Le président élu Barack Obama a annoncé mercredi la nomination
de l’ancien président de la Réserve fédérale (Fed) Paul Volcker à la tête du
comité de Conseil économique de la Maison-Blanche pour superviser la politique
de stabilisation des marchés financiers du nouveau gouvernement. Le choix de
Volcker, âgé de 81 ans, place aux côtés du nouveau président un ennemi invétéré
de la classe ouvrière et démontre le caractère de classe du gouvernement droitier
qu’Obama est en train de former.
Au cours de la semaine, Obama a sélectionné l’ensemble de son
équipe : Timothy Geithner, l’actuel président de la Réserve fédérale de
New York qui deviendra secrétaire au Trésor ; Lawrence Summers, l’ancien
ministre des Finances de Clinton, qui prendra la tête du Conseil économique
national, le chef du groupe à la Maison-Blanche pour la coordination de la
politique économique ; et Peter Orszag qui deviendra le directeur du Bureau
de la Gestion et du Budget. Summers, Geithner et Orszag sont tous des protégés
de Robert Rubin, l’ancien secrétaire au Trésor de Clinton, ancien PDG de
Goldman Sachs et actuellement le directeur et vice-président de Citigroup
Ces nominations ont toutes été accueillies favorablement par
Wall Street avec une hausse de 1200 points des valeurs boursières depuis que le
nom de Geithner a été rendu public vendredi dernier. Les républicains du
Congrès ont acclamé le choix de Geithner et de Summers et un article de
l’ancien conseiller politique de Bush, Karl Rove, dans la rubrique
« éditorial et opinion » de l’édition du 28 novembre du Wall
Street Journal, était intitulé, « Applaudissements de Thanksgiving
(fête du jour d’Actions de grâces) d’Obama : il a composé une équipe
économique de premier ordre. »
Mais, c’est le choix de Volcker qui est l’avertissement le
plus net lancé à l’adresse de la classe ouvrière. Aucune autre personnalité de
l’histoire contemporaine américaine n’est aussi étroitement associée à la création
délibérée du chômage de masse pour réduire les salaires et détruire la
résistance organisée de la classe ouvrière en réponse aux exigences du patronat
américain. Il a mis en vigueur une politique qui a entraîné la destruction de
vastes sections de l’industrie et l’accroissement explosif de la spéculation
financière dans l’économie américaine.
Volcker avait été président de la Fed de 1979 à 1987, une
période critique de l’histoire de la classe ouvrière américaine durant laquelle
le mouvement ouvrier officiel fut effectivement détruit en tant qu’instrument
de légitime défense des ouvriers et les syndicats furent transformés en ce
qu’ils sont aujourd’hui : un mécanisme servant à supprimer les luttes des
travailleurs et à détruire leurs emplois et leurs salaires.
Le président démocrate, Jimmy Carter, avait nommé Volcker, un
ancien directeur de la Chase Manhattan Bank, pour diriger la Fed en août 1979,
à un moment charnière pour la classe dirigeante américaine et le monde
capitaliste en général. L’arrivée au pouvoir trois mois plus tôt de Margaret
Thatcher en Grande-Bretagne avait constitué le premier signal d’un net virage
droitier de la part du patronat mondial. Le choix de Volcker avait initié un
tournant identique aux Etats-Unis qui avait abouti en novembre 1980 à
l’élection de Ronald Reagan en battant Carter, le président sortant.
Une flambée des prix avait provoqué une série de grèves dures
de la part des travailleurs cherchant à défendre leur niveau de vie et le
gouvernement Carter avait encaissé une défaite humiliante quand plus de 100.000
mineurs de charbon avait débrayé pendant 111 jours en 1977-78 en défiant l’interdiction
présidentielle de faire grève conformément à la loi Taft-Hartley [loi qui
limite le droit de grève]. La Maison Blanche n’avait pas été en mesure de faire
plier les mineurs, ils brûlèrent publiquement sur les piquets de grève des
copies de la sommation du président qui ordonnait le retour au travail, et
Carter fut obligé de s’en remettre à la direction du syndicat des mineurs, le United
Mine Workers, pour faire que les travailleurs n’obtiennent aucun acquis de leur
lutte.
On fit appel à Volcker pour initier la politique qui éliminerait
l’inflation et les luttes pour la progression des salaires de la classe
ouvrière, en encourageant la hausse du taux de chômage. Sous sa direction, la Fed
augmenta rapidement les taux d’intérêt à 20 pour cent, un niveau sans
précédent, faisant ainsi chuter l’achat de maisons et de voitures ainsi que
d’autres biens durables et déclenchant une série de faillites d’entreprises.
Ce bouleversement économique contribua fortement à la défaite
de Carter lors de l’élection présidentielle mais cette perspective ne posa
aucun problème à Volcker dont la loyauté envers le parti démocrate et le
président qui l’avait nommé était reléguée en seconde position, bien loin
derrière son profond attachement aux intérêts à long terme du capitalisme
américain et qui requéraient les méthodes les plus draconiennes.
En 1981, après que Reagan fut arrivé à la Maison-Blanche, Volcker
travailla étroitement avec le nouveau gouvernement républicain et fut renommé
en 1983 par Reagan pour poursuivre sa trajectoire de lutte contre l’inflation.
Durant les années 1982-83, l’économie américaine avait plongé dans la plus
grave récession de la période d’après la Deuxième Guerre mondiale.
La dévastation économique s’était particulièrement concentrée
dans le Midwest industriel, les aciéries, les usines automobiles, les mines de
charbon furent fermées, nombre d’entre elles définitivement. La ville de
Detroit entra dans un déclin qui se poursuit à ce jour, et il en fut de même de
Buffalo, Akron, Youngstown, Gary, Indiana et d’innombrables villes
industrielles.
En réaction aux attaques perpétrées par le patronat et le
gouvernement Reagan, il y eut la plus importante vague de grèves depuis les
années 1940, à commencer par la grève des contrôleurs aériens du syndicat PATCO
d’août 1981 durant laquelle Reagan ordonna le licenciement de 12.000
travailleurs, et chacun des licenciements fut maintenu. Il bénéficia de l’appui
de l’ensemble de l’élite dirigeante américaine, tant démocrate que républicaine,
ainsi que de l’aide décisive de la bureaucratie des centrales syndicales de
l’AFL-CIO qui empêcha toute mobilisation à grande échelle des travailleurs
derrière les grévistes du PATCO, qui furent isolés et vaincus.
Volcker s’était distingué quand il avait félicité Reagan pour
avoir brisé la grève du PATCO, qualifiant son action de facteur le plus
important pour maîtriser l’inflation.
PATCO servit de modèle aux luttes qui suivirent :
Greyhound, Phelps Dodge, Hormel, International Paper, A.T. Massey Coal,
Continental Airlines, et Eastern Airlines. Des groupes isolés de travailleurs engagés
dans des luttes combatives et prolongées, dans de nombreux cas contre la répression
d’Etat et la violence des employeurs, furent tous poignardés dans le dos par le
syndicat AFL-CIO. Il en résulta la destruction des syndicats locaux,
l’arrestation, l’emprisonnement et même le meurtre de grévistes, le
renforcement de l’appareil bureaucratique et l’émergence du corporatisme
c’est-à-dire le « partenariat » syndicat-patronat, qui devint la
philosophie directrice des syndicats américains.
Tout au long de cette période, il y eut un front bipartite anti-travailleurs
à Washington : le républicain Reagan à la Maison-Blanche, le démocrate
Volcker à la Fed, un Sénat contrôlé par les républicains et un Congrès contrôlé
par les démocrates. Des gouverneurs et des maires démocrates travaillèrent main
dans la main avec des grands groupes briseurs de syndicats, en recourant à la
Garde nationale ou en mobilisant la police locale contre les grèves dans
l’Arizona, le Minnesota, le Kentucky, la Virginie de l’Ouest et d’innombrables grandes
et petites villes.
Le rôle joué par les démocrates dans le sauvetage de
l’entreprise Chrysler en 1979-80 est particulièrement d’actualité aujourd’hui.
Le gouvernement Carter avait fourni des garanties de prêts à Chrysler en retour
de concessions faites par le syndicat United Auto Workers (UAW), dont les
premières réductions de salaire et de prestations jamais imposées par un grand
syndicat américain à ses propres adhérents. Cela allait devenir le modèle pour
les négociations des années 1980.
Tout comme un criminel revenant sur les lieux du crime,
Volcker retourne à Washington comme principal conseiller d’un autre
gouvernement du parti démocrate qui prépare le renflouement de constructeurs
automobiles en faillite aux dépens des travailleurs de l’automobile et de la
classe ouvrière en général. Il peut compter sur sa propre expérience directe avec
la bureaucratie des UAW pour exiger que le syndicat finisse le travail qu’il avait
commencé il y a trois décennies : la transformation de ce qui était
autrefois la section la plus puissante de la classe ouvrière américaine en une
masse de travailleurs occasionnels, surexploités, à bas salaire et sans droits.
Quand Obama a annoncé qu’il allait mettre sur pied le Conseil
du président pour la reconstruction économique avec Volcker à sa tête, il a
loué le « jugement sain et indépendant » de l’ancien président de la
Fed. Ce « jugement » inclut un soutien de la première heure pour la
campagne présidentielle d’Obama : en février dernier Volcker avait fait
don de 2.300 dollars pour la campagne des primaires d’Obama, la plus grosse
somme qu’il ait jamais versée à aucun candidat, démocrate ou républicain.
« Paul Volcker n’est pas venu à Washington depuis un
moment, » a dit Obama, « et c’est en partie pour cette raison qu’il
est capable de fournir une nouvelle perspective. »
Le bilan de Volcker durant les années 1979 à 1987 donne une
idée de ce que sera cette « nouvelle perspective ». En 1982, le
chômage avait atteint 11,3 pour cent aux Etats-Unis, le double de celui de
1975. Le salaire moyen des jeunes travailleurs avait chuté de 30 pour cent durant
ces années, jusqu’en 1987. La mortalité infantile, la violence familiale, la
toxicomanie et d’autres effets concomitants aux privations économiques avaient
fortement augmenté.
Mais, le un pour cent le plus riche de la population avait vu,
durant cette période, sa richesse augmenter d’un pourcentage ahurissant, soit de
50 pour cent. C’est pourquoi l’élite dirigeante américaine aime à se souvenir des
années Volcker et c’est la raison pour laquelle l’aristocratie financière par
le biais de son serviteur Obama a demandé à ce que ce vieux réactionnaire lui
rende un dernier service en lançant un assaut contre la classe ouvrière.