Le président français Nicolas Sarkozy a accordé un entretien
télévisé de 100 minutes sur les chaînes nationales le 24 avril, qui a couvert
un grand éventail de sujets de politique intérieure et étrangère.
Dans un entretien ostensiblement conçu pour consolider le
soutien fléchissant du public pour son gouvernement, Sarkozy a cherché à
apaiser les inquiétudes de l’élite dirigeante française confrontée à des
nouvelles économiques négatives et à l’opposition grandissante de la
classe ouvrière. Il a cherché à rassurer le patronat en affirmant qu’il
poursuivrait résolument son programme de « réformes » économiques qui
prend pour cible les prestations sociales et les conditions de vie et de
travail des travailleurs, et qu’une collaboration étroite avec les
syndicats lui permettrait de mener à terme les attaques désirées.
La cote de popularité de Sarkozy ne s’est pas remise de
la première vague de grèves majeures contre ses coupes claires dans les acquis
sociaux, les grèves des cheminots, gaziers et électriciens d’octobre et
novembre 2007 pour la défense de leurs régimes spéciaux de retraite. Déjà écoeuréspar le message pro- patronal de son slogan de campagne, « travailler
plus pour gagner plus » et un taux de chômage qui reste élevé, combiné à
une inflation des prix galopante, les travailleurs ont été indignés par l’étalage
de son style de vie luxueux et son mariage avec l’ancienne top-modèle
italienne Carla Bruni.
Les excentricités personnelles de Sarkozy ont largement été
vues comme une provocation dans une situation de croissance économique ralentie
du fait de la crise américaine des subprimes.
Cette année a vu une augmentation inhabituelle des mouvements
de grève dans le secteur privé, les travailleurs exigeant des hausses de
salaire pour contrecarrer les effets de l’inflation. Les grèves ont
touché la grande distribution tels les magasins Carrefour et Virgin Megastore,
Coca-Cola, les principaux ports français et les restaurants dont le personnel
est composé d’immigrés sans-papiers.
Les lycéens sont en grève depuis des semaines contre la
suppression annoncée de postes d’enseignants et un mot d’ordre de
grève est lancé pour les travailleurs du secteur public le 15 mai prochain.
Malgré la défaite des grèves du secteur public et des cheminots en 2007, du
fait de la trahison de la bureaucratie syndicale, plus d’un million de
ces travailleurs avaient participé à des manifestations à la fin du mois de janvier.
La cote de popularité de Sarkozy dans les sondages, qui était
tombée à moins de 40 pour cent le mois dernier, a encore récemment baissé.
Selon un sondage Ifop publié dans Paris Match, 72 pour cent des
personnes interrogées désapprouvent la politique de Sarkozy, 65 pour cent
disent qu’il n’a pas réussi à tenir ses promesses de campagne et 53
pour cent disent que ses mesures ont un effet négatif sur leur pouvoir
d’achat. Commentant ce sondage, Le Monde fait remarquer que de
tous les présidents de la cinquantenaire Cinquième République, Sarkozy est le
plus impopulaire après une année passée à l’Elysée.
Les cercles politiques bourgeois s’inquiètent
qu’avec la montée des tensions de classes et les annonces par Sarkozy de
coupes claires dans les acquis sociaux, la situation politique échappe à tout
contrôle. Le 17 avril, l’ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin a
appelé à un ralentissement des réformes et demandé à Sarkozy une « hiérarchisation
des réformes » afin que la population comprenne mieux ses objectifs.
L’actuel premier ministre François Fillon a dit qu’il attendait
« une feuille de route pour les prochaines semaines et les prochains mois,
qui donne le cap des réformes qui doivent être conduites. »
L’interview de Sarkozy le 24 avril a commencé par ces inquiétudes.
Reconnaissant ouvertement l’impopularité de ses réformes, Sarkozy a dit,
« mon souci n’est pas tant de commenter telle ou telle étude, même
si je la prends en compte ».
Lançant une pique à Raffarin dont le gouvernement avait
abandonné des projets de coupes budgétaires dans les hôpitaux et la sécurité
sociale en 2003, après avoir été déstabilisé par l’opposition à ses
attaques sur les retraites et sa manière de gérer la canicule de l’été
2003, Sarkozy s’est opposé à tout ralentissement ou explication plus
poussée des réformes. Il a dit, « Ça fait des années que les gouvernements
successifs hiérarchisent les réformes, et à l’arrivée ne font rien ou
presque…J'ai lancé 55 réformes parce que nous sommes dans une société
complexe, et chaque réforme tient l'autre. »
Il a déclaré toujours soutenir toute une série de mesures
droitières et de coupes claires dans les acquis sociaux. Il a appelé à
l’allongement à 41 annuités de la période de cotisation pour la retraite,
mesure qui sera discutée avec les syndicats lors d’une réunion avec le
ministre du Travail, Xavier Bertrand le 28 avril. Il a réitéré son soutien à la
franchise médicale, ainsi qu’à une loi réduisant de façon draconienne les
allocations chômage pour les travailleurs qui refuseraient deux propositions
d’emploi, sans que soient pris en compte la distance par rapport au
domicile, le salaire ou les conditions de travail.
Il a carrément déclaré qu’il ne reviendrait pas sur les
suppressions de postes dans l’Education nationale, ou sur son opposition
à la demande des sans-papiers d’une régularisation générale de leur
situation.
Quand on lui a demandé pourquoi la « relance
économique » qu’il avait promise lors de sa campagne électorale ne
s’était pas matérialisée, Sarkozy a cité quatre facteurs économiques
internationaux : le prix du pétrole qui a été multiplié par deux, la crise
américaine des subprimes, l’augmentation de la valeur de l’euro par
rapport au dollar et les augmentations massives des prix de l’alimentaire
et des matières premières. Ces facteurs, a-t-il dit, ne dépendaient pas de lui
et il a conclu que la seule réponse possible était d’accélérer le rythme
des attaques sur les acquis sociaux.
Sarkozy a tenté d’expliquer la crise économique en
dénonçant de façon démagogique le « capitalisme financier » qui « marche
sur la tête. » De telles paroles sonnent particulièrement faux dans la
bouche d’un homme qui entretient des liens étroits avec les plus grands
financiers français comme Arnaud Lagardère et Vincent Bolloré. Sarkozy avait
emprunté le jet privé de ce dernier, un financier milliardaire, pour emmener Carla
Bruni en vacances de Noël à Louxor en Egypte.
Sarkozy a dit qu’il n’était pas sûr de croire la
version de la Société générale selon laquelle les pertes de plusieurs milliards
d’euros annoncées en janvier dernier étaient uniquement la conséquence
des opérations d’un trader individuel en bas de l’échelle
hiérarchique. Il n’a pas dit pourquoi on gouvernement, y compris Fillon, avait
soutenu à l’époque la version de la Société générale.
Le reste de l’interview a consisté en grande partie pour
Sarkozy à se présenter avec hypocrisie comme un démocrate qui se soucie des
petites gens. Il a promis qu’il mettrait en place le programme du Revenu
de solidarité active (RSA) qui incite les travailleurs au chômage à accepter
des emplois extrêmement mal rémunérés et compense financièrement la perte de
revenus subie par les travailleurs lorsqu’ils prennent un emploi et
perdent l’allocation chômage. Néanmoins, reconnaissant que ce programme
était coûteux, il a fait remarquer qu’il ne serait pas mis en place avant
2009.
Sur la question de politique étrangère, Sarkozy a de nouveau
cherché à se présenter en démocrate. Il a largement passé sous silence deux
aspects essentiels de sa politique étrangère, à savoir sa négociation avec les
pays du tiers-monde pour obtenir des contrats pour les entreprises françaises
d’énergie, d’infrastructure des transports et d’armementet
son alignement avec l’administration Bush.
Faisant référence aux récentes manifestations et émeutes au
Tibet juste avant les Jeux olympiques de cette année qui se tiennent à Pékin,
il a reconnu que le Tibet « fait partie de la Chine », mais a déclaré
qu’il avait été « choqué par ce qui s’est passé » au
Tibet. Il a promis de continuer à œuvrer pour la libération d’Ingrid
Betancourt, ressortissante franco-colombienne actuellement otage des guérillas rebelles
du FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie.) Il a réitéré sa politique
d’envoi de soldats français en Afghanistan pour renforcer l’occupation
américaine, au motif que les taliban sont contre les « valeurs
françaises ».
Cette tromperiepseudo-démocratique est démasquée par
la tentative de Sarkozy de réhabiliter le colonialisme français. L’année
dernière, alors qu’il avançait les projets d’une Union méditerranéenne,
Sarkozy avait dit que les relations entre la France et son ancienne colonie,
l’Algérie, avaient toujours été « une histoire d’amour ».
Il est aussi devenu le premier président de la Cinquième
République à accueillir à l’Elysée le dirigeant néo-fasciste Jean-Marie
Le Pen, qui, en qualité de lieutenant des parachutistes, avait contribué à la
torture de prisonniers à Alger durant la guerre d’indépendance de
l’Algérie.
La gaucherie de Sarkozy à essayer de se présenter en démocrate
devant les masses et le caractère purement symbolique des concessions
économiques qu’il propose aux travailleurs, soulignent que son objectif principal
est de consolider le soutien de la bourgeoisie à son gouvernement. En ce qui
concerne la classe ouvrière, comme il l’a brièvement, mais clairement
indiqué dans l’interview, son but est de faire cesser toute opposition grâce
à sa collaboration avec la bureaucratie syndicale.
Lorsque s’achevait le volet de l’interview
consacré aux questions économiques, Sarkozy a dit, « Je veux rendre
hommage aux syndicats: la démocratie sociale est en train de bouger de façon
exceptionnelle, on n'avait jamais vu cela depuis la Libération [...] on ne peut
pas gouverner un pays sans de forces syndicales responsables. »
Cette remarque de Sarkozy était soigneusement formulée, mais elle
était très claire. Les syndicats sont en train de reprendre le rôle
qu’ils avaient à la fin de la guerre, quand en collaboration avec les
forces armées américaines et le Parti communiste français stalinien, ils supervisaient
un accord de non recours à la grève, dont le but était d’empêcher les
conseils d’usines et les unités de résistance des ouvriers, qui
s’étaient formés pendant la Libération, d’entreprendre la lutte
pour le pouvoir. Le slogan des staliniens à l’époque était « La
grève c’est l’arme des trusts. »
Les syndicats, notamment la CGT (Confédération générale du
travail) dominée par les staliniens, ont fait l’an dernier la démonstration
au gouvernement que celui-ci pouvait compter sur eux lorsqu’ils ont complètement
étouffé la grève des cheminots en octobre 2007, puis se sont opposés à toute
lutte politique contre les « réformes » du gouvernement durant les
grèves de novembre.
Avec l’effondrement de sa cote de popularité et
l’éruption de davantage de grèves contre sa politique, Sarkozy compte sur
la collaboration étroite et assidue des syndicats pour contenirpolitiquement
la classe ouvrière.
Sarkozy l’a reconnu lui-même dans un éditorial du Monde
daté du 18 avril et intitulé « Pour des syndicats forts. » Il avait
écrit : « Le dialogue social n'a jamais été aussi dense ni aussi
constructif en France qu'au cours des derniers mois. Juste après l'élection
présidentielle et avant même de rejoindre l'Elysée, j'ai tenu à recevoir les
organisations syndicales et patronales pour les écouter et recueillir leurs
positions sur les premières actions que je comptais entreprendre. Depuis, je
continue à recevoir très régulièrement chacun de leurs représentants. Je les
connais bien, nous avons parfois des divergences, mais notre dialogue est
toujours franc…
« Je pense enfin à la réforme des régimes spéciaux de
retraite, qui a pu être menée à bien à l'automne grâce à une intense période de
concertation au niveau national et des négociations dans chacune des
entreprises concernées. »