Le 7 novembre a marqué une année depuis
qu’un vote massif d’électeurs anti-guerre a causé la défaite
d’une douzaine de députés et de sénateurs républicains sortants lors des
élections américaines de mi-mandat. Les démocrates se trouvaient en contrôle
des deux chambres du Congrès pour la première fois depuis 1994.
Toutes les analyses sérieuses des résultats
électoraux ont reconnu le fait que les démocrates avaient gagné les élections
de 2006 à cause du mécontentement de la population envers la guerre en Irak.
Mais une année plus tard, non seulement la guerre continue sans relâche, mais
elle s’est même intensifiée.
Deux mois seulement après les élections,
l’administration Bush a ordonné que 35.000 soldats supplémentaires soient
envoyés en Irak. Les opérations militaires américaines ont été élargies dans
la région de la capitale, Bagdad, au nord et au sud de la ville. Les généraux
américains, laissant tomber la prétention que les « renforts » étaient
temporaires, parlent maintenant ouvertement de mener des combats de
contre-insurrection pendant dix années, si ce n’est plus longtemps.
Le taux de mortalité chez les Irakiens a
atteint un niveau presque inimaginable. Une enquête menée par la firme de
sondage britannique bien connue, ORB, estime à 1,2 million le nombre de personnes
tuées depuis le début de l’invasion américaine en 2003. Bien que les
pertes américaines aient diminué en septembre et en octobre, le taux de
mortalité au sein des troupes américaines a atteint en 2007 son plus haut
niveau depuis le début de la guerre.
Le Pentagone a aussi déployé des troupes
additionnelles en Afghanistan et leur a donné l’autorisation
d’intervenir dans le Pakistan voisin. Pendant ce temps, Bush et Cheney ont
menacé à plusieurs reprises d’entreprendre des actions militaires contre
l’Iran, menaces qui ont atteint leur point culminant avec la fameuse déclaration
du 17 octobre que l’Iran risquait la « troisième guerre mondiale »
s’il continuait à défier les exigences américaines d’un
démantèlement de son programme nucléaire.
Alors que ces événements se produisaient, et
que Bush et Cheney se moquaient du sentiment anti-guerre de la population, le
Parti démocrate a été le principal agent du militarisme américain.
L’« opposition » des dirigeants démocrates au Congrès a
consisté à faire usage de rhétorique et à faire du théâtre, alors qu’en
pratique, ils ont donné leur accord à ce que le bain de sang se poursuive en
Irak.
Si le Parti républicain avait gagné les
élections en 2006 plutôt que les démocrates, il n’y aurait pas eu la plus
petite différence dans la façon dont l’administration Bush mène la
guerre. Les démocrates au Congrès n’ont rien refusé à Bush.
Le Congrès a octroyé à la Maison-Blanche
jusqu’au dernier sou de ce qu’elle demandait pour continuer la
guerre. Le Sénat contrôlé par les démocrates a entériné chacune des nominations
à des postes militaires importants, dans certains cas unanimement : le
nouveau secrétaire à la Défense, les nouveaux commandants en Irak et au centre
de commandement central américain, le nouveau chef de l’état-major. Dans
quelques jours, le Sénat confirmera un nouveau procureur général qui a refusé
de condamner le supplice de la baignoire (ou de la noyade simulée) comme étant
un acte de torture.
Même avant qu’ils aient
officiellement repris le pouvoir au Congrès, la direction du Parti démocrate
avait trahi les sentiments anti-guerre qui leur avait donné la victoire dans
les élections. Quelques jours seulement après le vote de 2006, Nancy Pelosi,
qui allait devenir présidente de la Chambre des députés et Harry Reid, celui
qui allait devenir le leader de la majorité au Sénat, ont annoncé qu’ils
rejetaient les seules mesures pouvant forcer la fin de la guerre : la
destitution de Bush ou la fin du financement des opérations militaires
américaines en Irak.
Les démocrates ont rejeté la destitution,
qui ne demande qu’une majorité simple à la Chambre des représentants, non
parce qu’il leur manquait des votes au Sénat pour enlever le pouvoir à
Bush. Ils craignaient plutôt que les procédures de destitution ne soulèvent
chez le peuple américain la question de savoir qui est coupable de la guerre en
Irak, une question avec des implications sociales explosives.
Le cœur de toute procédure en
destitution de Bush et Cheney est l’accusation que la guerre en Irak est
illégitime et criminelle, qu’elle a été justifiée par une campagne de
mensonges de la Maison-Blanche, et qu’elle est illégale en vertu de la
loi internationale. Les responsables démocrates au Congrès, qui ont en grande
partie soutenu la guerre en Irak, seraient eux-mêmes imputables de complicité
dans ce crime de guerre. De plus, une telle accusation discréditerait le projet
plus large de domination du Moyen-Orient par l’impérialisme américain,
projet que les démocrates soutiennent entièrement.
L’octroi ou non des crédits fait
partie du pouvoir de dépenser qui revient traditionnellement au Congrès. Il
suffit d’une simple majorité au Sénat ou à la Chambre des représentants
pour les refuser et bloquer le passage de la loi annuelle sur le budget. Sans
l’approbation des deux chambres, le pouvoir exécutif n’a plus
d’argent et doit cesser ces opérations, comme cela a déjà eu lieu en
1995-96 lors de la confrontation entre le président américain à l’époque,
Bill Clinton, et le Congrès, alors sous contrôle des républicains.
Les responsables démocrates au Congrès ont
rejeté de tels gestes pour les crédits de guerre même avant qu’ils aient
officiellement pris le pouvoir au Sénat et à la Chambre. « Nous ne
couperons pas le financement des troupes », a dit Polosi à MSNBC en
décembre dernier. « Laissez-moi lever tous les doutes qui pourraient
exister. Tant que nos troupes sont en danger, les démocrates seront là pour les
soutenir. »
Pelosi a délibérément adopté l’assertion —
élaborée par la Maison-Blanche et les propagandistes de l’extrême droite —
selon laquelle ceux qui s’opposaient à la poursuite du financement de la
guerre « ne soutenaient pas les troupes », allant même jusqu’à
insinuer que mettre un terme au financement de la guerre en Irak abandonnerait
les soldats sur le champ de bataille sans munitions pour leurs fusils. Ce
bobard avait un objectif politique bien précis : camoufler la décision des
responsables démocrates au Congrès d’éviter la seule action en leur
pouvoir pouvant forcer la fin de la guerre.
Pelosi, Reid et compagnie ont plutôt élaboré une comédie
complexe de résolutions non contraignantes, de projets de loi pour limiter la
guerre auxquels Bush opposerait son veto, d’amendements à des projets de
loi ne pouvant survivre à une obstruction parlementaire au Sénat, et même de
trucs publicitaires, comme le « débat » de 24 heures sur la guerre en
Irak tenu au Sénat en juillet — longtemps après que le Congrès eut
approuvé le financement de la guerre en autorisant le projet de financement
d’urgence le 24 mai.
L’objectif était d’offrir un semblant
d’opposition pour apaiser sa base anti-guerre, tout en donnant le feu
vert à la Maison-Blanche et au Pentagone pour poursuivre et même étendre les
opérations militaires en Irak.
En réalité, alors que le nombre de victimes augmentait
parmi les civils irakiens et les soldats américains et que l’opinion
publique devenait de plus en plus hostile à la guerre (de récents sondages
montrent que plus de 60 pour cent seraient d’accord avec un arrêt du
financement par le Congrès), les mesures proposées par les démocrates avaient
de moins en moins d’influence.
Cela n’est pas seulement de la capitulation devant
l’administration Bush, mais le reflet de la confiance grandissante dans
les milieux du Parti démocrate qu’ils contrôleront la Maison-Blanche et
le Congrès à la suite des prochaines élections et qu’il est nécessaire,
comme le dit Hillary Clinton, de « maintenir les options » de la
prochaine administration démocrate, qui aura la responsabilité de mener au
moins deux guerres.
Il n’y a pas de désaccord fondamental entre les
leaders du Parti démocrate et la Maison-Blanche, seulement des mésententes
tactiques sur les meilleures méthodes à employer pour défendre les immenses
intérêts de l’impérialisme américain au Moyen-Orient riche en pétrole. En
tant que second des démocrates à la Chambre des représentants, le chef de la
majorité Steny Hoyer a déclaré en décembre dernier qu’« Aucun de
nous ne souhaite voir l’Irak devenir un échec. »
Le Parti démocrate est un parti de la grande entreprise qui
défend les intérêts de l’aristocratie financière qui gouverne les
Etats-Unis et cherche à dominer le monde. Cette vérité politique est démontrée
non seulement par l’attitude du Congrès démocrate, mais aussi par les
positions adoptées par les concurrents à la tête de la course à la
présidentielle démocrate.
En juin, peu après que le Congrès eut approuvé le projet de
financement de la guerre et eut ainsi scandalisé les électeurs démocrates, les
candidats démocrates ont tous proclamé leur opposition à la guerre et leur
détermination à précipiter sa conclusion.
À la fin août, un consensus s’était formé dans les
milieux dirigeants selon lequel, malgré la terrible gestion de la guerre en
Irak par l’administration Bush, il n’y avait d’autre
alternative à la poursuite du conflit que de sauver tout ce qui était possible
par une utilisation encore plus importante de la force militaire. Tous les
démocrates en vue ont ainsi, lors d’un débat présidentiel le 21 août,
renié l’objectif de retrait des troupes américaines d’ici la fin de
2007, le qualifiant d’irréaliste.
Lors d’un autre débat un mois plus tard, aucun des
trois principaux candidats démocrates, Hillary Clinton, Barack Obama et John
Edwards, n’osèrent même s’engager à un retrait des troupes d’ici
le 20 janvier 2013, la date de leur seconde investiture s’ils
devaient être élus et réélus présidents. La même semaine, Clinton vota pour une
résolution non contraignante au Sénat exigeant de l’administration Bush
qu’elle déclare la Garde révolutionnaire iranienne organisation
terroriste, et appuya ainsi implicitement un assaut militaire américain contre
l’Iran.
Le Parti démocrate joue maintenant un rôle crucial en
maintenant en place l’administration Bush, qui a peu d’appui dans
la population et qui assiste aux départs réguliers des principaux conseillers
et copains de Bush : l’éviction de Rumsfeld et Gonzales, la
condamnation de Lewis Libby, les démissions de Rove, Harriet Miers, Don
Bartlett, Karen Hughes et de la plupart du personnel moins en vue de la
Maison-Blanche.
Ce n’est pas qu’une question de prosternation
devant la Maison-Blanche. Plus fondamentalement, les démocrates au Congrès
tremblent devant la puissance de l’Etat, et particulièrement son appareil
militaire et de renseignement. A chaque moment crucial, ils ont défendu la puissance
et le prestige de cet appareil. Ceci culmina par deux votes au Congrès :
en août, pour accroître les pouvoirs d’espionnage intérieur de la NSA, de
la CIA et d’autres agences du renseignement, et en septembre, pour la
condamnation de MoveOn.org, un lobby libéral démocrate, pour avoir attaqué
publiquement le général David Petraeus.
Toutes les déclarations publiques des démocrates sont de nature
timide et hypocrite. Cela est l’expression du rôle de Janus à deux faces
que joue le Parti démocrate, qui prétend défendre les intérêts des gens
ordinaires, alors qu’en réalité il est un instrument politique de la même
oligarchie financière qui contrôle le Parti républicain, les médias,
l’économie américaine et la politique au complet.
Ainsi, le Congrès démocrate n’a pas été en mesure
d’adopter une mesure pour mettre fin aux arrangements fiscaux sur les
fonds à risque qui permettent notoirement aux milliardaires d’avoir un
taux de taxation plus bas que leurs secrétaires ou leurs concierges.
Le rôle du Parti démocrate est d’empêcher tout mouvement
de la classe ouvrière qui remettrait en cause le monopole politique de la
grande entreprise. Dans la crise électorale de 2000 en Floride, les démocrates
ont accepté le vol des élections par l’intervention de la Cour suprême,
plutôt que de mener une lutte qui aurait remis en question la légitimité du
système politique.
En 2002, les démocrates ont gardé la question des
préparatifs pour la guerre en Irak hors de l’élection de mi-mandat, même
s’ils avaient donné à Bush carte blanche en votant pour
l’utilisation de la force militaire. En 2004, alors que les sentiments
anti-guerre étaient déjà largement répandus dans la population, les démocrates
ont pratiquement concédé l’élection en choisissant un candidat
pro-guerre, le sénateur John Kerry, qui prétendait avoir un meilleur programme
pour gagner la guerre. En 2006, aussitôt qu’ils ont gagné
l’élection après avoir profité des sentiments anti-guerre presque malgré
eux, les responsables du Parti démocrate se sont vite distancés de ceux qui
étaient allés aux urnes en cherchant une alternative au programme de guerre et
de réaction sociale de Bush.
Tout de suite après la victoire des démocrates aux élections,
Le World Socialist Web Site et le Parti de l’égalité socialiste
ont fait ressortir le danger d’avoir des illusions dans le Congrès démocrate.
Notre premier commentaire sur l’élection, le 8 novembre 2006,
disait : « Il y a un profond gouffre entre les sentiments anti-guerre
largement répandus dans l’électorat et l’engagement des leaders du
Parti démocrate pour une " victoire en Irak " et la
poursuite de la " guerre contre le terrorisme "… Ceux
qui ont voté pour le Parti démocrate dans le but d’exprimer leur
opposition à l’administration Bush et à la guerre vont rapidement
découvrir qu’une victoire électorale des démocrates ne produira aucun
changement significatif dans la politique américaine, autant à
l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. »
Une déclaration du comité de rédaction, publiée le 4 décembre
2006, était intitulée : « Bush et les démocrates font fi des
électeurs anti-guerre. » Elle mettait en garde contre le fait que
« Quatre semaines après les élections de mi-mandat américaines du 7
novembre, toutes les sections de l’élite dirigeante américaine ont tourné
le dos au vote anti-guerre de masse qui a rejeté la politique de
l’administration Bush, qui a mis un terme au contrôle républicain de la
Chambre des représentants et du Sénat et qui a placé le Parti démocrate en
contrôle du Congrès. »
Cette mise en garde fut confirmée à de nombreuses reprises
pendant l’année en cours. Des questions politiques fondamentales doivent
être tirées de cette expérience. La lutte contre la guerre en Irak et contre la
croissance effrénée du militarisme américain ne peut aller de l’avant par
l’élection d’un président démocrate en 2008 ou une majorité plus
large des démocrates au Congrès. Si Hillary Clinton était présidente
aujourd’hui, sa politique en Irak différerait de Bush seulement par
quelques milliers de troupes de plus ou de moins.
Peu importe le parti de la grande entreprise qui
s’empare des leviers du pouvoir à Washington en janvier 2009, la
politique du gouvernement sera déterminée par les intérêts stratégiques et
financiers des grandes entreprises américaines et non par les désirs de la
vaste majorité de la population, la classe ouvrière.
La lutte du PES et du WSWS est en profonde opposition au rôle
de la supposée « gauche » représentée par les leaders
d’organisations anti-guerre comme United for Peace and Justice et
International ANSWER, ou encore à des publications comme Nation ou à des
groupes de pression comme MoveOn.org.
Toutes ces tendances cultivent des illusions dans le Parti démocrate
et insistent pour que l’opposition populaire à la guerre demeure dans le
cadre du système bipartite, qui donne un monopole politique aux intérêts de la
grande entreprise. Ces mêmes tendances s’opposent à une rupture politique
avec le Parti démocrate et à une lutte pour la mobilisation de la classe
ouvrière en tant que force politique indépendante.
Cette tâche ne peut plus être reportée à plus tard. Aucun pas
de l’avant ne peut être fait dans la lutte contre la guerre et dans la
défense des droits démocratiques et des intérêts économiques et sociaux de la
classe ouvrière sans une rupture complète et irrévocable avec tout le cadre de
la politique bourgeoise.
La classe ouvrière doit se mettre en route sur le chemin de la
lutte pour l’indépendance politique contre le système de profit, basée
sur un programme socialiste et internationaliste. Cela veut dire construire le
Parti de l’égalité socialiste et son organisation des jeunes,
l’Internationale étudiante pour l’égalité sociale, en tant que
forces dirigeantes révolutionnaires de la classe ouvrière.