Il a été annoncé lundi lors de la réunion
annuelle de l’Assemblée populaire nationale (APN)
chinoise que le budget militaire augmenterait de 17,8 pour cent pour atteindre
près de 45 milliards $, la plus importante augmentation depuis le milieu des
années 1990. Même si les dirigeants chinois ne le disent pas ouvertement,
l’importance de l’augmentation est une réponse à la menace causée par
l’éruption du militarisme américain.
Le premier ministre chinois Wen Jiabao a
annoncé le budget de l’armée dans son rapport au CNP, soulignant la nécessité
de moderniser l’Armée de libération du peuple qui compte 2,3 millions de soldats
et qui est technologiquement peu développée. « Nous allons intensifier la
recherche sur les questions reliées à la défense et nous allons tenter de
produire de l’armement et de l’équipement plus sophistiqués », a-t-il dit.
L’augmentation à ce poste budgétaire survient après une augmentation de 14,7
pour cent l’an dernier.
Le but officiel de la modernisation
militaire est « défensif » et veut empêcher Taiwan de déclarer
officiellement son indépendance. Mais le véritable motif est de contrer l’encerclement
stratégique de la Chine par les bases des Etats-Unis et de leurs alliés, qui
devient de plus en plus important. Il est généralement admis que le niveau de
développement technologique général de l’armée chinoise retarde d’au moins
vingt ans sur celui des Etats-Unis et des puissances occidentales. Depuis le
début des années 1990, toutefois, la croissance économique rapide de la Chine
lui a permis d’investir de façon importante dans l’armée, ce qui vient perturber
l’équilibre du pouvoir en Asie du Nord-Est.
Les officiels américains les plus
importants ont immédiatement réagit à l’annonce sur le budget militaire,
réitérant la demande habituelle de Washington pour une « plus grande
transparence ». En visite en Chine, l’adjoint au secrétaire d’Etat
américain John Negroponte lui a demandé d’expliquer « ses plans et ses
intentions ». Le porte-parole américain sur la sécurité nationale Gordon
Johndroe a déclaré que « Cela est incohérent avec la politique de la
Chine d’un développement pacifique. Nous espérons qu’ils vont faire preuve de
plus de transparence à l’avenir. »
Ces commentaires sont en ligne avec la
critique du vice-président américain Dick Cheney lors de son voyage au Japon et
en Australie le mois dernier. Il a critiqué le développement rapide de l’armée
chinoise et le test d’un missile anti-satellite en janvier dernier comme
« incohérents » avec l’objectif avoué de Pékin de « développement
pacifique ». Au même moment, toutefois, le soutien de Cheney pour des
liens militaires plus étroits entre le Japon et l’Australie ne fait
qu’augmenter la crainte à Pékin que Washington tente de construire des pactes
de sécurité pour contrer la Chine.
Le porte-parole de l’APN, Jiang Enzhu, a
répondu aux critiques américaines en déclarant que la Chine « n’a ni les
moyens, ni l’intention d’entreprendre une course aux armements avec quelque
pays que ce soit » et qu’elle ne représente de menace pour aucun pays. Il
a signalé que les dépenses militaires chinoises étaient « modestes »
comparées à l’imposant budget militaire américain de 532,8 milliards $.
Jiang a expliqué que l’augmentation visait principalement à augmenter le niveau
de vie des soldats paysans sous-payés.
Qin Ging, le porte-parole du ministre des
Affaires étrangères, a exprimé la frustration dans les cercles dirigeants
chinois envers les appels hypocrites de Washington pour plus de transparence.
« Comment répondriez-vous si votre voisin cherchait à espionner chez vous
en regardant par une fente de la porte et qu’il criait “Ouvrez la porte,
laissez-moi voir ce qu’il y a chez vous ?”, a-t-il dit. Appelleriez-vous
la police ? »
L’échange entre les responsables chinois et
américains reflète les tensions entre les deux pays. Depuis 2001, le Pentagone
a publié des rapports annuels exagérant la menace militaire chinoise pour justifier
ses immenses dépenses. A son tour, Pékin a accusé les Etats-Unis d’avoir des
« intentions » lorsqu’ils critiquent la Chine et de vouloir établir
l’« hégémonie » américaine sur les autres pays.
Les intérêts stratégiques et économiques de ces deux pays
se dirigent tout droit vers une collision. L’invasion américaine de
l’Afghanistan a établi une présence militaire des Etats-Unis en Asie centrale,
tout près de la Chine qui y possède d’importants intérêts pétroliers et
gaziers. L’occupation américaine de l’Irak et les gestes menaçant contre Iran
mettent en danger les plans d’investissements énergétiques de Pékin au
Moyen-Orient. Pour sa part, la Chine développe rapidement ses liens économiques
et diplomatiques en Asie, en Afrique et en Amérique latine, souvent aux dépens
des intérêts américains.
La plus claire indication de la position hostile de
l’administration Bush fut sa décision la semaine dernière de vendre 450
missiles de pointe d’une valeur de 421 millions $ à Taiwan pour armer ses 150
chasseurs F-16. Enhardie par cette vente, l’armée taiwanaise testa vendredi de
la semaine dernière un missile de croisière capable de frapper profondément au
coeur de la Chine. Dimanche dernier, le président taiwanais Chen Shui-bian a
déclaré d’un ton provocateur que Taipei « veut l’indépendance ».
Alors que Washington soutenait que la vente de missiles
était nécessaire pour maintenir la stabilité et l’équilibre militaire dans la
région, le gouvernement chinois a dénoncé la décision en la qualifiant de
« grossière interférence » dans ses propres affaires. Pékin voit
Taiwan comme une province rebelle et l’a menacé de représailles militaires si
Taipei déclarait officiellement son indépendance. La Chine a exigé l’annulation
complète de la vente de missiles, ce qui fut rejeté par l’administration Bush.
Pékin craint que Chen, qui dirige le Parti démocrate
progressiste (DPP) indépendantiste, profite de ses deux dernières années en
poste pour instaurer une indépendance « de droit » par des réformes
constitutionnelles. Le leadership chinois n’est pas prêt à faire de compromis.
Il a exploité la question de Taiwan pour promouvoir le nationalisme chinois
dans le but de détourner les tensions sociales croissantes en Chine. En 2005,
la Chine a passé une « loi anti-sécession » pour officialiser la
menace militaire dans le cas où Taiwan déclarerait son indépendance.
L’administration Bush adhère toujours à la politique d’une
Chine unique, qui reconnaît officiellement la souveraineté chinoise sur Taiwan,
mais continue de s’opposer à toute prise de l’île par la force. Se servant de
ce prétexte, la Maison-Blanche poursuit son approvisionnement d’armes de pointe
à Taiwan. Pékin perçoit de plus en plus ce régime taiwanais fortement armé,
hostile et proaméricain comme une menace stratégique.
Taiwan n’est qu’une partie de l’« endiguement »
stratégique américain en développement contre la Chine, qui comprend des
alliances militaires officielles avec le Japon, la Corée du Sud et l’Australie,
des relations stratégiques croissantes avec l’Inde, l’occupation américaine de
l’Afghanistan, et les bases militaires des Etats-Unis en Asie centrale. La
réaction de la Chine est de tenter de développer une « défense
active » avec un pouvoir de frappe qui irait au-delà du territoire chinois
immédiat.
Un nouveau rapport du renseignement naval des Etats-Unis
obtenu la semaine dernière par l’Agence France-Presse avertissait que la Chine
se concentrait à construire des missiles sous-marins et anti-navires pour
contrer les porte-avions américains, et pas seulement à proximité de la côte
chinoise, mais aussi dans la région de l’Asie du Pacifique. La Chine ajoutera
cinq nouveaux sous-marins nucléaires Type 094 à sa force nucléaire navale
dissuasive, chacun possédant 16 missiles balistiques à longue portée. « Afin
de protéger les voies commerciales pétrolières et autres, la PLA (N) [la marine
chinoise] commence à développer les fondations d’une flotte navale qui pourra
défendre les voies de communications maritimes », affirmait le rapport.
L’accroissement du budget militaire chinois n’est qu’un
signe de plus que l’agression de l’administration Bush au Moyen-Orient et en
Asie centrale encourage une nouvelle course aux armements au moment où ses
rivaux asiatiques et européens tentent de trouver les moyens pour défendre leurs
intérêts économiques et stratégiques vitaux.