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WSWS : Nouvelles et analyses : Canada

Le Parti québécois perd un autre chef : les dessous de sa crise

Par Richard Dufour
14 mai 2007

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André Boisclair a donné sa démission la semaine passée en tant que chef du Parti québécois (PQ) au lendemain d’une élection provinciale qui a vu son parti obtenir son plus faible pourcentage du vote populaire depuis 1970 après qu’une section importante de son électorat traditionnel l’ait délaissé au profit de l’Action démocratique du Québec (ADQ).

Ce résultat a été ressenti comme un véritable électro-choc dans les rangs péquistes. Ces derniers s’attendaient à ce que leur parti, qui partage le pouvoir en alternance avec le Parti libéral du Québec (PLQ) depuis une trentaine d’années, soit le principal bénéficiaire de l’immense colère populaire générée par les mesures de démolition sociale des libéraux de Jean Charest.

Mais n’ayant récolté que 28 pourcent du vote populaire en mars dernier, le PQ a été relégué au rang de « tiers parti ». Ce sont les libéraux de Charest qui, après avoir perdu 13 points de pourcentage par rapport à l’élection de 2003, formeront un gouvernement minoritaire. Et c’est l’ADQ de Mario Dumont, parti populiste de droite jusqu’ici marginal, qui formera l’opposition officielle à Québec.

Les intenses pressions exercées par l’establishment du PQ pour pousser Boisclair vers la sortie sont un signe de la profonde crise que traverse ce parti de la grande entreprise, parti auquel les travailleurs québécois ont été politiquement subordonnés depuis la fin des années 60 par la bureaucratie syndicale et la « gauche » petite-bourgeoise.

Depuis la raclée subie à l’élection de mars, Boisclair a été la cible de critiques nourries, venant non seulement des milieux péquistes mais aussi des éditorialistes de la presse officielle. Il a été pris à partie pour son faible charisme et son manque de jugement. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase a été une entrevue où Boisclair a crûment accusé Gilles Duceppe, le chef du Bloc québécois, parti frère du PQ sur la scène fédérale, de comploter pour le remplacer à la tête du PQ. 

Les dissensions internes qui rongent le PQ depuis un certain temps et qui ont été ravivées par la récente débâcle électorale ne seront pas résolues par l’arrivée d’un nouveau chef. Le parti n’est pas confronté à un simple problème de leadership mais à un effondrement sans précédent de sa base populaire d’appui. Sa prétention à véhiculer un projet social progressiste, voire émancipateur, qui serait lié à l’accession du Québec à la pleine souveraineté vis-à-vis du Canada, a été démasquée comme étant une fraude. Le PQ est maintenant vu par de larges couches de la population comme un parti de l’establishment, tout aussi éloigné des intérêts et aspirations des gens ordinaires que le PLQ, traditionnellement associé à la grande entreprise.

L’amère expérience du passage des péquistes au pouvoir a été particulièrement instructive à cet égard. Le PQ a formé le gouvernement provincial dix-huit des trente dernières années. Ses deux derniers mandats, de 1994 à 2003, ont été marqués par un assaut tous azimuts sur les services publics, y compris la fermeture de nombreux hôpitaux et l’élimination de dizaines de milliers d’emplois dans le secteur de la santé, le tout au nom de la lutte au déficit. Le ras-le-bol populaire qui s’en est suivi a frayé la voie aux libéraux de Charest qui, une fois reportés au pouvoir en  2003, ont lancé une attaque frontale sur les acquis sociaux des travailleurs.

L’arrivée de Boisclair à la tête du PQ en 2005 a marqué une nouvelle étape dans le tournant du parti à droite, tournant qui reflétait le rejet par toute l’élite dirigeante canadienne de la politique du compromis social en faveur d’un programme ouvert de guerre de classe. Boisclair était le représentant des factions dominantes au sein du PQ qui exigeaient la révision de sa plateforme politique afin de l’aligner encore plus directement sur les intérêts de la grande entreprise. Il a promis de casser l’influence exercée par les centrales syndicales au sein du PQ en disant que le parti ne serait plus « otage » des « groupes de pression ». Et il s’est engagé, lors d’une allocution devant un groupe d’hommes d’affaires, à faire du Québec « un paradis pour les capitaux ».

Boisclair était aussi un protégé politique de Lucien Bouchard, cet ancien chef péquiste qui avait insisté, lorsqu’il était premier ministre du Québec à la fin des années 90, sur une réduction drastique des dépenses sociales en tant que « condition gagnante » de tout prochain référendum sur la souveraineté du Québec. Même s’il s’est depuis retiré de la vie politique active, Bouchard intervient régulièrement dans les débats publics. Il est l’un des auteurs du Manifeste pour un Québec lucide, qui dénonce « l’immobilisme » de la population québécoise, c’est-à-dire son opposition à l’assaut continu que mène la classe dirigeante sur les salaires, les conditions de travail et les programmes sociaux.

L’accent placé par Bouchard sur la « responsabilité fiscale » en tant que condition essentielle à toute démarche sécessionniste était en réponse aux craintes nourries par les sections les plus puissantes du grand patronat québécois quant au caractère déstabilisateur d’une telle démarche. Ces craintes ont été exacerbées par la ligne dure anti-sécessionniste adoptée par l’élite politique dans le reste du Canada après le référendum de 1995, que les partisans de la sécession n'avaient perdu que par 50,000 voix. La classe dirigeante québécoise craint en outre que l’ « obsession référendaire » du PQ  ne détourne son attention de la tâche, à ses yeux plus cruciale, consistant à créer les meilleures conditions pour assurer la compétitivité du capital québécois face à une concurrence internationale toujours plus féroce.

Lorsqu’il a pris la tête du PQ, Boisclair a cherché à prendre ses distances de l’engagement, contenu dans le programme du PQ, à tenir un référendum le plus tôt possible dans un prochain mandat péquiste. Suivant les traces de son mentor, il a ajusté son message aux exigences du milieu des affaires, promettant des baisses d’impôt favorables aux riches et un contrôle serré des dépenses gouvernementales. Mais ce faisant, il s’est aliéné ce qui restait au PQ de base populaire, minant du même coup la capacité de ce parti à canaliser – avec le soutien crucial de la bureaucratie syndicale et des groupes de pression de « gauche » – le désir de changement des travailleurs ordinaires vers le cul-de-sac du séparatisme national.

Autrement dit, le tournant ouvert du PQ vers la droite, en mettant à nu sa véritable nature de parti de l’establishment, en fait un outil de contrôle des masses moins efficace, réduisant d’autant son utilité politique pour l’élite dirigeante. C’est ce qui transparaît dans les nombreuses colonnes, parues dans la presse depuis l’élection de mars dernier, qui remettent en cause la « pertinence » du PQ et spéculent sur son éventuelle marginalisation ou même disparition de la scène politique québécoise.

Un facteur essentiel dans la mise à l’écart du PQ a été l’émergence de l’ADQ, qui a profité de la désaffection de l’électorat envers les deux grands partis de l’establishment grâce à un discours démagogique de droite. Dissimulant son programme néo-libéral sous des accents populistes, son chef Mario Dumont a incorporé des pans entiers de l’idéologie nationaliste traditionnelle du PQ à son propre discours chauvin sur la préservation de « l’identité culturelle québécoise ». La montée de l’ADQ est le fruit amer des actions entreprises par la bureaucratie syndicale pour étouffer l’opposition massive aux mesures anti-sociales de Charest qui a éclaté au grand jour lors des manifestations anti-gouvernementales de décembre 2003, puis lors de la grève étudiante du printemps 2005.

Lors du référendum de 1995 sur la souveraineté du Québec, Dumont s’était joint au camp du oui, chapeauté alors par le PQ. S’il rejette aujourd’hui l’idée d’un autre référendum, il se proclame un « autonomiste » qui fera tout pour limiter le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral dans les champs dits de compétence provinciale. Dumont prône en même temps la réduction de la taille de l’Etat, la privatisation de la santé, et la fin des cotisations syndicales obligatoires.

Le cheval de bataille de l’ADQ, avant et pendant les dernières élections, a été la dénonciation des « accommodements raisonnables ». Il s’agit d’un principe légal visant à prévenir la discrimination basée sur le handicap physique, le sexe, la race, la religion ou la culture. Selon ce principe, une institution publique ou un employeur est tenu, si cela n’implique pas de coût excessif ni ne porte préjudice aux autres, de favoriser l’accès des minorités concernées aux services publics et à l’emploi, afin de promouvoir leur intégration à la société.

Avec l’appui de groupes de presse connus pour véhiculer les idées les plus arriérées, en particulier le Journal de Montréal, Mario Dumont a pointé du doigt l’adhésion à ce principe d’intégration et de tolérance comme étant une menace pour  la société québécoise. « La majorité est obligée de disparaître dans ses principes, dans ses façons de vivre », a déploré Dumont sur le ton le plus dramatique.

L’image fabriquée d’une société québécoise assaillie par une horde d’extrémistes religieux a pour but de canaliser sur une voie réactionnaire une certaine anxiété causée par l’insécurité économique et la montée des conflits armés dans le monde. Cette campagne, menée au nom de la laïcité et de l’égalité des sexes qui seraient menacées par le fondamentalisme religieux importé d’ailleurs, vise à stigmatiser et à intimider des communautés entières de citoyens venus de l’immigration, en particulier les communautés musulmanes. Ce chauvinisme anti-immigrants remplit dans la société québécoise le même rôle qu’il joue sur la scène internationale – flatter les préjugés des couches les plus arriérées de la population dans une tentative de développer une base sociale pour les mesures les plus réactionnaires.

Au début de la campagne électorale, le PQ avait timidement critiqué Dumont pour avoir fait « dévier de façon irresponsable un débat pourtant essentiel ». Mais voyant que son niveau d’appui stagnait et que Dumont montait dans les intentions de vote, la direction du PQ a emboîté le pas et cherché à dépasser l’ADQ sur le terrain du chauvinisme.

Quelques jours avant le scrutin, Boisclair a publiquement appuyé des éléments de droite qui menaçaient de recourir à des actes de provocation si la loi électorale n’était pas immédiatement modifiée pour enlever le droit de vote aux femmes portant le voile islamique. L’intervention du chef péquiste a pesé lourd dans l’éventuelle capitulation du directeur général des élections, qui est revenu sur sa décision initiale que la loi était conçue pour favoriser l’expression du vote populaire et prévoyait avec raison divers mécanismes permettant à un électeur de s’identifier, pas juste la carte d’identité avec photo.

L’adaptation du PQ au discours chauvin de l’ADQ n’a pas pris fin avec la campagne électorale. Au lendemain de l’élection, le député péquiste Daniel Turp a appelé son parti à adopter la proposition de l’ADQ que le Québec se dote d’une constitution définissant ses champs de compétence. Le projet de constitution présenté par Turp prévoyait une clause visant à « baliser » les accommodements raisonnables. La démarche de Turp a suscité une vive opposition au sein de la haute direction péquiste, qui craint de voir le PQ davantage marginalisé par l’ADQ s’il atténue ses demandes constitutionnelles et accepte moins que la pleine souveraineté du Québec.

Le PQ a par ailleurs une longue histoire de recours au chauvinisme. Dès sa naissance, à la fin des années 1960, il a lancé une campagne pour forcer les immigrants à envoyer leurs enfants dans des écoles unilingues françaises. Après sa victoire électorale de 1976, le PQ a voté la loi 101 pour imposer le français comme seule langue officielle, interdire l’anglais dans l’affichage commercial et limiter sérieusement le libre choix linguistique en matière d’éducation. Après le référendum de 1995, le chef du PQ à l’époque, Jacques Parizeau, a pointé du doigt dans son discours de défaite « l'argent et les votes ethniques », alors que la grande majorité de ceux ayant voté contre la séparation du Québec étaient des francophones nés au Québec.

Des couches influentes au sein du PQ sont favorables à ce que le parti non seulement perpétue cette tradition mais aille plus loin. Les Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre, un club politique formé au sein du PQ par des représentants de la bureaucratie syndicale, ont critiqué la campagne électorale péquiste pour ne pas avoir devancé Mario Dumont sur le terrain du chauvinisme québécois. Ils écrivaient deux jours après les élections que « la mondialisation et les flux migratoires qui l’accompagnent font naître dans les populations du globe une insécurité identitaire qui se traduit par une recherche d’affirmation nationale » et que, contrairement au chef du PQ, « Mario Dumont s’en est saisi ». 

La bureaucratie syndicale, qui invoque régulièrement la mondialisation de la production pour justifier son intime collaboration avec le patronat dans l’élimination des emplois, cherche de la même manière à infecter les travailleurs avec le virus du chauvinisme national. À ces efforts pour les dresser les uns contre les autres, les travailleurs doivent opposer leur unité internationale consciente, basée sur l’unification objective de leurs rangs amenée par la mondialisation, dans le cadre d’une lutte commune contre le système de profit et pour l’égalité sociale.


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