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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Les travailleurs d’Airbus de France et d’Allemagne en grève contre des suppressions d’emplois massives

Par Stefan Steinberg
3 mars 2007

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Mercredi, la maison mère d’Airbus Europe, EADS, a annoncé son projet de suppressions de 10 000 emplois dans les usines Airbus d’Europe, ce qui représente près d’un cinquième du personnel actuel de l’avionneur. L’annonce, faite lors d’une conférence de presse à Paris par le président d’Airbus Louis Gallois, a confirmé les reportages de la veille qui avaient annoncé un assaut sans précédent sur les emplois chez Airbus.

4 300 emplois en tout seront supprimés en France, 3 700 en Allemagne, 1 600 en Grande-Bretagne et 400 en Espagne. Airbus emploie actuellement 23 000 travailleurs en Allemagne, 19 000 en France, 10 000 en Grande-Bretagne et 3 000 en Espagne.

Les travailleurs d’Airbus en France et en Allemagne ont immédiatement riposté par une grève spontanée. Les travailleurs des trois sites touchés en Allemagne ont cessé le travail et sont retournés chez eux, tout comme ceux du site de Méaulte en France. Quelque 1 000 travailleurs de Toulouse, où se trouve le siège social d’Airbus et l’usine d’assemblage final de l’A380, ont manifesté contre la restructuration.

L’agence de presse Reuters a cité Joachim Gramberg de l’usine de Varel commentant l’annonce : « Je ne pouvais pas croire à cette nouvelle. Je ne pouvais tout simplement pas y croire. Avant, tout allait très bien quand nous construisions 200 avions par an et, maintenant que nous en construisons 438 par an, c’est la fin. »

Airbus, qui est financé par un consortium de gouvernements européens, est l’un des plus grands projets industriels paneuropéens. Il est depuis longtemps vanté comme le modèle de collaboration par excellence affirmant la puissance industrielle de l’Europe face à la domination américaine de l’industrie des compagnies d’aviation commerciales. Les énormes réductions d’effectifs annoncées mercredi sont le point culminant de la crise d’Airbus qui a alimenté des disputes acerbes entre les principaux partenaires impliqués dans le projet, les gouvernements de France et d’Allemagne.

Le plan de restructuration aurait dû être annoncé il y a dix jours, mais des conflits entre la France et l’Allemagne sur la question de savoir quel pays aurait à subir les plus grandes pertes d’emplois ont conduit à l’intervention du président français Jacques Chirac et de la chancelière allemande Angela Merkel. On est arrivé difficilement à une ébauche d’entente finale lors d’une rencontre au sommet vendredi dernier à Berlin.

Le plan, nommé Power 8, prévoit aussi la vente de six des seize sites d’Airbus en Europe. La télévision allemande a rapporté que sur les seize sites européens d’Airbus, au moins cinq seraient ouverts à des investisseurs privés, dont les sites allemands de Varel (1 300 travailleurs) et de Nordenham (2 300 travailleurs), ainsi que ceux de Saint-Nazaire en Bretagne et de Méaulte dans la Somme. Ces usines seront reprises par des investisseurs qui continueront à fournir Airbus, mais elles seront en concurrence avec des usines hors-Airbus dans des pays comme la Russie, l’Inde et la Chine.

D’autres attaques sur les emplois et les conditions de travail seront la conséquence inévitable de la décision annoncée par la direction d’Airbus de fermer ou de vendre d’autres sites, tel celui de Laupheim en Allemagne.

Divisions nationales sur le projet de l’A380

La production du jumbo-jet géant A380 est l’un des plus grands projets industriels à avoir été entrepris ces dernières années par l’alliance des pays européens dirigés par la France et l’Allemagne. Le nouvel avion avait été conçu pour mettre fin à la suprématie du Dreamliner 787 de Boeing  dans le segment des gros avions de ligne.

Toutefois, à mesure que les problèmes de production et les retards de livraison de l’A380 se faisaient sentir, les conflits s’intensifiaient entre les principales puissances impliquées dans le projet, particulièrement la France et l’Allemagne.

A cause de la mondialisation de l’industrie lourde, dont la production aéronautique, les pays à l’extérieur de l’Europe possédant de larges réserves de main-d’œuvre bon marché comme la Chine — des pays qui sont aussi des consommateurs potentiels pour le nouveau gros-porteur — sont maintenant perçus par le capital européen comme des sites alternatifs de plus en plus attirants pour des installations de production.

Une des pièces maîtresses du plan de restructuration d’Airbus est la fermeture d’usines européennes et la délocalisation de la production vers la Chine et d’autres régions à bas salaires. Ce processus a intensifié les tensions entre les différents gouvernements nationaux impliqués dans le projet Airbus.

Dans un commentaire du 22 février intitulé « Combats d’avions franco-allemands », le Financial Times a fait l’observation que les relations entre Paris et Berlin s’étaient détériorées en raison du conflit Airbus. Le journal a écrit : « Le moins qu’on puisse dire c’est que les relations entre les deux pays — malgré la soi-disant relation franco-allemande — n’ont jamais été aussi mauvaises. Pire encore, les Allemands, et on peut le comprendre, démontrent qu’ils ont tout à fait l’intention d’adopter la même approche protectionniste que les Français. Après tout, si les Français se permettent depuis longtemps de pratiquer le nationalisme économique, et particulièrement dans leurs relations avec les Allemands, ce serait vraiment stupide que ces derniers ne fassent pas de même. »

Alors que les plans de fermetures d’usines étaient annoncés par Airbus, le ministre des Finances allemand, Michael Glos, est allé jusqu’à menacer d’annuler la reconduction des contrats militaires allemands avec EADS si l’Allemagne était défavorablement touchée par le plan de restructuration.

Le 20 février, Bernard Valette, secrétaire général de la Confédération française de l’encadrement section aérospatiale a reconnu qu’« une petite gué-guerre nationaliste » avait éclaté. Il a accusé les autorités allemandes d’être responsables de l’impasse, car elles souhaitent conserver les principaux emplois industriels et de conception. « Le syndicat n’acceptera pas que les intérêts politiques du gouvernement allemand passent avant les intérêts industriels d’Airbus, » a-t-il affirmé, « Ou alors, ce sera au gouvernement français de donner de la voix ! »

C’est dans ce contexte que les dirigeants de la France et de l’Allemagne se sont rencontrés à Berlin vendredi dernier afin d’essayer de trouver une solution. Après avoir discuté avec Chirac, Merkel a tenté de minimiser l’importance des désaccords entre les deux pays, mais, selon le journal britannique Times du 24 février, « on ne pouvait douter de la tension entre les dirigeants. Le président sortant Chirac faisait sa dernière visite officielle en Allemagne et la chancelière souhaitait envoyer un message à son successeur. Elle ne se bat pas uniquement pour les emplois allemands ; elle a aussi un objectif stratégique qui pourrait modifier l’équilibre au sein du plus puissant axe politique de l’Europe. L’Allemagne, laisse-t-elle entendre, ne se laissera plus faire. »

Le rôle des syndicats

Les tensions entre Paris et Berlin se reflètent dans la position nationaliste adoptée par les syndicats des deux côtés de la frontière franco-allemande. Les principaux syndicats d’Airbus, tels IG Metall en Allemagne et Force ouvrière en France, jouent un rôle crucial et pernicieux de démobilisation et de division de la main-d’oeuvre d’Airbus.

Au cours des dernières semaines, les syndicats des deux côtés du Rhin ont organisé des manifestations contre le projet de suppressions d’emplois, mais ces manifestations ont eu pour but de défendre des usines et des sites spécifiques dans leur pays respectif. Aucune action commune n’a été avancée et aucune tentative de forger la solidarité entre tous les travailleurs d’Airbus n’a été mise en avant.

A l’annonce du plan de restructuration, les principaux syndicats allemands ont aussitôt adopté un ton totalement nationaliste. Le président du conseil d’usine de l’usine Airbus d’Allemagne, Rüdiger Lütjen, a déclaré que le nouveau plan était une tentative de miner le système de contrat allemand. Il a dit que c’était « un défi lancé par la France ». Et de poursuivre, « Les Français veulent imposer des licenciements économiques à l’Allemagne… les Français ont jeté aux orties le sens de la retenue.»

Pour les dirigeants syndicaux français, la cause de la crise d’Airbus est claire : C’est la faute des travailleurs allemands. Avant l’annonce de mercredi, Jean-François Knepper, dirigeant du syndicat Force ouvrière à Toulouse et coprésident du comité d’entreprise européen Airbus, a déclaré sa conviction que « les Allemands veulent sauver les emplois allemands ». C’est l’Allemagne qui devrait subir le plus gros de la restructuration, a déclaré Knepper et de poursuivre, « si Airbus est un arbre, la France a les branches florissantes. S'il y a des branches mortes à couper, elles ne sont pas en France. »

Pour sa part, le syndicat IG Metall avait déjà indiqué qu’il accepterait le plan de restructuration, tout en faisant pression pour qu’une plus grande part des suppressions d’emplois soit imposée aux travailleurs Airbus des autres pays. Horst Niehus, dirigeant du conseil de travail pour Airbus Hambourg, a dit, « Nous voyons la nécessité de la restructuration, mais ce que nous craignons c’est qu’on puisse retirer à l’Allemagne beaucoup d’emplois. »

Suivant l’annonce du plan  Power 8, les dirigeants syndicaux des deux pays ont intensifié leur démagogie chauvine. Julien Talavan, délégué syndical de Force ouvrière à l’usine en grève de Méaulte, se plaignait que le gouvernement français n’en faisait pas assez pour protéger ses industries et exprimait le regret de voir que des emplois seraient supprimés à Toulouse plutôt qu’à l’usine de Hambourg en Allemagne.

L’appel de Talavan pour une intervention de l’Etat français a été repris par la candidate du Parti communiste à l’élection présidentielle, Marie-George Buffet, qui a fait sa propre déclaration chauvine appelant la France à reprendre le contrôle complet de son industrie aérospatiale.

Pour ne pas être en reste, le syndicaliste britannique Bernie Hamilton, porte-parole du syndicat Amicus pour l’aérospatiale déclarait l’an dernier, « La Grande-Bretagne doit être le centre d’excellence pour les ailes. Les investissements et la nouvelle technologie doivent venir en Grande-Bretagne. La rumeur court qu’ils risquent de choisir l’Allemagne. »

Avec une telle explosion de chauvinisme, les syndicats trahissent les intérêts des travailleurs d’Airbus dans tous les pays concernés. Ils serrent les rangs avec leurs propres gouvernements et élites dirigeantes  en les aidant dans leur tentative de bloquer toute lutte unifiée des ouvriers et en cherchant à mobiliser les travailleurs des différents pays les uns contre les autres.

Derrière la crise à Airbus et les attaques sans précédents contre ses travailleurs il y a l’échec du système de profit capitaliste en Europe et internationalement, et l’impossibilité, sur la base du système des Etats-nations sur lequel le capitalisme est fondé, d’organiser la vie économique de manière démocratique et socialement progressive.

Les travailleurs d’Airbus doivent se rebeller contre la politique corporatiste et nationaliste des syndicats et mettre en place des comités indépendants pour s’associer à leurs collègues de travail des autres pays.  La première revendication doit être la défense de tous les emplois de tous les travailleurs. Une telle campagne doit être organisée sur la base d’une perspective internationaliste et socialiste qui défendent les emplois, les salaires et les conditions de travail en luttant pour que les grandes entreprises comme Airbus soient véritablement propriété sociale placée sous contrôle démocratique.

(Article original paru le 1er mars 2007)


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