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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Le président français propose une « réforme » répressive des services de santé mentale

Par Jacques Valentin
23 décembre 2008

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Le discours tenu le 2 décembre par le président français Nicolas Sarkozy lors d’une visite au centre hospitalier Erasme d’Antony, spécialisé en santé mentale, a provoqué la consternation parmi les spécialistes de la santé mentale et de la psychiatrie. La Ligue des droits de l'homme a publié un appel s’opposant aux projets présidentiels.

Le discours indique une tentative du président de s’emparer d’un fait divers tragique mais isolé pour étendre son agenda répressif invoquant « la loi et l’ordre ».

Dans son discours à l’hôpital, situé à Antony près de Paris, le président français a fait des propositions qu’il a liées à la mort tragique d’un étudiant poignardé à Grenoble le mois dernier par un malade mental qui avait fugué de l’hôpital de Saint-Egrève. Le patient bénéficiait de sorties dans le parc de l’établissement, dans le cadre de son traitement. En septembre, du fait de l’évolution favorable de son état mental, il était passé à deux sorties hebdomadaires.

Sarkozy a remis en question le travail de réinsertion de l’hôpital « Voilà une personne — le futur meurtrier — qui avait déjà commis plusieurs agressions très graves dans les murs et hors les murs ! Voilà une personne éminemment dangereuse qui bénéficiait pourtant de deux sorties d’essai par semaine ! Et j’entends dire que rien n’indiquait que cette personne pouvait à nouveau passer à l’acte, que rien n’avait été fait pour renforcer sa surveillance ? »

Il a poursuivi « Les malades potentiellement dangereux doivent être soumis à une surveillance particulière afin d’empêcher un éventuel passage à l’acte. Et vous savez fort bien que des patients dont l’état s’est stabilisé pendant un certain temps peuvent devenir soudainement dangereux. »

Selon les agences de presse, dès le lendemain du meurtre de Grenoble, Sarkozy avait réuni la ministre de la Santé Roselyne Bachelot, celle de la Justice Rachida Dati et la ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie,  afin d’« examiner toutes les mesures nécessaires pour éviter qu'un tel drame se reproduise ». Il est aussi prévu de lancer une réforme de l'hospitalisation psychiatrique.

Selon un communiqué publié par la présidence, la réforme viserait à « mieux encadrer les sorties des établissements » et à « améliorer la surveillance des patients susceptibles de représenter un danger pour autrui, dans le cadre notamment de la création d'un fichier national des hospitalisations d'office ». Le communiqué ajoutait que la réforme viserait à « clarifier le partage des compétences administratives dans le pilotage de ces dossiers ».

Quatre jours après la mort de l’étudiant, le directeur de l'hôpital psychiatrique où le malade était soigné, Michel Gellion, a été suspendu de ses fonctions suite à une décision prise sur la recommandation de la ministre de la Santé, sans attendre les conclusions du rapport demandé à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Cette suspension a entraîné de vigoureuses protestations dans le monde des professionnels de la santé.

Jean-Louis Bonnet, le directeur de l'Agence régionale d'hospitalisation, a indiqué au Figaro que « La décision a été prise par le Centre national de gestion, une structure gérant la direction des hôpitaux au nom de la ministre de la Santé. » Il a aussitôt désigné un directeur intérimaire. Libération rapporte que le préfet local — « coupable » d’avoir autorisé les sorties du malade mental — a également été remercié.

On retrouve dans ces propositions présidentielles certaines de celles qui figuraient dans le projet de loi sur la délinquance préparée par l’actuel président alors qu’il était encore ministre de l’Intérieur, comme la création d’un fichier national des hospitalisations d'office. Ce volet santé mentale de la loi avait été finalement retiré du vote en 2007, compte tenu des protestations des professionnels de la psychiatrie et de diverses associations. (Lire France : Le projet de loi sur la délinquance, un pas en avant vers le totalitarisme)

Mais le discours d’Antony va encore plus loin dans les visées répressives. Le président veut faire « réaliser un plan de sécurisation des hôpitaux psychiatriques », les investissements prévus « serviront à mieux contrôler les entrées et les sorties des établissements et à prévenir les fugues ».

Il a déclaré, « Quand un patient hospitalisé d’office sort du périmètre autorisé par son médecin, l’équipe soignante doit en être immédiatement informée. Certains patients hospitalisés sans leur consentement seront équipés d’un dispositif de géo-localisation qui… déclenche automatiquement une alerte ». Sarkozy a ajouté qu’« au moins une unité fermée va être installée dans chaque établissement qui le nécessite. Ces unités seront équipées de portes et de systèmes de vidéosurveillance pour que les allées et venues y soient contrôlées ».

Il a appelé à la création de 200 chambres d’isolement de haute sécurité « destinées aux patients qui peuvent avoir des accès de violence envers le personnel ». Il est allé plus loin en annonçant que « Nous allons d’abord instaurer une obligation de soins en milieu psychiatrique. 80 pour cent de vos patients sont pris en charge en ville. De même qu’il existe l’hospitalisation sans consentement, il faut qu’il y ait des soins ambulatoires sans consentement. C’est l’intérêt même du patient et de sa famille… On ne peut pas laisser seul un patient qui a un besoin manifeste de soins et qui peut, parfois, refuser de s’y soumettre. »

On ignore encore quelle étendue le président veut donner à cette obligation de soin, mais la formulation retenue est très étendue et pourrait concerner potentiellement tous les malades suivis en psychiatrie. Cette obligation constituerait une régression dramatique dans le domaine du droit des patients et des libertés publiques en général. L'éthique médicale reconnue met aussi en avant l’importance d’obtenir chaque fois que c’est possible le consentement au soin des malades.

Les propositions de Sarkozy rendraient plus difficiles les modalités de sortie provisoires ou définitives des malades hospitalisés d’office et transfèreraient pour l’essentiel de telles autorisations au préfet, le corps médical jouant un rôle seulement consultatif. Si ce plan voyait le jour, les internements arbitraires pourraient donc de se multiplier, sans limitation de durée.

Les hôpitaux psychiatriques ressembleraient de plus en plus à des prisons, alors que les ressources déjà insuffisantes, en particulier dans le champ de la psychiatrie de secteur qui assure les soins des malades à l’extérieur de l’hôpital, seraient détournées de la prévention et du suivi vers la sécurité.

Patrick Chaltiel, un médecin et spécialiste des violences en milieu psychiatrique, a dirigé un Observatoire des violences à Ville-Évrard, l'un des plus grands hôpitaux psychiatriques de France. Il explique que « Le problème des personnes souffrant de troubles psychiques, c'est davantage leur vulnérabilité que leur violence… À l'extérieur de l'hôpital, les malades sont 17 fois plus victimes d'agressions que la population générale, alors que leur violence à eux n'est pas supérieure à celle de la population générale. »

De même, le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, vice-président de la ligue de santé mentale, a déclaré lors d'une interview sur la radio France Info, « Statistiquement, les permissions de sortie accordées dans les hôpitaux psychiatriques sont extrêmement fiables, il y a très, très peu d'accidents. Bien sûr quand il y a un accident c'est tragique, c'est spectaculaire, on en parle beaucoup, mais si on empêchait les gens de sortir on ne soignerait personne. »

Bien sûr, le cas de certains malades violents ne doit pas être négligé. Mais comme l'expliquait au journal Libération le docteur Pierre Muri, qui préside la commission médicale de l’hôpital de Saint-Egrève, « Je ne suis pas tout à faire d’accord quand j’entends dire qu’il n’y a jamais de problèmes de violences avec les schizophrènes.  Je ne dirais pas cela. Ce que je sais, c’est que bien pris en charge, il n’y a aucun problème. Mais, aujourd’hui, le sont-ils, bien pris en charge ? »

Pour la plupart des professionnels de la santé mentale, la réponse est que les malades mentaux sont de plus en plus souvent mal pris en charge tant à l'hôpital que lors de leur retour à domicile. C'est pourquoi les professionnels de la santé et les associations d'aide aux patients sont largement opposés au plan de Sarkozy.

(Article original paru le 22 décembre 2008)


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