Quelque un million et demi de fonctionnaires, sur les cinq
millions que compte la fonction publique, ont participé mardi à la grève d’un
jour à l’appel des syndicats pour s’opposer à la politique de
suppressions d’emplois et d’attaques sur les services publics du
président Nicolas Sarkozy et pour exiger des augmentations de salaire visant à
compenser la hausse aiguë du coût de la vie.
Les enseignants étaient particulièrement nombreux à faire
grève, plus de 60 pour cent, ce qui reflète la colère largement partagée
vis-à-vis des projets du gouvernement de supprimer 12 000 postes
d’enseignant pour la seule année prochaine.
Quelque 700 000 travailleurs du secteur public ont participé
aux manifestations organisées dans tout le pays. Les y ont rejoint de larges
contingents d’étudiants et de lycéens qui s’opposent à la loi
régressive sur les universités, des cheminots et des travailleurs des transports
urbains en grève depuis sept jours pour défendre leur retraite.
La plus grande manifestation, comptant quelque 70 000
participants, s’est déroulée à Paris. Quelque 35 000 personnes ont
défilé à Marseille, autant à Toulouse tandis que 20 000 manifestants
battaient le pavé à Lille et 10 000 à Grenoble.
La manifestation de Paris reflétait très clairement l’étendue
de l’opposition populaire à Sarkozy et à sa politique. Malgré le froid et
la bruine, des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées Place
d’Italie et sont restées des heures durant. La manifestation
s’étendait sur plusieurs kilomètres. La queue de la manifestation
s’est mise en marche trois bonnes heures après la tête du cortège.
Quasiment tous les différents secteurs de la fonction publique
étaient présents à la manifestation : des infirmières, des enseignants,
des territoriaux, la police et bien d’autres. Quelques contrôleurs
aériens ont aussi rejoint la grève, ce qui a occasionné des retards dans les
vols.
On pouvait voir partout des slogans et des banderoles contre
le président Sarkozy. Un groupe d’infirmières de l’hôpital Simone
Veil dans l’Oise chantaient : « Sarko, démission ! Notre
force c’est l’union. »
Une infirmière a dit au World Socialist Web Site qu’elle
et ses collègues infirmières n’avaient pas eu d’augmentation de
salaire depuis sept ans et que le salaire net d’une infirmière en fin de
carrière tournait autour de 1 700 euros par mois, et que la retraite
s’élevait à 1 100 euros.
Quand on lui a demandé si elle pensait que le président
reculerait, elle a dit, « je l’espère, mais Sarkozy est ferme, il ne
fait pas de concessions facilement ». Elle a dit qu’elle doutait que
les choses aient été beaucoup mieux si la candidate du Parti socialiste,
Ségolène Royal, avait gagné les élections présidentielles du printemps dernier.
Il y avait de gros contingents de cheminots et
d’employés de la RATP (bus et métros parisiens) à la manifestation. Le
taux de grévistes à la SNCF était plus élevé mardi que la veille.
Quand on lui a demandé comment il fallait poursuivre le
conflit, Sylvain, ouvrier de maintenance à Choisy-le-Roi a répondu, « Il
faut reconduire la grève jusqu’à ce que le gouvernement recule. »
Sylvain était partagé sur la question de la table ronde
tripartite entre les syndicats, la direction et le gouvernement prévue pour
mercredi. « Si on trouve un accord, ce ne serait pas mal », a-t-il
dit. Mais il a insisté pour dire qu’il ne pouvait pas y avoir de
concessions de la part des syndicats sur la demande du gouvernement
d’augmenter au-delà des 37,5 annuités actuelles le nombre d’années
de travail pour avoir droit à une retraite à taux plein. Le gouvernement veut
imposer un minimum de 40 annuités.
Une délégation de travailleurs de l’usine automobile
Renault de Flins participait aussi à la manifestation. Ils ont dit être là pour
montrer leur solidarité. « Si les régimes spéciaux des cheminots
disparaissent, après c’est nous qui allons souffrir, » dit
l’un d’entre eux. « Après, ils vont imposer 41 ou 42
annuités. »
Il y avait aussi d’importants contingents de lycéens à
la manifestation. Une bonne partie des universités sont fermées ou bloquées du
fait d’actions des étudiants depuis deux semaines, mais ce n’est
que très récemment que la campagne d’étudiants contre la loi sur les universités
s’est étendue aux lycées. De nombreux lycéens étaient venus à la
manifestation pour exprimer leur solidarité avec les cheminots en grève.
Le WSWS a parlé avec Isabelle, Barbara, Anna et Elie du
lycée Gustave Monod d’Enghien-les-bains. Ils ont tous exprimé leur colère
envers Sarkozy : « Il monte les gens les uns contre les autres, il
défend l’intérêt des patrons, réveille les instincts les plus malsains
chez les gens et il ne fait qu’empirer les choses. » L’un d’eux
a ajouté, « il ne pense qu’aux intérêts du Medef (fédération des
employeurs). »
Ils espéraient tous que la grève des cheminots se poursuivrait
et se sont montrés méprisants à l’égard du Parti socialiste: « Ils
ne bougent pas du tout et ils ne font que se disputer entre eux. Ils
n’ont vraiment rien d’un parti d’opposition. »
La position adoptée par les syndicats est en total contraste avec
la détermination de ceux qui participaient à la manifestation.
Le dirigeant de la CFDT (Confédération française démocratique
du travail, proche du Parti socialiste) François Chérèque, a tourné en dérision
la lutte des cheminots. Lundi il les a attaqués à la télévision pour « croire…
qu’ils pourraient continuer à travailler 37,5 ans alors qu’on sait
pertinemment que les 40 ans pour tous les salariés dans notre pays sont
inéluctables. » Son syndicat a appelé à mettre fin à la grève.
Chérèque qui défilait en tête du cortège parisien a été hué et
sifflé et a dû finalement s’enfuir en courant sous la protection de ses
gardes du corps.
Le secrétaire général du syndicat UNSA (Union nationale des
syndicats autonomes) a aussi attaqué les cheminots. Il a dit à Radio BFM que le
mouvement des cheminots « a sa légitimité, mais cannibalise toutes les
autres revendications ».
Les revendications des fonctionnaires pour une augmentation de
leur pouvoir d’achat restaient, d’après lui, « inaudibles
parce qu’on a un mouvement qui est très fort effectivement sur les
régimes spéciaux dans les transports. »
Mercredi, tous les six syndicats représentant les cheminots
vont rencontrer des représentants du gouvernement et de la direction pour
négocier. Les propositions de « réforme » du gouvernement ne sont cependant
pas négociables – l’augmentation des annuités, la décote pour ceux
qui prennent une retraite anticipée, l’indexation des retraites sur les
prix et non plus sur les salaires – mais on discutera de compensations
financières possibles pour dorer la pilule de l’attaque sur les
retraites. La direction de la SNCF a indiqué qu’elle est prête à
concéder, entre autres, une petite augmentation de salaire pour les
travailleurs plus âgés.
Le danger, c’est que les syndicats vont présenter ces compensations
financières symboliques comme une concession et les utiliser pour briser et vendre
la grève. Ceci représenterait une victoire pour Sarkozy, victoire qu’il
exploiterait pour s’attaquer à d’autres sections de la classe
ouvrière.
Sortant d’un silence gardé depuis le début de la grève
des cheminots, Sarkozy a profité mardi du Congrès des maires pour réaffirmer sa
position. Il a prétendu parler au nom « des millions de Français qui,
après une journée de travail, quand il n'y a pas de bus, pas de métro, pas de
train, sont exaspérés d'avoir le sentiment justifié d'être pris en otages,
a-t-il déclaré. Jusqu'au bout, je resterai déterminé. La réforme se fera, que
nul n'en doute. »
Malgré le danger manifeste de voir les syndicats trahir la
grève et apporter à Sarkozy une victoire dont il a bien besoin, il y avait peu
de discussions politiques dans les manifestations. Aucun parti politique, y
compris les partis d’« extrême-gauche » tels Lutte ouvrière et
la Ligue communiste révolutionnaire, n’a fait d’apparition publique
ni n’a vendu ses journaux. Au contraire, leurs membres ont dissimulé leur
affiliation au parti et défilé en tant que membres ordinaires des syndicats.
Il y avait, par contre, un intérêt considérable pour le tract
de la déclaration du WSWS intitulé Les
travailleurs ont besoin d’une nouvelle stratégie politiquequi a été distribué
à Paris et dans d’autres villes et qui met en garde contre le danger
d’une trahison du mouvement de la part des syndicats.
Le WSWS affichera demain d’autres reportages et
entretiens des manifestations de mardi.