La première décision du président Sarkozy lors de sa prise de
fonctions l’été dernier avait été d’imposer que les enseignants
lisent à leurs élèves la dernière lettre de Guy Môquet à sa mère. Le jeune
Môquet âgé de 17 ans avait été exécuté par l’occupant nazi le 22 octobre
1941. Tous les lycées ont reçu l’instruction de lire cette lettre à haute
voix à la date « commémorative » le mois dernier comme exemple de
sacrifice et de résistance pour la nation. Le ministre de l’éducation,
Xavier Darcos, a déclaré que 93 pour cent des lycées avaient appliqué
l’instruction, mais l’écrasante hostilité des enseignants rend
cette déclaration absurde.
Des manifestants scandant “Libérez Guy Môquet, libérez
Florimond Guimard » ont couvert la voix de Darcos en visite dans son
ancien lycée, en Dordogne où il est maire. Très nombreux sont ceux qui accusent
Sarkozy de manipuler la mémoire de Môquet à ses propres fins nationalistes, tandis
que Guimard, un enseignant de Marseille a été arrêté par la police pour avoir
protesté contre l’expulsion d’un parent sans-papiers. La ministre
de la Justice, Rachida Dati a aussi été huée lorsqu’elle a essayé de lire
la lettre dans un lycée de Villejuif à Paris. Le président Sarkozy, ayant eu vent
des protestations, a annulé sa lecture au lycée Carnot à Paris, où Moquet était
élève. Il a invoqué un agenda très chargé.
Môquet, membre du mouvement des jeunes du Parti communiste
(PC) avait été arrêté par la police française en octobre 1940 pour troubles sur
la voie publique alors qu’il exigeait la libération de son père Prosper,
député PC à l’Assemblée nationale qui avait été arrêté après que le PC
ait été interdit du fait de son soutien au pacte germano-soviétique
(hitléro-stalinien) d’août 1939.
Ce n’est qu’après l’invasion de
l’Union soviétique par Hitler en juin 1941 que le PC entra officiellement
dans le mouvement de résistance contre l’occupation nazie. Suite à
l’assassinat d’un officier allemand à Nantes, Guy et 26 autres
prisonniers du gouvernement collaborationniste de Vichy (des syndicalistes, des
membres du Parti communiste et deux trotskystes) furent livrés aux nazis pour
être exécutés.
La dénonciation de la manipulation par Sarkozy de la mémoire
de Guy Môquet à des fins politiques a été clairement exprimée par le principal
syndicat enseignant, le SNES (syndicat national de l’enseignement du
second degré) qui appelait à un boycott. « Comment accepter que
l’école devienne le lien de création factice d’une Union sacrée, [unité
nationale de toutes les classes sociales en soutien à la guerre, utilisée
particulièrement en référence à la Première guerre mondiale] a-critique par le
biais d’une cérémonie commandée ? » Il accusait Sarkozy
d’essayer de créer un « mythe patriotique. »
Le syndicat SUD-éducation du Limousin, dans le centre de la France,
a aussi publié une déclaration basée sur des principes: « Guy Môquet est
ainsi présenté comme exemple pour la jeunesse. Evidemment coupé de son
contexte, le jeune homme fusillé par les nazis incarne une jeunesse prête au
sacrifice suprême pour la patrie. Au moment où M. Sarkozy s’aligne sur la
politique extérieure de M. Bush et où un de ses ministres [Bernard Kouchner] parle
de guerre contre l’Iran cette présentation particulière de Guy Môquet est
inquiétante. »
La mobilisation contre les diktats du gouvernement et sa
manipulation de l’histoire dans les établissements scolaires a encore été
renforcée lorsque l’entraîneur de l’équipe de France de rugby,
Bernard Laporte, a décidé de donner une leçon de sacrifice pour la nation en
lisant la lettre de Môquet aux joueurs juste avant le match France-Argentine
durant la coupe du monde de rugby en septembre dernier. Laporte avait été nommé
secrétaire d’Etat chargé des sports avant le tournoi et il cherchait visiblement
à galvaniser l’opinion publique en vue de l’intervention
« commémorative » dans les lycées. Mais cela s’est retourné
contre le gouvernement.
Les enseignants de bien des lycées ont réagi avec colère à une
telle manipulation. La décision d’enseignants du lycée Robert de
Luzarches à Amiens, dans le nord de la France, est représentative. « Les
collègues réunis en heure d’information syndicale mardi 16 octobre
déclarent: Nous, enseignants au lycée Robert de Luzarches, avons décidé
collectivement de ne pas lire la lettre de Guy Môquet ce lundi 22 octobre. Nous
considérons que le contenu de cette lettre a été instrumentalisé afin de
véhiculer le message d’un patriotisme exacerbé. Nous refusons de faire de
cette lettre un outil de propagande politique en la décontextualisant de son
histoire et en participant à une grande messe à mille lieues de la dimension
intime que revêt ce document. C’est justement parce que nous avons à
cœur d’éveiller la conscience de nos élèves, de refuser de couler
leurs esprits dans des moules formatés, que nous manifestons ici, à notre tour,
un acte de résistance. »
La position prise par les enseignants contraste fortement avec
l’attitude molle du Parti socialiste, qui se range derrière Sarkozy sur
toutes les questions majeures. Il soutenait cette lecture de la lettre mais
n’a pas osé le dire aussi ouvertement. « Le PS fait confiance aux
enseignants pour qu’ils fassent les choix pédagogiques qui restituent son
sens historique et humain à cette lettre. Il déconseille fortement à ses élus
de se substituer aux enseignants pour la lecture de cette lettre dans les
établissements scolaires.»
Depuis le début, le Parti communiste n’a cessé de tergiverser
pour en fin de compte soutenir la lecture, que sa secrétaire nationale
Marie-Georges Buffet avait déjà « saluée » comme étant positive.
«Je comprends que des enseignants se posent la
question de lire ou non cette lettre »… il fallait « la mettre
dans son contexte …. Et si de nombreux partis de gauche ont
critiqué la ‘récupération’ de ce symbole par Nicolas Sarkozy,
‘les problèmes de récupération’, quelque part, je m’en moque. »
Le PC a aussi publié un supplément de 16 pages à son quotidien
l’Humanité, supplément consacré à la vie de Môquet et qui, une
fois de plus, déforme l’histoire. L’éditorial déclare :
« Nous avons conçu ces pages avec le souci de replacer la lettre de Guy
Môquet dans son contexte, d’être utile à tous ceux, qui, en lisant ou en
l’écoutant le 22 octobre, voudraient comprendre ou donner à comprendre ce
qui conduisit un jeune communiste de dix-sept ans, qui ne demandait qu’à
vivre, à mourir ainsi, exécuté par les nazis après leur avoir été livré par des
services de la police française qui, sur ordre du gouvernement de Vichy,
collaborait avec l’Allemagne de Hitler. »
Les staliniens du PC ont « replacé la lettre dans son
contexte » et donné leur aval à la manoeuvre de Sarkozy, tout en falsifiant
l’histoire. Môquet était bien sûr, comme le PC le sait bien, victime à la
fois de la collaboration de Vichy et de la collaboration du PC lui-même avec
l’Allemagne de Hitler du fait de son soutien au pacte germano-soviétique
(hitléro-stalinien.) (Voir Guy
Môquet, Sarkozy et l’école stalinienne de falsification).
La tempête déclenchée par l’incident de la lettre de Môquet
a forcé Sarkozy à faire marche arrière concernant l’ordre que lecture
soit faite chaque année aux lycéens de cette lettre. Le porte-parole du
gouvernement, Laurent Wauquier a annoncé l’intention de « transformer
cette journée Môquet en une journée consacrée à la jeunesse résistante. »
Les accents sinistres de cette démarche vont de pair avec la politique du
président consistant à militariser la France et l’Union européenne.
L’équation de Sarkozy « la bombe iranienne ou le bombardement de
l’Iran » montre le virage inéluctable versla militarisation
de la société, et spécialement des jeunes, sous le couvert de notions de « résistance »
et d’ « intervention humanitaire » colportées par son ministre des
Affaires étrangères, Bernard Kouchner.
(Article original anglais paru le 8 novembre 2007)