D’après un rapport annuel publié par le
groupe de défense de l’enfance, Save the Children (Sauvons les enfants),
le taux de la mortalité infantile en Irak a connu une augmentation choquante de
150 pour cent depuis 1990 — augmentation la plus forte jamais enregistrée
dans un pays du monde.
Selon le rapport, en 2005, dernière année pour
laquelle des données fiables sont disponibles, un enfant irakien sur huit, soit
un total de 122.000 enfants, est mort avant d’avoir atteint son cinquième
anniversaire. Plus de la moitié de ces décès ont été enregistrés parmi les
nouveaux-nés, la pneumonie et la diarrhée causant le plus de morts parmi les nourrissons.
Le taux de la mortalité infantile est depuis longtemps
considéré comme l’un des indicateurs clés du progrès et du bien-être de
la société. Ces chiffres stupéfiants enregistrés en Irak sont le reflet exact
de la dévastation sociale produite à la fois par l’invasion américaine de
2003 et par plus d’une décennie de sanctions économiques, soutenues par
les Etats-Unis, qui l’ont précédée.
« Des évaluations prudentes chiffrent à 37
pour cent l’augmentation de la mortalité infantile après l’invasion
de l’Irak en 2003 », peut-on lire dans le rapport de Save the
Children. Les implications d’un tel changement, en l’espace de tout
juste deux ans, sont stupéfiantes. Compte tenu de l’escalade constante du
conflit armé en Irak et de la détérioration continue des conditions sociales
pour la population dans ce pays, il ne fait pas de doute que le taux
d’augmentation de la mortalité infantile s’est encore accru dans le
courant de l’année 2006.
Le rapport attribue la responsabilité du terrible
déclin de la santé des nourrissons et des enfants depuis l’invasion, à la
détérioration continue des conditions de vie pour la population irakienne en
général, parmi lesquelles on compte « les ruptures de courant, le manque
d’eau potable, la dégradation des services de santé et l’inflation
en forte hausse. »
La destruction générale de
l’infrastructure sociale de base provoquée par l’invasion et
l’occupation américaines s’est traduite par un déclin abominable de
la santé des enfants. « Seuls 35 pour cent des enfants irakiens sont entièrement
immunisés et plus d’un cinquième (21 pour cent) ont un retard de
développement grave ou léger » en raison de malnutrition constate
l’étude.
Ces statistiques recueillies par Save the
Children soulignent qu’en 1990 le taux de mortalité des enfants de moins
de cinq ans en Irak était de 50 pour 1.000 enfants nés vivants – soit un
des meilleurs résultats de l’ensemble du monde arabe à l’époque. En
2005, le chiffre était de 125 pour 1.000 enfants nés vivants – chiffre
plus ou moins équivalent à ceux enregistrés dans des pays tels le Malawi, la
Mauritanie, l’Ouganda et Haïti.
Alors que certains pays — tous des pays
d’Afrique, sauf un — ont un taux de mortalité supérieur à
l’Irak, aucun d’entre eux n’a enregistré un taux d’augmentation
de mortalité infantile qui se rapproche de celui du pays se trouvant sous
occupation américaine (le Botswana s’en approche le plus avec une
augmentation de 107 pour cent tout en enregistrant cependant un taux légèrement
plus bas de 120 décès pour 1.000 enfants nés vivants).
La destruction des conditions et de la vie même
des enfants irakiens avait commencé bien avant que les troupes américaines
n’envahissent le pays en 2003. La guerre du Golfe de 1990-91 avait vu plus
de 90.000 tonnes de bombes et de missiles américains largués sur l’Irak,
détruisant la plus grande partie de l’infrastructure fondamentale, y
compris les centrales électriques et les systèmes d’approvisionnement en
eau et d’assainissement, créant ainsi les conditions d’une
catastrophe sanitaire pour la population.
La guerre fut suivie par une décennie de
sanctions punitives qui privèrent les enfants irakiens et la population en
général de matériel médical et médicaments essentiels et de nourriture
adéquate. Même le chlore, utilisé pour purifier l’eau, était sous embargo,
privant ainsi d’eau pure les nourrissons et les jeunes enfants et entraînant
la mort de beaucoup d’entre eux.
500.000
enfants irakiens tués par les sanctions commanditées par les Etats-Unis
C’est durant cette période que le Fonds
des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) avait évalué qu’un demi-million
d’enfants irakiens en plus étaient morts entre 1991 et 1998 en raison des
sanctions.
En 1998, le coordinateur des opérations
humanitaires des Nations unies en Irak, Denis Halliday, avait démissionné de
son poste pour protester contre les sanctions qu’il apparentait à une
forme de « génocide » et à « une politique délibérée visant à
détruire le peuple irakien. » Halliday avait dit à l’époque,
« Nous sommes en train de détruire une société entière. C’est aussi
simple et aussi terrifiant que cela. C’est illégal et c’est immoral. »
La secrétaire d’Etat du président Bill
Clinton, Madeleine Albright, interrogée lors d’une interview télévisée
sur le chiffre avancé par les Nations unies de 500.000 enfants morts en raison
des sanctions, donna cette réponse qui restera dans les annales, « Nous
pensons que c’est le prix à payer. »
L’augmentation des taux de mortalité
représente l’expression la plus crue de l’impact meurtrier que
l’agression américaine a eu sur l’Irak et sur ses enfants durant
une période prolongée. Mais il existe bien d’autres indices montrant que
pour ceux qui survivent, les conditions de vie deviennent de plus en plus
intenables.
Selon des chiffres publiés par le gouvernement
irakien, quelque 900.000 enfants sont devenus orphelins suite au carnage qui dévaste
l’Irak depuis l’invasion américaine de 2003. L’on estime que,
du fait du niveau de violence actuel, quelque 400 enfants deviennent orphelins chaque
jour dans le pays.
Le ministre de l’Education irakien évalue
entretemps qu’à peine 30 pour cent des 3,5 millions d’écoliers du
primaire vont en classe, une baisse substantielle par rapport aux 75 pour cent
de l’année dernière. Une étude parrainée par l’Organisation mondiale
de la Santé dans la cité de Mossoul en Irak, a constaté qu’un bon 30 pour
cent des écoliers auprès desquels l’enquête avait été menée souffraient de
troubles de stress post-traumatique.
Il est significatif de noter que l’autre
pays qui est actuellement occupé par l’armée américaine et où se déroule
une guerre contre-insurrectionnelle – l’Afghanistan – figure
au deuxième rang des taux de mortalité infantile les pires avec 257 décès pour
1.000 enfants nés vivants. En d’autres termes, plus d’un enfant
afghan sur quatre meurt avant d’avoir atteint l’âge de cinq ans. En
moyenne, chaque mère afghane voit deux de ses enfants mourir en bas âge, tandis
qu’une femme sur six meurt en accouchant.
Selon l’étude de Save the Children, 40
pour cent des enfants afghans sont atteints de malnutrition et moins de la
moitié ont accès à l’eau potable. Le rapport souligne également
qu’« alors qu’un enfant sur 100.000 meurt de pneumonie aux
Etats-Unis chaque année, près d’un sur quinze » meurt de cette
maladie en Afghanistan.
A l’échelle mondiale, Save the Children
rapporte que, « Chaque année, plus de dix millions d’enfants meurent
avant d’avoir atteint l’âge de cinq ans, la plupart de causes
évitables et presque tous dans des pays pauvres. » L’organisation
poursuit en disant qu’alors que les taux globaux de mortalité infantile
s’étaient améliorés au cours des décennies précédentes, « les taux
du progrès ralentissent et dans de nombreux pays les taux de mortalité
infantile se détériorent. »
L’organisation insiste sur le fait que des
solutions disponibles et à bas coûts pourraient facilement éviter six millions
de ces décès par an. Parmi ces solutions figurent, « des soins qualifiés à
l’accouchement, l’allaitement maternel, la vaccination contre la
varicelle, la thérapie de réhydratation orale pour traiter les diarrhées et des
soins médicaux contre la pneumonie. » Mais, pour beaucoup de personnes
dans les pays les plus appauvris et pour bien d’autres ailleurs
appartenant aux couches les plus opprimées de la société, ces formes élémentaires
de soins et d’éducation ne sont pas fournies.
Les statistiques contenues dans le rapport
montrent également que le problème de la mortalité infantile reflète l’augmentation
à l’échelle mondiale de l’inégalité sociale qui est littéralement
en train de tuer des millions d’enfants tous les ans.
« Un enfant issu du cinquième le plus
pauvre de la population a deux fois plus de chance de mourir qu’un enfant
issu du cinquième le plus riche de la population, » conclut le rapport.
« Le fait d’éliminer l’iniquité en matière de soins de santé —
en abaissant le taux de mortalité des 80 pour cent les plus pauvres de la
population au niveau des taux existant pour les 20 pour cent les plus riches —
éviterait environ 4 millions de morts sur les 10 millions enregistrés tous les
ans. »
En plus de l’impact croissant de
l’inégalité sociale qui règne dans chaque pays, le fossé qui sépare les
pays les plus riches des pays les plus appauvris n’a cessé de se creuser.
Alors qu’en 1990 le taux de mortalité infantile était 20 fois supérieur
en Afrique sub-saharienne que dans les pays industrialisés, en 2005, ce taux
était 28 fois plus élevé, précise le rapport.