prétendue lutte passée contre la « tyrannie ». Avant de participer aux célébrations officielles, Blair a diffusé un podcast sur le site web de Downing Street reproduisant une interview accordée à l’historien Simon Schama. En réponse à une affirmation de Shama selon laquelle la décision de faire la guerre avait été « un pari très risqué » de la part de Thatcher, Blair répondit que cela représentait et avait exigé « beaucoup de courage politique ». Et lui aussi aurait fait la même chose que son idole politique parce que « c’était la bonne chose à faire… pour des raisons qui n’affectaient pas seulement la souveraineté britannique, mais aussi parce je pense qu’un principe était en jeu. »

Lorsque Blair parle de faire la « bonne chose » et cite Thatcher comme son modèle, ceci devrait servir d’avertissement et inciter à traiter le mélange malsain de la propagande et de la nostalgie qui entoure la guerre des Malouines avec le mépris qu’il mérite.

(Article original anglais paru le 21 juin 2007)


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