La conférence internationale tant attendue sur
la sécurité en Irak s’est tenue à Bagdad samedi sans avancée diplomatique
ou dégel des relations entre les Etats-Unis et l’Iran. Malgré les
pressions du gouvernement irakien, il n’y a eu aucun pourparler direct
entre les représentants américains et iraniens. La conférence n’a donné
d’autres résultats que la formation de plusieurs groupes de travail régionaux
de bas niveau et la confirmation qu’une autre conférence réunissant les
ministres des Affaires étrangères se tiendra à une date et un lieu qui restent
à déterminer.
Officiellement, la conférence a été appelée
pour discuter de la situation désastreuse en Irak avec
« l’intensification militaire » américaine ayant pour but de sévir
contre les insurgés anti-américains et avec la spirale de la guerre sectaire dans
le pays. Organisée par le gouvernement fantoche américain, la conférence a
réuni tous les voisins de l’Irak — la Jordanie, l’Arabie
saoudite, la Turquie et le Koweït ainsi que l’Iran et la Syrie —,
les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU — les
Etats-Unis, la France, la Russie, la Grande-Bretagne et la Chine —, des
représentants de l’ONU, de l’Organisation de la conférence
islamique et de la Ligue arabe ainsi que l’Egypte et le Bahreïn.
Dans son discours d’ouverture, le
premier ministre irakien Nouri al-Maliki a demandé l’aide des pays
voisins pour bloquer le flot d’armes et d’insurgés entrant en Irak.
« Confronter le terrorisme, chers frères, exige la cessation de toute forme d'aide financière, d'incitation religieuse ou médiatique,
de soutien logistique ou d'approvisionnement en armes et en combattants, a-t-il
dit. Il a ajouté que [l’Irak] a besoin de soutien dans cette lutte qui
menace non seulement l’Irak, mais va s’étendre à tous les pays de
la région. »
Au cours de la rencontre, au moins deux
tirs de mortier sont tombés dans les environs du ministère des Affaires
étrangères, malgré les importantes mesures de sécurité. Le ministre irakien des
Affaires étrangères Hoshyar Zebari a tenté de minimiser la signification de
l’incident, mais n’a réussi qu’à souligner la catastrophe à
laquelle sont confrontés quotidiennement les Irakiens ordinaires. « Nous
les avons assurés [les délégués] que cela était normal. J’ai pensé
“Ils ont mal visé”. J’étais surpris qu’il n’y en
ait pas plus », a-t-il dit aux médias.
Alors que la conférence portait sur
l’Irak, toute l’attention était portée sur le fait que des hauts représentants
des Etats-Unis et de l’Iran étaient assis à la même table. La conférence
avait fait l’objet de bien des spéculations dans les médias selon
lesquelles la présence américaine signifiait un « changement » dans
la politique de l’administration Bush de refuser de négocier avec
l’Iran. Les commentateurs américains ont pour la plupart considéré
qu’une aile plus pragmatique de l’administration Bush, dirigée par
la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice, gagnait en importance aux dépens
des militaristes purs et durs dirigés par le vice-président Dick Cheney.
Toutefois, les signes émergeant des deux
sessions de la conférence à huis clos sont que les Etats-Unis n’ont en
aucune façon modifié leur position belliciste envers l’Iran. Le haut
responsable au département d’Etat David Satterfield a profité de
l’occasion pour accuser une fois de plus l’Iran de soutenir et
d’armer les insurgés iraniens attaquants les troupes américaines. A un
moment donné, Satterfield aurait montré sa mallette du doigt, déclarant
qu’elle contenait des documents prouvant que Téhéran fournissait des
armes aux milices chiites en Irak.
Outrés par les commentaires de Satterfield, les
représentants iraniens ont nié la véracité de ses dires. Selon l’un des
participants, le principal émissaire de l’Iran, Abbas Araghchi, a
dit : « Vos accusations ne servent qu’à masquer vos échecs en
Irak. » Malgré leurs accusations répétées, les Etats-Unis n’ont
toujours pas fourni de preuve que le régime iranien était directement impliqué dans
l’approvisionnement d’armes aux insurgés anti-américains en Irak.
Il semblerait de plus que Satterfield n’ait pas présenté de
« preuves » durant la réunion. Un haut représentant du ministère des
Affaires étrangères iranien, Rezi Amiri, a déclaré à Associated Press :
« Ils mentent, car ce n’est tout simplement pas vrai. Les frontières
que l’Irak partage avec l’Iran sont les plus sécurisées de toutes
les frontières irakiennes. Le gouvernement irakien n’a pas, même une
seule fois, dit que l’Iran faisait de l’ingérence. »
Les envoyés iraniens ont exprimé leur inquiétude quant à « l’enlèvement »
de six de leurs diplomates, dont cinq ont été capturés par des troupes
américaines en janvier, au consulat iranien dans la ville d’Irbil.
L’ambassadeur américain à Bagdad, Zalmay Khalilzad, a nié que
l’armée américaine « détenait un diplomate » ou ciblait
« des individus suivant leur pays d’origine ». La première
affirmation est un faux-fuyant basé sur l’assertion américaine que le
bureau d’Irbil n’était pas encore officiellement reconnu comme un
consulat. La deuxième est un mensonge pur et simple : un jour avant que le
consulat ne soit pris d’assaut, le président Bush avait annoncé
l’« intensification » de la présence des troupes américaines et
déclaré que l’armée des Etats-Unis « débusquerait et
détruirait » les réseaux iraniens en Irak.
Les deux parties ont tenté de présenter la rencontre sous
le meilleur jour possible. Khalilzad a décrit les pourparlers comme ayant été
« constructifs et professionnels ». Le porte-parole iranien du
ministère des Affaires étrangères, Mohammad Ali Hosseini, a déclaré que la
conférence était un « premier pas » constructif. Toutefois, au-delà
de ce langage diplomatique habituel, rien n’a été réglé. Khalilzad a
affirmé que les promesses iraniennes d’aider l’Irak devaient se
traduire par des faits. « Attendons de voir les changements sur le
terrain... en terme d’armes traversant la frontière, de soutien à
certains groupes, de soutien à la milice », a-t-il déclaré aux médias.
L’envoyé iranien Araghchi a réitéré les demandes de
Téhéran pour le retrait des troupes américaines de l’Irak. « Au nom
de la paix et de la stabilité en Irak... il faut un calendrier pour le retrait
des forces étrangères. La violence en Irak ne profite à aucun pays dans la
région. La sécurité de l’Irak est notre sécurité et la stabilité en Irak
est nécessaire pour la paix et la sécurité dans la région », a-t-il
soutenu.
La conférence s’est tenue dans un contexte où les
Etats-Unis intensifient les menaces contre l’Iran. L’armée
américaine a deux groupes de porte-avions stationnés dans le golfe Persique
pour la première fois depuis l’invasion de l’Irak en 2003 et elle
intensifié ses patrouilles aériennes le long de la frontière entre l’Iran
et l’Irak. Pendant que la conférence se déroulait à Bagdad, des officiels
américains étaient en discussions à New York avec les autres membres permanents
du Conseil de sécurité de l’ONU ainsi qu’avec l’Allemagne,
exigeant l’imposition de sanction économiques beaucoup plus sévères
envers l’Iran pour son refus de mettre un terme à son enrichissement
d’uranium et à ses autres programmes nucléaires.
Avant la rencontre de Bagdad, l’administration américaine a
dit très clairement que les discussions privées avec l’Iran, le cas échéant,
seraient strictement limitées à la question de la sécurité en Irak. Loin d’atténuer
sa propagande sur les armes fournies par l’Iran aux insurgés irakiens,
Washington a utilisé la conférence comme tribune pour répéter ses allégations
non fondées. Malgré les dénégations de Washington, les questions de « l'intervention »
de l'Iran en Irak, de ses programmes d'armes nucléaires présumés et de son
« soutien au terrorisme » au Moyen-Orient ressemblent de plus en plus
à une justification pour la guerre.
Même en acceptant le changement d’attitude de
l’administration Bush, sa soi-disant diplomatie est une forme dangereuse de
politique d’ultimatum qui pourrait facilement précipiter un conflit militaire
avec l’Iran. Beaucoup plus probable, cependant, c’est que la Maison-Blanche,
confrontée à une opposition nationale de masse à la guerre et une résistance
provenant même de ses alliés internationaux les plus proches, est engagée dans
un complot diplomatique. Tout en exigeant toujours plus de l’Iran, la
diplomatie américaine vise à paraître raisonnable, au contraire d’un Iran « intransigeant ».
Dans un discours prononcé devant la Légion américaine mercredi dernier, le président Bush a carrément mis le fardeau sur l’Iran
et la Syrie de rencontrer les demandes américaines, déclarant que la conférence
de Bagdad allait être un « test pour savoir si l’Iran et la Syrie étaient vraiment intéressés à être des forces constructives en Irak ». Soulignant
la menace d’une attaque militaire, Bush insista pour dire que la diplomatie
échouerait si elle n’était pas appuyée par la force militaire. Ces commentaires
confirment ce que le vice-président Cheney a dit lors de sa visite du mois
dernier en Australie – que « toutes les options » demeuraient sur la
table durant les négociations avec l’Iran.
Un éditorial paru dans le FinancialTimes de
Londres samedi, reflétait le pessimisme qui règne dans les cercles dirigeants
en Angleterre et en Europe sur la perspective de voir une solution diplomatique
à la confrontation américaine avec l’Iran. Intitulé « Comment faire un
point tournant de la conférence de Bagdad », il soutenait que la rencontre
pourrait devenir le début d’une offensive diplomatique régionale « menant à
une entente entre l’Iran et les Etats-Unis et l’Iran et ses voisins sunnites
arabes, et entre Israël et les Arabes… »
Résumant les perspectives, le journal déclare sur un ton
morne : « Les possibilités de voir cette administration dirigée par
le président George W. Bush, qui a tant fait pour déstabiliser le Moyen-Orient
et détruire la réputation et la crédibilité du monde islamique, saisir cette occasion
n’est pas, il faut l’avouer, très grande. Néanmoins, ce moment porte autant les
possibilités que les périls. »
Au lendemain de la conférence, on ne peut que conclure que
même cette morne évaluation est plus basée sur une appréciation hasardeuse que
sur une saine évaluation de la preuve.