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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

France : la CGT essaie d’étouffer la grève

Par Peter Schwarz et Antoine Lerougetel à Paris
16 novembre 2007

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Les commentaires de la presse française de jeudi ne laissent aucun doute sur le fait que le syndicat CGT prépare une trahison de dimensions historiques.

Bernard Thibault, le dirigeant de la CGT avait demandé une entrevue au ministre du Travail Xavier Bertrand mardi, peu avant le début de la grève en défense des « régimes spéciaux », les régimes particuliers de retraites de la fonction publique, ouvrant la voie à l’ouverture de négociations. Le gouvernement a réagi à l’initiative de Thibault et il a offert aux syndicats des négociations sur un mois par branches d’activité et par entreprises. Si après un mois on ne parvenait pas à un accord, le gouvernement ferait la réforme des retraites de façon unilatérale.

L’offensive de Thibault n’est pas seulement considérée par la presse comme une contribution à une fin rapide d’un mouvement de grève qui menace de devenir le plus grand conflit social ayant lieu depuis douze ans, mais aussi comme le début d’une « nouvelle culture sociale », où les grèves militantes sont une chose du passé et où les syndicats collaborent de façon « responsable » avec les entreprises et le gouvernement.

Libération fait remarquer que cette offensive représente « une première » : « Jamais un secrétaire général de la CGT n’avait, comme l’a fait mardi Bernard Thibault, appelé personnellement le ministre du Travail d’un gouvernement de droite pour lui demander un rendez-vous dans la journée, et lui proposer d’ouvrir une négociation en apportant, comme preuve de bonne volonté, une concession importante. »

Selon Libération avec « l’ouverture faite au gouvernement », la direction de la CGT a fait « un choix stratégique assumé par l’équipe dirigeante de la CGT, celui de renoncer à la posture du "tout ou rien". »

Ce journal est net sur le fait que Thibault a aidé le gouvernement à sortir d’une impasse. Selon lui, l’équipe du président Sarkozy craignait  « que la crise s’allonge et que la grève des régimes spéciaux rejoigne celle des fonctionnaires de mardi prochain. Car le pouvoir sarkozien a perdu en crédibilité sur les sujets économiques. Tous les sondages récents le prouvent, les Français ne lui font pas confiance pour améliorer leurs conditions de vie. Il fallait donc éviter que les conflits actuels s’étendent à d’autres secteurs et que, au-delà des régimes spéciaux, les mécontents de tous horizons se retrouvent dans la rue. »

On trouve le même genre de commentaire dans d’autres journaux.

Jean-Marcel Bouguereau, le rédacteur en chef du Nouvel Observateur est d’avis que « Mardi soir le patron de la CGT a brisé un tabou en proposant des négociations au gouvernement, comme cela ne s'était jamais produit, à quelques heures d'une grande grève. »

Quand on lit l’éditorial du Figaro, on peut littéralement voir comment, dans les salons des riches et des puissants, on sable le champagne. Ce journal conservateur célèbre déjà la « victoire » de Sarkozy et la qualifie d’« étape importante dans l’évolution de notre "modèle social", une date dans l’histoire des rapports sociaux de notre pays, un recul de la gréviculture syndicale, du pouvoir systématique de dire non et du recours mécanique au blocage. Ce serait la preuve qu’avec de la volonté et autant de méthode on peut réformer la France. »

Par « réformer », ce porte-parole du patronat entend la démolition des prestations sociales et des droits des ouvriers ainsi que l’élimination de tout ce qui fait obstacle à l’enrichissement d’une petite minorité. Selon une statistique sociale qui vient d’être publiée, les dix pour cent de Français les plus riches ne gagnent « que » 3,15 fois plus que les 10 pour cent les plus pauvres. C’est moins qu’il y a dix ans, lorsque le rapport était de 3,35.  Dans d’autres pays comme en Allemagne et aux USA, la courbe de la différence de revenu est par contre en très forte hausse. 

On peut douter de la véracité de cette statistique, car on ne peut pas, en France non plus, ne pas constater les énormes différences sociales. Cette situation est néanmoins insupportable pour les cercles dirigeants. Ceux-ci se sentent gênés dans leur volonté d’enrichissement par les revendications des ouvriers et ils voient enfin une chance de changer cette situation. Sarkozy, qui vient d’augmenter son salaire de président de 172 pour cent et qui a pour amis personnels certains des hommes les plus riches du pays, partage ces sentiments.

C’est ce qu’exprime également Le Figaro lorsqu’il écrit : « Car les Français ont changé : on voit naître chez eux un réel sens des responsabilités en lieu et place du simple maniement de slogans datés. Modèle social français, droit à la retraite immuable, droit de grève illimité, santé gratuite pour tout et pour tous, droit inaltérable à l’emploi : ils savent qu’on n’échappe pas à une réalité que tous nos voisins ont déjà affrontée. »

Tous les commentaires de presse s’accordent pour dire que le principal problème auquel Thibault et Sarkozy sont confrontés est la résistance des syndiqués de la base et des grévistes qui rejettent la capitulation de la CGT.  

Il reste à la CGT « … à convaincre ses troupes de la suivre sur ce terrain » écrit Libération. « Ce n’est pas gagné d’avance, après plusieurs décennies où la culture politique a primé sur le réalisme syndical. »

Et Le Figaro écrit : « Accepter les négociations d’entreprise proposées par le gouvernement sans pour autant perdre le contrôle des troupes, voilà le défi auquel sont confrontées les directions syndicales, et plus particulièrement Bernard Thibault avec les cheminots. »

Les causes d’une trahison

La trahison de la CGT constitue un choc pour beaucoup de ses membres. Pour qui connaît le caractère et les origines de cette organisation et a suivi son histoire cependant, cela ne peut guère être une surprise.  

Cette fédération syndicale, fondée en 1885, se trouva après la Seconde Guerre mondiale sous le contrôle du Parti communiste. Son secrétaire général était généralement un membre du comité central du Parti communiste. La CGT organisait les sections les plus militantes de la classe ouvrière.  Peu après la guerre, elle comptait quatre millions de membres (elle n’en compte aujourd’hui plus que 700.000). Mais politiquement, la CGT et le PCF ont toujours été d’inébranlables défenseurs de l’Etat français.  

Le secrétaire général du PCF de cette époque, Maurice Thorez, fut ministre du gouvernement d’après-guerre. Ce n’est que lorsque que se développa, contre la volonté de la CGT et contre la politique des prix de ce gouvernement, une grève militante aux usines Renault qui risquait d’échapper au contrôle du PC, que Thorez se vit forcé de démissionner. Le président de l’époque, Vincent Auriol, rapporte dans ses mémoires à propos de la démission de Thorez que celui-ci était ému, avait le visage rouge d’embarras et lui a dit qu’il ne pouvait « plus rien faire », qu’il avait « tout essayé » et qu’il était au bout de son latin. « A ce moment, j’ai vu des larmes dans ses yeux ».

Lorsqu’en 1968 la révolte étudiante se développa, la CGT la considéra avec une hostilité non dissimulée. Elle fut aussi le seul syndicat à ne pas soutenir la grève générale à laquelle ont participé des millions de travailleurs au mois de mai de cette année. Aux négociations de Grenelles elle élabora alors avec un membre du gouvernement de l’époque, Jacques Chirac, un accord grâce auquel la grève fut étouffée et le pouvoir de De Gaulle sauvé.

Dans les années 1970, le PCF conclut un accord avec le Parti socialiste de François Mitterrand. Après la victoire de celui-ci à l’élection présidentielle de 1981, elle participa à pratiquement tous les gouvernements dirigés par les socialistes et soutint leur politique économique de droite. En conséquence, ce qui fut jadis le plus puissant parti de France devint une petite organisation minée par les conflits internes.

Avec l’effondrement de l’Union soviétique, la situation du PCF et de la CGT changea encore. En 1999 la CGT adhéra à la fédération européenne des syndicats dominée par les sociaux démocrates et dont fait aussi partie le DGB allemand. La CGT avait perdu ses principales troupes dans les mines, les ports, l’industrie de l’acier et l’industrie automobile. Dans toutes ces industries, des centaines de milliers d’emplois avaient été détruits avec son active collaboration.

Aujourd’hui les bastions de la CGT se trouvent dans les entreprises publiques. A EDF et à GDF ce sont environ 58 pour cent de salariés qui soutiennent la CGT. Dans les chemins de fer ce sont environ 40 pour cent, le syndicat plus radical SUD (Solidaires, unitaires, démocratiques) y organise lui, 15 pour cent des salariés et vient en seconde place. Ces branches d’activité ont joué un rôle crucial dans les conflits sociaux des douze dernières années.

Mais les répercussions de la mondialisation ont détruit la possibilité de combiner militantisme syndical et loyauté envers l’autorité de l’Etat. L’Union européenne et les concurrents de la classe dirigeante française sur la scène internationale exercent sur celle-ci une énorme pression pour qu’elle détruise les prestations sociales et les droits des travailleurs au même rythme qu’eux. Il est clair, depuis que le président Sarkozy a fait dépendre tout son prestige de la réforme des « régimes spéciaux », que la classe ouvrière est confrontée à des tâches politiques.

Mais les dirigeants de la CGT refusent une lutte politique contre le gouvernement. Pour eux, cela représente un cauchemar. On voit de plus en plus clairement que la CGT, soi-disant plus  militante que les autres syndicats, ne se différencie pas de ses homologues sociaux démocrates, en France la CFDT ou en Allemagne les syndicats basés sur le partenariat social.

Pendant la toute récente journée de grève les dirigeants de la CGT ont constamment souligné qu’ils refusaient toute lutte politique. Jean Christophe Le Digou, responsable des retraites à la CGT a ainsi dit : « Nous ne sommes pas par nature des gréviculteurs. Notre boulot, c’est de faire avancer nos revendications. Parfois, il faut faire la grève. Mais notre objectif n’est pas de faire grève pour faire grève, il est de faire avancer certaines revendications, de répondre aux attentes des personnels. » 

Mercredi matin le WSWS a parlé à Claude Pierzalski le secrétaire général de la CGT des cheminots de Paris Nord. Tout en reconnaissant l’intervention directe du président dans le conflit actuel il essaya, d’une façon presque bizarre, de nier la nature politique du conflit.

« Nous évitons une confrontation politique, mais le président veut nous imposer l’austérité », dit-il. « C’est un président omniprésent et omnipotent. Libération appelle les membres de son gouvernement ‘le gang des potiches’. Nous sommes dans une lutte avec un président qui exécute une action extrêmement dure. Il attaque les régimes spéciaux de retraites, le fret. Nous ne pouvons pas développer les chemins de fer en tant que service public. »

Pierzalski a souligné que « Nous sommes dans une lutte frontale avec le président, contre son choix de société. Il défend les patrons, il assiste aux meetings du MEDEF [la principale organisation patronale]. Il personnifie une politique capitaliste. Son but est d’aligner les cheminots sur le régime général des retraites, alors il pourra dire : ‘j’ai battu les cheminots’. Ils représentent le principal centre de résistance contre son programme social. Il est en train d’essayer de produire une scission entre les ouvriers du privé et ceux du public. »

Si les cheminots sont battus, poursuivit Pierzalski « cela sera une grande déception pour les ouvriers des chemins de fer et ceux de tous les services publics : la porte sera ouverte pour une politique à la Thatcher. Il voudrait que la grève traîne et qu’elle soit affaiblie par usure comme ce fut le cas avec les mineurs et Thatcher. Apres cela, ce sera une politique ultra capitaliste, détruisant le Code du travail, permettant aux patrons de faire ce qu’ils veulent. »

Mais lorsque le WSWS lui demanda : « Alors ce n’est pas un conflit politique? » Pierzalski répondit: « Nous nous tenons à un cadre social. Nous allons montrer la voie pour défendre les acquis sociaux. Nous ne sommes pas tant contre Sarkozy et le gouvernement que contre un modèle social. »

A la question de savoir ce qu’il fallait faire pour gagner, Pierzalski mentionna le soutien du public et l’extension de la lutte : « Nous allons devoir faire avancer nos revendications, essayer d’y gagner la population et de ne pas nous laisser séparer d’elle. Nous allons devoir élargir notre action, étendre la lutte, c'est-à-dire l’étendre à la RATP, à EDF et à GDF. »

Mais il n’a pas expliqué comment une telle extension de la lutte était possible sans entreprendre une lutte politique contre Sarkozy et son gouvernement.

Il est nécessaire de tirer des leçons de la trahison de la CGT. L’époque où les travailleurs pouvaient défendre leurs droits sociaux et démocratiques à l’aide de syndicats réformistes est révolue. Ces syndicats se sont transformés, dans le monde entier, en associés des gouvernements, avec pour objectif d’imposer les attaques contre les travailleurs.

Il n’y a pas de réponse simple ou de raccourci dans la lutte contre les attaques sociales de Sarkozy. Une direction politique doit être construite qui soit capable de coordonner les grèves, les manifestations et les activités politiques de la classe ouvrière contre les machinations de l’ensemble de l’élite dirigeante, de tous ses alliés et de tous ses représentants politiques et il faut apporter une programme socialiste et révolutionnaire qui corresponde aux besoins de la population laborieuse.


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