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WSWS : Nouvelles et analyses : Asie

Après une victoire écrasante aux élections, les maoïstes népalais rassurent les investisseurs et les grandes puissances

Par K. Ratnayake et Peter Symonds
22 avril 2008

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Un raz-de-marée électoral inattendu en faveur du Parti communiste du Népal – maoïste (CPN-M) aux élections à l'Assemblée constituante du 10 avril met en évidence la profondeur de la crise sociale du pays et l'ampleur de l'hostilité populaire, non seulement envers la monarchie, mais envers tout le spectre des partis de l'establishment.

Les résultats complets du processus électoral complexe ne seront probablement pas connus avant des semaines, mais les maoïstes ont obtenu une franche majorité des 240 sièges attribués au scrutin par circonscriptions. Sur les 218 sièges déjà attribués, le CPN-M en a 116 contre 34 pour son rival le plus proche, le Congrès népalais, et 31 pour le Parti communiste du Népal – marxiste-léniniste unifié (NCP-UML). Le parti ethnique du Forum des droits du peuple Madhesi a obtenu 24 sièges.

335 autres sièges seront attribués par un scrutin proportionnel, avec des quotas pour garantir la représentation des femmes, des basses castes et des minorités ethniques. Le vote pour les maoïstes se monte dans l'ensemble à près de 33 pour cent, ce qui garantit au CPN-M d'être de loin le plus grand parti dans l'Assemblée constituante composée de 601 sièges, mais lui donne peu de chances de détenir la majorité absolue. Les 26 sièges restants seront pourvus par le gouvernement d'intérim, que le CPN-M dominera.

La décision d'établir une Assemblée constituante, qui rédigera une nouvelle constitution et qui nommera un gouvernement d'intérim, est la conséquence d'une crise politique prolongée. En avril 2006, des manifestations politiques répétées contre la monarchie absolutiste ont finalement poussé le Roi Gyanendra à abdiquer et à remettre le pouvoir à une alliance composée de sept partis et menée par le Congrès népalais et le NCP-UML. En novembre 2006, les maoïstes ont conclu un marché avec le gouvernement pour mettre fin à leur insurrection armée qui durait depuis 12 ans, entrer au gouvernement et participer aux élections à l'Assemblée constituante.

Les résultats du scrutin de la semaine dernière ont surpris les observateurs, les commentateurs politiques et les diplomates. Parmi les plus surpris par l'ampleur de la victoire on compte les maoïstes eux-mêmes.Les élections avaient été reportées par deux fois après que le CPN-M ait menacé de se retirer si des exigences capitales n'étaient pas respectées. Craignant de ne pas emporter les sièges attribués au scrutin majoritaire, les maoïstes avaient exigé qu'il y ait un plus grand nombre de sièges attribués au scrutin proportionnel, mais, à la fin, ils avaient été contraints d'accepter un compromis. En fin de compte, le CPN-M a emporté haut la main les sièges au scrutin majoritaire, non seulement dans leurs bastions ruraux, mais aussi à Katmandou et dans d'autres parties du pays.

L'hostilité envers la monarchie a clairement été un facteur déterminant du résultat. La profondeur de l'opposition avait été mise en évidence en avril 2006 lorsque des dizaines de milliers de manifestants avaient défié les forces de sécurité jour après jour pour exiger que le roi abdique. Même si Gyanendra était l'objet d'une haine toute particulière en raison de ses méthodes de gouvernement autocratiques et de son mode de vie privilégié, il ne fait aucun doute que beaucoup de gens étaient arrivés à la conclusion que tout le système de monarchie absolue devait disparaître. Aucun des partis monarchistes n'a obtenu pour l'instant de siège au scrutin majoritaire.

Les maoïstes ont été le parti le plus insistant dans leur exigence d'abolition de la monarchie, obligeant l'assemblée sortante à adopter une motion pour établir une république avant les élections. Un vote de l'Assemblée constituante à venir suffira à confirmer la motion, qui sera décidée sans amendement. Le chef du CPN-M, Pushpa Kamal Dahal, plus largement appelé Prachanda, a donné un ultimatum à Gyanendra, qui doit abdiquer avant un mois et devenir un citoyen privé, ou sinon subir les conséquences.

Aux yeux des électeurs, les partis politiques établis, en particulier le Congrès népalais et le parti gauchiste NCP-UML, sont ternis par la corruption, des années de soumission politique au roi et leur incapacité à résoudre la grave crise sociale du pays. Des manifestations massives dans les années 1990 avaient forcé le précédent roi Birendra à accorder des pouvoirs constitutionnels limités à un parlement, mais, en dernier ressort, le pouvoir restait entre les mains de la monarchie, soutenue par l'armée.

Le Congrès népalais comme le NCP-UML ont été décimés aux élections de la semaine dernière. Le précédent Premier ministre en intérim et dirigeant du Congrès népalais, N.G. Koirala a conservé son siège, mais cela n’a pas été le cas de dirigeants importants du parti, parmi lesquels la sœur de Koirala et précédent ministre de l'Intérieur, Krishna Prasad Situala. Le dirigeant du NCP-UML, Madhav Kumar Népal, a perdu son siège et démissionné de son poste. Le parti a annoncé son intention de se retirer de la coalition des sept partis.

Plus fondamentalement, l'opposition à l'ensemble de l'establishment politique népalais traduit une crise sociale bien établie ainsi que l'absence de droits démocratiques fondamentaux. 31 pour cent de la population, qui compte près de 30 millions d'habitants, vivent en dessous du seuil de pauvreté officiel. Le revenu moyen par habitant n'est que de 280 dollars américains – le douzième plus bas du monde. L'illettrisme est très répandu. La majorité de la population vit en zone rurale et manque des services de base, dont l'eau potable, les égouts, l'éducation et les services médicaux.

La flambée des cours mondiaux des denrées alimentaires a exacerbé les souffrances des plus pauvres. Le prix de l'huile de cuisson a augmenté de 50 pour cent en seulement trois mois. Le prix du riz, de la viande et des légumes secs ont augmenté de façon significative. D'après une estimation, les quatre millions de « très pauvres » du Népal dépensent ordinairement 75 pour cent de leurs revenus en nourriture. L'investissement dans le secteur agricole du pays est en baisse. Un rapport de la Banque du développement asiatique publié le 2 avril prévoit une croissance annuelle de seulement 3,8 pour cent, ce qui est largement en dessous d'autres pays de la région, et un taux d'inflation de 7 pour cent.

Un programme capitaliste

De nombreux électeurs ont soutenu les maoïstes dans l'espoir qu'ils apporteront une nouvelle ère de gouvernement démocratique, de paix et de prospérité. Cependant, ces illusions auront tôt fait de voler en éclats. Les maoïstes ont promis tout et à tout le monde, mais au centre de leur programme figure un engagement à conserver le capitalisme. Pour toute personne familière avec la théorie stalinienne des deux étapes, la déclaration des dirigeants maoïstes n'est pas surprenante. Le CPN-M fonde sa « révolution paysanne bourgeoise » sur les couches rurales les plus pauvres, pas sur la classe ouvrière. L'objectif affirmé de la « première étape » est de faire disparaître les restes du féodalisme – dont la monarchie et le système des castes – et non d'abolir le capitalisme. Le socialisme est relégué à un avenir lointain.

Ayant gagné les élections, Prachanda et Baburam Bhattarai, autre vieille célébrité maoïste, se sont empressés de confirmer aux dirigeants d'entreprises, aux investisseurs étrangers et aux grandes puissances, que leurs intérêts seront protégés. « Dans ce 21e siècle, nous avons besoin de la coopération de tout le monde pour le développement, a déclaré Prachanda dimanche. Nous voulons avoir de bonnes relations avec nos voisins, l'Inde et la Chine, et les autres membres de la communauté internationale. » Il s'est engagé à travailler avec « tous les partis » pour écrire une nouvelle constitution.

Dans un entretien accordé au Nepal Times, Bhattarai a expliqué que : « Quand nous disons que nous voulons mettre fin au féodalisme, nous ne voulons pas dire que nous voulons mettre fin à la propriété privée. Notre développement économique est ce que nous appelons [une] révolution démocratique bourgeoise, en d'autres termes, la collectivisation, la socialisation et les nationalisations ne sont pas dans nos projets actuels… Nous voudrions rassurer tout le monde qu'une fois les maoïstes arrivés [au pouvoir] le climat sera encore plus favorable aux investissements. Il ne devrait y avoir aucun malentendu inutile là-dessus. »

Prachanda et Bhattarai ont rencontré la Fédération des chambres du commerce et de l'industrie du Népal pendant deux heures mercredi pour y faire passer le même message. Prachanda a déclaré aux dirigeants d'entreprises : « En dix ans, faisons un miracle pour la révolution économique et étonnons le monde entier. Nous allons autoriser les investissements privés et aussi encourager les investissements étrangers. Ne perdez pas confiance, nous n'allons pas nous emparer des industries, mais nous avons besoin de votre coopération pour obtenir la prospérité économique. »

Selon le site Internet DNAIndia : « La négociation a commencé difficilement, les hommes d'affaires se plaignaient des atrocités commises par les maoïstes, mais elle s'est terminée par un discours étonnamment "capitaliste" de Prachanda qui a reçu les applaudissements répétés de l'assistance... Après que plusieurs hommes d'affaires aient soulevé des griefs et des inquiétudes, Prachanda a déclaré "Nous sommes des maoïstes du 21e siècle." Promettant de s'attaquer à la corruption, il a déclaré : "Il faut une main forte pour construire une nation forte." »

Prachanda et Bhattarai ont présenté la Malaisie et la Corée du Sud comme des exemples de la manière dont ils veulent encourager les investissements étrangers. Interrogé sur la Chine, Bhattarai a glorifié l'élimination du « système féodal » par Mao qui a « établi des bases solides pour la croissance économique... Une fois que nous aurons restructuré l'Etat et fait participer le secteur privé, il sera possible de réaliser une croissance économique rapide. »

Ces remarques rendent parfaitement clair le fait que le CPN-M n'a rien à voir avec le socialisme, et qu'il ne représente pas les intérêts des ouvriers ou des populations rurales. Son programme exprime plutôt les frustrations de certaines couches des milieux d'affaires népalais devant l'incapacité de la monarchie à mettre en place une politique libérale et à ouvrir le pays aux investissements étrangers.

Loin de résoudre la crise sociale qui frappe la majorité de la population, de telles mesures économiques ne feront qu'élargir la fracture sociale entre riches et pauvres. Comme dans le cas de la Chine, inévitablement, la « main forte» de Prachanda ne sera pas dirigée contre quelques responsables corrompus, mais contre les ouvriers et les populations rurales qui demandent des droits démocratiques et des conditions de vie décentes.

Menaces de déstabilisation

La question de savoir combien de temps durera un gouvernement à majorité maoïste, voire même celle de savoir s'il sera formé, reste en suspens. Ayant mené une guerre sans merci pour venir à bout de la rébellion paysanne pendant 12 ans, le roi et l'armée sont profondément hostiles aux maoïstes. Étant donné l'opposition très répandue à la monarchie, toute tentative de mettre un terme à l'Assemblée constituante et d'imposer un pouvoir militaire semble peu probable dans l’immédiat. Mais de telles méthodes ont été utilisées à plusieurs reprises par le passé et cette éventualité ne peut en être exclue.

L'armée est farouchement opposée aux exigences des maoïstes d'intégrer leurs ex‑guérilleros dans l'armée régulière. Actuellement, environ 30 000 anciens combattants du CPN-M sont logés dans des cantonnements sous le contrôle de l'ONU, dans des conditions difficiles – cela représente un problème potentiellement explosif pour la direction maoïste. Tout en acceptant formellement le mandat du peuple, le porte-parole de l'armée, Ramindra Chhetri a affirmé : « Ils [les combattants] ne peuvent pas être intégrés dans l'armée sur le champ. Ils doivent être désarmés, démobilisés, réhabilités et réintégrés [dans la société] ».

L'administration Bush avait classé le CPN-M comme une organisation « terroriste » et soutenu la guerre de l'armée népalaise contre les maoïstes, en lui fournissant des armes et de l'entraînement. Washington n'a retiré son soutien au roi qu'au dernier moment en avril 2006 et a maintenu le CPN-M sur sa liste de terroristes même après que le parti ait rejoint le gouvernement d'intérim à la fin 2006. Tout en accueillant favorablement l'élection, les États-Unis n'ont toujours fait aucune déclaration sur la formation d'un gouvernement dirigé par les maoïstes.

Les machinations de l'administration Bush contre le parti islamiste du Hamas, après que ce dernier ait gagné les élections de 2006 pour l'Autorité palestinienne, constituent un avertissement clair : la Maison-Blanche est tout à fait capable de monter une campagne de déstabilisation contre les maoïstes népalais. Les médias américains indiquent déjà qu'ils considèrent l'élection comme illégitime. Un article dans le Wall Street journal de lundi se focalisait sur les violences des maoïstes lors de l'élection, alors que les observateurs internationaux décrivaient le scrutin comme « libre et régulier » dans l'ensemble, et invoquait l'argument assez bizarre selon lequel les gens avaient voté pour le CPN-M pour empêcher la guérilla de reprendre la guerre.

Le Népal est stratégiquement situé entre l'Inde et la Chine et proche de l'Asie Centrale aux importantes réserves énergétiques. Le soutien de l'administration Bush à la guerre contre les maoïstes visait à accroître la présence américaine dans le petit pays himalayen dans le cadre d'une stratégie plus large d'encerclement de son rival, la Chine. Tout renforcement de l'influence de Pékin au Népal incitera Washington à affaiblir les maoïstes. En même temps, le CPN-M cherche un rapprochement. Prachanda a saisi l'occasion, le week-end dernier, de la présence dans le pays de l'ancien président américain Jimmy Carter venu observer le scrutin, pour avoir un long entretien avec lui.

La politique de la Chine envers le Népal a été complètement pragmatique. Loin de soutenir l'insurrection maoïste, Pékin a dénoncé les rebelles et fourni des armes à l'armée népalaise. Comme les autres pays, la Chine devra ajuster son approche suite aux résultats surprenants de l'élection. Time magazine remarquait justement que : « la Chine est en train de consolider ses intérêts dans leur région stratégique de l'Himalaya à la frontière du Tibet qui s’agite. Les entreprises chinoises cherchent ardemment à passer des contrats juteux pour utiliser les rivières glaciaires du Népal pour produire de l'hydroélectricité, tandis que les représentants officiels caressent les maoïstes dans le sens du poil à Katmandou. »

L'autre grande puissance régionale est l'Inde, qui a longtemps considéré le Népal comme faisant partie de sa sphère d'influence. L'une des grandes lignes de la propagande maoïste au Népal a toujours été dirigée contre l'Inde « expansionniste ». Le CPN-M a promis par le passé d'annuler le traité indo-népalais de 1950 qui accorde la liberté du commerce et de circulation des personnes entre les deux pays. Certaines sections de l'élite dirigeante népalaise considèrent depuis longtemps ce traité comme un levier permettant à New Delhi d'exercer son influence politique et économique. Sans accès à la mer, le Népal n'a que peu de choix pour le commerce et les transports.

Le gouvernement indien a joué un rôle majeur dans l'établissement de l'accord entre l'alliance des sept partis et les maoïstes, mais il ne s'attendait absolument pas à ce que le résultat soit un gouvernement dominé par le CPN-M. New Delhi voulait la fin de l'insurrection au Népal en partie pour contrer les mouvements de guérilla maoïste dans de larges portions de l'Inde. L'Inde sera très sensible à toute augmentation de l'influence de ses rivaux, le Pakistan et la Chine, à Katmandou, ainsi qu'à tout ce qui pourrait encourager les troubles dans les campagnes indiennes.

Prachanda a été prompt à essayer d'apaiser les craintes indiennes. Mercredi, le dirigeant maoïste a réaffirmé que le Népal a une « relation spéciale » avec l'Inde pour des raisons géographiques, culturelles et historiques. Il a révélé qu'il avait déjà eu « de longues et sérieuses discussions avec les représentants de New Delhi » mardi. Lors d'une conversation téléphonique, le ministre des Affaires étrangères indien, Pranab Mukherjee a invité Prachanda à visiter New Delhi.

Derrière l'échange de civilités diplomatiques, les tensions perdurent. Prachanda a prévenu résolument que : « si l'approvisionnement en biens de consommation et autres fournitures essentielles est affecté à cette période cruciale, cela aura un effet durable sur les relations entre l'Inde et le Népal. » Ce commentaire fait référence à 1988, quand l'Inde avait imposé un blocus commercial sur le Népal après que son gouvernement ait tenté d'acheter des armes à la Chine – une décision qui avait eu un effet dévastateur sur l'économie népalaise et qui avait entraîné une inflation galopante.

Les résultats de l'élection de la semaine dernière vont certainement transformer Katmandou en un repère d'intrigues diplomatiques qui ne fera qu'ajouter à l'instabilité politique et sociale du pays.

(Article original anglais paru le 18 avril 2008)


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