La déclaration suivante a été publiée sous
forme de tract destiné à coïncider avec la grève des conducteurs de train
allemands
Le conflit qui oppose les agents de conduite à
la direction des chemins de fer allemands, la Deutsche Bahn (DB), a dépassé de
loin le cadre normal d’une grève. La DB est déterminée à donner une leçon
à un personnel combatif et à détruire le syndicat des agents de conduite, le
GDL (Gewerkschaft Deutscher Lokomotivführer). C’est pourquoi la DB refuse
obstinément de faire des concessions. Elle bénéficie du soutien du gouvernement
allemand, de la justice, des principales fédérations patronales et du DGB, la Fédération
des syndicats allemands (Deutscher Gewerkschaftsbund).
Si la Deutsche Bahn s’imposait, cela
aurait des conséquences graves pour tous les travailleurs. Toute résistance aux
réductions de salaire et aux coupes sociales ainsi qu’à la redistribution
de la richesse de bas en haut serait soumise à l’intimidation et à des
poursuites. Une défaite des conducteurs de train ouvrirait la porte à des attaques
contre tous les travailleurs.
Le Parti de l’égalité sociale (Partei für
soziale Gleichheit, PSG) appelle l’ensemble de la population laborieuse à
se solidariser avec les conducteurs de train. Ne laissez pas les syndicats
affiliés au DGB isoler les conducteurs de train qui subissent d’immenses
pressions de la part de la direction de la DB et sont persécutés par les
tribunaux.
Organisez des comités de solidarité et
transformez la lutte des conducteurs de train en point de départ d’une
offensive massive contre les réductions de salaire et la casse des acquis
sociaux, ainsi que contre le gouvernement de grande coalition à Berlin unissant
démocrates-chrétiens de la CDU/CSU (Union chrétienne démocrate
d’Allemagne/Union chrétienne sociale) et sociaux-démocrates du SPD (Parti
social-démocrate d’Allemagne).
Quelles
sont les revendications des conducteurs de train ?
Le président de la Deutsche Bahn, Harmut Mehdorn,
ne cesse de dénoncer la revendication des conducteurs de train comme étant « déraisonnable ».
Ce faisant, il recueille le soutien des médias. Pourtant, les conducteurs de
train ne cherchent qu’à récupérer ce qu’ils ont perdu au cours de
ces dernières années.
Depuis 1994, date de la réforme de la Deutsche
Bahn, l’effectif des cheminots a été réduit de moitié pour totaliser 185 000
agents. La charge de travail s’est accrue en conséquence alors que les
salaires ont stagné et ont même baissé au cours de ces deux dernières années.
Il en a résulté une pénibilité du travail
accrue et des horaires irréguliers et nocturnes constants avec un salaire de
début de carrière insuffisant pour une personne seule, sans parler pour une
famille entière. Le salaire brut d’un agent de conduite s’élève au
maximum à 2142 euros par mois. Après déduction des diverses charges sociales,
les conducteurs reçoivent entre 1500 et 2000 euros net par mois. En Suisse, les
conducteurs de train gagnent environ le double.
La revendication du GDL pour un salaire de
début de carrière s’élevant à 2500 euros brut, passant à 3000 euros au
bout d’une période assez longue, et allant de pair avec une réduction de
la durée du travail de 41 à 40 heures par semaine est parfaitement justifiée.
Une telle revendication ne coûterait à la DB que 250 millions d’euros par
an. Cette somme représente exactement le dixième de l’excédent de 2,5
milliards d’euros que l’entreprise, hautement déficitaire autrefois,
a engrangé l’année dernière, aux dépens des travailleurs.
Le propre salaire de Mehdorn a augmenté
l’année dernière de 100 pour cent pour atteindre 3,18 millions
d’euros. Les huit membres du comité directeur de la DB ont encaissé
ensemble des salaires s’élevant à 20 millions d’euros. Étant donné
que leur revenu se compose de primes de succès, leur fortune est faite
directement à partir de chaque euro extrait du personnel.
La situation qui règne à la Deutsche Bahn est
le reflet de la société dans son ensemble. Les salaires des travailleurs
allemands ont stagné depuis vingt ans alors que les traitements des patrons,
les profits des entreprises et les cadeaux fiscaux et bénéfices exceptionnels
dus à la spéculation ont monté en flèche. A présent, l’on veut faire, dans
le but de poursuivre cette orgie d’enrichissement personnel, des
conducteurs de train un exemple en leur infligeant une leçon ! Ce
processus est encore loin d’avoir atteint le niveau
d’enrichissement qui existe outre-Atlantique.
Aux Etats-Unis, le syndicat américain des travailleurs
de l’automobile, l’UAW (United Auto Workers union) a signé un
accord avec General Motors (GM) qui réduit de moitié les salaires
d’embauche en les faisant passer à 14 dollars (à peine 10 euros) de
l’heure. L’on s’attend à ce que les réductions de salaire, en
plus des coupes des prestations sociales, réduisent de deux tiers les charges
sociales de GM. En contrepartie, l’UAW a été récompensée en se voyant
transférer la gestion du fonds de couverture santé des retraités de
l’automobile qui s’élève à des dizaines de milliards de dollars,
faisant ainsi des syndicats les plus gros spéculateurs à Wall Street et rendant
les fonctionnaires syndicaux extrêmement riches, indépendamment du déclin des
cotisations des adhérents.
Le
rôle de briseurs de grève joué par le DGB
En Allemagne aussi les syndicats soutiennent
les attaques perpétrées contre leurs propres membres. Ils ont évolué de
représentants des travailleurs en acolytes du patronat dont les seuls critères
sont le rendement de l’entreprise.
Deux autres syndicats de cheminots, Transnet
et le GDBA (Gewekschaft Deutscher Bundesbahnbeamten, Arbeiter und Anwärter),
soutiennent les projets de privatisation de la DB et ont appuyé ces dernières
années la réduction du personnel et des salaires. A présent, ils conseillent le
comité directeur de la DB sur la meilleure manière de briser la grève des
conducteurs de train en appelant leurs propres membres à jouer les briseurs de
grève. A cette fin, aucun mensonge n’est trop gros. Transnet a accusé les
conducteurs de train d’être des « briseurs de contrat » et d’ébranler
la « solidarité » existant avec les autres sections de cheminots.
Bien évidemment, les bureaucrates de Transnet
espèrent que les cheminots ont la mémoire courte. Il y a à peine cinq ans, c’est
ce même syndicat qui avait joué le rôle de « briseurs de contrat ». A
l’époque, Transnet avait signé un contrat auxiliaire avec la DB Regio [TER
allemand] prévoyant pour ces conducteurs de train des salaires et des
conditions de travail nettement inférieurs à ceux en vigueur pour le reste des
cheminots en comptant jusqu’à 18 équipes supplémentaires impayées. Le
contrat avait finalement échoué parce que le GDL avait refusé de le signer.
Ce genre de négociation ayant pour objectif
une rupture de contrat est tout à fait coutumier depuis des années pour ce qui
est des syndicats affiliés au DGB. Le syndicat des travailleurs de la
métallurgie, l’IG Metall, a été un pionnier dans ce domaine.
Chez Volkswagen, ce syndicat a travaillé main
dans la main avec l’ancien chef du personnel de l’entreprise, Peter
Hartz, qui a été le fer de lance des « lois Hartz » [réforme de
l’assurance-chômage] tristement célèbres et qui portent son nom. Cette
même année, le syndicat de la fonction publique, Verdi, a accepté un contrat prévoyant
l’externalisation de 50 000 emplois de Telekom vers des filiales de
l’entreprise ainsi qu’une baisse massive des salaires, un
allongement du temps de travail et des conditions de travail plus difficiles
pour tous ceux qui gardent leur emploi.
Toutefois, lorsque les agents de conduite se
révoltent contre les dictats des syndicats, les bureaucrates les dénoncent pour
« manque de solidarité ». Quelle hypocrisie ! Le mouvement des
travailleurs doit presque tous ses gains à ceux qui, dans le passé, ont
courageusement lutté pour améliorer les conditions de travail. Si les
travailleurs avaient simplement accepté ce que les autres travailleurs avaient
déjà on en serait encore en Allemagne au stade du travail des enfants.
Le chef de Verdi, Frank Bsirske, a également
profité du congrès national de son organisation pour accuser les conducteurs de
train d’être des « briseurs de grève », de « manque[r] de
solidarité » et de tenter de « d’obtenir un maximum en faisant
cavalier seul ». Il lança cette attaque contre les conducteurs de train
trois mois seulement après avoir trahi les travailleurs de Telekom.
Le fait que Bsirske ait néanmoins été réélu au
poste de président de Verdi par 94 pour cent des voix des délégués prouve que
l’ensemble de la caste des bureaucrates est bien décidé à faire la guerre
à ses propres adhérents.
Le
gouvernement soutient la DB
Le président de la DB, Mehdorn, jouit du
soutien total du ministre des Transports, Wolfang Tiefensee (SPD), dans sa
campagne contre les conducteurs de train. Le ministre aime à souligner sa
neutralité et se cache derrière la déclaration selon laquelle il respecte
pleinement la négociation collective.
Mais en tant que propriétaire à 100 pour cent
des chemins de fer, le gouvernement est partie prenante dans ce conflit et Mehdorn
est son employé. En se conduisant de façon « neutre », le
gouvernement laisse en fait les mains libres au président de la DB dans son
assaut contre les conducteurs de train.
La principale préoccupation de Mehdorn et du
gouvernement est de faire rentrer le plus rapidement possible les chemins de
fer allemands en bourse. Ceci présuppose que l’entreprise soit rentable et
qu’elle contrôle son personnel. Un succès des conducteurs de train, a
écrit l’hebdomadaire Die Zeit, signifierait que « la vente
des actions des chemins de fer allemands à des investisseurs privés serait
menacée ». Le journal poursuit en disant : « Quel investisseur
aime à investir dans une entreprise où trois syndicats se battent pour le
pouvoir et pour l’influence ? »
Justice
de classe
La direction de la DB et le gouvernement
jouissent également du soutien de la justice qui, mise au défi par une section
des travailleurs, réagit immédiatement en jetant par-dessus bord les principes d’Etat
de droit et en recourant à une « justice » ouvertement de classe qui a
dans le passé joué un rôle si néfaste en Allemagne.
Les divers jugements rendus par les tribunaux
allemands, interdisant partiellement ou entièrement les grèves des conducteurs
de train, sont très préoccupants. L’exercice du droit de grève découle en
Allemagne directement de la garantie de la négociation collective qui interdit
toute interférence de l’Etat. Ceci ne peut aucunement être écarté par une
décision de tribunal.
Cette interprétation est partagée par un
certain nombre de juristes. Dans une interview accordée au quotidien Süddeutsche
Zeitung, Thomas Dietrich, le président du tribunal prud’hommal
fédéral allemand entre 1994 et 1999, a qualifié de « grotesque »
l’interdiction de grève prononcée cet été par le tribunal de Nuremberg.
Il a dit, « Le montant des dommages infligés est insuffisant pour
justifier à lui seul l’interdiction de la grève. »
Mais c’est précisément cet argument, à
savoir, les interruptions de services et les dommages économiques dus à la
grève, qui avait servi une fois de plus au tribunal de Chemnitz pour
restreindre les activités syndicales des conducteurs de train il y a à peine
une semaine.
Ce jugement équivaut à une annulation du droit
de grève. Si les grèves ne sont autorisées qu’à la condition qu’elles
ne causent que peu ou aucun dommage économique, alors l’arme de la grève est
privée de sa force. L’idée de la grève consiste à exercer une pression en
causant un dommage économique. Si le jugement prononcé à Chemnitz fait école,
alors chaque grève aboutira devant un juge et les grévistes seront menacés
d’emprisonnement.
Une
nouvelle perspective
Le syndicat des conducteurs de train GDL qui
est présidé par un membre du CDU (et ancien député parlementaire), Manfred Schell,
n’est absolument pas en mesure de défier le front unitaire formé par la
direction de la DB, du gouvernement, de la justice et du GDB, la Fédération des
syndicats allemands. La direction du GDL s’est pourtant donnée bien du mal
pendant des semaines pour arriver à un compromis.
En début de semaine, Schell a annoncé que le
syndicat débuterait une grève de quatre jours, à commencer du jeudi 11 octobre.
Au dernier moment toutefois, Schell a accepté des négociations avec la
direction et annulé précipitamment la grève prévue pour jeudi.
Le syndicat a depuis longtemps signalé sa
volonté de faire des concessions quant aux revendications salariales. Il est
par contre moins en mesure de reculer en ce qui concerne sa revendication
d’un contrat séparé pour les conducteurs de train car ceci risquerait de compromettre
son existence même d’organisation indépendante.
L’attitude docile et hésitante adoptée
par le GDL n’a servi qu’à encourager la direction de la DB dans son
intention de mettre en échec les travailleurs et de détruire le syndicat.
L’action entreprise par le GDL le 5
octobre a d’ailleurs ressemblé plus à un lock-out qu’à une grève.
Profitant de la volonté évidente en faveur de négociations et de compromis
affichée des semaines durant par le GDL, la DB a largement eu le temps de
mettre sur pied son plan d’attaque. Le 5 octobre, les conducteurs de
train GDL ne furent même pas admis à monter dans les cabines de leurs
locomotives et les membres du GDL qui voulaient manifester furent escortés hors
des gares. Depuis, la direction de la DB se montre impitoyable et rejette
catégoriquement toute nouvelle offre soumise par le syndicat.
Les conducteurs de train ne peuvent plus laisser
la direction de leur grève entre les mains du GDL. Ils doivent mettre sur pied
leurs propres comités indépendants pour mener la lutte. Ils doivent prendre
contact avec les membres des autres syndicats de cheminots afin de les
mobiliser dans un front commun contre les activités de briseurs de grève de la
direction de Transnet et des autres syndicats. La grève doit être étendue à
l’ensemble des chemins de fer pour une période illimitée. A cette fin,
les conducteurs de train requièrent la solidarité et le soutien de
l’ensemble de la classe ouvrière.
La défense du niveau de vie et des droits
sociaux et démocratiques exigent une stratégie politique fondamentalement nouvelle.
Les besoins de la population laborieuse doivent primer sur les intérêts du
patronat en luttant pour un programme socialiste. La production en général et
les entreprises publiques telles que les chemins de fer doivent être arrachées
des mains de l’aristocratie financière et placées au service de la
société en général.
Ceci ne pourra être réalisé que si les
travailleurs rompent avec leurs vieilles organisations nationales pour s’unir
aux travailleurs en Europe et de par le monde dans la lutte pour une
réorganisation socialiste de la société. Voici le but du World Socialist Web
Site et du Parti de l’égalité sociale.