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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Russie: la signification politique de la grève à l’usine automobile de Togliatti

Par Vladimir Volkov
6 septembre 2007

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Le 1er août, les salariés d’AvtoVAZ, le plus grand producteur automobile de Russie depuis l’époque soviétique, ont fait une grève d’avertissement pour attirer l’attention sur l’agitation sociale et politique grandissante qui règne parmi les travailleurs en Russie.

Pendant plusieurs heures le jour de la grève, des voitures incomplètes sont sorties des chaînes de montage et une assemblée massive s’est tenue devant la principale entrée de l’usine. Selon divers comptes rendus, entre 400 et 2000 personnes ont pris part à la réunion.

La revendication majeure des travailleurs d’AvtoVAZ était que leur salaire mensuel passe à 25 000 roubles. Selon des statistiques officielles, l’actuel salaire d’environ 7000 roubles correspond à peu près à la moitié de la moyenne de celui payé dans la branche et dans l’industrie en général en Russie.

Selon Piotr Zolotarev, président du syndicat Edinstvo (« Unité »), qui a parlé au nom des grévistes, des unités supplémentaires de policiers avaient été affectées ce jour-là à l’usine. Les représentants de l’administration de l’usine ont tenté de forcer les travailleurs à reprendre le travail en leur assurant qu’il n’y aurait pas de victimisation.

Le lendemain, l’administration a annoncé qu’il n’y avait pas eu de grève et que 150 hommes avaient violé la discipline du travail en refusant de travailler. Aussitôt, les dirigeants de AvtoVAZ ont distribué de façon officielle des blâmes à 170 travailleurs qu’ils ont accusés de violer le Code du travail et de refuser de travailler. Deux d’entre eux ont été licenciés.

Bien que les grévistes n’aient pas réussi à arrêter la principale chaîne de montage de l’usine ou à obtenir une quelconque amélioration de leur situation, leur protestation a constitué un important événement politique et a attiré l’attention des médias. La veille même de la grève, la majorité des journaux russes avait publié des articles sur l’action de grève imminente et ont ensuite continué à donner suite à l’affaire. Le nom des principaux organisateurs de la grève sont connus de par le pays.

AvtoVAZ à l’époque soviétique et post-soviétique

AvtoVAZ est l’un des symboles de l’industrie russe pour être le plus grand constructeur automobile du pays. L’usine fut construite à la fin des années 1960 à Togliatti, ville située sur les rives de la Volga, comptant plus de 700 000 habitants et nommée d’après l’un des dirigeants du Parti communiste italien. Elle était destinée à la production de la Zhiguli (Lada) suivant le concept technologique de la Fiat italienne. AvtoVAZ était la figure de proue de l’industrie automobile soviétique. Jusqu’au début des années 1990, l’usine produisait 2000 voitures par jour.

Aujourd’hui encore, et en dépit du déclin de l’ancienne industrie soviétique et des difficultés croissantes que connaissent les entreprises en raison de leur technique de base plutôt dépassée et de la concurrence des producteurs mondiaux, l’usine emploie quelque 100 000 personnes. Chaque jour, environ 700 voitures quittent sa chaîne de montage.

Vladimir Kadannikov, directeur d’AvtoVAZ depuis de nombreuses années et qui a quitté son poste il y a deux ans, était un patron typique de l’industrie soviétique. Passé directeur adjoint de son service en 1967, il a rapidement grimpé les échelons dans la hiérarchie de l’entreprise pour accéder au plus haut niveau. Durant les années Gorbatchev de la « perestroïka », Kadannikov était considéré comme un des directeurs à la mentalité la plus « contemporaine » et qui soutenait les réformes de marché ; en tant que tel, il fut nommé, en 1996, vice-premier ministre du gouvernement russe par Boris Eltsine, poste qu’il occupa durant quelques mois.

Durant la période post-soviétique, AvtoVAZ conserva son statut de symbole mais sous une forme quelque peu différente, c’est-à-dire comme exemple du pillage impitoyable des anciens biens publics par une nouvelle couche d’hommes d’affaires (« businessmen ») insatiables. L’usine devint une sinécure pour « l’oligarque déchu » Boris Berezovsky, qui vit désormais à Londres et qui avait posé les fondations de sa fortune qui se compte en multi milliards de dollars en s’appropriant les bénéfices de l’usine.

Au début des années 1990, Berezovsky avait fondé la firme LogoVAZ qui avait obtenu les droits exclusifs pour la vente de la Zhiguli. Parmi les principaux actionnaires de LogoVAZ se trouvaient les cadres de l’usine, y compris Kadannikov. Au moyen d’un système de ventes fictives et de contournement des impôts, des sommes considérables furent détournées de l’usine à un moment où on ne se préoccupait plus du tout de la production et où les travailleurs n’étaient pas payés pendant de longues périodes.

Dans son livre sur Berezovsky, le journaliste américain Pavel Khlebnikov (assassiné en été 2004 à Moscou) avait écrit que vers 1995, « l’usine ne pouvait plus ni payer ses impôts, ni ses factures d’électricité, ni verser les salaires des ouvriers. La seule raison pour laquelle le gouvernement Eltsine n’a pas déclaré l’usine en faillite est qu’il aurait fallu admettre à l’époque que la plus grande entreprise de Russie était insolvable. » (The Kremlin Godfather, Boris Berezovsky, or the History of the Plundering in Russia, Moscow, 2001, p. 95 [édition russe] (Parrain du Kremlin, Boris Berezovski et le pillage de la Russie))

Après avoir été l’un des plus importants éléments de l’empire de l’un des oligarques russes, il se trouva qu’AvtoVAZ n’en était pas à son dernier rôle. Pris en compte dans les projets du président Vladimir Poutine d’établir le contrôle du gouvernement sur les principales ressources naturelles et les entreprises industrielles de Russie, AvtoVAZ finit par faire partie des projets de Rosoboroneksport [groupe russe d’exportation d’armes] qui l’absorba à la fin de l’année 2005.

Rosoboroneksport, une organisation semi-secrète aux branches multiples, est aussi le principal exportateur d’armes russes sur le marché mondial ; elle s’efforce en même temps d’étendre son rôle à l’ensemble de l’économie russe. En 2006, le revenu de Rosoboroneksport tiré de la vente de technologie militaire s’élevait à 5,6 milliards de dollars et atteint les 2 milliards à la fin des six premiers mois de cette année.

Parmi les sociétés qui forment ce groupe, présidé par Sergei Chemezov, un ami personnel du président Poutine, on compte les usines Motovilikhinskie de Perm (qui fabriquent les systèmes d’artillerie Smerch et Grad pour l’équipement de l’industrie pétrolière) et quasiment l’ensemble des usines qui produisent les hélicoptères russes.

Au moment de son rachat par Rosoboroneksport, les bénéfices annuels d’AvtoVAZ s’élevaient à 4,6 milliards de roubles. L’intégration d’AvtoVaz dans l’entreprise publique a entraîné au cours de l’année dernière un quadruplement du capital de l’usine (s’élevant à près de 3 milliards de dollars). Les nouveaux patrons de l’usine ont annoncé des projets de grande envergure en collaboration avec d’importants producteurs automobiles mondiaux, Magna au Canada, Renault en France et Fiat en Italie.

Il est évident qu’une grève dans une telle usine, même si on ne tient pas compte de son ampleur et des résultats immédiats, est susceptible de servir d’exemple à imiter dans n’importe quelle autre entreprise du pays. De plus, elle touche aux intérêts les plus sensibles de la nouvelle élite dirigeante russe. Dans un sens objectif, les protestations des travailleurs d’AvtoVAZ sont un défi politique lancé à l’encontre des clans bureaucratiques d’oligarques qui dirigent le Kremlin et que préside le président Poutine.

Vladimi Artyakov, président du Groupe AvtoVAZ, est l’un des dirigeants régionaux du parti pro-Kremlin « Russie Unie » et député de la Douma de la province de Samara. Il avait fait campagne avec le slogan de faire passer les salaires à 25 000 roubles. Après avoir fait de ce slogan leur revendication majeure, les grévistes d’AvtoVAZ ont révélé au grand jour que la rhétorique du principal parti russe au pouvoir était pure démagogie.

Attaques contre les grévistes

Ces circonstances expliquent l’intérêt considérable des événements survenus à AvtoVAZ et les efforts impitoyables que font les autorités locales et l’administration de l’usine pour mettre un terme à la grève et punir les participants.

Avant même qu’elle ne soit déclenchée, la grève avait été condamnée par le syndicat officiel de l’usine et qui fait partie de la FNPR, la fédération des syndicats indépendants de Russie (organisation établie sur la base des anciens syndicats officiels de la bureaucratie soviétique.)

Anton Vechkunin, militant du syndicat indépendant Unité avait été arrêté par la police en pleine rue cinq jours avant la grève et retenu en prison pendant trois jours dans un centre de détention préventive de la ville. Un autre travailleur de l’usine, Aleksandr Dziuban qui est le président du comité d’entreprise de l’atelier de montage de l’usine avait été interpellé sans explication la veille de la grève à l’entrée de l’usine. Il avait sur lui quelques 200 tracts syndicaux.

En lien avec la grève, Pavel Kaledin, journaliste de Kommersant, journal national influent, fut également puni. Sous les pressions de l’administration d’AvtoVAZ, les représentants régionaux de la société de médias à laquelle Kommersant appartient, ont accusé le journaliste d’avoir couvert de façon tendancieuse les événements qui se sont passés à l’usine et ont exigé son licenciement.

De plus, quelques jours avant la grève, 5000 exemplaires du journal Démocratie ouvrière avaient été confisqués à Moscou. Cette édition contenait des articles sur la situation qui règne dans l’usine et sur la grève qui se préparait ; cette édition avait spécialement été publiée pour être expédiée à Togliatti. Démocratie ouvrière est publié par le parti centriste RRP (Parti révolutionnaire des travailleurs) qui se dit trotskyste. Le ministère des Affaires intérieures de Moscou pour le transport ferroviaire a annoncé qu’il avait confisqué le journal parce qu’il soupçonnait les articles de prôner des vues extrémistes.

Les autorités ont profité de l’incident pour tester les récents changements de la loi leur permettant de classer comme « appel public à entreprendre une activité extrémiste» quasiment toute expression d’insatisfaction, écrite ou orale.

La couverture médiatique de la grève a revêtu un caractère double. Une partie des médias de gauche a décrit les événements en termes relativement objectifs. Les médias pro Kremlin ont attaqué les grévistes avec férocité et, comme on pouvait s’y attendre, les ont accusé d’être trop gourmands et paresseux.

Le journaliste d’Isvestia, Boris Klin, a écrit dans son article du 2 août : « Nombreux sont ceux qui ne veulent "absolument pas bosser mais s’en mettre plein les poches". Un tel rêve ne peut pas se réaliser même s’il est obtenu par des moyens politiques. De plus, de telles tentatives devraient aboutir justement au contraire de ce qu’elles visent. »

Jouant cyniquement sur le fait que la qualité de la Zhiguli est en dessous des normes mondiales, l’auteur continue : « Au contraire, tout ce qui a été gagné par les militants de Togliatti devrait être confisqué et leur salaire devrait être réduit au strict minimum. Il faut leur faire comprendre que leur salaire devrait augmenter non pas parce qu’ils ont envie de tartiner du caviar noir sur du pain blanc, mais uniquement pour une seule raison : que les voitures qui sont produites par l’usine soient de vraies voitures et non pas un "assemblage de boulons". »

Cela vaut la peine de remarquer que Boris Klin écrit dans Isvestia en tant que fervent défenseur de l’Eglise orthodoxe russe. Il lutte pour accroître son autorité politique dans la société, il soutient l’idée d’un enseignement religieux à l’école sur les fondations de la culture orthodoxe, il affirme que les lois gouvernementales ne sont rien moins que l’expression de préceptes divins venus d’en haut et que l’on trouve dans la bible.

Son exemple est une illustration de plus de ce que les justifications pour l’oppression sociale vont inévitablement de pair avec les théories les plus réactionnaires et l’obscurantisme religieux.

Une autre ligne d’attaque contre les grévistes d’AvtoVAZ a consisté à dire qu’ils n’avaient pas agi indépendamment mais sous le contrôle et avec le soutien financier de forces politiques intéressées.

Un représentant du gouverneur de Samara, Konstantin Titov, a déclaré que des partisans du parti « Russie juste », encore un parti pro-Poutine, étaient responsables de cette éruption soudaine d’activité sociale parmi les travailleurs. « Russie juste » est dirigé par un ami du président Poutine et porte-parole du Conseil de la Fédération, Sergei Mironov. Le porte-parole du gouverneur de Samara a suggéré, étant donné que pratiquement tous les cadres de la direction d’AvtoVAZ sont membres de « Russie unie », que le conflit social de l’usine aurait été l’idée de leurs adversaires politiques provenant d’un clan pro-Kremlin concurrent et qui cherchaient à l’exploiter en période pré-électorale.

Les organisateurs de la grève ont nié à maintes reprises de telles suspicions en insistant sur le fait que l’action était l’expression de protestations spontanées des travailleurs, soutenues par le syndicat Unité.

La raison de telles spéculations dans les médias est évidente. Il s’agit de convaincre l’opinion publique qu’il ne peut y avoir d’expression indépendante de la classe ouvrière et qu’aucune alternative politique à la crise sociale n’existe en dehors de celles proposées par les différents partis de l’establishment dirigeant.

La grève des travailleurs d’AvtoVAZ n’est pas un phénomène isolé. Elle s’est produite dans une situation où une vague grandissante de grèves et de protestations, qui avait démarré à l’automne dernier en Russie, s’étend toujours plus et atteint de nouvelles régions et zones du pays. En font également partie les protestations d’octobre dernier des ouvriers du pétrole de la région autonome de Khanty-Mansiisk, la grève en février de cette année à l’usine Ford russe à Vsevolozhsk, près de Saint-Pétersbourg, les protestations en avril des travailleurs de la brasserie Heineken de Saint-Pétersbourg et celle des travailleurs des usines de Mikhailovcement dans la région de Riazan ainsi que bien d’autres actions.

Ces grèves montrent que la période d’apathie et de confusion, qui a perduré 15 ans après la chute de l’Union soviétique, arrive à son terme. Les réalités de la Russie capitaliste ont apporté la dévastation, la pauvreté, l’illégalité, la guerre et la maladie. La classe ouvrière de Russie commence à se rendre compte que, dans le cadre de la situation existante, elle est une source de main-d’œuvre bon marché et un « électorat » manipulé qui doit voter tous les quatre ans de façon soumise pour un ou plusieurs favoris de l’oligarchie et de la bureaucratie de l’Etat.

Une inégalité sociale grandissante et l’accroissement de la « chaîne de commandement » autoritaire créent les conditions pour de nouvelles actions de protestation sociales. Les grèves des mineurs de 1989-1990 n’ont pas été oubliées ; elles ont montré combien la classe ouvrière peut être puissante lorsqu’elle se met en mouvement.

Le cours des événements soulève avec une nouvelle intensité les questions de perspectives politiques. Ce qui a malheureusement fait défaut chez les mineurs et d’autres sections de la classe ouvrière soviétique dans les années de la « perestroïka » c’était une compréhension claire de l’origine de leurs acquis sociaux passés, des fondations de la révolution d’octobre 1917 et, donc par là même de la manière dont on pouvait défendre les acquis sociaux qui découlent de cette révolution.

La grande expérience de la Révolution d’octobre 1917, une fois de plus confirmée en négatif par l’expérience amère faite ces dernières vingt années, montre qu’il est impossible de résoudre une seule des questions fondamentales d’intérêt social et économique de la classe ouvrière (a) sans la construction d’un parti du prolétariat qui soit indépendant et (b) sans un programme révolutionnaire international.

Il est important de comprendre que la continuité politique qui lie notre époque à l’époque de trois révolutions russes passe par la lutte menée par Léon Trotsky et l’Opposition de gauche contre la dégénérescence stalinienne du Parti bolchevique et de l’Etat soviétique dans les années 1920-30 et par la création de la Quatrième Internationale en 1938.

La lutte pour faire entrer cette compréhension dans la conscience de la classe ouvrière russe et pour l’assimilation des principales leçons des luttes internationales du prolétariat au vingtième siècle représente la tâche sur laquelle les travailleurs, les étudiants et les représentants de l’intelligentsia les plus conscients de Russie doivent concentrer leur force.

(Article original paru le 28 août 2007)


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