Les syndicats ont mis fin à la grève et à l’occupation
de l’hypermarché Carrefour Grand Littoral de Marseille par 100
travailleurs, après deux semaines de lutte pour améliorer les conditions de travail
et les salaires d’une des catégories de travailleurs les plus exploités
de France. Cette grève est l’expression de la détermination de ces
travailleurs à bas salaires de défier Carrefour, deuxième plus gros détaillant
du monde, ayant des points de vente dans 30 pays et un chiffre d’affaire
de 78 milliards d’euros.
Cette grève était aussi une réponse à l’invitation
cynique faite aux travailleurs par le président Nicolas Sarkozy de
« travailler plus pour gagner plus. » Mais malgré leur détermination,
l’accord conclu améliore à peine les conditions de travail de ces
travailleurs qui ont du mal au quotidien à s’en sortir avec la hausse des
prix des produits alimentaires, de l’énergie et d’autres produits
de première nécessité.
Cette grève, la première en son genre, de plus de 100
caissières, employés de rayon et manutentionnaires parmi les 500 que compte ce
Carrefour, était la prolongation d’une journée d’action nationale à
l’appel des syndicats le 1er février dans le secteur de la
grande distribution qui concerne plus de 600 000 travailleurs. Les
employés de l’hypermarché Carrefour Grand Littoral avaient pris la
décision d’une grève illimitée et revendiquaient des changements quant à
leurs conditions de travail inhumaines et leurs salaires.
Avec des salaires de caissières de 700 euros netpar
mois pour un temps partiel imposé et 950 pour un temps complet, les grévistes
exigeaient une prime exceptionnelle de 250 euros et la possibilité pour le
personnel à temps partiel de travailler davantage d’heures. Ils
demandaient aussi que l’hypermarché ferme à 21h en hiver au lieu de 22h.
Ceci aurait au moins réduit les heures de travail irrégulières qui donnent
totale flexibilité à la direction pour organiser les équipes comme bon lui
semble, minant de ce fait la vie de famille des employés. Ils réclamaient aussi
que les tickets-repas passent de 3,05 à 4,50 euros.
Abdellah, membre de la CFDT (Confédération française
démocratique du travail) résume ainsi les conditions de travail: « Nos
salaires ne nous permettent plus de vivre et nous ne voulons pas devenir
les esclaves du monde moderne. » Suite à une confrontation avec la police
sur la question de l’occupation du site Carrefour, sept travailleurs ont
été traînés devant les tribunaux, accusés par l’entreprise d’« entrave
au travail et à la liberté de circuler. » Le site Carrefour a été fermé au
public pendant deux semaines et toutes les livraisons bloquées par les piquets
de grève.
Carrefour Grand Littoral, avec un chiffre d’affaires
annuel de 140 millions d’euros, avait proposé le 15 février d’accorder
la contribution dérisoire de 45 000 euros aux oeuvres sociales du comité
d’entreprise. Cela équivaut à une prime exceptionnelle de 80 euros par
employé, d’après les syndicats. L’entreprise a dit aussi
qu’elle augmenterait la valeur du ticket restaurant si le taux de
démarque (perte en terme de vols et de casse dans le magasin) passait de 2,6 à
1,6 pour cent. Les employés ont trouvé insultants les termes utilisés.
Le principal syndicat impliqué dans l’action, la CFDT, a
conclu un accord final avec la direction dimanche 17 février avec de très
minimes améliorations pour les travailleurs. La CFDT a dit que la grève se
terminait « dans de bonnes conditions ». La CGT (Confédération
générale du travail) a refusé de signer l’accord, mais a appelé à la
reprise du travail pour « éviter la division du personnel »,
d’après Avelino Carvalho, secrétaire CGT de la région. Le syndicat FO
(Force ouvrière) avait déjà rompu les rangs et appelé à reprendre le travail le
vendredi 15 février.
Les travailleurs se sont vus proposer trois heures de travail
supplémentaires par semaine et un ticket restaurant de 3,50 euros à condition
que les pertes du magasin passent de 2,6 à 2,4 pour cent. Finalement,
l’entreprise a fait passer à 80 000 euros la somme pour les oeuvres
sociales du comité d’entreprise. Cette offre finale a été acceptée le 17
février par la CFDT, syndicat majoritaire dans l’hypermarché.
Un accord national concernant plus de 600 000 employés de
la grande distribution avait déjà été signé le 13 février par FO, la CFTC
(Confédération française des travailleurs chrétiens), le syndicat des cadres
CFE-CGC et la FCD (Fédération des entreprises du commerce et de la distribution),
organisation des employeurs du secteur de la grande distribution. Un communiqué
de presse de la FCD expliquait que l’accord comprend le paiement des
temps de pause statutaires, qui jusqu’ici étaient illégalement prélevés
sur les salaires, « concession » représentant une hausse de 5 pour
cent du salaire, et un « salaire [brut] en début de carrière de 1 344
euros par mois » avec paiement des temps de pause. Cela ne représente pas
grand-chose pour les 600 000 employés des hypermarchés et des magasins de
hard discount, dont respectivement 37 pour cent et 70 pour cent travaillent
avec des contrats à temps partiel imposé, ce qui leur accorde un salaire bien
au-dessous du salaire minimum légal (SMIC) de 1 280 euros.
Un rapport récent de la DGT (Direction générale du travail) a
révélé que sur le million et demi de travailleurs français payés au-dessous du SMIC,
la majorité se trouve dans le secteur de la grande distribution et des
services. Aline levron, secrétaire nationale CFDT pour la grande distribution,
a expliqué dans une interview franche accordée au magazine Marianne le
dilemme confrontant les employés de la grande distribution ainsi que
l’impuissance des syndicats.
« Marianne : Il a fallu
des années pour qu’on en arrive à cette situation. Ne faut-il pas y voir
un échec du syndicalisme, incapable de faire valoir les revendications des
salaires dans ces secteurs ?
« Aline Levron : Non. Nous avons poussé le dialogue
jusqu’au bout. Ce rapport permet de mettre au grand jour des situations
que nous avions déjà exposées. Mais jusque-là, les négociations s’étaient
toujours faites en interne, secteur par secteur. Aujourd’hui, devant
l’échec du dialogue, nous demandons l’Etat d’intervenir.
Notre syndicat est résolument pour le dialogue, mais nous demandons au ministre
du Travail de prendre ses responsabilités. »
La CFDT a déjà montré qu’elle travaillait en étroite
collaboration avec le gouvernement Sarkozy/Fillon lors de sa trahison de la
lutte des cheminots pour leur retraite l’année dernière. Elle a montré sa
volonté d’accompagner le gouvernement dans son programme de démantèlement
de l’Etat providence et des droits des travailleurs afin de renforcer la
compétitivité du capitalisme français.
Malgré un discours parfois combatif de la part des dirigeants
syndicaux, les employés de Carrefour Grand littoral paient le prix de la complicitédes syndicats avec le gouvernement et les employeurs dans la réduction de
leurs conditions de vie. Les employés de Carrefour ont été isolés et on les a
laissés lutter seuls contre une énorme entreprise multinationale. Pas un seul
appel à la solidarité n’a été lancé par les syndicats en soutien aux
travailleurs de la région de Marseille ou dans l’industrie de la grande
distribution.
Néanmoins, l’agitation sociale s’intensifie comme
on a pu le voir avec les grèves dans 12 restaurants McDonald sur 17 à Marseille
les 11 et 13 février, où les employés ont réclamé de meilleures conditions de
travail, de salaires et de couverture sociale.
Pendant ce temps, on apprend que les patrons français sont les
mieux payés d’Europe. Les PDG de 77 pour cent des géants du CAC 40 ont eu
des hausses de salaire de 40 pour cent l’an dernier, ce qui ramène leur
revenu moyen à 5,87 millions d’euros. Les patrons d’entreprises
faisant un chiffre d’affaires de 40 milliards d’euros et employant
au minimum 140 000 personnes ont chacun empoché au moins 6,175 millions
d’euros.