Il y a des leçons cruciales à tirer des
événements qui entourent le projet de restructuration du groupe Airbus :
plus l’intégration des processus de production progresse au-delà des frontières
de l’Etat national, plus la tâche de construire un mouvement
international de la classe ouvrière pour défendre les salaires et le niveau de
vie devient pressante et plus la bureaucratie syndicale s’accroche
désespérément à la défense bornée et dépassée de son Etat national.
Le groupe Airbus fonctionne selon un processus
de production réparti sur quatre pays européens, sans compter toute une série
de sous-traitants aéronautiques. Les travailleurs de ces usines font partie
d’un seul et même processus de production. En même temps, le plan de
restructuration Power 8, avancé par la direction, représente clairement une
attaque contre l’ensemble de l’effectif international.
Une visite de l’usine de Méaulte, dans la
Somme, a donné l’occasion aux reporters du World Socialist Web Site
(WSWS) de recueillir des témoignages de première main des travailleurs
quant à leurs réponses face aux attaques de la direction, mais aussi de
l’attitude des syndicats.
Les travailleurs auxquels nous avons parlé nous
ont dit manquer d’informations sur la situation actuelle, que ce soit sur
la teneur des négociations qui se tiennent en ce moment que sur les actions prévues
par les syndicats.
Crôchet, un travailleur d’environ 45 ans,
a déclaré : « Nous avons tout appris des médias. Et ils disent tous
que c’est de la faute des Allemands. »Il n’a pas beaucoup
d’estime pour les syndicats qui, selon lui passent tout leur temps« à
se tirer dans les pattes ». Il n’est pas prêt non plus à soutenir la
déclaration du responsable de Force ouvrière (FO), Claude Cliquet, qui, il y a
une semaine lors d’une manifestation des salariés d’Airbus de
Méaulte, avait déclaré, que les actionnaires allemands étaient responsables de
la crise d’Airbus.
La principale objection émise par FO au plan Power
8 concerne la répartition du fardeau. Le syndicat cherche à obtenir un
accord plus favorable pour le côté français, eu égard aux suppressions
d’emplois. Le syndicat s’oppose notamment au transfert de la
production de l’A320 de Toulouse à Hambourg.
Ainsi, à l’issue d’une manifestation
le 6 mars à Toulouse, un délégué FO s’exprimant au nom de tous les
syndicats a déclaré : « Devant la boulimie des actionnaires allemands,
nous devons défendre notre société ... le nouveau A320 serait tout entier sous
responsabilité allemande. L’Etat français actionnaire doit jouer son rôle
d’actionnaire et faire le contre-poids face aux appétits boulimiques de
Daimler (l’actionnaire allemand). »
FO a, à maintes reprises, formulé cette
revendication en faveur d’un engagement plus grand de l’Etat français,
y compris lors de ses pourparlers avec des représentants du gouvernement.
Toutes les discussions que nous avons eues à
Méaulte ont clairement montré que ce genre d’orientation nationaliste et
de souci de défendre son propre site n’était pas partagé par les ouvriers
et ce, en dépit des articles de presse affirmant le contraire. Aucun des
travailleurs que nous avons rencontrés ne partageait cette perspective avancée
par les syndicats. Au lieu de cela, les travailleurs ont réagi avec beaucoup de
sympathie au fait que nous étions venus tout exprès d’Allemagne. Il était
même facile de voir que l’attitude des travailleurs était diamétralement
opposée aux efforts des bureaucrates syndicaux de canaliser la colère des
ouvriers dans une impasse nationaliste.
Guillaume et trois jeunes collègues étaient du
même avis quant au rôle joué par les syndicats, et notamment du syndicat
majoritaire à Méaulte, en l’occurrence Force Ouvrières. « Tout ce
qu’ils font, c’est se battre entre eux », dit-il en ajoutant
qu’il avait autrefois été syndiqué, mais qu’il avait décidé de
quitter le syndicat jugeant que cela ne servait à rien.
Comme cela a déjà été mentionné, c’était
frappant de voir le manque d’information sur la situation parmi les
travailleurs à Méaulte. Tout ce qu’ils savaient, c’est que la grève
prévue pour vendredi ne durerait que deux heures.
Guillaume et ses collègues ont réagi
positivement à notre proposition d’organiser la résistance contre Power
8 par delà les frontières nationales. Une manifestation commune avec les
collègues allemands, espagnols et anglais, serait une excellente occasion de
faire des contacts et de développer des actions communes, dirent-ils.
Initialement, une manifestation et un
rassemblement communs avaient été projetés pour tous les travailleurs européens
d’Airbus à Bruxelles le 16 mars. Mais, le 13 mars, la Fédération
européenne des métallurgistes (FEM) a publié un communiqué de presse déclarant que,
contrairement aux « faux communiqués de presse », il n’y aurait
pas de manifestation et de rassemblement communs.
Au lieu de cela, les syndicats prévoient une
soi-disant « mobilisation européenne », mais les « actions
seront décentralisées » sur les sites individuels. Lors de ces réunions
locales, les syndicats fournissent une tribune aux forces nationalistes les
plus droitières.
C’est ainsi que le syndicat allemand IG
Metall a invité Christian Wulff, le ministre-président de Basse-Saxe, à tenir
un discours lors de la manifestation de Hambourg où 20.000 personnes sont
attendues. D’autres orateurs seront présents dont Jürgen Peters, le
patron du syndicat IG Metall, Rüdiger Lütjen, le président
du comité d'entreprise (CE) d’Airbus-Allemagne, Günther Öttinger, le
ministre-président du Land de Bade-Wurtemberg et le maire de Hambourg, Ole von
Beust. Les trois derniers orateurs sont tous membres de l’Union
chrétienne-démocrate (CDU) de la chancelière allemande, Angela Merkel, et sont bien
connus pour leur politique hostile envers les travailleurs.
Des manœuvres nationalistes similaires sont
entreprises par les syndicats français, notamment Force ouvrière.
Dans un courriel adressé au WSWS, un
travailleur de Nantes rapporte avoir fait de vains efforts pour organiser des
actions communes avec tous les travailleurs : « La direction ne
risque pas de changer de cap vu la façon de faire des syndicats, plus
particulièrement la CGC et FO qui jouent toujours le nationalisme, la division
et la non luttes.»
A Nantes, les travailleurs d’équipes
différentes ont été appelés à participer à des manifestations séparées et à des
heures différentes et, à l’exception de la CGT, tous les syndicats ont
refusé d’organiser un rassemblement de masse de tous les travailleurs.
Ils «refusent de combattre le plan Power 8, Ils préfèrent l'accompagner.» écrit le travailleur d’Airbus. Encouragé par l’attitude
des syndicats, le groupe a été en mesure d’imposer le plan Power 8 sans
avoir à faire de concessions. Mercredi, le patron d’Airbus, Louis
Gallois, rencontrait à Toulouse l’ensemble des syndicats européens
représentés dans le groupe pour dire on ne peut plus clairement qu’aucune
concession ne sera faite sur la restructuration de l’entreprise.
Après la réunion, le coprésident du comité
d’entreprise européen, Jean-François Knepper (FO), a déclaré :
« Nous n’avons pas beaucoup avancé. La direction nous confirme
qu’elle veut dialoguer, mais elle ne nous donne pas beaucoup de marge de
manoeuvre. »
Néanmoins, les syndicats maintiennent leur
projet de décentraliser leurs actions. En Espagne, quelque 9.000 travailleurs
d’EADS et des sous-traitants organiseront une grève limitée et, à Paris,
les travailleurs d’Airbus manifesteront devant le siège d’EADS dans
la capitale.
D’un côté, le but de ces manifestations
isolées sert de couverture aux syndicats pour montrer qu’ils ne sont pas
tout à fait inactifs. De l’autre, les actions ont pour but
d’empêcher que les travailleurs s’unissent de par les frontières
pour mener une lutte efficace contre le plan de restructuration. Au nom de la
défense des « sites » individuels, les travailleurs sont montés les
uns contre les autres.
La plupart des travailleurs rejettent une telle
position. Notre dernier entretien à Méaulte s’est fait avec deux jeunes
travailleurs intérimaires d’Amiens. Tous deux ont en partie accompli une
formation d’ingénieur en production et sont engagés en contrat à durée
déterminée (CDD) pour 18 mois chez Airbus. Ils n’ont aucune idée de ce
qui va se passer une fois leur contrat arrivé à son terme. Mais, ils aimeraient
bien rester dans l’entreprise.
Selon eux, en tout 150 employés sont engagés en
CDD à Méaulte mais ce chiffre était bien plus élevé autrefois.
Tous deux ont exprimé également leur manque de
confiance total dans les syndicats qui dès le départ ont battu en retraite et auxquels
l’on ne pouvait en aucun cas faire confiance. Ils s’occupent avant
tout d’eux-mêmes, ont-ils dit. Après tout, ils«ils
vont à la soupe ».
L’un d’entre eux a dit qu’il
fallait en finir à présent de monter les travailleurs français contre leurs
collègues allemands. Sachant que la région fut le théâtre de la Première Guerre
mondiale, où des dizaines de milliers de soldats allemands, français et anglais
trouvèrent la mort, ses remarques étaient tout à fait justifiées.
La visite à l’usine d’Airbus de
Méaulte a clairement montré deux choses : tout d’abord, le rôle des
syndicats qui ont refusé de fournir aux travailleurs l’information la
plus élémentaire et qui cherchent à les diviser ; et ensuite, à quel point
les travailleurs se sont déjà distancés de ces organisations.