Suite à des pressions intenses exercées par
les Etats-Unis, une déclaration commune condamnant un usage
« disproportionné » de la force militaire par la Russie et la
« destruction délibérée d’infrastructures civiles » dans le
conflit avec la Géorgie fut publiée mardi à Bruxelles lors d’une réunion
des ministres des Affaires étrangères de l’OTAN.
Dans cette déclaration, les ministres des
Affaires étrangères des 36 Etats-membres réaffirment « les principes
d’indépendance, de souveraineté et d’intégrité territoriale de la
Géorgie », une formule diplomatique rejetant les exigences soutenues par
Moscou d’indépendance des provinces contestées d’Ossétie du Sud et
d’Abkhazie.
Cette déclaration rejette sur Moscou la
responsabilité de la guerre de cinq jours qui a éclaté entre la Géorgie et la
Russie après que le gouvernement géorgien ait attaqué l’Ossétie du Sud le
7 août. Elle déclare « les actions militaires doivent cesser de façon
définitive et les forces militaires doivent regagner les positions
qu’elles occupaient avant le déclenchement des hostilités. » Impliquant
que la Russie avait violé les termes de l’accord de cessez-le-feu négocié
la semaine passée par le président français Nicolas Sarkozy au nom de
l’Union européenne, elle appelle la Russie à « agir immédiatement
pour retirer ses troupes des zones qu’elle est censée
quitter… »
Les Etats-Unis et la Russie sont en désaccord
sur les termes de l’accord de cessez-le-feu. Washington insiste pour que
la Russie rappelle sur son territoire l’ensemble des forces militaires
qu’elle a envoyées en Géorgie après le 7 août. La Russie, se référant à
une disposition lui permettant de prendre des mesures non spécifiées, revendique
le maintien d’une présence militaire renforcée en Ossétie du Sud et le déploiement
de troupes à l’intérieur de la zone tampon qui entoure les provinces
contestées.
Le président russe Dmitri Medvedev a dit mardi
à Sarkozy que le retrait militaire de la Russie serait achevé d’ici les
21-22 août à l’exception de quelque 500 hommes stationné à des postes de
part et d’autre de la frontière de l’Ossétie du Sud.
En réaffirmant le soutien de l’OTAN pour
la Géorgie, la déclaration publiée mardi a annoncé la création d’une
Commission OTAN-Géorgie pour superviser « la reconstruction économique de
la Géorgie », en laissant ouvert la possibilité d’examiner
d’« éventuelles autres demandes d’assistance de la
Géorgie. » La création de cette commission fut rattachée à une déclaration
de soutien publiée en avril dernier pour une éventuelle adhésion de la Géorgie
à l’OTAN, chose à laquelle la Russie s’oppose avec véhémence comme
étant une menace à sa sécurité.
Lors du sommet de l’OTAN, en avril à
Bucarest, les Etats-Unis n’avaient pas réussi à obtenir le soutien de
l’Allemagne, de la France et d’autres puissances européennes majeures
pour leur projet d’adhésion de l’ancienne république soviétique qui
l’aurait permis de rejoindre rapidement l’alliance militaire dominée
par les Etats-Unis. La déclaration publiée mardi précise que l’OTAN
reconsidérerait la demande d’adhésion de la Géorgie lors du prochain
sommet de l’OTAN devant se tenir en décembre.
En ce qui concerne la Russie, la déclaration a
remis en question le Conseil OTAN-Russie qui avait été mis en place en 2002, déclarant
que l’OTAN « ne pouv[ait] pas continuer à agir comme si rien ne
s’était passé » avec Moscou.
Lors de la conférence de presse qui a suivi la
réunion, le secrétaire de l’OTAN, le général Jaap de Hoop Scheffer a
dénoncé ce qu’il appelait « l’occupation » par la Russie
d’« une grande partie de la Géorgie ». A la question de savoir
si l’OTAN envisageait des projets militaires d’aide à la Géorgie,
de Hoop Scheffer a dit, « La réponse est non. Je pense que nous avons mis
en place ce dont nous avons besoin. »
La réunion de l’OTAN a de justesse évité
de prendre des mesures plus punitives suggérées par des responsables
américains, telles la suppression du Conseil OTAN-Russie. Toutefois, la
déclaration publiée par les membres de la réunion était rédigée sur un ton hautement
conflictuel.
Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergeï
Lavrov, a réagi rapidement. Dans une allocution télévisée, il a accusé
l’OTAN d’être « tendancieuse et unilatéraliste » disant
que l’alliance atlantique « tentait de faire d’un agresseur
une victime, de blanchir un régime criminel en essayant de le secourir. »
Dans les jours qui ont précédé la réunion, le
gouvernement Bush a continué d’intensifier sa rhétorique de style Guerre froide
contre la Russie ainsi que les mesures diplomatiques et militaires d’un
caractère extrêmement provocant. Un porte-parole du Pentagone a dit lundi que
l’armée américaine projetait d’accroître sont aide
« humanitaire » à la Géorgie et le New York Times a cité mardi
un « haut fonctionnaire gouvernemental » disant que les Etats-Unis vendraient
aux Géorgiens des armes antimissiles transportables pour se défendre contre les
frappes aériennes russes.
Dans l’avion qui l’emmenait à
Bruxelles, la secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice, a pour la
première fois depuis l’éclatement de la crise en Géorgie, soulevé la
question de vols de bombardiers russes au large de la côte de l’Alaska.
Moscou avait débuté ces vols après que les Etats-Unis et l’Europe eussent
reconnu en février l’indépendance du Kosovo de la Serbie, un allié
traditionnel de la Russie. Rice a qualifié les vols de « jeu très
dangereux. » Elle a ajouté que les Etats-Unis et leurs alliés de
l’OTAN ne permettraient pas à la Russie de « tracer une nouvelle
ligne à travers l’Europe. »
Après la réunion de Bruxelles, Rice se rendra
mercredi à Varsovie où elle signera un accord qui avait été annoncé la semaine
dernière sur le déploiement d’un système antimissile en Pologne. L’accord
représente une provocation de taille contre la Russie et prévoit le déploiement
de batteries antimissile Patriot américaines et le stationnement permanent de
troupes américaines à quelques centaines de kilomètres seulement de la
frontière russe.
En dépit du ton agressif affiché par la
déclaration de l’OTAN il existe des différences significatives entre
d’une part les pays clé de l’Europe occidentale et d’autre
part les Etats-Unis et leur clique de régimes droitiers d’Europe de
l’Est et d’Europe centrale.
Des politiciens européens influents ont mit en
garde contre toute rupture des relations avec la Russie et ont exprimé leur
opposition aux tentatives de l’isoler. Ceux qui sont en faveur du maintien
de bonnes relations de travail avec la Russie dépassent les clivages politiques
traditionnels et incluent des personnalités venant à la fois du camp
conservateur et social-démocrate.
Avant la réunion de Bruxelles, le président du
parlement européen, Hans Gert Pöttering de l’Union chrétienne-démocrate
(CDU) a dit, « Nous devons être prêts à dialoguer… nous ne pouvons
pas nous permettre d’isoler la Russie. »
Le président du Comité des affaires étrangères
du parlement allemand, Ruprecht Polenz (CDU), s’est exprimé contre une
rapide entrée de la Géorgie dans l’OTAN.
L’adversaire le plus éloquent de la
campagne d’isolement de la Russie est l’ancien chancelier allemand
Gerhard Schröder (Parti social-démocrate, SPD). Dans une interview publiée dans
la dernière édition du magazine Der Spiegel, il a dit que les relations
avec la Russie ne devaient pas être mises en danger à cause de la crise géorgienne.
Schröder a catégoriquement rejeté une adhésion
de la Géorgie à l’OTAN dans un proche avenir. Il a dit : « Imaginez
si nous étions forcés d’intervenir militairement pour la Géorgie membre
de l’OTAN, pour un joueur invétéré, car c’est comme tel que [le président
géorgien Mikheil] Saakachvili devrait être qualifié. La Géorgie et
l’Ukraine doivent d’abord résoudre leurs problèmes de politique
intérieure, et ils en sont encore loin. Je vois les chances de la Géorgie
encore plus éloignées compte tenue des récents événements dans le Caucase et
dans ce contexte, j’ai du mal à suivre les promesses plutôt ostentatoires
faites par le secrétaire général de l’OTAN, il y a quelques jours. »
Suite à la réunion de l’OTAN, le
ministre allemand des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier (SPD), a exprimé
l’espoir d’un dialogue renouvelé avec la Russie et a demandé à ce
que le Conseil OTAN-Russie soit convoqué rapidement après le retrait des
troupes russes. « D’après ce que j’ai compris, » a-t-il
dit, « le Conseil OTAN-Russie n’est pas qu’un comité pour
quand les choses vont bien. Il est indispensable lorsque nous nous trouvons en
difficultés. »
Même le ministre des Affaires étrangères
britannique, qui s’était généralement aligné derrière les Etats-Unis, a
exprimé des réserves quant à certaines mesures particulièrement draconiennes soulevées
à Washington. Dans un article du London Times de mardi, David Miliband a
écrit que « l’isolement avait été appliqué dans le passé et
n’a pas fonctionné. Je préconise un engagement pratique. » Il a
ajouté qu’il rejetait l’exclusion de la Russie du groupes des huit
nations industrialisées, comme l’avait proposé le candidat républicain
américain à la Maison Blanche, John McCain.
Il y a une vive inquiétude en Europe de
l’Ouest que la nouvelle confrontation de type Guerre froide entre les
Etats-Unis et la Russie ne divise l’Union européenne. Les gouvernements
d’un certains nombres d’Etats d’Europe de l’Ouest, tels
l’Allemagne, la France et l’Italie sont précipités dans une crise
par le réalignement de la politique étrangère adopté par les Etats-Unis.
Les dirigeants politiques influents de France
et d’Allemagne qui ont fait connaître leur opposition à la politique
étrangère et militaire unilatérale du gouvernement Bush avaient placé des
espoirs dans un changement de ligne après les élections présidentielles en
novembre. Toutefois, en ce qui concerne la question de l’attitude des
Etats-Unis envers la Russie, ils ont été amèrement déçus. Les candidats
présidentiels des Démocrates et des Républicains essaient de se surpasser
l’un l’autre dans leurs déclarations d’hostilité envers
Moscou.
Zbigniew Brzezinski qui fut le conseiller de
sécurité nationale du président Jimmy Carter, figure parmi les critiques les
plus belliqueux de la Russie et est à présent le conseiller clé du candidat
présidentiel démocrate, Barack Obama. Après le déclenchement des hostilités en
Géorgie, Brzezinski a déclaré que l’action entreprise par le premier
ministre russe, Vladimir Poutine, était « tout aussi horrifiante que celle
de Staline et de Hitler dans les années 1930. »
Dans une récente interview, Brzezinski avait
été catégorique et avait réclamé une action punitive contre la Russie.
« Non seulement l’occident, mais le reste de la communauté
internationale, doivent montrer clairement que ce genre de posture entraîne un
ostracisme et des pénalités économiques et financières. Finalement, si la
Russie poursuit dans cette voie, elle sera confrontée à l’isolement dans
la communauté internationale. »
Il poursuivit en disant que des mesures de
représailles devaient aller au-delà de l’exclusion de la Russie du G-8 et
prendre la forme d’un « effort concerté à tous les niveaux, aux
Nations unies, au Conseil Atlantique, dans l’UE et à l’OTAN, en
consultation avec les Japonais, les Chinois et autres… »
Dans son livre, « Le grand échiquier et
le reste du monde » (The Grand Chessboard), Brzezinski défend
l’éclatement de la Russie en « une Russie européenne, une république
de Sibérie et une république d’Extrême-Orient » qui, dit-il, ferait
que le pays aurait moins de « visées impérialistes. »
Hauke Ritz, un analyste allemand en vue de la
politique étrangère, a récemment publié un article affirmant que l’échec
de la poussée américaine en Eurasie du Sud (Irak et Afghanistan) a signifié que
l’expansion de l’OTAN à l’Europe de l’Est jouit
d’une certaine priorité. Il a écrit : « Cela signifie cependant
une incursion massive dans la sphère d’influence de la Russie…
après l’Iran, la Russie se trouve à présent dans la ligne de mire de la
géopolitique américaine. »
Le fait qu’il règne au sein des milieux
politiques américains un consensus sur un cours de la confrontation avec la
Russie intensifie le grand dilemme de l’Europe. N’étant pas en mesure
de risquer un conflit militaire avec les Etats-Unis, les puissances européennes
risquent d’être réduites au statut de pions avec l’intervention de
plus en plus irresponsable des Etats-Unis en Europe de l’Est et en
Russie.